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Lélia

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– Vous étiez bien pâle, Lélia, lorsque vous vîntes tomber près de moi dans la barque, et je crus que vous alliez mourir vous-même. Ah! malheureuse! consultez bien vos forces avant d’écouter votre colère.



– Je n’ai de colère que contre vous, qui me comprenez si peu. Perdre un enfant qu’on a nourri de son lait et porté tout un an attaché à son sein, n’est pas plus cruel au cœur d’une mère que ne me l’a été le détachement soudain et terrible qui s’est opéré à ce moment entre Sténio et moi. Mais le jour se levait lorsque je me jetai mourante dans la gondole, et le disque du soleil était à peine sorti en entier de la mer lorsque, debout à la proue, je chantais d’une voix éclatante cet air de

bravura

 qu’on m’avait demandé. Tous les dilettanti qui se trouvaient là ont déclaré que je n’avais jamais chanté avec tant de puissance; et la puissance ne réside pas seulement dans le poumon, que je sache: elle prend, je crois, sa source un peu plus-haut.



– Ah! tête de fer! vous vous briserez contre l’arc de triomphe que vous vous édifiez.



– Je ferai cet arc si beau et si vaste, qu’il y aura de la place pour Satan lui-même, s’il veut y passer. Trouvez-vous que j’aie montré depuis ces trois jours un instant de dépit à Pulchérie ou à Sténio? N’ai-je pas essayé de consoler celui-ci de sa honte, et d’ennoblir celle-là aux yeux du poëte? N’ai-je pas offert à l’enfant mon éternelle amitié, mes sollicitudes et ma direction maternelle?



– Et pourquoi êtes-vous agitée à cette heure? Parce qu’il a persisté à vous demander votre amour, et que, irrité par votre refus, il est cette nuit, par dépit, par fureur, au milieu de l’ivresse et du désespoir, l’amant volontaire de Pulchérie!



– Non pas! Il se tromperait celui qui croirait entrer en lutte avec Lélia. On ne combat point avec les vents de la mer, avec les vagues de l’Océan; et mon orgueil est plus insaisissable à la volonté d’un homme que les flots et les tempêtes. Ce qui m’offense, c’est que vous m’engagiez à prendre ici un parti, comme si je pouvais hésiter, comme si, à la vue d’un cadavre, j’en étais à me demander si je dois le mettre en terre ou dans mon lit! Débarrassons-nous de tout cadavre, et vivons après.



– Et quelle sera cette vie?



– Ceci importe assez peu pour le moment. Laissez-moi le temps d’essuyer mes yeux, d’abaisser le linceul entre le mort et moi; et, pourvu que je l’aie oublié dans une heure, vous n’avez rien de plus à me demander. Tenez, Valmarina, voici les belles pléiades qui lancent leur courbe légère sur l’horizon: avant que la dernière d’entre elles ait disparu, il y aura bien du changement dans ce cœur déchiré, dans cette existence ébranlée! Vous vous inquiétiez de me voir dans une mauvaise voie; vous pensiez que je luttais contre de petites passions et de méchants instincts. Vous vous trompiez; j’allais vers un but; la foudre est tombée, elle a emporté le chemin et le but tout ensemble. Laissez-moi le temps de soulever quelques débris qui ont roulé jusque sur moi et de m’écarter de ce chemin maudit.



– Il y a plus d’un chemin, mais il n’y a qu’un but pour vous, dit Valmarina. Vous croyez que la solitude peut vous y conduire; mais méfiez-vous de la colère pour compagnon de voyage. Si le regret venait à vous atteindre un jour, quel que fût votre calme extérieur, quel que fût le triomphe de votre amour-propre, cet orgueil dont vous faites votre palladium, et que je respecte en vous parce que je l’ai vu être le mobile de vos meilleures actions, cet orgueil auquel vous sacrifiez tout serait-il pleinement satisfait?



– Cela se passerait entre Dieu et moi. Lui seul serait témoin de ma souffrance, et mon orgueil s’arrête à lui…



– Dieu! Oui, sans doute; mais croyez-vous bien en lui, Lélia?



– Si j’y crois! Et ne voyez-vous pas que je ne puis rien aimer sur la terre! Expliquez-vous cela comme l’explique peut-être le chaste Sténio à l’heure qu’il est, en commentant avec Zinzolina les causes du ma froideur? Ceux qui n’ont pas d’autre dieu que leur corps ne conçoivent pas d’autre cause d’abstinence qu’une impuissance physique. Qu’est-ce que l’exigence des facultés exquises? qu’est-ce que le besoin de l’idéale beauté? qu’est-ce que la soif d’un amour sublime aux yeux du vulgaire? Lorsque de passagères lueurs d’enthousiasme l’éclairent par hasard, ce n’est que l’effet d’une violente excitation des nerfs, d’une réaction toute mécanique des sens sur le cerveau. Toute créature, si médiocre qu’elle soit, peut inspirer ou ressentir ce délire d’un instant et le prendre pour l’amour. L’intelligence et l’aspiration du grand nombre ne vont pas au delà. L’être qui aspire à des joies toujours nobles, à des plaisirs toujours vivement et saintement sentis, à une continuelle association de l’amour moral à l’amour physique, est un ambitieux destiné à un bonheur immense ou à une éternelle douleur. Il n’y a pas de milieu pour ceux qui font un dieu de l’amour. Il leur faut le sanctuaire d’une affection immense comme la leur pour célébrer leurs divins mystères; mais qu’ils n’espèrent jamais connaître le plaisir au lupanar! Or l’amour des hommes est devenu un lupanar jusque sous le toit conjugal. La plupart d’entre eux sont à une femme pure ce qu’une prostituée est à un jeune homme chaste. Le jeune homme a le droit de mépriser la prostituée, de la chasser de ses bras aussitôt qu’elle a satisfait un besoin dont il rougit lui-même. D’où vient donc qu’on refuse aux femmes pures la facultés de sentir le dégoût et le droit de le manifester aux hommes impurs qui les trompent? Plus vils cent fois que les courtisanes qui ne promettent que le plaisir, ne promettent-ils pas l’

amour

, ces hommes souillés? Or, une femme fière ne peut connaître le plaisir sans l’amour: c’est pourquoi elle ne trouvera ni l’un ni l’autre dans les bras de la plupart des hommes. Quant à ceux-ci, il leur est bien moins facile de répondre à nos instincts nobles et d’alimenter nos généreux désirs que de nous accuser de froideur. Ces âmes ascétiques, disent-ils, habitent toujours des êtres imparfaits. La dernière fille publique a plus de charme pour eux que la plus pure des vierges. La fille publique est la véritable épouse, la véritable amante des hommes de cette génération; elle est à leur hauteur. Prêresse de la matière, elle a étouffé tout ce qu’il y avait dans la femme de divinement humain, pour y développer des instincts excessifs empruntés à la brute. Elle n’est ni orgueilleuse ni importune; elle n’exige que ce que de tels hommes peuvent donner, de l’or. Ah! je te remercie, mon Dieu! Tu as voulu qu’un dernier voile tombât de devant mes yeux, et que ces vérités hideuses dont je voulais douter encore me fussent démontrées claires comme la lumière de ton soleil par Sténio lui-même, par celui que j’appelais déjà mon amant, par celui que je croyais pur entre tous tes enfants des hommes. Tu as permis qu’un profond abattement plongeât mon âme dans les ténèbres pendant quelque temps, et que la souffrance obscurcît mon entendement au point de me faire douter de l’éternelle vérité. Démence, mensonge, sagesse, sophisme, amour divin, négation impie, chasteté, desordre; tous les éléments d’erreur et de vérité, de grandeur et d’abjection, ont tournoyé et flotté confusément dans le chaos de mon imagination. Il y a eu dans l’abîme de ma pensée des orages terribles et des naufrages imminents! J’ai tout remis en question, j’ai failli essayer de tout, et je n’ai trouvé dans cet abandon de ma volonté, dans cette abdication de ma raison, que souffrance toujours plus vive, isolement toujours plus solennel. Alors j’ai tendu les bras vers toi dans mon angoisse, et tu m’as fait voir la corruption de la nature humaine dans ses causes et dans ses effets. Tu m’as fait savoir que nul homme (pas même Sténio) ne méritait cet amour dont le foyer était en moi. Tu m’as donné une forte leçon: tu as voulu que toute la douleur et toute l’humiliation qui remplissent la vie des femmes vulgaires me fussent révélées en un instant, que l’ongle impur de la jalousie me fît au cœur une légère blessure et en tirât quelques gouttes de mon sang comme un stigmate d’expiation et de châtiment. J’ai regretté un instant de ne pas être une courtisane; et, pour mon éternel enseignement, j’ai vu sous mes yeux une courtisane l’emporter sur moi au premier baiser. Merci, mon Dieu! de m’avoir humiliée à ce point; car en même temps j’ai vu que ce n’était pas là ma destinée. Non, non! mon plaisir et ma gloire ne sont pas là et ce ne sont pas des plaintes, ce sont des bénédictions que je t’adresserai désormais. J’ai été ingrate, ô souveraine perfection! j’avais ton image dans le cœur, et j’ai cherché l’infini dans la créature. J’ai voulu te retirer mon culte pour le donner à des idoles de chair et de sang. J’ai cru qu’entre toi et moi il fallait un intermédiaire, un prêtre, et que ce prêtre serait l’homme. Je me suis trompée; je ne puis avoir d’autre amant que toi; et tout ce qui se placerait entre nous, loin de m’unir à toi par le bonheur et la reconnaissance, m’en éloignerait par le dégoût et la déception. Ah! vous me demandez, Valmarina, si je crois en Dieu! il faut bien que j’y croie, puisque je l’aime d’un amour insensé, puisque le feu de cette passion insatiable dévore ma poitrine, puisque je ne puis nier sa providence sans que mon sang se glace dans mes veines et sans que ma vie se flétrisse comme un fruit atteint de la gelée. Il faut bien que je croie en lui, puisque je ne vis que d’amour, tout en n’aimant aucune créature faite à mon image; puisque je ne puis me résigner au commandement d’aucun autre pouvoir que le ciel. Et toi, Sténio, comment as-tu pu être assez aveugle pour songer à m’aimer? Comment as-tu osé tenter d’être le rival de Dieu, de remplir une vie qui n’est qu’une fureur, une extase, un embrassement, une querelle et un raccommodement d’amante jalouse et absolue de la Divinité? C’est à toi qu’il faut renvoyer l’épithète d’orgueilleux, car tu as voulu être Dieu toi-même: tu as espéré de moi les mêmes colères, les mêmes larmes, les mêmes imprécations, les mêmes désirs et les mêmes transports que j’ai pour lui. Pauvre enfant! tu m’as bien mal connue. Tu as été bien peu poëte, malgré tous tes vers. Tu as bien peu compris ce que c’est que l’idéal, puisque tu as cru qu’un souffle mortel pouvait en effacer l’image dans le miroir de mon âme!

 



– Tout ce que vous dites est palpitant et délirant d’orgueil, ô ma chère Lélia! dit Valmarina avec un affectueux sourire, en lui tendant la main pour descendre du rocher; mais j’aime à vous entendre parler comme vous faites; car je vous retrouve, et telle que je vous connais, rien de ce qui est en vous ne m’effraie. D’ailleurs l’amitié vraie est l’acceptation complète et absolue d’un être par un autre; j’aime donc vos défauts. Quand je m’inquiète, quand je vous interroge, c’est quand je vous vois sortir de votre voie, et faire les actions d’une autre personne. C’est alors que je ne vous reconnais plus, et que, vous voyant devenir timide, incertaine et douce comme les femmes qu’on aime et qu’on gouverne, je m’imagine que vous êtes perdue, que la plus folle et la meilleure créature de Dieu n’existe plus.»



Lélia releva d’une main ses cheveux épars, et, tenant de l’autre celle de son ami, elle se dressa une dernière fois de toute sa hauteur sur le rocher.



«Orgueil! s’écria-t-elle, sentiment et conscience de la force! saint et digne levier de l’univers! sois édifié sur des autels sans tache, sois enfermé dans des vases d’élection! Triomphe, toi qui fais souffrir et régner! J’aime les pointes de ton cilice, ô armure des archanges! Si tu fais connaître à tes élus des supplices inouïs, si tu leur imposes des renoncements terribles, tu leur fais connaître aussi des joies puissantes, tu leur fais remporter des victoires homériques! Si tu les conduis dans des thébaïdes sans issue, tu amènes les bons du désert à leurs pieds, et tu envoies à leurs nuits solitaires l’esprit de la vision pour lutter avec eux, pour leur faire exercer et connaître leur force, et pour les récompenser au matin par cet aveu sublime: «Tu es vaincu; mais prosterne-toi sans honte, car je suis le Seigneur!»



Lélia renoua sa chevelure, et sautant au bas du rocher:



«Allons-nous-en, dit-elle, la dernière des pléiades est couchée et je n’ai plus rien à faire ici; ma lutte est finie. L’esprit de Dieu a mis sa main sur moi comme il fit à Jacob pour lui ouvrir les yeux, et Jacob se prosterna. Tu peux me frapper désormais, ô Très-Haut! tu me trouveras à genoux!



«Et toi, roc orgueilleux, dit-elle en se retournant après l’avoir quitté, j’ai été clouée un instant à ton flanc comme Prométhée; mais je n’ai pas attendu qu’un vautour vint m’y ronger le foie, et j’ai rompu tes anneaux de fer de la même main qui les avait rivés.



XLIII

LES CAMALDULES

Lélia et Valmarina redescendirent la montagne par le versant opposé à celui qui conduisait à la ville. Lélia marchait la première, mais sans empressement et sans trouble.



«Ce n’est pas le chemin, lui dit son compagnon, en lui faisant observer qu’elle marchait vers le sud.



– C’est mon chemin, à moi, répondit-elle; car c’est le chemin qui éloigne de Sténio. Retournez à la ville, si vous voulez; quant à moi, je n’en repasserai jamais les portes.»



Valmarina la suivit par complaisance, mais avec un sourire de doute.



«Je me défie un peu de ces résolutions si soudaines et si absolues, lui dit-il; je ne crois pas aux partis extrêmes. Ils ne servent qu’à hâter les réactions.



– Toute résolution dont on diffère l’exécution est avortée, répondit Lélia. Quand il s’agit de vouloir, il faut de la réflexion; quand il faut agir, il faut de l’audace et de la promptitude.



– Où allons-nous? dit Valmarina.



– Nous fuyons le passé! répondit Lélia avec une gaieté sombre.»



Le jour se levait; ils entrèrent dans une vallée couverte de riches forêts. Les plus belles eaux serpentaient en silence à l’ombre des myrtes et des figuiers. De vastes clairières, où paissaient des troupeaux demi-sauvages, entrecoupaient de lisières d’un vert tendre ces masses d’un ton vigoureux. Ce pays était riche et désert. On n’y voyait d’habitations que des métairies éparses cachées dans le feuillage. On y pouvait donc jouir à la fois de toutes les grâces, de tous les bienfaits de la nature féconde, et de toutes les grandeurs, de toute la poésie de la nature inculte.



A mi-côte de la colline, Lélia s’arrêta saisie d’admiration.



«Heureux, s’écria-t-elle, les pasteurs insouciants et rudes qui dorment à l’ombre de ces bois silencieux, sans autre souci que le soin de leurs troupeaux, sans autre étude que le lever et le coucher des étoiles! Plus heureux encore les poulains échevelés qui bondissent légèrement dans ces broussailles, et les chèvres farouches qui gravissent sans effort les roches escarpées! Heureuses toutes les créatures qui jouissent de la vie sans fatigue et sans excès.»



Comme ils tournaient un des angles du chemin, Lélia aperçut dans le crépuscule une vaste ligne blanche sur le flanc de la montagne, qui ceignait la vallée d’un cirque majestueux et vaste.



«Qu’est-ce que cela? dit-elle à son ami. Est-ce une ligne d’architecture splendide, ou bien une muraille de craie comme il s’en trouve dans ces rochers? Est-ce une immense cascade, une carrière, ou un palais?



– C’est un monastère de femmes, répondit Valmarina, c’est le couvent de Camaldules.



– On m’en a vanté la richesse et l’élégance, dit Lélia. Allons le visiter.



– Comme il vous plaira, répondit Valmarina: les hommes n’y entrent pas, mais je vous attendrai dans la cour.



Cette cour frappa Lélia de surprise et d’admiration: d’abord ce fut une longue galerie, dont la voûte de marbre blanc était soutenue par des colonnes corinthiennes d’un marbre rose veiné de bleu, séparées l’une de l’autre par un vase de malachite où l’aloès dressait ses grandes arêtes épineuses; et puis d’immenses cours qui se succédaient dans une profondeur vraiment féerique, et que remplissaient, comme des tapis étendus, de riches parterres bigarrés des plus belles fleurs. La rosée dont toutes ces plantes étaient fraîchement inondées semblait les revêtir encore d’une gaze d’argent. Au centre des ornements symétriques que ces parterres dessinaient sur le sol, des fontaines, jaillissant dans des bassins de jaspe, élevaient leurs jets transparents dans l’air bleu du matin, et le premier rayon du soleil qui commençait à dépasser le sommet de l’édifice, tombant sur cette pluie fine et bondissante, couronnait chaque jet d’une aigrette de diamants. De superbes faisans de Chine, qui se dérangeaient à peine sous les pieds de Lélia, promenaient parmi les fleurs leurs panaches de filigrane et leurs flancs de velours. Le paon étalait sur les gazons sa robe de pierreries, et le canard musqué, au poitrail d’émeraude, poursuivait, dans les bassins, les mouches d’or qui tracent sur la surface de l’eau des cercles insaisissables.



Au cri moqueur ou plaintif de ces oiseaux captifs, à leurs allures mélancoliques et fières, se mêlaient les mille voix joyeuses et bruyantes, les mille familiarités curieuses des libres oiseaux du ciel. Le tarin espiègle et confiant venait se poser au front immobile des statues. Le moineau insolent et peureux allait dérober la pâture aux oiseaux domestiques et s’envolait épouvanté au moindre gloussement des couveuses; le chardonneret s’en prenait aux aigrettes des fleurs que le vent lui disputait. Les insectes s’éveillaient aussi et commençaient à bruire sous l’herbe échauffée et fumante aux premiers feux du jour. Les plus beaux papillons de la vallée arrivaient par troupe pour s’abreuver du suc de ces belles plantes exotiques, dont la saveur les enivrait tellement qu’ils se laissaient prendre à la main. Toutes les voix de l’air, tous les parfums du matin montaient au ciel comme un pur encens, comme un naïf cantique, pour remercier Dieu des bienfaits de la création et du travail de l’homme.



Mais parmi toutes ces existences animales et végétales, parmi ces œuvres de l’art et ces splendeurs de la richesse, l’homme seul manquait. Le râteau s’était récemment promené sur le sable de toutes les allées, comme pour effacer le souvenir des pas humains. Lélia eut une sorte de frayeur superstitieuse en y imprimant les siens. Il lui sembla qu’elle allait détruire l’harmonie de cette scène magique, et faire tomber sur elle les murailles enchantées de son rêve.



Car, dans la confusion de ses idées de poëte, elle ne voulait point croire à la réalité des choses qu’elle voyait. En apercevant au loin, derrière les colonnades transparentes du cloître, les profondeurs désertes de la vallée, elle s’imagina volontiers qu’au sein des bois elle s’était endormie sous l’arbre favori d’une fée, et qu’à son réveil la coquette reine des prestiges l’avait environnée des merveilles impalpables de son palais pour la retenir en son pouvoir.



Comme elle se laissait mollement aller à cette fantaisie, enivrée des suaves odeurs du jasmin et du datura, contente d’être dans ces beaux lieux et s’y croyant presque reine, elle se rapprocha d’une haute et longue croisée dont le vitrage colorié, étincelant au soleil, ressemblait au rideau de soie nuancé d’un harem. Elle s’était assise sur les marches d’un bassin rempli de poissons, et s’amusait à suivre, au travers de l’eau limpide, la truite qui porte une souple armure d’argent parsemée de rubis, et la tanche revêtue d’un or pâle nuancé de vert. Elle admirait la mollesse de leurs jeux, l’éclat de leurs yeux métalliques, l’agilité inconcevable de leur fuite peureuse lorsqu’elle dessinait son ombre mobile sur les eaux. Tout à coup des chants tels que les anges doivent les faire entendre au pied du trône de Jéhovah partirent du fond de l’édifice mystérieux, et, se mêlant aux vibrations de l’orgue, emplirent toute l’enceinte du monastère. Tout sembla faire silence pour écouter, et Lélia, frappée d’admiration, s’agenouilla instinctivement comme aux jours de son enfance.



Des voix de femmes pures et harmonieuses montaient vers Dieu comme une prière fervente et pleine d’espoir, et des voix d’enfants pénétrantes et argentines répondaient à celle-ci comme les promesses lointaines du ciel exprimées par l’organe des anges.



Les religieuses disaient:



«Ange du Seigneur, étends sur nous tes ailes protectrices. Abrite-nous de la bonté vigilante et de ta consolante pitié. Dieu t’a fait indulgent et doux entre toutes les Vertus, entre toutes les Puissances du ciel; car il t’a destiné à secourir, à consoler les âmes, à recueillir dans un vase sans souillure les larmes qui sont versées aux pieds du Christ, et à les présenter en expiation devant ta justice éternelle, ô Très-Saint!»



Et les petites filles répondaient du haut de la nef sonore:



«Espérez dans le Seigneur, ô vous qui travaillez dans les larmes! car l’ange gardien étend ses grandes ailes d’or entre la faiblesse de l’homme et la colère du Seigneur.

Louez Dieu.

»



Puis les vierges reprirent:



«O le plus jeune et le plus pur des anges! c’est toi que Dieu créa le dernier, car il te créa après l’homme, et te mit dans le paradis pour être son compagnon et son ami. Mais le serpent vint et fut plus puissant que toi sur l’esprit de l’homme. L’ange de la colère descendit pour punir; toi, tu suivis l’homme dans l’exil et tu pris soin des enfants qu’Ève mit au jour, ô Très-Saint!»



Les enfants répondirent encore:



«Remerciez à genoux, vous tous qui aimez Dieu, remerciez l’ange gardien; car de son aile puissante il monte et redescend incessamment de la terre aux cieux, des cieux à la terre, pour porter d’en bas les prières, pour rapporter d’en haut les bienfaits.

Louez Dieu.

»



La voix fraîche et pleine d’une jeune novice récita ce couplet:



«C’est toi qui d’une chaude haleine réchauffes, au matin, les plantes engourdies par le froid; c’est toi qui couvre de ta robe virginale les moissons de l’homme menacées de la grêle; c’est toi qui d’une main protectrice soutiens la cabane du pêcheur ébranlée par les vents de la mer; c’est toi qui éveilles les mères endormies, et, les appelant d’une voix douce au milieu des rêves de la nuit, les avertis d’allaiter les enfants nouveau-nés; c’est toi qui gardes la pudeur des vierges, et poses à leur chevet le rameau d’oranger, invisible talisman qui détourne les mauvais pensers et les songes impurs; c’est toi qui t’assieds, au soleil du midi, dans le sillon où dort l’enfant du moissonneur, et qui détournes de leur chemin la couleuvre et le scorpion, prêts à ramper sur son berceau; c’est toi qui ouvres les feuillets du missel quand nous cherchons dans le texte sacré un remède à nos maux; c’est toi qui nous fais r