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Thémidore; ou, mon histoire et celle de ma maîtresse

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Comme ceux qui aiment les fleurs en surprennent par-tout, je me saisis de quelques-unes par occasion; mais je ne m’en fais pas gloire: d’ailleurs elles n’étoient pas choisies dans des parterres qui pussent, comme à Paris, donner un certain lustre à celles qui sont les plus communes. Voici la seule rencontre où je me sois un peu amusé. Les Picards sont simples, & si la foi étoit perdue dans l’univers, on la rencontreroit chez eux; ils lui sont dévoués, ainsi qu’à la superstition: l’une est bien voisine de l’autre.

Un jeune homme, fils d’un riche Fermier, étoit amoureux de la fille d’un Gentilhomme de son voisinage. Il l’adoroit, & elle voyoit avec plaisir son adorateur. Le pere n’eût pas souffert que sa fille aimât un roturier; aussi ne lui en fit-on point confidence. La Demoiselle croyoit tous les cœurs de condition lorsqu’ils pensoient bien ou qu’ils aimoient: elle souhaitoit fort s’unir avec son jeune ami, dont sans doute elle étoit sûre. Elle n’avoit que son titre de noblesse: il ne possédoit que ceux de quelques terres très-fertiles, & peut-être un fond de cinquante mille livres; mais il étoit écrit sur la porte de son pere: en mariage tu ne convoiteras qu’un Gentilhomme seulement. Le tempérament l’avoit emportée, & elle avoit trouvé le moyen depuis deux ans de faire rencontrer à des rendez-vous le Tiers-Etat avec la Noblesse. Sans entrer dans le détail de ses aventures, il en vint à la république un sujet: l’affaire étoit encore nouvellement répandue à notre arrivée. Le pere n’ayant pu cacher les passe-tems de sa fille, plutôt que de la marier avec celui qui sans son ordre étoit entré dans sa famille, aima mieux répandre le bruit qu’un Cordon-bleu de Versailles, en passant par chez lui, en avoit été l’auteur. Ainsi Romulus étoit fils du Dieu Mars: ainsi beaucoup d’autres qu’on a encore fait de meilleure famille, n’ont-ils eu pour pere que des Jérôme Blutot: tel étoit le nom du jeune homme.

Depuis ses couches mademoiselle des Bercailles ne pouvoit plus souffrir celui à qui elle avoit l’obligation de la maternité: elle l’avoit congédié; j’ai su qu’elle avoit rempli sa place en fille sage, & qui ne changeoit que pour trouver mieux.

Le pauvre garçon, qui n’étoit pas si intelligent, se désespéroit; il en parla à un Fermier de ses amis, qui lui donna la connoissance d’un Berger qui, suivant l’attestation de toute la Nation Picarde, étoit sorcier, & avoit un grimoire comme un Curé. C’est une remarque certaine & infaillible; moins les peuples sont sorciers, plus il s’en trouve parmi eux. Blutot fut le trouver. Le drôle, après s’être fait prier, supplier, conjurer & payer, lui donna dans une fiole une liqueur, & lui ordonna de la mêler dans la boisson de celle dont il vouloit regagner le cœur. Notre Fermier se saisit de l’ampoule, & attendoit avec impatience le moment de s’en servir: il se présenta enfin.

Une fête de paroisse étant arrivée, le Curé y invita toute notre maison; & pour nous faire honneur rassembla quelques Gentilshommes, plusieurs Curés, & M. Blutot s’y trouva, ainsi que son ancienne maîtresse. Le dîner fut servi copieusement, & nous nous assîmes environ vingt-cinq personnes à table: le Pasteur ne se contenoit pas de joie. Comme il n’y avoit de femmes ou filles que mademoiselle des Bercailles de jolie, les autres étant toutes passées, je la mis entre le Curé & moi, bien résolu d’en tirer parti, sachant que la poulette n’étoit pas novice.

Son amoureux eût bien voulu être à ma place; mais si l’épée cede le pas à la robe, un Villageois ne doit pas seulement avoir contr’elle de la jalousie. Blutot, qui avoit apporté sa fiole amoureuse, cherchoit à en verser dans le pot duquel on devoit servir à boire à mon aimable compagne. Il ne put choisir, & comme l’homme perd souvent la tête à propos de rien, il se précipita si fort, qu’il vuida toute sa bouteille dans une grande cruche de six à huit pintes qui devoit servir au dessert. Le repas fut assez tumultueux: le Clergé mangea beaucoup, & but de même, déclama contre les hérétiques & fit l’éloge de la biere. Je pris soin d’en conter à ma compagne, & je n’eus pas de peine à lui faire goûter mes raisons. Elle avoit de l’expérience; une fille dans ce cas, avec un peu de tempérament, vous devance dans la carriere du plaisir. Nous en étions au point que, sans la compagnie qui commençoit à s’émanciper insensiblement, nous nous serions recueillis dans quelqu’allée du jardin. Ce ne fut que partie différée. Le dessert venu, redoublement de joie. Rien n’est plus divertissant à voir, une seule fois en sa vie, que ces assemblées. Vous y reconnoissez l’âge d’or, ce bel âge où les hommes, sans finesse & sans goût, s’enivroient de voluptés sans les sentir.

On servit à toute la compagnie un grand verre de la liqueur renfermée dans cette cruche en question; c’étoit une espece de ratafia propre à faire couler la biere. Mon pere, ni ma voisine, ni moi n’en bûmes point, ayant toujours usé de vin de Bourgogne, que nos Domestiques avoient apporté. Bien nous en prit. M. le Prédicateur se repentit d’en avoir trop peu ménagé la dose. Nous sortîmes & fûmes à l’Eglise. Ma bonne amie étoit à mes côtés; ce n’étoit pas trop là la situation où je l’aurois voulue; mais celle-là étoit encore assez pour le lieu.

Le Prédicateur commença au mieux; son texte fut heureux: & comme il faisoit le panégyrique d’une Vierge, son Sermon devoit être une exhortation à la chasteté; il ne l’acheva pas.

Il est à propos de remarquer que la liqueur qui étoit dans ce vase mentionné avoit eu le tems de fermenter & de s’insinuer dans toutes les parties du prétendu ratafia: c’étoit une composition d’une force extraordinaire, qui avoit deux effets, l’un de mettre le sang en fureur & d’exciter un amour violent; l’autre d’égaler la médecine la plus purgative: le tout plus promptement ou plus lentement, suivant la constitution des corps.

Déjà l’Orateur Chrétien s’échauffoit, se battoit les flancs, & nous endormoit, lorsque le ratafia commença à opérer en lui. Il y résista quelque-tems: l’autre effet de la même liqueur fermentoit, & s’animoit par degrés chez la plupart des Curés, & de ceux qui avoient été au dîner. Rien ne m’a tant amusé que de voir de saints Ecclésiastiques se tourmenter sur leurs chaises, & rouler leurs yeux d’une façon injurieuse à l’aimable vertu de continence dont l’Orateur entamoit déjà le panégyrique. Les Paysans rioient intérieurement de ce qu’ils voyoient, & leur malignité naturelle n’avoit alors aucun respect pour leurs Directeurs. Il fut encore bien moindre dans la suite.

Le Chrysostôme de village ayant fait un effort violent en poussant un de ces hélas pathétiques qui ébranlent jusques aux voûtes des temples, ne fut pas assez heureux pour contenir en lui-même la malignité du ratafia cruel, & la laissa échapper avec impétuosité. Ce malheur l’étonne, il perd la voix; on court, on vole à son secours: une sueur froide coule de tous ses membres, on le croit mort; mais dans l’instant ceux qui aident à le ranimer s’apperçoivent bien qu’il est très-vivant: & soit par esprit de joie, soit par quelque autre principe, ils ordonnent que très-précipitamment on offre de l’encens au Ciel & que l’on parfume l’Eglise.

Tout le monde rit de l’aventure, & ceux qui en parurent les plus réjouis donnerent eux-mêmes à rire aux autres à leur tour. Cependant on commença l’Office, & mon pere, qui étoit présent, ne put s’empêcher de me demander si je me souvenois de l’aventure de Constantin Copronime.13

A peine étoit-on au tiers du premier pseaume, que les deux Chantres pressés par le témoignage intérieur de leur besoin, quittent rapidement leurs chapes & sont déjà dans le cimetiere. Leur espece de fuite étonne: on se regarde. Deux Curés prennent les places vacantes: ils n’ont pas fait dix tours dans le chœur que les vêtemens contagieux, semblables à la robe de Nessus, les embrase; ils les quittent, fuient de l’Eglise & sont suivis de dix de leurs confreres qui sont dans les mêmes tourmens; tout le reste de l’assemblée de rire & de s’emporter en éclats. Le seul Curé de la Paroisse demeura immobile: en vain le ratafia fit-il tout son effet, en vain étoit-il inondé des restes précieux de cette liqueur, il demeura ferme en sa place & imita ces anciens Sénateurs, qui, au milieu du sac de Rome par les Gaulois, resterent tranquilles dans leurs chaires curules & y reçurent la mort.

Les Peuples anciens reconnoissoient les Dieux à la bonne odeur qui naissoit sous leurs pas; je réponds que pas un de ceux qui avoient dîné avec nous n’eût eu des autels chez les Païens.

L’effet du ratafia, ou plutôt du philtre, n’avoit pas borné son pouvoir à donner de la fluidité aux corps hétérogenes avec lesquels il s’étoit trouvé; il avoit aussi mis en feu la concupiscence des particuliers dans lesquels il s’étoit introduit. Nous en vîmes plusieurs qui, dans leurs transports amoureux, embrassoient sans distinction toutes les femmes ou filles qui s’offroient à leurs yeux: sans doute ils désiroient davantage & le faisoient voir; mais il y avoit un trop grand concours, la honte les enchaînoit. La nature est une sotte de se cacher toujours pour faire son plus agréable ouvrage: c’est précisément lorsqu’on a le moins de modestie qu’on en veut le plus avoir. Nous fûmes témoins qu’un vieux Chapelain de plus de 60 ans, qui sans doute avoit doublé la mesure de la liqueur, ou qui étoit dans une certaine habitude, se mit à poursuivre une Bergere, assez laide & âgée, au travers d’un pré, & dans un déshabillé fort peu honnête. On cria après lui. La Nymphe fuyoit, le nouvel Apollon étoit prêt à enlever sa chere Daphné, lorsqu’elle se précipita dans une mare d’eau bourbeuse, où tomba à sa suite le Dieu Ecclésiastique, dont on les tira, lui & sa Nymphe, bien couverts de boue, dans laquelle ils étoient presque métamorphosés. Quel comique spectacle, cher Marquis! Que Calot n’étoit-il là! il en eût fait une de ses plus jolies fantaisies. C’étoit pourtant l’amour qui causoit tout ce désordre. Si d’un côté il troubloit l’office de l’Eglise, il ne dérangeoit pas d’un autre mes petites intrigues particulieres. Ainsi jamais personne ne perd qu’une autre ne gagne.

 

Je m’étois écarté avec dessein de ne me pas perdre. Mademoiselle des Bercailles me vint joindre. C’étoit dans une allée d’un bosquet, extrêmement couvert. Là, pourrois-je vous dire, le lierre amoureux s’unissoit à l’ormeau; là une jeune vigne tapissoit des murs de tilleuls & de sycomores: on y entendoit le murmure d’une onde argentée & les concerts des oiseaux qui soupiroient leurs tendres soucis. Je pourrois charger ce tableau, & vous répéter toutes ces descriptions usées que les Poëtes se donnent de main en main: mais n’ayant pas perdu de temps à mon expédition, dois-je vous en faire perdre en y ajoutant des circonstances? Nous arrivons, l’herbe étoit grande; nous nous y jettons: la belle étoit animée, j’étois plein d’ardeur; Vénus donne le signal, la pudeur s’envole, l’Amour nous couvre de ses ailes. Le temps nous pressoit; nous ne le fîmes pas attendre: le nuage se forme, le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde; il tombe, & tout est consommé.

Nous regagnâmes la maison du Curé, & en chemin ma belle Nymphe me répéta qu’elle étoit charmée de ce que j’étois Gentilhomme. Ma foi, Marquis, sans vanité, avec elle j’avois valu le Paysan le plus vigoureux. On ne s’informa pas d’où nous venions; chacun étoit occupé à faire son paquet pour partir. Je vis la chambre du Curé ouverte, j’y entre; mademoiselle des Bercailles m’y suit: le lit étoit bien fourni, bien mollet & sembloit inviter à quelque chose. Sans doute il avoit une vertu particuliere, ou peut-être avoit-il tâté du ratafia; mais à son aspect je devins comme un des Curés: ma voisine s’en apperçut; les fenêtres se ferment, les rideaux se tirent, la porte est barrée, & je commence à pratiquer ce que dans tel cas telles précautions engagent de faire. Le lieu, la position y font beaucoup; je goûtai mille plaisirs. Je ne faisois que les demander, on me les varioit: je m’en enivrois; & en me plongeant dans cette douce volupté, je la voyois naître dans les yeux de celle qui en étoit la mere. Quel surcroît de satisfaction de jouir d’un fruit défendu, & dans un lieu où une chose même permise auroit une pointe particuliere. Que je donnai de louanges à la jeune Demoiselle! Qu’elle me donna de contentement! Nous descendîmes, après avoir bien ri de l’aventure du Clergé, & nous être promis que ce ne seroit pas la derniere fois nous parlerions d’affaires intéressantes. L’histoire de cette Paroisse fit beaucoup de bruit dans le canton: on s’en divertit comme il convenoit, & depuis on demande aux Curés qui sont à semblables fêtes s’ils y boiront du ratafia.

Pendant huit à dix jours que je restai encore dans le pays, je n’en passai aucun sans m’entretenir avec mon pere de cette farce, & sans rendre visite à M. des Bercailles. Le bon Gentilhomme venoit exactement chez nous faire sa cour au vin de Bourgogne, en y amenant son héritiere, à qui je faisois quelque chose de plus. Enfin nous partîmes, & après avoir témoigné à plusieurs reprises à ma jeune maîtresse le déplaisir que j’avois de la quitter & lui avoir fait quelques présents, je la laissai peut-être avec l’ébauche d’un petit Conseiller, qui, dans son tems, pourra être regardé par M. le Gentilhomme comme une galanterie de quelque Prince du Sang ou de quelque Monarque.

Me voici à Paris. Revenons à Rozette & à son étude des livres que je lui avois envoyés, & du rôle qu’elle devoit jouer. Aussi-tôt que je fus arrivé j’envoyai chercher Laverdure, pour être instruit de ce qu’il avoit exécuté en mon absence.

Rozette, qui n’avoit eu rien tant à cœur que de sortir du lieu où elle étoit enfermée, & qui s’étoit imaginé que l’étude des livres que je lui avois adressés devoit y contribuer infiniment, s’y étoit donnée toute entiere. Elle en a profité d’une façon marquée. Un jour qu’elle étoit absorbée dans cette méditation, entra une Religieuse: ces filles-là sont encore plus curieuses mille fois que les femmes du monde; moins elles devroient savoir de choses, plus elles sont impatientes d’en apprendre. Est-il étonnant qu’il soit difficile aux Religieuses de vivre heureuses? Elle voulut apprendre quel étoit le livre qui étoit le sujet des réflexions profondes que Rozette sembloit former avec tant de soin. Rozette fit difficulté, la Sœur n’en eut que plus de désirs: elle le demanda avec empressement, on le lui refusa par plaisanterie; sa curiosité s’en fâcha & fut poussée au point que dans son transport elle fit ce qu’elle put pour arracher le livre. On le lui refusa alors très-nettement, & elle eut le désespoir de se voir même méprisée. Ah! que la sainte vengeance va bien faire son devoir! La Sœur Sainte Monique, c’étoit son nom, va mettre l’alarme dans le Couvent, raconte à toutes celles qu’elle rencontre qu’elle a vu quelque chose qui fait trembler (elle n’avoit rien vu certainement;) que la fille renfermée dans la chambre rouge avoit été surprise par elle à lire un livre affreux, abominable, couvert de noir, avec des flammes jaunes dessus; que ce livre étoit un livre de magie, qui contenoit la fin du monde, qui faisoit venir le Diable; que c’étoit le grand Albert, ou peut-être même un Rituel ou un Grimoire. La Supérieure tremble à ce récit, tout le Couvent est dans l’effroi; on sonne la cloche, on assemble la Communauté; on parle, on discute, on délibere, on opine, on décide: sur quoi? sur rien absolument, parce qu’il n’avoit été rien proposé. On fait avertir un Grand-Vicaire; il vient, on lui dit le cas: il en sourit, & monte chez Rozette, lui demande ses livres: elle les remet, & l’on trouve entre ses mains un ouvrage Janséniste! On lui demande si elle est du parti des Appellants, elle répond qu’oui fermement, & qu’elle en sera toujours. Elle croyoit, la pauvre fille, que celui qui l’interrogeoit de la sorte étoit du parti, qu’il étoit tems de jouer son rôle. Le Grand-Vicaire, homme d’esprit, lui dit qu’il étoit charmé de ses sentimens, & que le parti des Appellants étoit fort bien soutenu par des personnes de réputation comme elle dans le monde; & d’un ton ironique lui demanda si parmi ses compagnes elles étoient un grand nombre attachées à la bonne cause. Rozette vit sa méprise, & donna une replique qui ne déplut pas à l’Ecclésiastique. Il ordonna qu’on eût soin d’elle & qu’on ne lui donnât que de bons livres: il se saisit des volumes Jansénistes et les emporta.

Cependant les Religieuses n’avoient pas encore su ce que c’étoit que ce Grimoire, sujet de leurs alarmes. Elles firent ce qu’elles purent pour l’apprendre de Rozette; celle-ci, pour les désespérer, refusa absolument de les satisfaire: elles entrerent dans une fureur extraordinaire, & lui auroient dès ce jour interdit tout soulagement, si le Grand-Vicaire en sortant ne leur eût recommandé de ne point inquiéter leur Pensionnaire. On ne lui promettoit cependant pas de laisser ce mépris sans une vengeance marquée. D’abord on refusa à Laverdure l’entrée du Couvent pendant plusieurs jours: ce ne fut qu’après en avoir appris la cause qu’il demanda à parler à la Sœur Monique, & il lui dit que c’étoit lui qui avoit apporté les livres que Rozette lisoit, & que ces livres étoient les Voyages de Paul Lucas; que c’étoit un entêtement de sa part de n’avoir pas voulu les montrer: que preuve que ce n’étoient pas de mauvais ouvrages, c’est que monsieur le Grand-Vicaire n’y avoit rien trouvé de fort blâmable. La curiosité de la Sœur ainsi remplie par l’adresse de Laverdure, on lui permit de parler à Rozette, qui commençoit à s’impatienter: ce n’étoit pas encore le temps.

Depuis plusieurs jours Laverdure s’étoit absenté de chez son Maître, qui s’en étoit apperçu. Le Président en avoit voulu savoir la raison, & quelle intrigue avoit son Domestique: il n’avoit pu rien tirer de la vérité. Enfin il s’avisa de le faire suivre, & après bien des soins il fut informé qu’il se travestissoit en femme & qu’il alloit de temps à autre dans la Communauté de Sainte Pélagie. Monsieur de Mondorville affecte un air aisé avec Laverdure, & prend la résolution de lui donner une belle peur. Pour cet effet, il lui dit un matin qu’il étoit le maître de se promener toute la journée, après lui avoir donné quelques commissions, & qu’il n’avoit qu’à se trouver le soir chez la Marquise de Saint Laurent à l’attendre. Le Domestique profita de la liberté qui lui étoit accordée, & vers son heure accoutumée il se disposa à aller rendre visite à Rozette. Le Président, qui avoit un espion affidé, fut averti que son drôle, revêtu de son équipage féminin, étoit en route pour se rendre à Sainte Pélagie: il écrit aussitôt à la Supérieure qu’il y avoit un homme déguisé en femme qui s’étoit introduit dans sa Communauté, & que le loup pouvoit causer un grand ravage dans la maison du Seigneur; que cet homme commettoit un si grand crime depuis plusieurs semaines. La Prieure reçoit cet avertissement, & tremble en le lisant: elle fait avertir le Commissaire; celui-ci se transporte au plutôt au Couvent, accompagné d’Archers, & on se saisit de six personnes qui étoient alors au parloir. Malheureusement il s’en trouva une qui à son air peu féminin fut soupçonnée d’avoir voulu déguiser son sexe. On la prend, on la saisit, malgré sa résistance & les protestations qu’elle fait qu’elle est femme d’honneur & n’a rien fait qui la puisse mettre entre les mains d’un Commissaire. On la traîne dans un endroit secret: il falloit entendre les cris que poussoit cette nouvelle Lucrece lorsqu’un Sergent se mit en devoir de vérifier l’accusation intentée contre elle. En pareille rencontre il n’y a pas de personnes qui se défendent mieux que celles à qui il seroit impossible de rien prendre. Enfin l’examinateur avec un grand cri assura à toute l’assemblée que madame Bourut (c’étoit son nom) n’étoit point un homme, & que sa physionomie en avoit imposé. Pour cette fois le Commissaire ne fit pas une plus ample perquisition, & se dispensa volontairement d’une descente sur les lieux. On fit la visite de la maison, on ne trouva rien de suspect, & toute la Justice se retira, après avoir averti la Supérieure que dans de pareilles occurrences il ne falloit pas trop s’alarmer, & que sur un simple avis on ne mettoit pas tant d’honnêtes gens en alarmes pour une affaire où l’on ne tiroit pas ses frais. La compagnie se retira, & monsieur le Président, informé de la rumeur qui étoit arrivée à Sainte Pélagie, attendoit qu’on vînt le demander de la part de Laverdure, lorsqu’il entra avec son air tranquille & délibéré, & rendit compte de ce dont il avoit été chargé. Monsieur de Mondorville ne lui parla de rien, & n’en étoit pas moins curieux de savoir comment il s’étoit tiré de ce mauvais pas. Sans doute vous avez la même curiosité, cher Marquis. Il n’avoit eu aucune peine à se délivrer de l’embarras: il ne s’y étoit point trouvé. Voici le fait. Un petit malheur de hazard nous sauve très-souvent de grandes infortunes.

Laverdure, déguisé à son ordinaire, étoit en chemin pour rendre sa visite à Rozette. Il est bon que vous remarquiez, cher Marquis, que le drôle en étoit un peu amoureux, & qu’en faisant exactement mes affaires il croyoit qu’il avançoit les siennes: deux motifs bien puissants le conduisoient, l’intérêt & l’amour; il n’est point étonnant qu’il fût si animé à exécuter mes ordonnances. Dans sa route il fut rencontré par deux jeunes gens, qui, la tête encore un peu échauffée du vin de Champagne dont ils avoient abondamment éprouvé les piquantes douceurs, l’arrêterent, & après l’avoir considéré quelque tems, s’imaginerent avoir trouvé en lui une Déesse des plus charmantes, & en conséquence vouloient que sa Divinité les conduisît dans un temple où ils pussent lui faire des offrandes proportionnées à ses mérites. Vous voyez, Marquis, que le bandeau que Bacchus met sur les yeux des mortels est plus épais encore que celui de l’Amour: l’un empêche de voir, mais l’autre fait voir trouble; rien n’est plus pernicieux qu’une fausse lumiere.

Laverdure se défendit en vain; il essuya les compliments les plus flatteurs, & se vit donner les épithetes les plus tendres: il m’a avoué que, quoique d’un sexe qui n’entend pas ordinairement de fadeurs & qui ne fait qu’en débiter, il avoit senti la tentation à laquelle on expose une jolie femme en lui détaillant des fleurettes. Ne pouvant se débarrasser de leurs mains, & craignant qu’en affectant trop la femme d’honneur on ne vînt à examiner de trop près cet honneur là, qui, comme tout autre, perd souvent à l’examen, il invita ces messieurs à venir se reposer chez lui: ces jeunes entreprenans lui avoient demandé cette faveur, de façon que ce qu’il avoit alors de mieux à faire étoit de la leur accorder. Ils monterent en Fiacre, & le Cocher eut ordre de les conduire dans un endroit qu’il nomma. Ne songeons pas, pour un moment, que Laverdure est un Domestique, & imaginons que cette affaire arrive à un de nos amis. Elle nous intéressera davantage.

 

La plaisante figure que faisoit alors notre homme! Je m’imagine voir ces jeunes gens le caresser, l’embrasser, lui tenir de galants propos: lui se défendre d’un baiser de l’un, écarter les mains libertines de l’autre, quoiqu’il eût pu les rendre très-sages en leur laissant une minute toute liberté de ne le pas être. Il étoit très-plaisant aux uns de se croire en possession de jolies choses, & de vouloir s’en emparer, & à l’autre de défendre très-sérieusement ces jolies choses, qu’il n’auroit pas si bien défendues s’il en eût été le possesseur. On fait pour le mensonge ce qu’on n’auroit pas le courage de faire pour la réalité.

Enfin la compagnie arriva au lieu marqué: c’étoit à l’endroit où Laverdure avoit coutume de prendre ses habits de déguisement. Une de ses cousines à la mode de Paris y demeuroit, qui reçut fort bien ces nouveaux venus & qui leur fit perdre en un moment la passion violente qu’ils avoient conçue pour le bel Adonis de rencontre. On proposa des raffraîchissements, ces messieurs en avoient besoin & ils en firent suffisamment les frais. Cependant comme les tentations qui les avoient accompagnés dans l’équipage étoient augmentées, on voulut, à la faveur de la colation, badiner sur ce qui y donnoit lieu, & de-là en traiter à fond la matiere. Laverdure s’étoit bien promis de pousser l’aventure, mais jusqu’au point que sa parente ne seroit point forcée à enfreindre les bienséances. Voyant néanmoins qu’elle seroit bientôt dans le cas de se défendre à force ouverte, & connoissant qu’une femme n’a jamais l’avantage lorsque l’attaque est de longue durée, il se retira dans la chambre voisine, & ayant alors abandonné son ajustement féminin, il reparut aux yeux de la compagnie en homme, & par sa présence subite effraya les convives. Armé d’une espece de couteau de chasse qui n’y avoit jamais servi, il s’avance vers ces messieurs, & avec des paroles emportées leur commande de sortir promptement, sous peine de se voir étendus sur le pavé. Notre homme est brave, cher Marquis, & si je l’en crois, il fit trembler ces deux jeunes gens, qui descendirent en diligence d’une maison où on leur préparoit une si mauvaise récompence des frais qu’ils avoient faits pour y être bien reçus. Laverdure, qui ment peut-être, & fait le généreux après coup, m’a protesté qu’il les avoit poursuivis jusques dans la rue: peut-être étoit-ce de paroles, alors le fait devient assez vraisemblable. En un mot il se tira d’intrigue de la part de ces jeunes gens: sa prudence & le hazard lui sauverent pour cette journée le malheur que son Maître lui avoit machiné.

Le Président piqué de n’avoir point réussi continua à le faire épier. Dès le lendemain Laverdure fut trouver Rozette, à qui il raconta son aventure & lui amplifia sans doute sa hardiesse & son courage. Après la victoire le soldat le plus lâche a droit de faire son éloge. Il resta ce soir là moins long-tems qu’à l’ordinaire, & par son bonheur il esquiva une visite que les gens de la maison firent, sur un second avis anonyme qui leur étoit envoyé par le Président. Pendant plusieurs jours il ne put être découvert: s’il se fût douté qu’on lui préparoit quelque tour, jamais on n’y auroit réussi. La vengeance veille, & la simplicité s’endort sur la foi de son innocence.

Enfin le Président, outré de ne pouvoir réussir, suivit lui-même son Domestique, & l’ayant vu entrer au Couvent, fit avertir le Commissaire, la Supérieure, & une compagnie du Guet, & découvrit que c’étoit à Rozette à qui on en vouloit. On ne douta plus de rien. Laverdure ayant voulu sortir apperçut quelque tumulte, & qu’on le considéroit de près; il soupçonna que la visite faite dans le Couvent quelques jours avant, & dont il avoit entendu parler, pouvoit le regarder: il craignit. Mais, sans perdre la tête, il imagina que ce tour venoit de la part de son Maître, & en rapprochant diverses circonstances, il en fut convaincu. Il pensa à se sauver, & ensuite à s’en venger. En un instant il eut quitté son ajustement de femme, & il se trouva en petite camisolle blanche; & ayant par hazard un bonnet brodé dans sa poche, il le mit sur sa tête & passa au milieu de la Garde & des Religieuses comme quelqu’un qui étoit entré par curiosité, ou comme un jardinier de la maison. S’étant même abouché avec un Sergent, il lui dit en confidence que celui qui s’étoit introduit étoit un homme de condition, & lui avoua sous le secret qu’il se nommoit le Président de Mondorville, qui étoit amoureux d’une Religieuse. Le Sergent le dit au Commissaire, qui, sur cet avis, trancha toute difficulté, fit ouvrir les portes, & se retira en recommandant aux Religieuses le secret sur cette affaire. Les gens de Robe n’aiment point à avoir de discussion les uns avec les autres. Sans ce stratagême Laverdure restoit dans le Couvent, & il eût pu être découvert. Ce prétendu secret se divulga, & on fut d’autant mieux persuadé de la vérité de la chose, que l’on avoit vu le carrosse du Président arrêté dans une rue voisine, précisément pendant cette expédition. Laverdure dissimula avec son Maître, qui n’osa lui parler de cette aventure.

Les Religieuses, dont la curiosité avoit été si cruellement tourmentée par Rozette, profiterent de l’occasion, & ayant un sujet de la punir la saisirent avidement: on avoit trouvé les habits en question dans le parloir, & on avoit reconnu ce déguisement sous lequel quelqu’un depuis long-temps venoit faire la cour à Rozette. La pauvre fille fut enfermée dans une chambre obscure, au pain & à l’eau, & y demeura jusqu’à ce qu’enfin, par le moyen de monsieur le Doux, elle en sortit, pour n’y rentrer sans doute de ses jours.

Le Président ne put se contenir ayant entendu dans le monde que l’on affirmoit qu’il s’étoit travesti pour enlever une fille de Sainte Pélagie, & que les Religieuses le publioient. Il se fâcha d’abord, & en rit après. Ce fut alors qu’il voulut savoir tout de son Domestique: celui-ci le lui raconta fidelement. Le drôle trouvoit son orgueil flatté à tracer ses avantages contre son Maître: il en reçut son pardon. Mais le Président eut beaucoup de difficulté à ne se pas brouiller avec moi, parce que je ne lui avois pas confié mon secret, & que je l’avois exposé à des démarches qui avoient tourné à son désavantage. Ah! cher Marquis, qu’il étoit piqué de n’avoir pu réussir! Autant qu’il étoit sérieux lorsqu’on lui parloit de sa prétendue expédition conventuelle, autant je m’en divertissois à ses dépens. Ainsi souvent ceux qui veulent jouer les autres sont-ils joués eux-mêmes. On ne hazarde point à faire du bien à quelqu’un; il y a tout à appréhender à lui préparer des embûches.

L’état affreux où je savois qu’étoit Rozette me désespéroit. J’eus recours à M. le Doux. Je le pris en particulier, & lui ayant abandonné certains rayons de mes tablettes remplis de pots de confitures, je lui exposai mes chagrins. Le ton pathétique que j’employai le toucha. Les Dévots ont l’ame tendre, & quand on a une fois trouvé le chemin de leur cœur, on est assuré de leur faire exécuter les choses les plus difficiles. Je lui déclarai d’abord que puisqu’il étoit ami de mon pere, & de notre famille, il devoit le faire voir à cette occasion, en empêchant quelque coup d’éclat que j’étois résolu de hazarder. Voyant que mon discours ne faisoit pas une impression assez vive sur son esprit, je lui racontai comment Rozette étoit actuellement dans l’état le plus affreux: je ne lui dissimulai point que c’étoit à cause de moi; mais profitant de la circonstance des livres pris chez elle, & de la confession qu’elle avoit faite de son attachement au parti des Appellants, je fis entendre à M. le Doux que l’on avoit été charmé d’avoir trouvé la rencontre de Laverdure, pour la punir de la premiere aventure, & que cette fille alors souffroit pour la bonne cause. Pour achever de déterminer mon Dévot, je le priai de s’informer de la vérité de ce que j’avançois, & je lui donnai tous les éclaircissements nécessaires. Il m’assura que sa protection seroit le fruit de la vérité que je lui aurois exposée. Il promit que sans faute il me rendroit réponse dans trois jours. Je l’embrassai: je lui fis plaisir; & en me remerciant il me dit qu’il seroit bien heureux s’il pouvoit gagner une si belle ame au Seigneur, & qu’il n’en désespéroit pas.

13Constantin, surnommé Copronime, parce que lorsqu’on le baptisoit il souilla les eaux dans lesquelles il étoit plongé suivant l’usage.