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Thémidore; ou, mon histoire et celle de ma maîtresse

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Elle remonta en carrosse & moi dans mon appartement. J’y avois laissé monsieur le Doux. En mon absence il avoit fait la visite de ma bibliotheque; & en furetant il n’avoit pas oublié certains pots de confitures qui étoient sur une tablette écartée. Il m’en parla comme d’une chose indifférente à moi, qui étois un homme du monde, & qui seroit d’une grande utilité à un Directeur comme lui, qui assistoit un grand nombre de malades. Il n’eut point ce qu’il demandoit; car sur le chapitre des confitures & des douceurs j’ai l’ame la plus ecclésiastique qui fut jamais.

Il me gronda amicalement sur plusieurs livres, sur-tout à l’occasion des Romans. Je fis la controverse sur cet article: il ne brilla pas; il m’avoua que son fort n’étoit pas la dispute; qu’il étoit persuadé que les Romans étoient mauvais, mais qu’il n’en avoit jamais lu, & qu’ainsi il n’en pouvoit pas juger. Il me conseilla de brûler mes miniatures & mes estampes. Sur ce que je lui représentai que cet assemblage valoit plus de 200 louis, il me dit que la somme n’étoit pas assez considérable pour se damner pour elle. J’insistois sur la valeur des choses: hé bien, dit-il! vendez toutes ces infamies à quelques Conseillers Constitutionnaires; ces gens-là n’ont point d’ame à perdre. Je lui promis d’y penser, & le Janséniste me crut déjà dans la bonne voie.

De matiere en matiere nous parlâmes de mon aventure. Il n’est pas étonnant que le saint homme fût curieux. Je lui racontai tout, & l’intéressai si bien, que c’est lui qui a le plus contribué à la délivrance de Rozette, comme vous le verrez, & que c’est par son moyen que j’ai tout obtenu de mon pere.

N’ayez point mauvaise opinion de lui sur la conduite que vous lui remarquerez. M. le Doux n’est point un hypocrite; il est droit, bon Ecclésiastique, mais simple, aisé à tromper: il a toutes les minuties de son état, mais n’en a pas les intrigues secretes. S’il a fait quelque faute, j’en suis la cause. On n’est véritablement coupable que lorsqu’on l’est par le cœur.

Il étoit près de huit heures, M. le Doux étoit retourné chez lui, & m’avoit laissé le temps de revenir au sujet de mes inquiétudes. Je me promenois dans ma chambre à grands pas; je regardois par la fenêtre: Laverdure ne revenoit point. J’excusois son retardement sur la différence des horloges: j’étois dans une cruelle impatience. Entre subitement dans ma chambre une figure empaquetée dans une cape de camelot, qui, sans me parler, jette une lettre sur mon bureau, & se jette dans un canapé. Je lis l’adresse, je reconnus l’écriture de Rozette; sans différer je l’ouvre, je la dévore, & je suis enchanté. Je vais vous en donner une copie, après vous avoir mis au fait des moyens par lesquels elle étoit parvenue jusqu’à moi, comment s’y étoit pris mon commissionnaire, & quelle étoit la personne qui étoit entrée chez moi dans cet équipage. Cette intrigue est assez bien conduite, & Laverdure m’a avoué que c’étoit son chef-d’œuvre.

Fin de la premiere Partie
 
Dùm licet, in rebus jucundis vive beatus.
 
Hor. Lib. I. Ep.

SECONDE PARTIE

LAVERDURE lui-même avoit été le commissionnaire de Rozette. Embarrassé comment il pourroit s’introduire à Sainte Pélagie, il avoit imaginé de se travestir en femme. La nature avoit fait en sa faveur la moitié des frais de ce déguisement. Il est petit, maigre, sa voix est foible, sa taille menue; il a très-peu de barbe: passable en homme, il avoit en femme une physionomie très-singuliere. Sans doute il hazardoit beaucoup en cette rencontre; mais il y a des choses que l’on fait pour d’autres, auxquelles on ne penseroit peut-être pas pour soi-même. Dans les occasions critiques on a meilleure idée de la fortune de son ami que de la sienne propre. Je ne vous ferai pas, cher Marquis, la description de l’ajustement de Laverdure: pour se dédommager de la peine qu’il avoit eue à le disposer, il me contraignit d’en admirer successivement le comique assemblage. Quoique je ne fusse pas en position de rire, je ne pus m’empêcher de le trouver très-plaisamment imaginé. La capote dont il étoit couvert le masquoit au mieux: la pluie, qui dura pendant toute la journée, la lui avoit fait prendre. Le mauvais tems désespéra bien des personnes; mais je puis dire qu’il ne pouvoit y en avoir de plus beau & de plus favorable pour notre stratagême.

Laverdure se transporta d’abord au Couvent. Après quelques préambules avec une Touriere curieuse selon son état, & qu’il trompa suivant le sien, il fut admis au parloir de la Mere Supérieure. Les premiers complimens épuisés, il lui expliqua modestement le sujet de sa visite, & lui dit qu’il étoit la parente très-proche d’une jeune fille nommée Rozette, qui, par ordre du Roi & pour son bien, avoit été conduite dans la maison depuis le matin: qu’il venoit se réjouir de ce que la Providence l’avoit adressée dans un port de salut, où les bons exemples ne lui manqueroient pas, & pourroient la faire rentrer dans le chemin de la vertu, dont elle ne s’étoit que trop long-tems écartée. Qu’il étoit charmé que de bonnes ames l’eussent obligée à se repentir, & l’eussent fait enfermer: qu’il y avoit déjà plusieurs mois qu’il auroit fait cette action de charité si ses moyens lui en eussent permis l’exécution. Enfin Laverdure joua la parente si pathétiquement, que la Supérieure en fut attendrie. Il se mit à pleurer; le don des larmes est un don de Comédien, notre drôle l’est au parfait. Les larmes sont un mal qui se gagne; qu’une femme pleure, une autre pleurera, ainsi que toutes celles qui viendront, & cela à l’infini. La conversation se termina en disant à la Mere Prieure qu’il désiroit parler un moment à Rozette; que quoique ce fût une fille dérangée, il l’aimoit cependant encore assez pour ne pas entiérement desespérer, & qu’il venoit lui apporter quelque soulagement. Alors il tira de sa poche deux louis, & en remit un à la Dame, en la priant de le distribuer par parties à Rozette, à proportion qu’elle s’acquitteroit bien de son devoir, & qu’il auroit soin chaque mois de lui remettre pareille somme. Cette générosité eut son effet: la Supérieure admira le bon cœur de la prétendue parente, & lui en faisant un compliment assez poli, elle l’assura que dans peu Rozette se trouveroit à portée de profiter de ses avis & de ses bontés. Laverdure sans y penser fit une révérence d’homme assez marquée: ce manque d’attention devoit le trahir; mais tout réussit à qui est en bonheur: on fut édifié au contraire de ce que la modestie ne lui permettoit pas d’imiter ces révérences mondaines, qui dans le fond sont très-indécentes, & qui ne sont entretenues que par un esprit secret de libertinage.

En attendant l’arrivée de Rozette, Laverdure, qui sait que l’oisiveté est la mere de tout vice, s’occupa à examiner les tableaux qui décoroient le parloir. Il fut fort édifié des sujets qui y étoient représentés: il n’y en avoit aucun qui ne fût très-régulier; mais il m’a avoué que quoiqu’il ne soit pas autrement scrupuleux, il avoit été scandalisé d’y voir des figures toutes nues de beaux jeunes hommes bien proportionnés & faits à ravir, & qui, sous prétexte d’être des Anges, n’en étoient pas moins capables de donner à tout le Couvent des tentations très-peu archangéliques.

La Touriere amena Rozette. Jugez, cher Marquis, de son état. Encore fatiguée des plaisirs de la nuit, pleine de chagrins, les yeux baignés de larmes, & qu’elle osoit à peine lever, la coëffure chiffonnée, manquant de la moitié de ses ajustemens, & dans un déshabillé qui n’étoit pas de commande, elle s’avança tristement, & eut beaucoup de peine à reconnoître Laverdure sous sa physionomie empruntée. Sa surprise fut extrême, & elle la témoigna en reculant en arriere. La Touriere la rassura; elle ignoroit la bonne fille le sujet de l’étonnement, & lui dit, d’un air assez sec, qu’une Demoiselle de son état ne devoit pas voir avec effroi une parente qui avoit la charité de venir la consoler dans son malheur. Un mot suffit à qui a de l’intelligence. Rozette se douta du tour, & pensa que la Touriere n’étoit que l’écho de ce que Laverdure lui avoit raconté. Elle se mit à pleurer: l’idée de sa captivité, en présence de celui qui l’avoit vue si triomphante dans le monde, la désespéroit. A peine, selon ce qu’elle m’a avoué depuis, put-elle soutenir sa présence. Laverdure, sans se troubler ni perdre son sang froid, d’un ton grave, lui fit une leçon très-vive sur sa conduite passée, la lui peignit avec des traits forts & nerveux; puis insensiblement radoucissant sa voix, il conclut, comme finissent tous les parens, par donner de la consolation à l’infortunée: il lui dit qu’il avoit quelqu’argent à lui remettre, & que la Mere Prieure avoit bien voulu se charger d’une somme pour subvenir à ses nécessités, si cependant elle se comportoit avec prudence. Il donna alors à Rozette un louis, lui glissa en même-tems ma lettre: elle la prit avec ardeur, la cacha dans son sein. Ah! que l’auteur eût bien voulu être à la place de son ouvrage! Laverdure exigea qu’elle écrivît à sa mere (qu’il feignit être à Paris) qu’elle étoit contente dans la retraite où la Providence l’avoit placée, & qu’elle feroit ses efforts pour en devenir meilleure. La Touriere fut chercher du papier & de l’encre. Laverdure profita de son absence pour remettre à Rozette le reste de la somme, & pour l’assurer qu’on ne négligeroit rien pour la délivrer au plutôt. Il lui ordonna de lire promptement la lettre qu’elle avoit reçue. Le peu de diligence de la Touriere leur donna le tems d’une conversation assez étendue. Rozette, munie enfin des choses nécessaires pour écrire, après avoir simulé quelque répugnance, se mit sur une table qui étoit à son côté. Elle ne fut pas longue & son expédition; le commissionnaire s’en chargea & sortit du Couvent, après avoir fait un petit présent de quelques tablettes de chocolat à la bonne Sœur qui avoit été si complaisante. Il ne tarda pas à arriver au logis: j’admirai la présence d’esprit de ce garçon; & n’ayant rien alors à lui donner pour récompense, je le comblai de mille remerciemens. Voici la réponse de Rozette.

 

«J’ai reçu votre lettre, cher ami; je reconnois votre bon cœur dans votre conduite. Faut-il que je sois malheureuse pour avoir adoré un homme qui mérite si fort de l’être? Je ne sais encore comment je suis ici; je n’ai pas eu le tems de me reconnoître. Donnez-moi de vos nouvelles, je m’en rapporte à vous pour ma délivrance. Laverdure est un garçon impayable: il m’a remis l’argent que vous m’envoyiez. Adieu, je vais pleurer mon malheur. Je vous aimerai éternellement. Rozette.»

Vous ne sauriez croire, cher Marquis, à quelles réflexions je me livrai alors. Je ne songeai plus qu’aux moyens les plus prompts pour délivrer Rozette. Je congédiai Laverdure, qui me promit de ne me point abandonner. On vint m’avertir que le souper étoit servi: je descendis. La compagnie étoit assez bien composée. Plusieurs Dames s’y trouverent, qui dans d’autres tems m’eussent paru charmantes, & qui l’étoient en effet. La brillante madame du Cœurville, & son aimable compagne, s’y étoient donné rendez-vous: elles n’étoient que deux de leur parti, mais l’amour, qui les embellissoit, faisoit en leur faveur un tiers dont elles n’avoient pas lieu de se plaindre. La sage Rozalie y avoit suivi son époux: la vertu qui est dans son cœur est peinte dans ses yeux. On l’adoreroit toujours, la vertu, si elle avoit le talent de se placer ainsi à son avantage. La coquette madame de Blazamond avoit aporté toutes ses minauderies; mais ce soir-là elle leur donna un jeu si nouveau que j’en fus surpris, comme d’une nouvelle décoration dont on nous feroit la galanterie à l’Opéra.

Les deux petites Sœurs ne contribuoient pas peu à l’ornement du souper; l’une chanta à ravir, & l’autre enleva tous les cœurs par ses saillies ingénieuses. Nous avions en hommes le Président & le Chevalier de Mirval: ils s’attaquerent quelque-tems à la grande satisfaction de l’assemblée, & pour la gloire de leurs esprits épigrammatiques. Le gros Géometre nous fit beaucoup d’extraits de vin de Champagne, & l’Abbé des Etoiles nous parodia toutes les dames de la sous-ferme. Bref, je me serois fort réjoui sans le chagrin qui s’étoit emparé de mon ame. L’homme seroit trop heureux s’il pouvoit à son gré disposer des situations de son cœur! Que le mien étoit mal à son aise! Monsieur le Doux s’y trouva aussi: mon pere avoit gagné sur lui cet extraordinaire, afin de le raccommoder avec la vieille Comtesse de Saint Etienne. Vous avez cent fois entendu parler de cette insupportable Dévote. Jadis assez jolie, & coquette affichée, maintenant bigotte avec le même éclat; ainsi que beaucoup de ses semblables, elle s’est rangée sous la direction de notre saint homme, qui les conduit assez vertement dans le chemin de la vie éternelle. Entre les gens dévots, cher Marquis, ainsi que parmi les personnes du monde, il est certains momens d’indifférence ou de ralentissement de ferveur; quelquefois même il s’éleve de saintes piques, qui dans la suite ne servent qu’à donner une nouvelle pointe à la charité: ce fut du fond d’une bouteille de Champagne que sortit la réconciliation entre des personnes qui se disoient ennemies des sens.

Le Président de Mondorville arrivoit de campagne, & il ne savoit rien de mon aventure. Il n’étoit pas tems de la lui raconter, & le lieu ne paroissoit pas convenable à un pareil récit. L’ignorance où il en étoit lui fit tenir de très-jolis propos à mon sujet, qui étoient d’autant plus plaisans qu’ils étoient plus justes. Toute la compagnie en rioit; j’étois intérieurement fâché contre lui, mais sans lui en vouloir; & je puis dire qu’en cette circonstance le Président avoit un esprit infini sans le savoir.

Après le souper je pris en particulier M. le Doux, & le priai de me faire l’honneur de me rendre une visite le lendemain matin, parce que j’avois une affaire importante à lui communiquer. Il s’imagina qu’il s’agissoit de quelques cas de conscience, ou même de ma conversion: ces Messieurs ne s’imaginent pas qu’il y ait d’autres choses plus intéressantes dans l’univers. Il m’assura qu’il se rendroit chez moi sur les neuf heures. Je lui promis de l’attendre avec une tasse de chocolat, qu’il accepta, après que je lui eus persuadé que le mien étoit préférable à celui dont il usoit ordinairement.

Le Président monta à ma chambre peu de temps après. Je lui racontai mon aventure: il me demanda excuse des plaisanteries dont il avoit diverti la compagnie, & me promit qu’il feroit sortir Rozette dès le lendemain si je le voulois. Il y eût réussi; son crédit est sans bornes, pour certaines choses, auprès des Ministres. Il étoit en pointe de joie. Je le priai de n’en parler à personne & d’attendre que nous en eussions conféré ensemble à tête reposée. Il y consentit, & se retira après m’avoir croqué plusieurs histoires plus amusantes les unes que les autres.

Il me fut impossible de dormir. Rozette revenoit sans cesse à mon imagination. Pour me distraire je me fis donner mes cartons à estampes, & j’en commençai une revue générale. A proportion qu’elles étoient libres ou plaisantes, je me rapellois les situations dans lesquelles je m’étois trouvé avec celle qu’on venoit de m’enlever. Ce souvenir étourdissoit au moins ma douleur.

Enfin la nature se trouva accablée, un sommeil languissant s’empara de moi & me surprit au milieu de mes estampes éparses sans ordre sur toute la surface de mon lit. J’ai quelquefois dormi entre les bras de la réalité; mais alors l’illusion étoit entre les miens.

A peine étoit-il sept heures de matin, qu’un domestique vint me réveiller, parce que la gouvernante de M. le Doux m’apportoit une lettre, & qu’elle vouloit absolument me parler de la part de son maître. Je donnai ordre qu’on l’introduisît. Elle fit quelque bruit en entrant pour avertir de son arrivée. J’avançai la tête, & par l’ouverture de mes rideaux j’entrevis un minois très-gracieux. J’ai toujours été heureux au coup d’œil. Je me levai, & remuant ma couverture je fis tomber plusieurs estampes. La jeune fille les ramassa par propreté, & ne croyant pas être vue les examina par sensualité. J’en augurai bien pour la satisfaction d’un de ces désirs qui naissent à l’instant, dont l’effet étoit alors prodigieux en moi, & que pour tout jeune homme la beauté fait galamment éclorre. Je crus appercevoir que ce qu’elle avoit examiné, quoique très-rapidement, avoit fait sur elle une agréable impression. Un rien trahit la passion dominante, & il n’y a personne qui n’en ait une: un signe sur le visage dévelope les replis de l’ame la mieux sur la défensive. Nanette, c’étoit son nom, me fit une révérence simple & gracieuse, & me présenta sans affectation la lettre qui m’étoit adressée. Je jettai les yeux dessus, & sur celle qui me la remettoit: elle méritoit bien les regards d’un galant homme.

Imaginez-vous, cher Marquis, une grande fille d’une taille ordinaire, mais bien tournée, déliée & ferme sur ses jambes: de grands sourcils noirs, de belles dents, un teint qui étoit disposé à recevoir des couleurs, & qui pour-lors ne jouissoit que de la blanche. Une gorge qui ne paroissoit pas; mais qui, cachée avec affectation, disoit aux curieux qu’elle étoit digne de faire leur admiration & leur plaisir. Sa coëffure & son habillement répondoient à la simplicité de tout son extérieur; elle me parut une Dévote aisée, & qui, âgée de vingt-huit à trente ans, ne prendroit de parti que suivant les circonstances. Je la fis asseoir, & je lus la missive. M. le Doux me marquoit qu’il étoit au désespoir de ne pouvoir se trouver chez moi à neuf heures, selon sa promesse, parce qu’il étoit obligé d’aller visiter les pauvres prisonniers du Petit-Châtelet avec une Dame qui depuis deux jours avoit renoncé solemnellement au monde: que sur les deux ou trois heures, aussi-tôt qu’il auroit pris son café, il ne manqueroit pas à se rendre au logis.

Je complimentai Nanette sur ce qu’elle étoit la gouvernante de monsieur le Doux, qui étoit un très-honnête homme & mon ami particulier. Elle me repliqua uniment qu’il étoit fort bon maître, & que depuis trois ans qu’elle étoit à son service elle n’avoit qu’à se louer de son égalité & de sa douceur. Comme elle ne s’étendit pas extrêmement sur son panégyrique, je conclus qu’il n’y avoit aucune liaison déterminée entr’eux. Pendant que je lui demandois pourquoi elle s’étoit attachée à monsieur le Doux, moi-même, sans m’en appercevoir, je m’attachois très-fort à elle. Enfin de discours en discours je conduisis la conversation sur ces matieres que les femmes aiment si fort à traiter, & dont elles font semblant de rougir. Les fleurs naissent sous les pas de ceux qui courent dans cette carriere: il y a toujours quelqu’un qui en cueille.

Cependant le feu me montoit au visage: je m’approche de cette belle fille, qui se levoit de son siege sans avoir trop envie de sortir. Je lui prends la main, que je trouve blanche à ravir; je lui répete qu’elle est charmante, qu’elle est adorable: je lui donne un léger baiser, qui est suivi par un second, auquel elle se déroboit autant qu’il en falloit pour qu’il ne fît pas une impression trop marquée sur ses levres. Je ne sais si c’est la dévotion qui apprend ces délicatesses; si cela est, je veux m’y livrer pour mon plaisir. L’état dans lequel j’étois excusoit de ma part un peu de hardiesse; on n’a jamais exigé qu’un homme en robe de chambre soit aussi retenu & aussi sage que lorsqu’il est empaqueté dans les ornemens de sa magistrature. Mes mains devenues entreprenantes par degrés, oserent lever le voile qui cachoit à mes yeux des trésors; alors me nommant par mon nom, Nanette me reprocha qu’autrefois je n’avois pas daigné la regarder lorsqu’elle étoit fille de boutique chez madame Fanfreluche, cour Dauphine. Quoi, c’est vous, ma charmante, m’écriai-je! que je vous rendois peu de justice alors! Que je répare ma faute, & que je vous embrasse de tout mon cœur! Effectivement, Marquis, elle étoit la compagne d’une petite-maîtresse que j’ai eue dans ma jeunesse, que j’aimois à l’adoration, & que j’ai quittée ainsi que beaucoup d’autres. Deux mots de mes intrigues passées me donnerent lieu de penser aux siennes, & me mirent en une espece de droit d’y faire un supplément à mon goût: je commençai.

En vain me représentoit-elle qu’elle étoit presque Dévote depuis trois ans; que j’allois la chiffonner: sa dévotion excitoit mon ardeur, & les trois années de sagesse qu’elle m’objectoit me rassurant contre la crainte du danger, me donnoient de nouvelles forces: je n’étois pas embarrassé de rétablir son ajustement. Une vertu qui ne se débat plus que sur un arrangement de plis, est bien prête à être dérangée elle-même. Nanette le fut. Je la pressai, elle soupira, & après les façons usitées en tel cas, j’ôtai à cette belle commissionnaire toute connoissance, excepté celle du plaisir. Dans le feu de nos embrassemens elle me fit soupçonner qu’il n’y avoit pas extrêmement long-tems qu’elle avoit perdu la charmante habitude de les varier à l’infini. Soupçon ridicule, réflexion impertinente, comme si on avoit besoin d’exercice pour pratiquer parfaitement les choses qui ne sont que de nature! Mes estampes répandues sur le lit jouerent leur personnage & joignirent leur petit murmure à un certain bruit occasionné par la pratique de ce qu’elles représentoient pour la plupart. Mademoiselle Nanette, libre enfin de l’embarras où j’avois mis sa dévotion & sa robe, s’étant elle-même raccommodée dans le miroir, me salua malignement & gracieusement. Je la reconduisis, & lui promis une coëffure de fantaisie, & de l’aller voir souvent, parce que j’aurois certainement besoin de sa protection. Elle se retira avec le contentement dans les yeux, mais avec le besoin autre part; car je ne suis pas assez orgueilleux pour croire que j’aie pu en un moment combler le vuide que trois années d’abstinence avoient laissé dans son ame. N’est-il pas vrai, cher Marquis, que je suis un garçon d’un violent tempérament? Si je ne trouvois de tems à autre quelque occasion de me réjouir je périrois de chagrin.

J’aurois cru que cette fille auprès de M. le Doux étoit peu sage: point du tout; il est des tempéramens qui ressemblent à ces machines qui n’ont de violence que lorsqu’elles sont montées. Elle m’a assuré depuis, cent fois, que son maître étoit un homme sur qui la nature ne s’étoit réservé aucuns droits, & dont l’unique occupation étoit de se mêler des affaires des autres, de diriger des vieilles, de les prêcher ou de les endormir.

 

Je fus au Palais, où je trouvai le Président: l’audience levée nous fûmes ensemble chez lui, où, ayant quitté nos robes, nous fîmes la partie d’aller rendre une visite de passage à mademoiselle Laurette. Elle se mit à rire en nous voyant; elle savoit le malheur de Rozette: elle m’entreprit sur cet article, me reprocha mon peu de prudence; &, avec un ton orgueilleusement plaintif, elle m’assura qu’elle étoit touchée du sort de sa bonne amie. Elle nous offrit à dîner, nous la remerciâmes; ses charmes & l’air dont elle en faisoit parade nous invitoient à lui faire compagnie; mais mon feu avoit eu son essor le matin; & le Président, sans s’être trouvé dans ma premiere position, se trouvoit par habitude dans la seconde.

Nous passâmes chez la belle Bijoutiere de la rue S. Honoré, d’où, après avoir examiné, critiqué, contrôlé, marchandé mille choses différentes, nous sortîmes sans en emporter une seule. Je revins dîner à la maison & j’y restai jusqu’à l’arrivée de M. le Doux. Il tint sa promesse & me rendit sa visite un peu avant trois heures. Il salua mon pere; leur conférence fut très-courte: il me joignit au jardin, & après m’avoir lu un article des Nouvelles Ecclésiastiques où on traitoit très-plaisamment un Evêque Constitutionnaire, & m’avoir informé de quelques anecdotes sur le chapitre de deux autres, il me demanda quel étoit le sujet de la confidence que je lui destinois. Je lui répondis que je ne pouvois m’ouvrir que chez le Président de Mondorville; que mon carrosse étoit dans la cour à nous attendre, & que nous irions s’il y consentoit. Nous partîmes; comme je serois fâché, cher Marquis, qu’on ne me prît pas pour un jeune Conseiller, je vais toujours dans Paris à toute bride: mes chevaux y sont accoutumés. M. le Doux, qui ne monte en équipage qu’avec des Dévotes & des vieilles, fut effrayé de mon train, & me pria d’ordonner à mes gens de ne se pas tant précipiter. Il m’ajouta qu’il n’étoit pas séant qu’on vît un Ecclésiastique courir comme un jeune homme; il me cita même un passage latin d’un Concile de Jérusalem, qui défend aux cochers d’obéir aux maîtres qui leur commandent d’aller plus vîte que le pas.

Je vous avoue, Marquis, que je fus bien humilié dans ma route: je rencontrai plusieurs Seigneurs qui n’avoient que de très-mauvais chevaux, & qui se faisoient un honneur infini par leur course rapide. Notre conversation pendant le chemin fut peu intéressante: je ris seulement de ce que M. le Doux fit un signe de croix en passant pardevant l’Opéra. Le Président nous reçut d’un air enjoué, & après avoir obligé M. le Doux à prendre des raffraîchissemens, nous entrâmes en matiere. Quand on est en compagnie on se sent plus de hardiesse. Je lui exposai que j’aimois Rozette, que j’étois cause de son malheur, & que si mon pere la retenoit encore long-tems je me porterois à des extrêmités; que je consentois à ne la plus revoir, mais qu’aussi je voulois être certain qu’elle ne seroit pas dans l’état le plus déplorable. Le saint homme m’écouta très-pacifiquement, &, contre mon attente, il s’étendit fort peu sur la morale, & me fit grace d’un bel & beau sermon qu’il étoit en droit de me débiter. Après un préambule grave sur la sagesse de mon pere & la légéreté de ma conduite, il me dit qu’il étoit impossible, selon Dieu & sa conscience, de se mêler de cette affaire. En vain lui fis-je diverses représentations; sourd à mes prieres, il me pria très-sérieusement à son tour de ne lui jamais parler dans ce genre. J’étois sur le point de me retirer, le désespoir dans le cœur, lorsque le Président laissa échapper comme par hazard: «c’est dommage en vérité, car cette fille-là pense bien sur les affaires du tems, & même elle a eu des convulsions en conséquence.»

Rozette, cher Marquis, n’a jamais rien pensé sur ces matieres, parce qu’elle ne les connoît pas; pour des convulsions elle n’en a jamais éprouvé qu’en amour. Ce mot du Président me servit beaucoup, puisque dans la suite il fut cause de l’élargissement de Rozette, qui n’eût point réussi sans M. le Doux.

Notre saint homme avoit un foible, & ce foible étoit un zele sans bornes lorsqu’il s’agissoit de servir quelqu’un qui avoit seulement un vernis de Jansénisme. Je le tenois par l’endroit critique, & je ne négligeai rien pour venir à bout de mon entreprise. On fait faire aux hommes ce que l’on veut, dès qu’on a trouvé l’art de mettre en mouvement certains ressorts qui conduisent toute leur machine.

Monsieur le Doux, après avoir réfléchi quelque-tems, nous demanda si nous étions certains de ce que nous assurions sur le compte de Rozette. Fûmes-nous assez simples pour ne pas le lui confirmer authentiquement? Sa charité se trouva assez bien disposée, son cœur s’attendrit, il nous donna sa parole que dans peu il auroit une conférence plus étendue avec nous, dans laquelle il nous communiqueroit ses réflexions. Il sortit. Mon équipage le conduisit à une assemblée de piété, & celui du Président nous mena droit à l’Opéra: on y donnoit, je crois, l’Ecole des Amants. Nous augurâmes bien du succès de notre affaire, puisque monsieur le Doux s’en mêloit. Le spectacle n’eut pas grande part à notre attention; nous ne nous y amusâmes qu’à examiner la parure de plusieurs Dames dont nous devions cruellement médire le soir.

Dès le lendemain j’écrivis à Rozette l’idée qui nous étoit venue de la faire passer pour une fille attachée au parti anticonstitutionnaire. Je lui recommandai d’être prête à jouer ce rôle si on l’exigeoit. Que ne doit-on pas exécuter pour se mettre en liberté? Je lui envoyai même quelques livres à ce sujet, sur-tout un qui est l’abrégé de l’Histoire de tout cet événement. Le maudit livre coûta cher à ma nouvelle Néophite. Il va se rencontrer du comique dans cette aventure. Je lui mandai que j’étois obligé d’aller avec mon pere à la campagne pour quelques semaines, & qu’elle ne se désespérât pas, que Laverdure lui donneroit souvent de mes nouvelles.

Notez, cher Marquis, que je n’avois pas voulu confier au Président que son Domestique se travestissoit pour mon service. Cette remarque sera nécessaire par la suite.

Nous partîmes pour la terre de mon Pere. Rozette cependant lisoit avec avidité les livres que je lui avois envoyés. Elle se préparoit au rôle dont je lui avois indiqué l’idée dans ma derniere lettre. Elle n’eut que trop le tems de s’y exercer, & de pleurer sur cette malheureuse invention. Mais n’anticipons point sur les faits.

La terre où j’accompagnai mon pere, cher Marquis, est en Picardie: l’air y est serein, le pays assez beau, & notre maison très-bien disposée. Elle est un peu ancienne; mais elle ressemble à certaines femmes de la Cour qui ont perdu la fleur de leur jeunesse, mais qui sont cultivées parce qu’elles sont profitables en des rencontres. Pendant quelques jours nous ne vîmes personne. Nous ne nous souciyons pas de compagnie, puisque mon pere n’avoit entrepris ce voyage que pour arranger ses affaires dans ce pays. Insensiblement divers Gentilshommes des environs nous honorerent de leurs visites: la politesse ne nous permit pas de demeurer en reste. Nous les avions trop bien traités, ils se piquerent de nous rendre la pareille. Les Picards en général sont de bonnes gens, francs pour l’ordinaire, estimables quand ils donnent du bon côté; mais malins & fourbes plus que les Normands, quand ils quittent leurs inclinations natales.

Les différens endroits où nous fûmes reçus ne méritent pas que je vous en parle. Là c’étoit un vieil Officier qui habitoit un reste de château, échapé à la fureur du déluge, & qui, ayant à peine le nécessaire, dédaignoit avec orgueil le commerce de ses voisins qui eussent pu lui rendre service, & cela parce que, comme lui, ils n’avoient pas eu un de leurs ancêtres tué auprès de Philippe à la bataille de Bovine. Ici je rencontrois une maison assez bien ornée, quoique les tapisseries en parussent avoir été travaillées par les mains du tems, lorsqu’il étoit encore en son enfance. On m’y recevoit avec aisance; mais je n’y rencontrois que des bégueules provinçiales, qui n’avoient lu & admiré que le conte assez gentil de Ver-Vert. Dans un autre côté je me rencontrois avec des Moines qui me faisoient des fêtes superbes: elles m’eussent plu, si tout ce que font ces gens-là n’avoit toujours un goût de froc qui m’est insupportable. Enfin, cher Marquis, pendant six semaines je ne fus occupé qu’à parcourir, tantôt tout seul, tantôt en la compagnie de mon pere, des gentilshommieres, où je ne découvrois que bon cœur sans délicatesse, ou politesse sans goût, & telle que la pratiquoient nos bons aïeux. Un de nos petits soupers d’hiver vaut une éternité de ces plaisirs champêtres. En vain voulus-je chercher quelque aventure amusante, les circonstances ne se présentoient pas: & quelquefois, lorsque je croyois en avoir trouvé de favorables à mes désirs, justement les plus jolies Picardes n’avoient que la tête chaude.