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La Marquise

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«Chimères et déceptions! mes forces ont trahi mon ambition insensée. Je suis resté obscur; j'ai fait pis, j'ai frisé le succès, et je l'ai laissé échapper. Je croyais me sentir grand, et on m'a jeté dans la poussière; je m'imaginais toucher au sublime, on m'a condamné au ridicule. La destinée m'a pris avec mes rêves démesurés et mon âme audacieuse, et elle m'a brisé comme un roseau! Je suis un homme bien malheureux!

«Mais la plus grande de mes folies, c'est d'avoir jeté mes regards au delà de cette rampe de quinquets qui trace une ligne invincible entre moi et le reste de la société. C'est pour moi le cercle de Popilius. J'ai voulu le franchir! J'ai osé avoir des yeux, moi comédien, et les arrêter sur une belle femme! sur une femme si jeune, si noble, si aimante et placée si haut! car vous êtes tout cela, Madame, je le sais. Le monde vous accuse de froideur et de dévotion outrée, moi seul je vous juge et je vous connais. Un seul de vos sourires, une seule de vos larmes, ont suffi pour démentir les fables stupides qu'un chevalier de Brétillac m'a débitées contre vous.

«Mais quelle destinée est donc aussi la vôtre! Quelle étrange fatalité pèse donc sur vous comme sur moi pour qu'au sein d'un monde si brillant et qui se dit si éclairé, vous n'ayez trouvé pour vous rendre justice que le coeur d'un pauvre comédien? Eh bien! rien ne m'ôtera cette pensée triste et consolante; c'est que, si nous étions nés sur le même échelon de la société, vous n'auriez pas pu m'échapper, quels qu'eussent été mes rivaux, quelle que soit ma médiocrité. Il aurait fallu vous rendre à une vérité, c'est qu'il y a en moi quelque chose de plus grand que leurs fortunes et leurs titres, la puissance de vous Aimer.

«LÉLIO.»

Cette lettre, continua la marquise, étrange pour le temps où elle fut écrite, me sembla, malgré quelques souvenirs de déclamation racinienne qui percent dans le commencement, tellement forte et vraie, j'y trouvai un sentiment de passion si neuf et si hardi, que j'en fus bouleversée. Le reste de fierté qui combattait en moi s'évanouit. J'eusse donné tous mes jours pour une heure d'un pareil amour.

Je ne vous raconterai pas mes anxiétés, mes fantaisies, mes terreurs; moi-même je ne pourrais en retrouver le fil et la liaison. Je répondis quelques mots que voici, autant que je me les rappelle:

«Je ne vous accuse pas, Lélio, j'accuse la destinée; je ne vous plains pas seul, je me plains aussi. Pour aucune raison d'orgueil, de prudence ou de pruderie, je ne voudrais vous retirer la consolation de vous croire distingué de moi. Gardez-la, parce que c'est la seule que j'aie à vous offrir. Je ne puis jamais consentir à vous voir.»

Le lendemain je reçus un billet que je lus à la hâte, et que j'eus à peine le temps de jeter au feu pour le dérober à Larrieux, qui me surprit occupée à le lire. Il était à peu près conçu en ces termes:

«Madame, il faut que je vous parle ou que je meure. Une fois, une seule fois, une heure seulement, si vous voulez. Que craignez-vous donc d'une entrevue, puisque vous vous fiez à mon honneur et à ma discrétion? Madame, je sais qui vous êtes; je connais l'austérité de vos moeurs, je connais votre piété, je connais même vos sentiments pour le vicomte de Larrieux. Je n'ai pas la sottise d'espérer de vous autre chose qu'une parole de pitié; mais il faut qu'elle tombe de vos lèvres sur moi. Il faut que mon coeur la recueille et l'emporte, ou il faut que mon coeur se brise.

«LÉLIO.»

Je dirai pour ma gloire, car toute noble et courageuse confiance est glorieuse dans le danger, que je n'eus pas un instant la crainte d'être raillée par un impudent libertin. Je crus religieusement à l'humble sincérité de Lélio. D'ailleurs j'étais payée pour avoir confiance en ma force; je résolus de le voir. J'avais complètement oublié sa figure flétrie, son mauvais ton, son air commun; je ne connaissais plus de lui que le prestige de son génie, son style et son amour. Je lui répondis:

«Je vous verrai; trouvez un lieu sûr; mais n'espérez de moi que ce que vous demandez. J'ai foi en vous comme en Dieu. Si vous cherchiez à en abuser, vous seriez un misérable, et je ne vous craindrais pas.»

RÉPONSE. «Votre confiance vous sauverait du dernier des scélérats. Vous verrez, Madame, que Lélio n'en est pas indigne. Le duc de *** a eu la bonté de me proposer souvent sa maison de la rue de Valois; qu'en aurais-je fait? Il y a trois ans qu'il n'existe plus pour moi qu'une femme sous le ciel. Daignez être au rendez-vous au sortir de la comédie.»

Suivaient les indications de lieu.

Je reçus ce billet à quatre heures. Toute cette négociation s'était passée dans l'espace d'un jour. J'avais employé cette journée à parcourir mes appartements comme une personne privée de raison; j'avais la fièvre. Cette rapidité d'événements et de décisions, contraires à cinq ans de résolutions, m'emportait comme un rêve; et quand j'eus pris le dernier parti, quand je vis que je m'étais engagée et qu'il n'était plus temps de reculer, je tombai accablée sur mon ottomane, ne respirant plus et voyant ma chambre tourner sous mes pieds.

Je fus sérieusement incommodée; il fallut envoyer chercher un chirurgien qui me saigna. Je défendis à mes gens de dire un mot à qui que ce fût de mon indisposition; je craignais les importunités des donneurs de conseils, et je ne voulais pas qu'on m'empêchât de sortir le soir. En attendant l'heure, je me jetai sur mon lit et je défendis ma porte même à M. de Larrieux.

La saignée m'avait physiquement soulagée en m'affaiblissant. Je tombai dans un grand accablement d'esprit; toutes mes illusions s'envolèrent avec l'excitation de la fièvre. Je retrouvai la raison et la mémoire; je me rappelai la terrible déception du café, la misérable allure de Lélio; je m'apprêtai à rougir de ma folie, à tomber du faîte de mes chimères dans une plate et ignoble réalité. Je ne pouvais plus comprendre comment je m'étais décidée à troquer cette héroïque et romanesque tendresse contre le dégoût qui m'attendait et la honte qui empoisonnerait tous mes souvenirs. J'eus alors un mortel regret de ce que j'avais fait; je pleurai mes enchantements, ma vie d'amour, et l'avenir de satisfaction pure et intime que j'allais renverser. Je pleurai surtout Lélio, qu'en le voyant j'allais perdre à jamais, que j'avais eu tant de bonheur à aimer pendant cinq ans, et que je ne pourrais plus aimer dans quelques heures.

Dans mon chagrin je me tordis les bras avec force; ma saignée se rouvrit, le sang coula avec abondance; je n'eus que le temps de sonner ma femme de chambre qui me trouva évanouie dans mon lit. Un profond et lourd sommeil, contre lequel je luttai vainement, s'empara de moi. Je ne rêvai point, je ne souffris point, je fus comme morte pendant quelques heures. Quand j'ouvris les yeux ma chambre était sombre, mon hôtel silencieux; ma suivante dormait sur une chaise au pied de mon lit. Je restai quelque temps dans un état d'engourdissement et de faiblesse qui ne me permettait pas un souvenir, pas une pensée. Tout d'un coup la mémoire me revient; je me demande si l'heure et le jour du rendez-vous sont passés, si j'ai dormi une heure ou un siècle, s'il fait jour ou nuit, si mon manque de parole n'a pas tué Lélio, s'il est temps encore. J'essaie de me lever, mes forces s'y refusent; je lutte quelques instants comme dans le cauchemar. Enfin je rassemble toute ma volonté, je l'appelle au secours de mes membres accablés. Je m'élance sur le parquet; j'entr'ouvre mes rideaux; je vois briller la lune sur les arbres de mon jardin; je cours à la pendule, elle marque dix heures. Je saute sur ma femme de chambre, je la secoue, je l'éveille en sursaut: «Quinette, quel jour sommes-nous?» Elle quitte sa chaise en criant et veut fuir, car elle me croit dans le délire; je la retiens, je la rassure; j'apprends que j'ai dormi trois heures seulement. Je remercie Dieu. Je demande un fiacre; Quinette me regarde avec stupeur. Enfin elle se convainc que j'ai toute ma tête; elle transmet mon ordre et s'apprête à m'habiller.

Je me fis donner le plus simple et le plus chaste de mes habits; je ne plaçai dans mes cheveux aucun ornement; je refusai de mettre du rouge. Je voulais avant tout inspirer à Lélio l'estime et le respect, qui m'étaient plus précieux que son amour. Cependant j'eus un sentiment de plaisir lorsque Quinette, étonnée de tout ce qui me passait par l'esprit, me dit, en me regardant de la tête aux pieds: «En vérité, Madame, je ne sais pas comment vous faites; vous n'avez qu'une simple robe blanche sans queue et sans panier; vous êtes malade et pâle comme la mort; vous n'avez pas seulement voulu mettre une mouche; eh bien! je veux mourir si je vous ai jamais vue aussi belle que ce soir. Je plains les hommes qui vous regarderont!

– Tu me crois donc bien sage, ma pauvre Quinette?

– Hélas! madame la marquise, je demande tous les jour au ciel de le devenir comme vous; mais jusqu'ici…

– Allons, ingénue, donne-moi mon mantelet et mon manchon.

A minuit j'étais à la maison de la rue de Valois. J'étais soigneusement voilée. Une espèce de valet de chambre vint me recevoir; c'était le seul hôte visible de cette mystérieuse demeure. Il me conduisit à travers les détours d'un sombre jardin jusqu'à un pavillon enseveli dans l'ombre et le silence. Après avoir déposé dans le vestibule sa lanterne de soie verte, il m'ouvrit la porte d'un appartement obscur et profond, me montra d'un geste respectueux et d'un air impassible le rayon de lumière qui arrivait du fond de l'enfilade, et me dit à voix basse, comme s'il eût craint d'éveiller les échos endormis: «Madame est seule, personne n'est encore arrivé. Madame trouvera dans le salon d'été une sonnette à laquelle je répondrai si elle a besoin de quelque chose.» Et il disparut comme par enchantement, en refermant la porte sur moi.

Il me prit une peur horrible; je craignis d'être tombée dans un guet-apens. Je le rappelai. Il parut aussitôt; son air solennellement bête me rassura. Je lui demandai quelle heure il était; je le savais fort bien: j'avais fait sonner plus de dix fois ma montre dans la voiture. «Il est minuit, répondit-il sans lever les yeux sur moi.» Je vis que c'était un homme parfaitement instruit des devoirs de sa charge. Je me décidai à pénétrer jusqu'au salon d'été, et je me convainquis de l'injustice de mes craintes en voyant toutes les portes qui donnaient sur le jardin fermées seulement par des portières de soie peinte à l'orientale. Rien n'était délicieux comme ce boudoir, qui n'était, à vrai dire, qu'un salon de musique, le plus honnête du monde. Les murs étaient de stuc blanc comme la neige, les cadres des glaces en argent mat; des instruments de musique, d'une richesse extraordinaire, étaient épars sur des meubles de velours blanc à glands de perles. Toute la lumière arrivait du haut, mais cachée par des feuilles d'albâtre, qui formaient comme un plafond à la rotonde. On aurait pu prendre cette clarté mate et douce pour celle de la lune. J'examinai avec curiosité, avec intérêt, cette retraite, à laquelle mes souvenirs ne pouvaient rien comparer. C'était et ce fut la seule fois de ma vie que je mis le pied dans une petite maison; mais soit que ce ne fût pas la pièce destinée à servir de temple aux galants mystères qui s'y célébraient, soit que Lélio en eût fait disparaître tout objet qui eût pu blesser ma vue et me faire souffrir de ma situation, ce lieu ne justifiait aucune des répugnances que j'avais senties en y entrant. Une seule statue de marbre blanc en décorait le milieu; elle était antique, et représentait Isis voilée, avec un doigt sur ses lèvres. Les glaces qui nous reflétaient, elle et moi, pâles et vêtues de blanc, et chastement drapées toutes deux, me faisaient illusion au point qu'il me fallait remuer pour distinguer sa forme de la mienne.

 

Tout d'un coup ce silence morne, effrayant et délicieux à la fois, fut interrompu; la porte du fond s'ouvrit et se referma; des pas légers firent doucement craquer les parquets. Je tombai sur un fauteuil, plus morte que vive; j'allais voir Lélio de près, hors du théâtre. Je fermai les yeux, et je lui dis intérieurement adieu avant de les rouvrir.

Mais quelle fut ma surprise! Lélio était beau comme les anges; il n'avait pas pris le temps d'ôter son costume de théâtre: c'était le plus élégant que je lui eusse vu. Sa taille, mince et souple, était serrée dans un pourpoint espagnol de satin blanc. Ses noeuds d'épaule et de jarretière étaient en ruban rouge-cerise; un court manteau, de même couleur, était jeté sur son épaule. Il avait une énorme fraise de point d'Angleterre, les cheveux courts et sans poudre; une toque ombragée de plumes blanches se balançait sur son front, où brillait une rosace de diamants. C'était dans ce costume qu'il venait de jouer le rôle de don Juan du Festin de Pierre. Jamais je ne l'avais vu aussi beau, aussi jeune, aussi poétique, que dans ce moment. Vélasquez se fût prosterné devant un tel modèle.

Il se mit à mes genoux. Je ne pus m'empêcher de lui tendre la main. Il avait l'air si craintif et si soumis! Un homme épris au point d'être timide devant une femme, c'était si rare dans ce temps-là! et un homme de trente-cinq ans, un comédien!

N'importe: il me sembla, il me semble encore qu'il était dans toute la fraîcheur de l'adolescence. Sous ces blancs habits, il ressemblait à un jeune page; son front avait toute la pureté, son coeur agité toute l'ardeur d'un premier amour. Il prit mes mains et les couvrit de baisers dévorants. Alors je devins folle; j'attirai sa tête sur mes genoux; je caressai son front brûlant, ses cheveux rudes et noirs, son cou brun, qui se perdait dans la molle blancheur de sa collerette, et Lélio ne s'enhardit point. Tous ses transports se concentrèrent dans son coeur; il se mit à pleurer comme une femme. Je fus inondée de ses sanglots.