Za darmo

Les beaux messieurs de Bois-Doré

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

XX

Pendant que cette terrible partie se jouait, à deux pas de Lauriane inattentive, un étrange témoin veillait; c'était le jeune loup élevé au chenil, qui avait pris les habitudes et les manières d'un chien, mais non les instincts, et le caractère. Il caressait volontiers tout le monde, mais n'était attaché à personne.

Couché aux pieds de Lucilio, il avait regardé avec inquiétude le jeu cruel de l'Espagnol, et le poignard étant tombé deux ou trois fois près de lui, il s'était levé et retranché derrière l'arbre, sans autre souci que celui de sa propre sûreté.

Cependant, comme le jeu continuait, l'animal, qui commençait à sentir ses dents, les montra plusieurs fois en silence, et, se croyant attaqué, eut, pour la première fois de sa vie, l'instinct de la haine de l'homme.

L'œil en feu, le jarret tendu, l'échine hérissée et frissonnante, il était caché à d'Alvimar par la tige colossale de l'il, d'où il guettait le moment favorable, et d'où il s'élança tout à coup pour lui sauter à la gorge.

Il l'eût, sinon étranglé, du moins blessé, s'il n'eût été vigoureusement repoussé par un coup de pied de Lucilio, qui l'envoya rouler à distance.

La brusque interruption du chant et le son plaintif que rendit la musette abandonnée par l'artiste, firent retourner vivement Lauriane.

Ne comprenant rien à ce qui se passait, elle accourut pour voir d'Alvimar, qui, transporté de colère, éventrait l'animal avec son couteau.

Il accomplit cet acte de répression avec toute l'ardeur de la vengeance. Il était facile de voir, sur sa figure pâle et dans son œil injecté, la joie mystérieuse et profonde qu'il éprouvait d'avoir quelque chose à égorger.

Il plongea trois fois l'acier dans les entrailles palpitantes, et, à la vue du sang, sa bouche se contracta d'une manière voluptueuse, que Lauriane, toute tremblante, serra de ses deux mains le bras de Lucilio, en lui disant à voix basse:

– Voyez, voyez! César Borgia! c'est lui en personne!

Lucilio, qui avait vu maintes fois à Rome le portrait peint par Raphaël, fut encore plus à même de saisir cette ressemblance, et fit signe de la tête qu'il en était vivement frappé.

– Mais quoi, monsieur? dit la jeune dame, tout émue, à l'Espagnol triomphant; vous croyez-vous ici au cœur d'une forêt, et pensez-vous m'être agréable en me présentant la tête ou les pattes d'un animal que j'ai nourri de mes mains et caressé encore tout à l'heure devant vous? Fi! vous n'avez point de civilité, et, avec ce couperet tout sanglant, vous avez l'air d'un boucher plus que d'un gentilhomme!

Lauriane était en colère, elle ne sentait plus que de l'aversion pour cet étranger.

Lui, sortant comme d'un rêve, s'excusa en disant que ce loup avait voulu le dévorer; que c'était une mauvaise compagnie en une maison, et qu'il était content d'avoir délivré madame d'un accident qui eût pu arriver à elle aussi bien qu'à lui.

– Vous a-t-il donc attaqué? reprit-elle en regardant Lucilio, qui faisait signe que oui. – Alors, il vous a donc mordu? dit-elle encore; où est la blessure?

Et, comme d'Alvimar n'avait pas été touché, elle s'indigna de la frayeur qu'il avait eue d'une bête encore si jeune et si peu dangereuse.

– Le mot de frayeur n'est pas très-juste, répondit-il avec une sorte de rage; je ne croyais pas qu'on pût le jeter à celui qui tient encore l'arme de mort?

– Vous voilà bien fier d'avoir tué ce louveteau! Un enfant l'eût fait, et la chose lui serait pardonnable, mais non point à un homme, à qui un coup de fouet eût suffi pour s'en débarrasser. Je le dis, messire, vous avez eu grand'peur, et c'est la maladie de ceux qui aiment à verser le sang.

– Je vois, dit l'Espagnol soudainement abattu, que j'ai encouru votre disgrâce, et je retrouve ici, comme dans tout, l'effet de ma mauvaise fortune. Elle est si obstinée, qu'en bien des moments j'ai eu la pensée de lui céder le gain d'une bataille où je ne trouve que désavantage et déplaisir.

Il y avait beaucoup de vrai dans ce que d'Alvimar venait de dire, et, comme, après avoir machinalement essuyé son poignard, il semblait hésiter à le remettre dans sa gaîne, Lauriane, frappée de l'expression sinistre de son regard, le crut un peu fou, par suite de quelque grand malheur, et disposé à s'ôter la vie.

– Pour vous pardonner, lui dit-elle, j'exige que vous me remettiez l'arme dont vous venez de faire un si méchant emploi. Je n'aime point cette lame traîtresse, que les gentilshommes de France ne portent plus, si ce n'est à la chasse. L'épée suffit à un chevalier, et, pour la sortir du fourreau devant une dame, il faut le temps de la réflexion. J'aurais toujours peur d'un homme qui cache sur lui une arme trop prompte et trop facile à manier, et, comme je ne vois point que celle-ci soit d'un grand prix, je vous demande de m'en faire le sacrifice, en réparation du déplaisir que vous m'avez causé.

D'Alvimar crut qu'en le désarmant, on le caressait. Néanmoins il lui en coûtait de se séparer d'une arme aussi fidèle, et il hésita.

– Je vois bien, lui dit Lauriane, que c'est le don de quelque belle à laquelle vous n'êtes point libre de désobéir.

– Si vous avez cette pensée, répondit-il, je vous veux l'ôter bien vite.

Et, mettant un genou en terre, il lui présenta le poignard.

– C'est bien, dit-elle en lui retirant sa main, qu'il voulait baiser. Je vous pardonne comme à un hôte qu'on ne veut point mortifier; mais ce n'est rien de plus, je vous jure; et, quant à cette méchante lame, si je la garde, ce n'est point pour l'amour de vous, mais pour empêcher le mal qu'elle peut faire.

Ils étaient alors au pied du donjon, où ils rencontrèrent le marquis et M. de Beuvre discourant avec feu.

Lauriane allait leur raconter ce qui venait de se passer; mais son père ne lui en donna pas le temps.

– Écoutez ça, ma très-chère fille, lui dit-il en prenant sa main, qu'il passa sous le bras du marquis; notre ami veut vous dire un secret, et, du temps qu'il vous le contera, je tiendrai compagnie de mon mieux à M. de Villareal. Vous le voyez, ajouta-t-il en s'adressant à Bois-Doré, je vous confie ma brebis sans crainte de vos grandes dents, et je ne lui dis rien pour vous déconsidérer devant elle! Parlez-lui donc comme vous l'entendrez. S'il vous en cuit, je m'en lave les mains, vous l'aurez cherché!

– Je vois bien, dit madame de Beuvre au marquis, que vous avez quelque requête à me présenter.

Et, comme elle croyait qu'il s'agissait, comme de coutume, de quelque partie de chasse chez lui, elle ajouta que, quoi que ce fût, elle le lui octroyait d'avance.

– Prenez-y garde, ma fille! s'écria M. de Beuvre en riant, vous ne savez point à quoi vous vous engagez!

– Vous ne m'effrayez point, répondit-elle; il peut vitement parler.

– Ouais! vous croyez! mais vous vous trompez bien, reprit M. de Beuvre. Je gage que son compliment durera plus d'une heure. Allez donc tous les deux en quelque salle où vous ne serez point dérangés, et, quand vous aurez tout dit, vous viendrez nous rejoindre.

Le marquis ne se démonta point de ces plaisanteries. Il n'en était pas venu à la résolution de faire sa demande sans étouffer en lui-même quelques vives appréhensions de cet état de mariage ajourné par lui depuis une quarantaine d'années.

S'il était enfin décidé, c'est parce qu'il voulait faire la fortune et le bonheur de quelqu'un, et, cette idée une fois adoptée, il regardait comme un devoir de ne pas s'en laisser détourner.

À peine donc fut-il au salon, qu'il offrit son cœur, son nom et ses écus en style de l'Astrée, avec cette passion échevelée qui ne parle de rien moins que de tourments effroyables, de soupirs qui pourfendent le cœur, de frayeurs qui causent mille morts, d'espérances qui ôtent la raison, etc.; tout cela d'une convention si chaste et si froide que la plus farouche vertu ne pouvait s'en effaroucher.

Quand Lauriane eut compris qu'il s'agissait de mariage, elle n'en fut pas aussi étonnée que son père.

Elle savait le marquis capable de tout, et, au lieu d'en rire, elle en eut pitié. Elle avait de l'amitié pour lui, et même du respect pour sa bonté et sa loyauté. Elle sentit que le pauvre vieillard se livrerait à d'interminables brocards, pour peu qu'elle en donnât l'exemple, et que les railleries amicales et modérées dont il était l'objet allaient devenir blessantes et cruelles.

– Non, pensa cette jeune et sage enfant, il n'en sera pas ainsi, et je ne souffrirai pas que mon vieil ami soit la risée des valets. – Mon cher marquis, lui dit-elle en s'efforçant de lui parler dans son style, j'ai souvent songé à la possibilité et à la convenance du projet que vous me communiquez. J'avais deviné votre belle et honnête flamme, et, si je ne l'ai point partagée, c'est que je suis encore trop jeune pour que le malin Cupidon ait fait attention à moi. Laissez-moi donc prendre encore un peu mes ébats dans l'île enchantée de l'Ignorance d'amour; rien ne me presse d'en sortir, puisque je suis heureuse avec votre amitié. De tous les hommes que je connais, vous êtes le meilleur et le plus aimable, et, si mon cœur me parle, il se pourra bien qu'il me parle de vous. Mais ceci est écrit dans le livre des destinées, et vous me devez laisser le temps d'interroger la mienne. Si, par quelque fatalité, je devais être ingrate envers vous, je vous le confesserais avec candeur et avec repentance, car ce serait tout dommage et toute honte pour moi; mais vous avez le cœur si grand et si excellent que vous me seriez encore ami et frère en dépit de ma sottise.

– Certes, je vous le jure! s'écria Bois-Doré avec un naïf enthousiasme.

– Eh bien donc, mon loyal ami, reprit Lauriane, attendons encore. Je vous demande sept années d'épreuve, comme c'est l'antique usage des parfaits chevaliers, et faites-moi la grâce que cette convention demeure secrète entre nous. Dans sept ans, si mon âme est restée insensible à l'amour, vous renoncerez à moi, de même que, si je partage votre passion, je ne vous en ferai pas mystère. Je vous jure également que, si, avant le terme de cette convention, je suis touchée, malgré moi, des soins de quelque autre, je vous en ferai l'humble et sincère confession. À cela, il n'y a guère d'apparence; pourtant je veux tout prévoir, tant je souhaite, perdant votre amour, de garder au moins votre amitié.

 

– Je me soumets à tout, répondit le marquis, et je vous jure, adorable Lauriane, la foi d'un gentilhomme et la fidélité d'un amant parfait.

– C'est sur quoi je compte, dit-elle en lui tendant la main; je vous sais homme de cœur et berger incomparable. Sur ce, retournons auprès de mon père, et laissez-moi lui dire ce qui est convenu, afin que notre secret n'ait point d'autre confident que lui.

– Je le veux, répondit le marquis; mais n'échangerons-nous point quoique gage?

– Quel? Parlez, j'y consens; mais que ce ne soit point un anneau. Songez qu'étant veuve, je ne puis en porter d'autre que celui d'un nouveau mariage.

– Eh bien, permettez-moi de vous envoyer demain un présent digne de vous.

– Non pas! ce serait mettre du monde dans la confidence… Donnez-moi la première babiole que vous aurez sur vous… Tenez, ce petit drageoir d'ivoire émaillé que vous avez là en la main!

– Soit! mais que me donnerez-vous donc? Car je vois que vous entendez comme il faut cet échange. Il faut que ce soit chose que l'on ait sur soi au moment où l'on s'est donné parole.

Lauriane chercha dans ses poches et n'y trouva que son mouchoir, ses gants, sa bourse et le poignard de M. Sciarra.

La bourse venait de sa mère: elle donna le poignard.

– Cachez-le bien, dit-elle, et, tant que je vous le laisserai, espérez en moi; de même que, si je viens à vous le redemander…

– Je m'en percerai le sein! s'écria le vieux Céladon.

– Non! c'est une chose que vous ne ferez point, dit Lauriane avec un grand sérieux; car j'en mourrais de douleur, et ce serait, d'ailleurs, manquer à la promesse que vous me faites de rester mon ami quand même.

– C'est juste, dit Bois-Doré en s'agenouillant et en recevant le gage. Je vous fait le serment de n'en point mourir, comme je vous fais celui de n'aimer ni seulement regarder aucune autre belle, tant que vous ne m'aurez point arraché l'espoir de vous plaire.

XXI

Ils retournèrent au jardin, où M. de Beuvre les accueillit d'un air goguenard.

L'air sérieux et tranquille que prit Lauriane, l'air attendri et radieux qui ne pouvait dissimuler le marquis, le jetèrent dans une surprise si grande qu'il ne put se tenir de les interroger, à mots couverts assez transparents, devant d'Alvimar.

Mais Lauriane répondit qu'elle était parfaitement d'accord avec le marquis, et d'Alvimar, ne voulant pas en croire ses oreilles, prit encore cette assertion pour une coquetterie à son adresse.

Alors l'inquiétude de M. de Beuvre devint très-vive, et, prenant sa fille à part, il lui demanda si elle parlait sérieusement, et si elle était assez folle ou assez ambitieuse pour accepter un beau galant né sous le roi Henri II.

Lauriane lui raconta comment elle avait réservé sa réponse et remis toute explication à sept ans de là.

Après avoir ri à crever sa ceinture, de Beuvre, à qui Lauriane recommandait le secret, eut quelque peine à comprendre la délicate bonté de sa fille.

Il se fût bien diverti de la déconvenue du marquis, et il trouvait que c'eût été une bonne leçon à lui donner que de lui rire au nez.

– Non, mon père, lui répondit Lauriane, c'eût été lui faire un grand chagrin, et rien de plus. Il n'est point d'âge à se corriger de ses travers, et je ne vois point ce que nous gagnerions à outrager un si excellent homme, quand il nous est facile de l'endormir dans ses rêveries. Croyez bien que, si la coquetterie des femmes est innocente, c'est envers de tels vieillards, et c'est peut-être même faire une bonne action que de les laisser dans leur fantaisie. Soyez assuré que, le jour où je dirais à celui-ci que j'ai du goût pour quelqu'un, il en serait peut-être fort aise, tandis que, si je lui avait dit que je n'en pouvais pas avoir pour lui, il serait peut-être fort malade à cette heure, non point tant de ma cruauté que de celle de sa vieillesse, laquelle je lui aurais fait voir en face, sans ménagement ni compassion.

Lauriane avait quelque ascendant sur son père. Elle obtint qu'il s'abstiendrait de bafouer le marquis sur ses belles amours avec elle, et d'Alvimar, malgré sa pénétration, ne devina rien de ce qui se passait entre eux.

C'était bien réellement une bonne action que Lauriane venait de faire, et, comme il y a un compte ouvert entre nous et la Providence, celle-ci l'en récompensa tout de suite en lui envoyant cet invisible secours qui est la rémunération, souvent immédiate, de tout mouvement généreux de nos âmes.

Lauriane était très-enfant; mais il y avait en elle l'étoffe d'une femme forte, et, si elle était capable, comme toute fille d'Ève, de subir une dangereuse fascination, du moins elle était capable aussi de réagir et de trouver un solide appui dans sa conscience.

Elle passa donc le reste de la journée sans être touchée des insinuations galantes de d'Alvimar, et même il lui sembla qu'en donnant son poignard au marquis comme un gage d'une généreuse amitié, elle s'était débarrassée de quelque chose qui la troublait et lui brûlait les mains. Elle eut soin de ne plus se trouver seule avec l'Espagnol, et de n'encourager aucun des efforts qu'il fit pour ramener la conversation sur les délicates banalités de l'amour.

D'ailleurs un incident vint rompre tout entretien particulier et distraire la compagnie.

Un jeune bohémien se présenta, demandant à réjouir l'illustre assistance par l'exercice de ses talents; je crois même que le drôle disait «son génie.»

À peine fut-il introduit, que d'Alvimar reconnut le jeune vagabond qui avait servi de truchement entre M. d'Ars et la Morisque, sur la bruyère de Champillé, et qui avait déclaré être Français et s'appeler La Flèche.

C'était un gars d'une vingtaine d'années, assez joli garçon, quoique flétri déjà par la débauche; l'œil était pénétrant, effronté, la bouche plate et perfide, la parole sotte, impudente et railleuse; du reste, bien fait dans sa petite taille, adroit de son corps comme un mime et de ses mains comme un larron; intelligent en toutes choses servant à mal faire; crétin en face de tout travail utile ou de tout bon raisonnement.

Ce personnage, comme tous ceux de son état, possédait quelques guenilles de rechange dont il se faisait un costume de fantaisie pour se livrer à ses exercices.

Il se présenta donc vêtu d'une sorte de cape génoise doublée de rouge, et coiffé d'un de ces chapeaux effarouchés, hérissés de plumes de coq, chapeaux sans nom, sans forme, sans raison d'être; ruines arrogantes et désespérées, dont Callot a immortalisé la splendide invraisemblance dans ses grotesques Italiens.

De courtes bottes dentelées, l'une beaucoup trop grande, l'autre beaucoup trop petite pour son pied, laissaient voir des chausses d'un rouge tourné à la lie de vin. Un énorme scapulaire couvrait cette poitrine de mécréant, écriteau de sauvegarde contre l'accusation, toujours suspendue sur sa tête, de paganisme et de magie noire. Une chevelure d'une longueur insensée et d'un blond fade tombait plate sur sa face maigre, enluminée d'ocre rouge, et une moustache naissante allait rejoindre deux crocs de poil follet blanchâtre, plantés sous le menton lisse et luisant.

Il commença d'une voix de trompette fêlée:

– Que l'illustrissime compagnie daigne excuser l'hardiesse dont je m'ose précipiter aux genoux de son indulgence. En effet, convient-il à un bélître de mon acabit, avec sa physionomie hérissée, les cicatrices de son pourpoint et son chapeau qui postule depuis longtemps pour servir d'épouvantail de chènevière, de comparoir devant une dame dont les yeux font honte à la lumière du soleil, pour venir débiter ici une multiplicité de sottises? Elle me dira peut-être, pour me remettre le cœur au ventre que je ne suis point un bâtier de paysan, ni un méchant batteur d'estrade, ni un valet grenier à coups de bâton, car il est dit des valets qu'ils sont comme les noyers, lesquels tant plus ils sont battus, tant plus ils rapportent. Elle me dira encore que je ne suis ni un escogriffe, ni un tire-laine, ni un damoiseau, ni un fier-à-bras, ni un olibrius, ni un godelureau, ni un pourfendeur, ni un ostrogoth, ni un escargot; que j'ai assez bonne mine, nonobstant une physionomie un peu subalterne; mais, devant un mérite comme celui de la dame que je vois (on n'estropie pas une déesse pour la regarder), et devant une réunion de seigneurs qui ressemblent plus à une assemblée de monarques qu'à une charretée de veaux en foire, le plus vaillant homme du monde perd la tramontane et n'est plus qu'un égout d'ignorance, une sentine de stupidités et le bassin de toutes les impertinences…

Maître La Flèche eût pu parier deux heures sur ce ton, avec une volubilité insupportable, si on ne l'eût interrompu pour lui demander ce qu'il savait faire.

– Tout! s'écria le vaurien. Je puis danser sur les pieds, sur les mains, sur la tête et sur le dos; sur une corde, sur un balai, sur la pointe d'un clocher comme sur celle d'une lance; sur des œufs, sur des bouteilles, sur un cheval au galop, sur un cerceau, sur un tonneau, voire sur l'eau courante, mais ceci à la condition qu'une personne de la société voudra bien me faire vis-à vis sur l'eau dormante. Je puis chanter et rimer en trente-sept langues et demie, pourvu qu'une personne de la société me voudra bien répondre, sans faire une faute, dans trente-sept langues et demie. Je puis manger des rats, du chanvre, des épées, du feu…

– Assez, assez, dit de Beuvre impatienté; nous connaissons ton chapelet: c'est le même pour tous les hâbleurs tels que toi. Vous prétendez savoir toutes choses, et vous n'en savez qu'une, qui est de dire la bonne aventure.

– À dire le vrai, répondit La Flèche, c'est en cela que j'excelle, et, si Vos rayonnantes Altesses veulent s'inscrire, je vais tirer au sort pour savoir par qui commencer; car le destin est un esprit bourru qui ne connaît ni le sexe ni le rang des personnes.

– Va, tire au sort; voilà mon gage, dit M. de Beuvre en lui jetant une pièce d'argent. À vous, ma fille.

Lauriane jeta une pièce plus grosse, le marquis un petit écu d'or, Lucilio une monnaie de cuivre, et d'Alvimar un caillou, en disant:

– Comme je vois que les gages seront donnés au devin je trouve que celui-ci ne mérite que d'être lapidé.

– Prenez garde, lui dit Lauriane en souriant, il ne vous prédira que des ennuis; on sait bien qu'en fait d'horoscope, on n'en a jamais que pour son argent.

– Ne croyez pas cela; le destin est mon maître, dit La Flèche, qui brouillait les gages dans une espèce de tirelire, et qui tout à coup affecta de parler sans phrase et d'un air fatal.

Il retourna son indescriptible chapeau, qui menaçait le ciel comme un donjon insolent, et le rabattit sur ses yeux comme une lugubre éteignoir, il fit plusieurs grimaces, prononça des paroles dépourvues de sens qui prétendaient être des formules cabalistiques, et, s'étant détourné pour essuyer à la dérobée son fard grossier, il montra sa face blêmie par la prophétique inspiration.

Alors il traça sur le sable la grande asphère des nécromants ignares avec tous les signes de l'astrologie des carrefours; puis il plaça une pierre au milieu et y jeta la tirelire, qui, en se brisant, répandit les gages sur les différents signes tracés dans les compartiments.

En ce moment, d'Alvimar se pencha pour ramasser son caillou.

– Non, non! s'écria le bohémien en s'élançant sur sa conjuration avec l'adresse d'un singe, et en posant le bout du pied sur le gage de d'Alvimar, sans effacer aucun des signes qui l'entouraient; non, messire! vous ne pouvez plus empêcher la destinée. Elle est au-dessus de vous comme de moi!

– Certes, dit Lauriane en étendant sa petite canne entre d'Alvimar et La Flèche. Le devin est maître dans son cercle magique, et, en dérangeant votre destinée, vous pouvez déranger aussi les nôtres.

D'Alvimar se soumit; mais sa figure trahit une agitation singulière qu'il comprima aussitôt.