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Histoire du véritable Gribouille

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SECONDE PARTIE.
COMMENT GRIBOUILLE SE JETA DANS LE FEU PAR CRAINTE D'ÊTRE BRÛLÉ

Lorsque Gribouille eut fait environ deux cents lieues à la nage, il se sentit un peu fatigué et il eut faim, quoiqu'il eût fait tout ce chemin en moins de deux heures. Il y avait longtemps qu'il ne descendait plus le cours du ruisseau et qu'il naviguait en pleine mer sans s'en apercevoir, car il lui semblait rêver et ne pas bien savoir ce qui se passait autour de lui. Il ne voyait plus la demoiselle bleue; il est à croire qu'elle l'avait quitté lorsque le ruisseau s'était jeté dans une rivière, laquelle rivière s'était jetée dans un fleuve, lequel fleuve avait conduit Gribouille jusqu'à la mer.

Gribouille, revenant à lui-même, fit un effort pour se reconnaître et ne se trouva plus figure humaine: il n'avait plus, en guise de pieds et de mains, que des feuilles vertes toutes mouillées; son corps était en bois couvert de mousse, sa tête était un gros gland d'Espagne sucré, du moins Gribouille le pensait, car il sentait comme un goût de sucre dans la bouche qu'il n'avait plus. Il fut étonné de se voir dans cet état et de reconnaître que son voyage l'avait changé en une branche de chêne qui flottait sur l'eau. Les gros poissons qu'il rencontrait par milliers le flairaient en passant, puis détournaient la tête d'un air de dégoût. Les oiseaux de mer s'abattaient jusque sur lui pour l'avaler, mais, dès qu'ils l'avaient regardé de près, ils s'en allaient plus loin, pensant que ce n'était point un plat de leur cuisine. Enfin il vint un grand aigle qui le prit assez délicatement dans son bec et qui l'emporta à travers les airs.

Gribouille eut un peu peur de se voir si haut, mais il sentit bientôt qu'en le séchant l'air lui donnait de la force et de la nourriture, car sa faim le quitta, et il se fût trouvé fort à l'aise si les projets de l'aigle à son égard ne lui eussent donné quelque inquiétude.

Cependant, comme il continuait à penser et à raisonner sous sa forme de branche, il se dit bientôt: Je suis près de terre, puisque l'aigle, qui n'est pas un oiseau marin, est venu me chercher dans les eaux; il m'emporte, et ce n'est pas pour me manger, car il aime la chair et non pas les glands; il veut donc faire de moi une broussaille pour son nid, et bientôt sans doute je vais me trouver sur le faîte d'un arbre ou d'un rocher.

Gribouille raisonnait fort bien. Il vit bientôt le rivage et une grande île déserte où il n'y avait que des arbres, de l'herbe et des fleurs qui brillaient au soleil et embaumaient l'air à vingt lieues à la ronde.

L'aigle le déposa dans son aire et partit pour aller chercher quelqu'autre broussaille. Gribouille, se voyant seul, avait bien envie de s'en aller; mais comment faire, puisqu'il n'avait plus ni pieds ni jambes? Au moins, disait-il, quand j'étais sur l'eau, l'eau me poussait et me faisait avancer; à présent, que deviendrai-je? je m'en vais certainement me faner, me dessécher et mourir, puisque je suis une branche coupée et jetée aux vents.

Gribouille versa quelques larmes, mais il reprit courage en songeant que les fées ou les bons génies l'avaient protégé contre les assauts de l'affreux bourdon, et que, sans doute, ils lui avaient fait subir cette métamorphose pour le préserver de ses poursuites. Il aurait bien voulu les invoquer encore, et surtout revoir près de lui la demoiselle bleue qui lui avait parlé sur le ruisseau; mais il était aussi muet qu'une souche, et il ne pouvait pas faire de lui-même le plus petit mouvement.

Mais voilà que tout d'un coup s'éleva un furieux coup de vent qui bouleversa le nid de l'aigle et transporta Gribouille au beau milieu de l'île.

Il n'eut pas plutôt touché la terre qu'il vit s'agiter autour de lui toutes les herbes et toutes les fleurs; et un beau narcisse blanc, au pied duquel il s'était trouvé retenu, se pencha, l'embrassa sur la joue, et lui dit: – Te voilà donc enfin, mon cher Gribouille? il y a bien longtemps que nous t'attendons. Une marguerite se prit à rire et dit:

– Vraiment, nous allons bien nous amuser, à présent que le bon Gribouille sera des nôtres; et une folle avoine s'écria: – Je suis d'avis que nous donnions un grand bal pour fêter l'arrivée de Gribouille. – Patience! reprit le narcisse, qui avait l'air plus raisonnable que les autres, vous ne pourrez rien pour Gribouille tant que la reine ne l'aura pas embrassé.

– C'est juste, répondirent les autres plantes; faisons un somme en attendant; mais prenons garde que le vent, qui est en belle humeur aujourd'hui, ne nous enlève Gribouille. Enlaçons-nous autour de notre ami.

Alors le narcisse étendit sur la tête de Gribouille une de ses grandes feuilles, en lui disant: – Dors, Gribouille, voilà un parasol que je te prête. Cinq ou six primevères se couchèrent sur ses pieds, une troupe de jeunes muguets vint s'asseoir sur sa poitrine, et une douzaine d'aimables pervenches se roulèrent autour de lui et l'enlacèrent si adroitement, que le plus méchant vent du monde n'eût pu l'emporter.

Gribouille, ranimé par la bonne odeur de ces plantes affables, par la fraîcheur de l'herbe et le doux ombrage du narcisse, goûta un sommeil délicieux, tandis que les muguets lui faisaient tout doucement cent petits contes à dormir debout, et que les pâquerettes chantonnaient des chansonnettes qui n'avaient ni rime ni raison, mais qui procuraient des rêves fort agréables.

Enfin Gribouille fut réveillé par des voix plus hautes. On chantait et on dansait autour de lui: tout le monde paraissait ivre de joie; les liserons s'agitaient comme des cloches à toute volée, les graminées jouaient des castagnettes, les muguets faisaient mille courbettes et révérences, et le grave narcisse lui-même chantait à tue-tête, tandis que les pâquerettes riaient à gorge déployée.

– Enfants sans cervelle, dit alors d'un ton maternel une très-douce voix, n'avez-vous pas une bonne nouvelle à m'apprendre, ce matin?

Aussitôt des millions de voix crièrent ensemble: Gribouille! Gribouille! Gribouille! Et, s'écartant comme un rideau, toutes les plantes découvrirent aux yeux charmés de Gribouille le doux visage de la reine.

C'était la Reine des prés, cette belle fleur élégante, menue et embaumée qui vient au printemps et qui aime les endroits frais.

– Lève-toi, mon cher Gribouille, dit-elle, viens embrasser ta marraine.

Aussitôt Gribouille sentit qu'il retrouvait ses pieds, ses bras, ses mains, son visage et toute sa personne. Il se leva bien lestement, et toute la prairie fit un cri de joie à l'apparition du véritable Gribouille. La reine daigna dépouiller son déguisement et elle se montra sous sa figure naturelle, qui était celle d'une fée plus belle que le jour, plus fraîche que le mois de mai, et plus blanche que la neige; seulement elle conservait sa couronne de fleurs de reine des prés, qui, en se mêlant à ses cheveux blonds, semblait plus belle qu'une couronne de grappes de perles fines.

– Allons, mes enfants, dit-elle, levez-vous aussi, et que les yeux dessillés de Gribouille vous voient tels que vous êtes.

Il y eut un moment d'hésitation, et le Narcisse prenant la parole: – Chère reine, dit-il, tu sais bien que, pour nous faire paraître dans toute notre beauté, il nous faut un de tes divins sourires, et tu es si occupée de l'arrivée de Gribouille, que tu ne songes pas à nous l'adresser.

La reine sourit tout naturellement à ce reproche, et Gribouille, sur qui ce sourire passa aussi comme un éclair, éprouva un mouvement de joie mystérieuse si subit, qu'il en pensa mourir de joie. Toute la prairie en ressentit l'effet; on eût dit que le rayon d'un soleil mille fois plus clair et plus doux que celui qui éclaire les hommes avait ranimé et transformé toutes les choses vivantes. Toutes les fleurs, toutes les herbes, tous les arbustes de l'île devinrent autant de sylphes, de petites fées, de beaux génies qui parurent, les uns sous les traits d'enfants beaux comme les amours, de filles charmantes, de jeunes gens enjoués et raisonnables, les autres sous la figure de superbes dames, de nobles vieillards et d'hommes d'un aspect franc, libre, aimant et fort. Enfin tout ce monde-là était beau et agréable à voir, les vieux comme les jeunes, les petits comme les grands. Tous étaient vêtus des tissus les plus fins, les uns éclatants, les autres aussi doux à regarder que les couleurs des plantes dont ils avaient adopté le nom et les emblèmes. Les enfants faisaient mille charmantes folies, les gens graves les regardaient avec tendresse et protégeaient leurs ébats. Les jeunes personnes dansaient et chantaient, et charmaient par leur grâce et leur modestie. Tous et toutes s'appelaient frères et sœurs et se chérissaient comme les enfants de la même mère, et cette mère était la reine des prés, éternellement jeune et belle, qui ne commandait que par ses sourires et ne gouvernait que par sa tendresse.

Elle prit Gribouille par la main et le promena au milieu des groupes nombreux qui s'étaient formés dans la prairie, puis, quand tout le monde l'eut choyé et caressé, elle lui dit:

– Va et sois libre; amuse-toi, sois heureux: cette fête ne sera pas longue: car j'ai beaucoup d'affaires. Elle ne durera que cent ans, profites-en pour t'instruire de notre science magique. Ici l'on fait les choses vite et bien. Après la fête, je causerai avec toi et je te dirai ce que tu dois savoir pour être un magicien parfait.

– Soit, ma chère marraine, puisque vous l'êtes, dit Gribouille, je me sens en vous une telle confiance que je veux tout ce que vous voudrez. Mais qui fera mon éducation, ici?

– Tout le monde, dit la reine, tout le monde est aussi savant que moi, puisque j'ai donné à tous mes enfants ma sagesse et ma science.

– Est-ce donc que vous allez nous quitter pendant ces cent ans? dit Gribouille, j'en mourrais de regret, car je vous aime de tout l'amour que j'aurais eu pour ma mère si elle l'eût permis.

 

– Je ne te quitterai pas, pour un si court moment que j'ai à passer près de toi et de mes autres enfants, dit la reine. Je reste au milieu de vous; tu me verras toujours, tu pourras toujours venir près de moi pour me parler et me questionner; mais tu vois, tes frères et tes sœurs sont impatients de te réjouir et de te fêter. N'y sois pas insensible, car toute cette joie, tout ce bonheur dont tu les vois enivrés, se changeraient en tristesse et en larmes si tu ne les aimais pas comme ils t'aiment.

– A Dieu ne plaise! s'écria Gribouille. Et il s'élança au milieu de la fête.

Gribouille ne se demanda pas pourquoi tout ce monde si bon, si beau et si heureux avait tant d'amitié pour un pauvre petit étranger comme lui, sorti du monde des méchants. Il ne se permit pas de douter que la chose fût vraie et certaine. Il sentit tout d'un coup que c'est si doux d'être aimé, qu'il faut vite en faire autant et ne point se tourmenter d'autre chose au monde.

La fête fut belle et le temps ne cessa pas d'être magnifique. Il y eut pourtant quelquefois de la pluie, mais une pluie tiède qui sentait l'eau de rose, l'eau de violette, de tubéreuse, de réséda, enfin toutes les meilleures senteurs du monde, et on avait autant de plaisir à sentir tomber cette pluie qu'à la sentir sécher dans les cheveux aux rayons d'un bon soleil qui se dépêchait de la boire. Il y eut aussi de l'orage, du vent et du tonnerre, et c'était un bien beau spectacle auquel on assistait sans rien payer. Il y avait des grottes immenses où l'on se mettait à l'abri pour regarder la mer en fureur, le ciel en feu, et pour entendre les chants extraordinaires et sublimes que le vent faisait dans les arbres et dans les rochers. Personne n'avait peur, pas même les petits sylphes et les jeunes farfadets. Ils savaient qu'aucun mal ne pouvait les atteindre. Quelquefois les ruisseaux gonflés par l'orage devenaient des torrents; c'était une joie, un tumulte parmi les enfants et les jeunes filles à qui les franchirait: et quand on tombait dedans, on riait plus fort, car rien ne faisait mourir dans ce pays-là, on n'y était même jamais malade. Il arrivait pourtant quelquefois des accidents. Les sylphes étourdis tombaient du haut des arbres, ou les jeunes filles se piquaient les doigts aux rosiers et aux acacias. Les jeunes gens, en exerçant leurs forces, faisaient quelquefois, par mégarde, rouler un rocher sur de graves vieillards qui causaient sans méfiance à quelques pas de là. Mais aussitôt qu'on voyait une blessure, qu'elle fût grande ou petite, la moindre goutte de sang faisait accourir tout le monde; on s'empressait à qui verserait la première larme sur cette plaie, et aussitôt elle était guérie par enchantement. Mais cela causait un moment de douleur générale, car tout le monde souffrait à la fois du mal que ressentait le blessé. La reine alors arrivait bien vite, bien vite; elle souriait, et, comme le blessé était déjà guéri, tout le monde était consolé et transporté d'une joie nouvelle à cause du sourire de la reine.

On ne vivait, dans ce pays-là, que de fruits, de graines et du suc des fleurs; mais on les apprêtait si merveilleusement, leurs mélanges étaient si bien diversifiés, qu'on ne savait lequel de ces plats exquis préférer aux autres. Tout le monde préparait, servait et mangeait le repas. On ne choisissait point les convives; qu'ils fussent jeunes ou vieux, gais ou sérieux, ils étaient tous parfaitement agréables. On riait avec les uns à en mourir, on admirait la sagesse ou l'esprit des autres. Quand même on devenait grave avec les sages, on ne s'ennuyait jamais, parce qu'ils disaient gracieusement toutes choses, et c'était toujours par amitié pour les autres qu'ils parlaient. Les nuits étaient aussi belles que les jours; on dormait où l'on se trouvait, sur la mousse, sur le gazon, dans les grottes qui étaient illuminées par plus de cent milliards de vers luisants. Si on ne voulait pas dormir, à cause de la beauté de la lune, on se promenait sur l'eau, dans les forêts, sur les montagnes, et on trouvait toujours à qui causer, car partout on pouvait rejoindre des groupes qui faisaient de la musique ou qui célébraient la beauté de la nature et le bonheur de s'aimer.

Enfin les cent ans s'écoulèrent comme un jour, et quand, à la fin de la centième journée, la reine vint prendre Gribouille par la main, il fut fort étonné, car il croyait être à la fin de la première.

– Mon cher enfant, lui dit-elle, j'ai à te parler; la fête va finir, viens avec moi.

Elle monta avec Gribouille sur le sommet le plus élevé de l'île et lui fit admirer la beauté de la contrée des fleurs, où dansait et chantait encore, aux premiers rayons des étoiles, cette race heureuse et charmante dont elle était la mère.

– Hélas! dit Gribouille, saisi pour la première fois depuis cent ans d'une profonde tristesse, vais-je donc quitter tous ces amis? vais-je redevenir branche de chêne? vais-je donc retourner dans le pays où règnent les abeilles avares et les bourdons voleurs? Ma chère marraine, ne m'abandonnez pas, ne me renvoyez pas; je ne puis vivre ailleurs qu'ici, et je mourrai de chagrin loin de vous.

– Je ne t'abandonnerai jamais, Gribouille, dit la reine, et tu resteras avec nous si tu veux; mais écoute ce que j'ai à te dire, et tu verras ce que tu as à faire:

«Le pays où tu es né, et qui aujourd'hui a pris définitivement le nom de royaume des bourdons, parce que M. Bourdon y a été nommé roi, était, avant ta naissance, un pays comme les autres, mêlé de bien et de mal, de bonnes et de mauvaises gens. Tes parents n'étaient pas des meilleurs, leurs enfants leur ressemblaient. Tu vins le dernier, et, par un bonheur extraordinaire, je vins à passer au moment de ta naissance dans la forêt où demeurait ton père. Ta mère était au lit, ton père t'examinait et te trouvait plus chétif que ses autres enfants: – Ma foi, disait-il d'une voix grondeuse sur le seuil de sa porte, voilà un marmot qui me coûtera plus qu'il ne me rapportera. Je ne sais à quoi a pensé ma femme de me donner un fils si petit et si vilain; si je ne craignais de la fâcher, je le ferais noyer comme un petit chat.

«Je passais alors sur le ruisseau, sous la forme d'une demoiselle bleue, déguisement que je suis forcée de prendre quand je crains la rencontre du roi des bourdons. Je savais bien que ton père ne te ferait pas mourir, mais je compris qu'il n'était point bon et qu'il ne t'aimerait guère. Je ne pouvais empêcher ce malheur, mais le besoin que j'ai de faire toujours du bien là où je passe, me donna l'idée de t'adopter pour mon filleul et de te douer de douceur et de bonté, ce qui, à mes yeux, était le plus beau présent que je pusse te faire.

«T'ayant donné un baiser en passant et en t'effleurant de mon aile, je poursuivis mon voyage, car j'étais en mission auprès de la reine des fées, et mon premier soin, en arrivant auprès d'elle, fut de lui demander la permission de te rendre heureux. Elle me l'accorda tout d'abord; mais bientôt nous vîmes arriver le roi des bourdons, qui se fâcha contre elle, contre moi, et fit beaucoup de menaces, disant que ton pays lui avait été promis, et que nul que lui n'avait droit et pouvoir sur le moindre de ses habitants.

«Il faut que tu saches que, d'après nos lois, une partie grande ou petite de la terre est assignée pour demeure à chacune des races d'esprits supérieurs, bons ou méchants, qui peuplent le monde des fées et des génies; mais ce droit est limité à un certain nombre de siècles ou d'années, et ensuite nous changeons de résidence, afin que la même portion de la terre ne reste pas éternellement méchante et malheureuse. De là vient qu'on voit des nations florissantes tomber dans la barbarie, et des nations barbares devenir florissantes, selon que nos bonnes ou mauvaises influences règnent sur elles.

«La reine des fées est aussi juste qu'elle peut l'être, ayant affaire à tant de méchants esprits contre lesquels les bons sont forcés d'être en guerre depuis le commencement du monde; mais il est écrit dans le grand livre des fées que les méchants esprits, enfants des ténèbres, finiront par se corriger, et que la reine ne doit ni les exterminer, ni les priver des moyens de s'amender. Elle est donc forcée d'écouter leurs promesses, de croire quelquefois à leur repentir, et de leur permettre de recommencer de nouvelles épreuves. Quand ils ont abusé de sa patience et de sa bonté, elle les châtie en les forçant de vivre, des années ou des centaines d'années, sous la forme de certaines plantes et de certains animaux. C'est une faculté que nous avons tous de nous transformer ainsi à volonté; mais, quand nous subissons cette métamorphose par punition, nous ne sommes plus libres de quitter la forme que l'on nous impose, tant que la reine ne révoque point son arrêt.

– Je suis bien sûr, dit Gribouille, que jamais vous n'avez été punie de la sorte.

– Il est vrai, répondit modestement la reine des prés; mais, pour en revenir à ton histoire, tu sauras qu'à cette époque le roi des bourdons, qui avait gouverné ton pays environ quatre cents ans auparavant, et qui l'avait affreusement dévasté et maltraité, subissait depuis ce temps-là un châtiment infâme. Il était simple bourdon, une vraie bête brute, condamnée à ramper, à dérober, à bourdonner sur un vieux chêne de la forêt qu'il avait jadis planté de sa propre main, lorsqu'il était le maître et le tyran de la contrée.

– Comment, dit Gribouille, un génie peut-il exister sous cette forme vile, et vivre pendant des siècles de la vie des bêtes?

– Cela arrive tous les jours, répondit la fée. Rien ne le distingue des autres bêtes, si ce n'est le sentiment de sa misère, de sa honte et de sa déplorable immortalité. Le roi des bourdons était ainsi transformé depuis trois cent quatre-vingt-huit ans, lorsque tu vins au monde. Ces trois cent quatre-vingt-huit ans te paraissent bien longs; mais, dans la vie des êtres immortels, c'est peu de chose, et la punition n'était pas bien dure.