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Le meunier d'Angibault

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«Mais dans cette ignorance du lendemain, dans cette tempête déchaînée de toutes les forces humaines les unes contre les autres, il faut bien que je serre mon fils dans mes bras, et que je l'aide à surmonter le flot qui nous porte peut-être aux rives d'un monde meilleur dès ici-bas. Hélas! chère Rose, dans un temps où l'argent est tout, tout se vend et s'achète. L'art, la science, toutes les lumières, et par conséquent toutes les vertus, la religion elle-même, sont interdites à celui qui ne peut payer l'avantage de boire à ces sources divines. De même qu'on paie les sacrements à l'église, il faut, à prix d'argent, acquérir le droit d'être homme, de savoir lire, d'apprendre à penser, à connaître le bien du mal. Le pauvre est condamné, à moins d'être doué d'un génie exceptionnel, à végéter, privé de sagesse et d'instruction. Et le mendiant, le pauvre enfant qui apprend pour tout métier l'art de tendre la main et d'élever une voix plaintive, dans quelles obscures et fausses notions est forcée de se débattre son intelligence infirme et impuissante! Il y a quelque chose d'affreux à penser que la superstition est la seule religion accessible au paysan, que tout son culte se réduit à des pratiques qu'il ne comprend pas, dont il ne saura jamais ni le sens ni l'origine, et que Dieu n'est pour lui qu'une idole favorable aux moissons et aux troupeaux de celui qui lui vote un cierge ou une image. En venant ce matin ici, j'ai rencontré une procession arrêtée autour d'une fontaine pour conjurer la sécheresse. J'ai demandé pourquoi on priait là plutôt qu'ailleurs. Une femme m'a répondu, en me montrant une petite statue de plâtre cachée dans une niche et ornée de guirlandes comme les dieux du paganisme5, «c'est que cette bonne dame est la meilleure de toutes pour la pluie.»

«Si mon fils est indigent, il faudra donc qu'il soit idolâtre, au rebours des premiers chrétiens qui embrassaient la vraie religion avec la sainte pauvreté? Je sais bien que le pauvre a le droit de me demander: Pourquoi ton fils plutôt que le mien connaîtrait-il Dieu et la vérité? Hélas! je n'ai rien à lui répondre, sinon que je ne puis sauver son fils qu'en sacrifiant le mien. Et quelle réponse inhumaine pour lui! Oh! les temps de naufrage sont affreux! Chacun court à ce qui lui est le plus cher et abandonne les autres. Mais encore une fois, Rose, que pouvons-nous donc, nous autres pauvres femmes, qui ne savons que pleurer sur tout cela?

«Ainsi, les devoirs que nous impose la famille sont en contradiction avec ceux que nous impose l'humanité. Mais nous pouvons encore quelque chose pour la famille, tandis que pour l'humanité, à moins d'être très-riches, nous ne pouvons rien encore. Car dans ce temps-ci, où les grandes fortunes dévorent les petites si rapidement, la médiocrité, c'est la gêne et l'impuissance.

«Voilà pourquoi, continua Marcelle en essuyant une larme, je vais être forcée de modifier les beaux rêves que j'avais faits en quittant Paris il y a deux jours. Mais je veux faire encore de mon mieux, Rose, pour ne pas m'entourer de petites jouissances inutiles aux dépens des autres. Je veux me réduire au nécessaire, acheter une maison de paysan, vivre aussi sobrement qu'il me sera possible sans altérer ma santé (puisque je dois ma vie à Edouard), mettre de l'ordre dans ce petit capital pour le lui donner un jour, après lui en avoir indiqué l'usage que Dieu nous aura révélé utile et pieux dans ce temps-là; et, en attendant, consacrer la moindre partie possible de mon humble revenu à mes besoins et à la bonne éducation de mon fils, afin d'avoir toujours de quoi assister les pauvres qui viendront frapper à ma porte. C'est là, je crois, tout ce que je peux faire, s'il ne se forme pas bientôt une association vraiment sainte, une sorte d'église nouvelle, où quelques croyants inspirés appelleront à eux leurs frères pour les faire vivre en commun sous les lois d'une religion et d'une morale qui répondent aux nobles besoins de l'âme et aux lois de la véritable égalité. Ne me demandez pas quelles seraient précisément ces lois. Je n'ai pas mission de les formuler, puisque Dieu ne m'a pas donné le génie de les découvrir, toute mon intelligence se borne à pouvoir les comprendre quand elles seront révélées, et mes bons instincts me forcent à rejeter les systèmes qui se posent aujourd'hui un peu trop fièrement sous des noms divers. Je n'en vois encore aucun où la liberté morale se trouve respectée, où l'athéisme et l'ambition de dominer ne se montrent par quelque endroit. Vous avez entendu parler peut-être des saint-simoniens et des fouriéristes. Ce sont là des systèmes encore sans religion et sans amour, des philosophies avortées, à peine ébauchées, où l'esprit du mal semble se cacher sous les dehors de la philanthropie. Je ne les juge pas absolument, mais j'en suis repoussée comme par le pressentiment d'un nouveau piège tendu à la simplicité des hommes.

«Mais il se fait tard, ma bonne Rose, et vos beaux yeux qui brillent encore luttent pourtant contre la fatigue de m'écouter. Je n'ai rien à conclure pour vous de tout ceci; sinon que nous sommes toutes les deux aimées par des hommes pauvres, et que l'une de nous aspire à s'affranchir de l'alliance des riches, tandis que l'autre hésite et s'effraie de leur opinion.

– Ah! Madame, dit Rose, qui avait écouté Marcelle avec une religieuse attention, que vous êtes grande et bonne! comme vous savez aimer, et comme je comprends bien maintenant pourquoi je vous aime! Il me semble que votre histoire et l'explication de votre conduite m'ont fait grossir la tête de moitié! Quelle triste et mesquine vie nous menons, au prix de celle que vous rêvez! Mon Dieu, mon Dieu! je crois que je mourrai le jour où vous partirez d'ici!

– Sans vous, chère Rose, je serais fort pressée, je vous le confesse, d'aller bâtir ma chaumière auprès de celle de plus pauvres gens; mais vous me ferez aimer votre ferme, et même ce vieux château… Ah! j'entends votre mère qui vous appelle. Embrassez-moi encore et pardonnez-moi de vous avoir dit quelques paroles dures. Je me les reproche en voyant combien vous êtes sensible et affectueuse.»

Rose embrassa la jeune baronne avec effusion, et la quitta. Cédant à une habitude d'enfant mutin, elle se donna le petit plaisir de laisser crier sa mère tout en se rendant avec lenteur à son appel. Puis elle se le reprocha et se mit à courir; mais elle ne put se résoudre à lui parler avant d'être tout à fait auprès d'elle: cette voix glapissante lui faisait l'effet d'un ton faux après la douce harmonie des paroles de Marcelle.

Encore fatiguée de son voyage, madame de Blanchemont se glissa dans le lit où reposait son enfant, et, tirant ses rideaux de toile d'orange à grands ramages, elle commençait à s'endormir sans songer aux revenants indispensables du vieux château, lorsqu'un bruit incompréhensible la força de prêter l'oreille et de se relever un peu émue.

DEUXIÈME JOURNÉE

XV.
LA RENCONTRE

Le bruit qui troublait le sommeil de notre héroïne était celui d'un corps quelconque passant et repassant à l'extérieur sur la porte de sa chambre avec une obstination et une maladresse singulières. Ce toucher était trop sec et trop inintelligent pour être celui d'une main humaine cherchant à trouver la serrure dans l'obscurité, et pourtant comme le bruit ne ressemblait pas à celui qu'eût pu faire un rat, Marcelle ne put s'arrêter à aucune autre hypothèse. Elle pensa que quelqu'un de la ferme couchait dans le vieux château, peut-être un serviteur ivre qui se trompait d'étage, et cherchait son gîte à tâtons. Se rappelant alors qu'elle n'avait pas ôté la clef de sa chambre, elle se leva afin de réparer cet oubli, aussitôt que la personne se serait éloignée. Mais le bruit continuait, et Marcelle n'osait entr'ouvrir la porte pour effectuer son dessein, dans la crainte, en se montrant, d'être insultée par quelque lourdaud. Cette petite anxiété commençait à devenir fort désagréable, lorsque la main incertaine s'impatienta, et gratta la porte, de telle façon que Marcelle crut reconnaître les griffes d'un chat, et, souriant de son émotion, elle se décida à ouvrir pour accueillir ou chasser cet habitué de son appartement. Mais à peine eut-elle entr'ouvert, avec un reste de précaution, que la porte fut repoussée sur elle avec violence, et que la folle s'offrit à ses regards sur le seuil de sa chambre.

Cette visite parut à Marcelle la plus déplaisante des suppositions qu'elle aurait pu faire, et elle hésita si elle ne repousserait pas par la force ce personnage inquiétant, malgré ce qu'on lui avait dit de la tranquillité habituelle de sa démence. Mais le dégoût que lui inspirait l'état de malpropreté de cette malheureuse, et encore plus un sentiment de compassion, l'empêchèrent de s'arrêter à cette idée. La folle ne paraissait pas s'apercevoir de sa présence, et il était probable que, dans son goût pour la solitude, elle se retirerait aussitôt que Marcelle se ferait remarquer. Madame de Blanchemont jugea donc à propos d'attendre, et d'observer quelle serait la fantaisie de sa fâcheuse hôtesse, et reculant, elle alla s'asseoir sur le bord de son lit, dont elle ferma les rideaux derrière elle, afin qu'Edouard, s'il venait à s'éveiller, ne vit pas la vilaine femme dont il avait eu peur dans la garenne.

La Bricoline (nous avons déjà dit que chez nous toutes les aînées de familles de paysans et de bourgeois de campagne portaient le nom héréditaire féminisé en guise de prénom) traversa la chambre avec une certaine précipitation, et s'approcha de la fenêtre qu'elle ouvrit après beaucoup d'efforts inutiles, la faiblesse de ses mains étiques, et la longueur de ses ongles qu'elle ne voulait jamais laisser couper, la rendant fort maladroite. Quand elle y fut parvenue, elle se pencha dehors, et, d'une voix étouffée à dessein, elle appela Paul. C'était sans doute le nom de son amant, qu'elle attendait toujours, et à la mort duquel elle ne pouvait se résoudre à croire.

 

Ce lamentable appel n'ayant éveillé aucun écho dans le silence de la nuit, elle s'assit sur le banc de pierre qui, dans toutes les antiques constructions de ce genre, occupe l'embrasure profonde de la fenêtre, et resta muette, roulant toujours son mouchoir ensanglanté, et paraissant se résigner à l'attente. Au bout de dix minutes environ, elle se releva, et appela encore, toujours à voix basse, comme si elle eût cru son amant caché dans les broussailles du fossé, et comme si elle eût craint d'éveiller l'attention des gens de la ferme.

Pendant plus d'une heure l'infortunée continua ainsi, tantôt nommant Paul et tantôt l'attendant avec une patience et une résignation extraordinaires. La lune éclairait en plein son visage décharné et son corps difforme. Peut-être y avait-il pour elle une sorte de bonheur dans cette vaine espérance. Peut-être se faisait-elle illusion au point de rêver toute éveillée qu'il était là, qu'elle l'écoutait et lui répondait. Et puis, quand le rêve s'effaçait, elle le ramenait en appelant de nouveau son mort bien aimé.

Marcelle la contemplait avec un profond déchirement de coeur; elle eût voulu surprendre tous les secrets de sa folie, dans l'espérance de trouver quelque moyen d'adoucir une telle souffrance; mais les fous de cette nature ne s'expliquent pas et il est impossible de deviner s'ils sont absorbés par une pensée qui les ronge sans relâche, ou si l'action de la pensée est suspendue en eux par intervalles.

Lorsque la misérable fille quitta enfin la fenêtre, elle se mit à marcher dans la chambre avec la même lenteur et la même gravité qui avaient frappé Marcelle dans l'allée de la Garenne. Elle ne paraissait plus songer à son amant, et sa physionomie, fortement contractée, ressemblait à celle d'un vieux alchimiste perdu dans la recherche de l'absolu. Cette promenade régulière dura encore assez longtemps pour fatiguer extrêmement madame de Blanchemont, qui n'osait ni se coucher ni quitter son fils pour aller éveiller la petite Fanchon. Enfin, la folle prit son parti, et montant un étage, elle alla à une autre fenêtre recommencer à appeler Paul par intervalles et à l'attendre en se promenant.

Marcelle songea alors qu'elle devait aller avertir les Bricolin. Sans doute ils ignoraient que leur fille s'était échappée de la maison et qu'elle courait peut-être le danger de se suicider ou de se laisser tomber involontairement par une fenêtre. Mais la petite Fanchon, qu'elle éveilla, non sans peine, afin qu'elle se tînt auprès du lit d'Edouard pendant qu'elle irait elle-même au château neuf, la détourna de ce projet.

– Eh! non, Madame, lui dit-elle; les Bricolin ne se dérangeront pas pour cela. Ils sont habitués à voir courir cette pauvre demoiselle la nuit comme le jour. Elle ne fait pas de mal, et il y a longtemps qu'elle a oublié de se périr. On dit qu'elle ne dort jamais. Il n'est pas étonnant que, par les temps de lune, elle soit plus éveillée encore. Fermez bien votre porte, pour qu'elle ne vienne plus vous ennuyer. Vous avez bien fait de ne lui rien dire; ça aurait pu la choquer et la rendre méchante. Elle va faire son train là-haut jusqu'au jour, comme les caboches (les chouettes); mais puisque vous savez ce que c'est, à présent, ça ne vous empêchera pas de dormir.

La petite Fanchon en parlait à son aise, elle qui, grâce à ses quinze ans et à son tempérament paisible, eût dormi au bruit du canon, pourvu qu'elle eût su ce que c'était. Marcelle eut un peu de peine à suivre son exemple, mais enfin la fatigue l'emporta, et elle s'endormit au pas régulier et continuel de la folle, qu'elle entendait au-dessus de sa chambre ébranler les solives tremblantes du vieux château.

Le lendemain, Rose apprit avec regret, mais sans surprise, l'incident de la nuit.

– Eh! mon Dieu! dit-elle, nous l'avions pourtant bien enfermée, sachant qu'elle a l'habitude d'errer de tous côtés, et dans le vieux château de préférence pendant la lune. (C'est pour cela que ma mère ne se souciait pas de vous y loger.) Mais elle aura encore trouvé moyen d'ouvrir sa fenêtre et de s'en aller par là. Elle n'est ni forte ni adroite de ses mains, mais elle a tant de patience! Elle n'a qu'une idée, elle ne s'en repose jamais. M. le baron, qui n'avait pas le coeur aussi humain que vous, et qui riait des choses les moins risibles, prétendait qu'elle cherchait… attendez si je me souviendrai de son mot!.. la quadrature… Oui, c'est cela, la quadrature du cercle; et quand il la voyait passer: «Eh bien! nous disait-il, votre philosophe n'a pas encore résolu son problème?»

– Je ne me sens pas d'humeur à plaisanter sur un sujet qui navre le coeur, répondit Marcelle, et j'ai fait des rêves lugubres cette nuit. Tenez, Rose, nous voilà bonnes amies, nous le deviendrons j'espère de plus en plus, et puisque vous m'avez offert votre chambre, je l'accepte, à condition que vous ne la quitterez pas, et que nous la partagerons. Un canapé pour Edouard, un lit de sangle pour moi, il n'en faut pas davantage.

– Oh! vous me comblez de joie, s'écria Rose, en lui sautant au cou. Cela ne me causera aucun dérangement. Il y a deux lits dans toutes nos chambres, c'est l'habitude de la campagne où l'on est toujours prêt à recevoir quelque amie ou quelque parente, et je vais être si heureuse de causer avec vous tous les soirs!..

L'amitié des deux jeunes femmes fit en effet beaucoup de progrès dans cette journée. Marcelle y mettait d'autant plus d'abandon que c'était la seule douceur qu'elle pût se promettre chez les Bricolin. Le fermier la promena dans une partie de ses dépendances, lui parlant toujours d'argent et d'arrangements. Il dissimulait son désir d'acheter, mais c'était en vain, et Marcelle qui, pour en finir plus vite avec des préoccupations si antipathiques à son esprit, était, prête à lui faire une partie des sacrifices qu'il exigeait, aussitôt qu'elle se serait assurée de l'exactitude de ses calculs, usa pourtant d'un peu d'adresse avec lui pour le tenir dans l'inquiétude. Rose lui avait fait entendre qu'elle pouvait avoir, dans cette circonstance, beaucoup d'influence sur sa destinée, et d'ailleurs, Grand-Louis lui avait fait promettre de ne rien décider sans le consulter. Madame de Blanchemont se sentait une pleine confiance dans cet ami improvisé, et elle résolut d'attendre son retour pour faire choix d'un conseil compétent. Il connaissait tout le monde, et il avait trop de jugement pour ne pas la mettre en bonnes mains.

Nous avons laissé le brave meunier partant pour la ville de ***, avec Lapierre, Suzette, et le patachon. Ils y arrivèrent à dix heures du soir, et, le lendemain, dès la pointe du jour, Grand-Louis ayant embarqué les deux domestiques dans la diligence de Paris, se rendit chez le bourgeois auquel il avait intention de faire acheter la calèche. Mais en passant devant la poste aux lettres, il se dirigea vers l'entrée du bureau pour remettre au buraliste en personne celle que Marcelle l'avait chargé d'affranchir. La première figure qui frappa ses regards fut celle du jeune inconnu qui était venu, quinze jours auparavant, errer dans la Vallée-Noire, visiter Blanchemont, et que le hasard avait amené au moulin d'Angibault. Ce jeune homme ne fit aucune attention à lui: debout à l'entrée du bureau, il lisait avidement et d'un air fort ému, une lettre qu'il était venu recevoir. Grand-Louis tenant dans ses mains celle de madame de Blanchemont, et se rappelant que le nom d'Henri, gravé sur un arbre au bord de la Vauvre, avait beaucoup préoccupé cette jeune dame, jeta un regard furtif sur l'adresse de la lettre que lisait le jeune homme et qui se trouvait naturellement à la portée de sa vue, l'inconnu tenant ce papier devant lui de manière à en bien cacher le contenu et à en montrer parfaitement l'extérieur. En un clin d'oeil rapide et d'une curiosité bienveillante, le meunier vit le nom de M. Henri Lémor tracé de la même main que l'adresse de la lettre dont il était porteur; aucun doute, ces deux lettres étaient de Marcelle, et l'inconnu était… le meunier n'y mit pas de façons dans sa pensée, l'amant de la belle veuve.

Grand-Louis ne se trompait pas: le premier billet que Marcelle avait écrit de Paris, et qu'un ami de Lémor, chargé de ce soin, lui avait fait tenir poste restante à ***, venait d'arriver en cet instant aux mains du jeune homme, et il était loin de s'attendre au bonheur d'en recevoir immédiatement un second, lorsque Grand-Louis passa facétieusement ce trésor entre ses yeux et celui qu'il était en train de relire pour la troisième fois.

Henri tressaillit, et se jetant avec impétuosité sur cette lettre, il allait s'en emparer, lorsque le meunier lui dit, en la lui retirant: – Non! non! pas si vite, mon garçon! Le buraliste nous voit peut-être du coin de l'oeil, et je n'ai pas envie qu'il me fasse payer l'amende, qui n'est pas mince. Nous allons, causer un peu plus loin, car je ne pense pas que vous ayez la patience d'attendre que cette jolie lettre revienne de Paris, où on l'enverrait certainement, malgré vos réclamations et votre passe-port, puisqu'elle n'est pas adressée ici poste restante. Suivez-moi au bout de la promenade.

Lémor le suivit, mais un scrupule était déjà venu alarmer le meunier. Attendez, dit-il, quand ils eurent gagné un endroit convenablement isolé, vous êtes bien l'individu dont le nom est sur cette lettre?

– Vous n'en doutez pas, sans doute, et vous me connaissez apparemment, puisque vous me l'avez présentée?

– C'est égal, vous avez bien un passe-port?

– Certainement, puisque je viens de le produire à la poste pour retirer ma correspondance.

– C'est encore égal; dussiez-vous me prendre pour un gendarme déguisé, voyons-le, dit le meunier en lui donnant la lettre. Donnant, donnant.

– Vous êtes fort méfiant, dit Lémor en se hâtant de lui donner ses papiers.

– Un petit moment encore, reprit le prudent meunier. Je veux pouvoir faire serment, si les gens de la poste m'ont vu vous donner cette lettre, que je vous l'ai remise décachetée! Et il brisa le cachet très-lestement, mais sans se permettre d'ouvrir la lettre qu'il remit à Henri tout en prenant son passe-port.

Tandis que le jeune homme lisait avidement, le meunier, qui n'était pas fâché de satisfaire sa curiosité, prenait connaissance des titres et qualités de son inconnu.

Henri Lémor, âgé de vingt-quatre ans, natif de Paris, profession d'ouvrier mécanicien, se rendant à Toulouse, Montpellier, Nîmes, Avignon et peut-être Toulon et Alger, pour y chercher de l'emploi et y exercer son industrie.

– Diable! se disait le meunier, ouvrier mécanicien! aimé d'une baronne! cherchant de l'ouvrage et pouvant peut-être épouser une femme qui a encore trois cent mille francs! Ce n'est donc que chez nous qu'on préfère l'argent à l'amour, et que les femmes sont si fières! Il n'y a pas tant de distance entre la petite-fille du père Bricolin le laboureur et le petit-fils de mon grand-père le meunier, qu'entre cette baronne et ce pauvre diable! Ah! mademoiselle Rose! je voudrais bien que madame Marcelle vous apprit le secret d'aimer! Puis, faisant lui-même le signalement du jeune homme sans regarder celui du passe-port, Grand-Louis se disait en examinant Henri absorbé dans sa lecture: Taille médiocre, visage pâle… assez joli, si l'on veut, mais cette barbe noire, c'est vilain. Tous ces ouvriers de Paris ont l'air de porter toute leur force au menton. Et le meunier comparait avec une secrète complaisance ses membres athlétiques à l'organisation plus délicate de Lémor. Il me semble, se disait-il, que s'il ne faut pas être plus remarquable que ça pour tourner la tête a une femme d'esprit… et à une belle dame… mademoiselle Rose pourrait bien s'apercevoir que son très-humble serviteur n'est pas plus mal tourné qu'un autre. Après cela, ces Parisiens, ça vous a une certaine grâce, une tournure, des yeux noirs, je ne sais quoi qui nous fait paraître patauds à cote d'eux. Et puis, sans doute que celui-là a plus d'esprit qu'il n'est gros. S'il pouvait m'en donner un peu, et m'enseigner, lui aussi, son secret pour être aimé!

5Les Pères de l'Église primitive condamnaient amèrement cet usage païen d'orner les statues des dieux. Minutius Félix s'en explique clairement et admirablement. L'Église du moyen âge a rétabli les pratiques de l'idolâtrie, et l'Église d'aujourd'hui continue cette spéculation lucrative.