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Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4)

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Suit l'inventaire détaillé portant toujours la désignation des pièces et bijoux armoriés, car c'était là un des principaux griefs, comme chacun sait.........

«Et de suitte le citoyen Amonin est arrivé et l'avons sommé de rester avec nous pour être présent de la suitte du procès-verbal.

«Et, de suitte, avons sommé le dit Amonin de nous déclarer le contenu d'un paquet de papiers enveloppé dans un linge blanc et sur lequel il y avait un cachet.

«Et de suitte, nous avons fait lecture de différentes lettres à l'adresse du citoyen de Villiers, employé à l'assemblée nationale constituante, le quel citoyen de Villiers, dénommé comme présent au procès-verbal en l'absence du citoyen Amonin, nous a déclaré lui appartenir ainsi que la correspondance que nous avons trouvée enveloppée dans le linge blanc et le dit citoyen Amonin nous a déclaré ne pas sçavoir qu'ils étaient là, et n'en pas avoir connaissance dont le citoyen de Villiers est convenu. De suite avons interpellé le citoyen Amonin de nous déclarer depuis quand la ditte argenterie et bijoux étaient enfouis, a répondu qu'ils y étaient à l'époque de la fuite du cidevant roy pour Varenne.

«A lui demandé si la ditte argenterie et bijoux lui appartenaient, a répondu qu'une partie lui appartenait, et l'autre partie à la citoyenne Dupin demeurant au premier au-dessous de lui.

«De suitte avons fait comparaitre la citoyenne Dupin à l'effet de nous remettre la notte de l'argenterie qui se trouvait enfouie chez le sieur Amonin, ce que la citoyenne a fait à l'instant... Et de suitte nous avons passé à la vérification des lettres et de leur contenu, en présence toujours du citoyen Villiers, lesquelles lettres vériffiées avons trouvé des copies de lettres de noblesse et armoiries que nous avons mis sous les scellés par un cachet en cœur barré, et un cachet formant la clef de montre d'un dit commissaire, le tout enfermé dans une feuille de papier blanc, pour les dites lettres être examinées par le comité de sureté générale pour par eux en être ordonné ce qu'il appartiendra. Et de suitte avons saisi comme il appert par le présent procès-verbal toutes les dittes argenteries et bijoux, pour aux termes de la loi en être ordonné ce qu'il appartiendra, et avons clos le présent procès-verbal le six frimaire à deux heures.»

D'où résulte que ces perquisitions s'opéraient particulièrement la nuit et comme par surprise, car ce procès-verbal est commencé le 5 et terminé le 6, à deux heures du matin. Séance tenante, les commissaires décretent d'arrestation M. de Villiers, dont le délit leur paraît apparemment le plus considérable, et ne statuent rien sur Mme Dupin ni sur M. Amonin son complice, sinon que les scellés sont apposés sur les malles, coffres et boîtes de bijoux et d'argenterie, «pour être, dans le jour, transportés à la Convention nationale, et laissés en attendant sous la garde et responsabilité du citoyen Leblanc, caporal, pour être par lui représentés sains et entiers à la première réquisition, et a déclaré ne savoir signer».

Il paraît qu'on ne s'émut pas beaucoup d'abord de l'événement dans la maison, ou qu'on crut le danger passé; à vrai dire, la confiscation faite, avec espoir de restitution (car on prenait avec soin la note des objets saisis, et une bonne partie fut rendue intacte, ainsi qu'il paraît dans des notes de la main de Deschartres aux marges de l'inventaire contenu dans le procès-verbal), le délit d'enfouissement n'était pas bien constaté de la part de Mme Dupin. Elle avait confié ou prêté les objets saisis à M. Amonin, qui avait jugé à propos de les cacher. Tel était son système de défense, et l'on ne croyait pas encore alors que les choses en viendraient au point où il n'y aurait pas de défense possible. Le fait est qu'on eut l'imprudence de laisser les dangereux papiers dont j'ai parlé plus haut dans un meuble du second entresol, dont il va être question tout à l'heure.

Le 13 frimaire, c'est-à-dire sept jours après la première perquisition chez Amonin, seconde descente dans la même maison, et cette fois dans l'appartement de ma grand'mère décrétée d'arrestation. Nouveau procès-verbal plus laconique et moins fleuri que le premier.

«Le treizième de frimaire, l'an second de la république française une et indivisible, nous, membres du comité de surveillance de la section de Bondy, en vertüe de la loy et d'une arretté dudit comitté, en datte du onze frimaire, portant que les scellées serons apposé chez Marie Orrore, veuve Dupin: et la ditte citoyenne mise en état d'arrestations. A cette effet, nous nous sommes transportés dans son domicile rüe St-Nicolas no 12. Sommes monté au 1er étage, la porte à gauche, i étant avont fait part à la ditte de notre missions, et avons apposées les scellées sur les croisées et porte du dit appartement, ainsi que sur la porte d'entrée donnans sur les caillée au nombre de dix: lesquelles scellées avons laissée à la garde de Charles Froc, portier de la ditte maison, qui les a reconnue après lecture à lui donné.

«Et de suite, nous sommes transportés en la porte en face, sur le dit paillée occupée par le citoyen Maurice François Dupin, fils de la dite veuve Dupin, et par le citoyen Deschartre instituteur. Aprais vériffications faite des papiers desdits citoyen, nous n'avons rien trouvé contraire aux intérest de la republique, etc.»

Voilà donc ma grand'mère arrêtée et Deschartres chargé de son salut: car, au moment d'être emmenée aux Anglaises, elle avait eu le temps de lui dire où étaient ces maudits papiers dont elle avait négligé de se défaire. Elle avait, en outre, une foule de lettres qui attestaient ses relations avec des émigrés, relations fort innocences à coup sûr, de sa part, mais qui pouvaient lui être imputées à crime d'Etat et à trahison envers la république.

Le dernier procès-verbal que j'ai cité, et Dieu sait avec quel mépris et quelle indignation le puriste Deschartres traitait dans son ame des actes rédigés en si mauvais français, ce procès-verbal, dont chaque faute d'orthographe lui donnait la chair de poule, ne constate pas l'existence d'un petit entresol situé au-dessus du premier et qui dépendait de l'appartement de ma grand'mère. On y montait par un escalier dérobé qui partait d'un cabinet de toilette.

Les scellés avaient été apposés sur les portes et sur les fenêtres de cet entresol, et c'est là qu'il fallait aller chercher les papiers. Donc, il fallait rompre trois scellés avant d'y entrer: celui de la porte du premier donnant sur l'escalier de la maison, celui de la porte du cabinet de toilette ouvrant sur l'escalier dérobé, et celui de la porte de l'entresol au haut de ce même escalier. La loge du citoyen portier, républicain très farouche, était située positivement au-dessous de l'appartement de ma grand'mère, et le caporal Leblanc, citoyen incorruptible, préposé à la garde des scellés du second étage, couchait sur un lit de sangle dans un cabinet voisin de l'appartement de M. Amonin, c'est-à-dire positivement au-dessus de l'entresol. Il était là, armé jusqu'aux dents, ayant consigne de faire feu sur quiconque s'introduirait dans l'un ou l'autre appartement. Et le citoyen Froc, qui, bien que portier, avait le sommeil fort léger, disposait d'une sonnette placée ad hoc à la fenêtre du caporal, et dont il n'avait qu'à tirer la corde pour le réveiller en cas d'alarme.

L'entreprise était donc insensée de la part d'un homme qui n'avait pas, dans l'art de crocheter les portes et de s'introduire sans bruit, les hautes connaissances qu'à force d'études spéciales et sérieuses acquièrent MM. les voleurs. Mais le dévouement fait des miracles. Deschartres se munit de tout ce qui était nécessaire, et attendit que tout le monde fût couché. Il était déjà deux heures du matin quand la maison fut silencieuse. Alors il se lève, s'habille sans bruit, emplit ses poches de tous les instrumens qu'il s'est procurés, non sans danger. Il enlève le premier scellé, puis le second, puis le troisième. Le voilà à l'entresol, il s'agit d'ouvrir un meuble en marqueterie qui sert de casier et de dépouiller vingt-neuf cartons remplis de papiers; car ma grand'mère n'a pas su dire où sont ceux qui la compromettent.

Il ne se décourage pas: le voilà examinant, triant, brûlant. Trois heures sonnent, rien ne bouge... mais si! des pas légers font crier faiblement le parquet dans le salon du premier, c'est peut-être Nérina, la chienne favorite de la prisonnière, qui couche auprès du lit de Deschartres et qui l'aura suivi. Car force lui a été, à tout événement, de laisser les portes ouvertes derrière lui; c'est le portier qui a les clés, et Deschartres s'est introduit à l'aide d'un rossignol.

Quand on écoute attentivement avec le cœur qui bondit dans la poitrine et le sang qui vous tinte dans les oreilles, il y a un moment où l'on n'entend plus rien. Le pauvre Deschartres reste pétrifié, immobile; car, ou l'on monte l'escalier de l'entresol, ou il a le cauchemar; et ce n'est pas Nérina, ce sont des pas humains. On approche avec précaution; Deschartres s'était muni d'un pistolet, il l'arme, il va droit à la porte du petit escalier... mais il laisse retomber son bras déjà élevé à hauteur d'homme, car celui qui vient le rejoindre, c'est mon père, c'est Maurice, son élève chéri.

L'enfant, auquel il a vainement caché son projet, l'a deviné, épié; il vient l'aider. Deschartres, épouvanté de lui voir partager un péril effroyable, veut parler, le renvoyer. Maurice lui pose sa main sur la bouche. Deschartres comprend que le moindre bruit, un mot échangé, peuvent les perdre l'un et l'autre, et la contenance de l'enfant lui prouve bien d'ailleurs qu'il ne cédera pas.

Alors tous deux, dans le plus complet silence, se mettent à l'œuvre. L'examen des papiers continue et marche rapidement; on brûle à mesure; mais quoi! quatre heures sonnent: il faudra plus d'une heure pour refermer les portes et replacer les scellés. La moitié de la besogne n'est pas faite, et à cinq heures le citoyen Leblanc est invariablement debout.

 

Il n'y a pas à hésiter. Maurice fait comprendre à son ami, par signes, qu'il faudra revenir la nuit suivante. D'ailleurs cette malheureuse petite Nérina, qu'il a eu soin d'enfermer dans sa chambre, et qui s'ennuie d'être seule, commence à gémir et à hurler. On referme tout, on laisse les scellés brisés dans l'intérieur, et on se contente de réparer celui de l'entrée principale qui donne sur le grand escalier. Mon père tient la bougie et présente la cire. Deschartres, qui a pris l'empreinte des cachets, se tire de l'opération avec la prestesse et la dextérité d'un homme qui a fait des opérations chirurgicales autrement délicates. Ils rentrent chez eux et se recouchent tranquilles pour eux-mêmes, mais non pas rassurés sur le succès de leur entreprise; car on peut venir dans la journée pour lever les scellés à l'improviste, et tout est resté en désordre dans l'appartement. D'ailleurs les principales pièces de culpabilité n'ont pas encore été retrouvées et anéanties.

Heureusement cette terrible journée d'attente s'écoula sans catastrophe. Mon père porta Nérina chez un ami, Deschartres acheta pour mon père des pantoufles de lisière, graissa les portes de leur appartement, mit en ordre ses instrumens, et n'essaya pas de changer l'héroïque résolution de son élève. Lorsqu'il me racontait cette histoire, vingt-cinq ans plus tard: «Je savais bien, disait-il, que si nous étions surpris, Mme Dupin ne me pardonnerait jamais d'avoir laissé son fils se précipiter dans un pareil danger: mais avais-je le droit d'empêcher un bon fils d'exposer sa vie pour sauver celle de sa mère? Cela eût été contraire à tout principe de saine éducation, et j'étais gouverneur avant tout».

La nuit suivante ils eurent plus de temps. Les gardiens se couchèrent de meilleure heure: ils purent commencer leurs opérations une heure plus tôt. Les papiers furent retrouvés et réduits en cendre, puis on rassembla ces cendres légères dans une boîte que l'on referma avec soin et que l'on emporta pour la faire disparaître le lendemain. Tous les cartons visités et purgés, on brisa plusieurs bijoux et cachets armoriés: on enleva même des écussons sur la couverture des livres de luxe. Enfin, la besogne terminée, tous les scellés furent replacés, les empreintes restituées en perfection; les bandes de papier reparurent intactes, les portes furent refermées sans bruit, et les deux complices, après avoir accompli une action généreuse avec tout le mystère et toute l'émotion qui accompagnent la perpétration des crimes, se retirèrent dans leur appartement à l'heure voulue. Là, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, et, sans se rien dire, mêlèrent des larmes de joie. Ils croyaient avoir sauvé ma grand'mère; mais ils devaient vivre encore longtemps sous le coup de l'épouvante; car sa détention se prolongea jusqu'après la catastrophe du 9 thermidor, et, jusque-là, les tribunaux révolutionnaires devinrent chaque jour plus ombrageux et plus terribles.

Le 16 nivose, c'est-à-dire environ un mois après, Mme Dupin fut extraite de la maison d'arrêt et amenée dans son appartement sous la garde du citoyen Philidor, commissaire fort humain et qui se montra de plus en plus disposé en sa faveur. Le procès-verbal, rédigé sous ses yeux et signé de lui, atteste que les scellés furent retrouvés intacts. Le citoyen portier n'y eût pas mis de complaisance, donc il est à croire qu'aucun indice ne trahit l'effraction.

Que je dise en passant, car je ne veux point oublier cela, que le brave Deschartres ne m'a jamais raconté cette histoire que pressé par mes questions; et encore la racontait-il assez mal, et n'ai-je jamais bien su les détails que par ma grand'mère. Pourtant je n'ai jamais connu de narrateur plus prolixe, plus pointilleux, plus pédant, plus vain de son rôle dans les petites choses, et plus complaisant à se faire écouter que cet honnête homme. Il ne se faisait point faute de raconter chaque soir une série d'anecdotes et de traits de sa vie que je connaissais si bien, que je le reprenais quand il se trompait d'un mot. Mais il était comme ceux de sa trempe, qui ne savent point par où ils sont grands: et, quand il s'agissait de montrer les côtés héroïques de son caractère, lui qui avait pour des puérilités des prétentions vraiment burlesques, il était aussi naïf qu'un enfant, aussi humble qu'un vrai chrétien.

Ma grand'mère n'avait été extraite de la prison que pour assister à la levée des scellés et à l'examen de ses papiers. On n'y trouva, bien entendu, rien de contraire aux intérêts de la république, bien que cet examen durât neuf heures. Ce fut un jour de joie pour elle et pour son fils, parce qu'ils purent le passer ensemble. Leur mutuelle tendresse toucha beaucoup les commissaires, et surtout Philidor, lequel Philidor était, si j'ai bonne mémoire, un ex-perruquier, très bon patriote et honnête homme. Il prit surtout mon père en grande amitié et ne cessa de faire des démarches pour que ma grand'mère fût mise en jugement, avec l'espoir qu'elle serait acquittée. Mais ses démarches n'eurent de succès qu'à l'époque de la réaction.

Le soir du 16 nivose, il reconduisit sa prisonnière aux Anglaises, et elle y resta jusqu'au 4 fructidor (22 août 1794). Pendant quelque temps, mon père put voir sa mère un instant chaque jour au parloir des Anglaises. Il attendait ce bienheureux instant dans le cloître, par un froid glacial, et Dieu sait qu'il fait froid dans ce cloître, que j'ai arpenté dans tous les sens durant trois ans de ma vie, car j'ai été élevée dans ce même couvent. Il l'attendait souvent durant plusieurs heures, vu que, dans les commencemens surtout, les consignes changeaient chaque jour selon le caprice des concierges, et peut-être suivant le vœu du gouvernement révolutionnaire, qui craignait les communications trop fréquentes et trop faciles entre les détenus et leurs parens. En d'autres temps, l'enfant mince et débile eût pris là une fluxion de poitrine. Mais les vives émotions nous font une autre santé, une autre organisation. Il n'eut pas seulement un rhume, et apprit bien vite à ne plus s'écouter, à ne plus se plaindre à sa mère de ses petites souffrances et de ses moindres contrariétés, comme il avait eu coutume de le faire. Il devint tout d'un coup ce qu'il devait être toujours, et l'enfant gâté disparut pour ne plus reparaître. Lorsqu'il voyait arriver à la grille sa pauvre mère toute pâle, toute effrayée du temps qu'il avait passé à l'attendre, toute prête à fondre en larmes en touchant ses mains froides, et à le conjurer de ne plus venir plutôt que de s'exposer à ces souffrances, il était honteux de la mollesse dans laquelle il s'était laissé bercer; il se reprochait d'avoir consenti à ce développement extrême de sollicitude, et, connaissant enfin par lui-même ce que c'est que de trembler et de souffrir pour ce qu'on aime, il niait qu'il eût attendu, il assurait qu'il n'avait pas eu froid, et, par un effort de sa volonté, il arrivait réellement à ne plus sentir le froid.

Ses études étaient bien interrompues; il n'était plus question de maîtres de musique, de danse et d'escrime. Le bon Deschartres lui-même, qui aimait tant à enseigner, n'avait pas plus le cœur à donner ses leçons que l'élève à les prendre; mais cette éducation-là en valait bien une autre, et le temps qui formait le cœur et la conscience de l'homme n'était pas perdu pour l'enfant.

CHAPITRE QUATRIEME

Sophie-Victoire-Antoinette Delaborde. — La mère Cloquart et ses filles à l'hôtel de ville. — Le couvent des Anglaises. — Sur l'adolescence. — En dehors de l'histoire officielle, il y une histoire intime des nations. — Recueil de lettres sous la Terreur.

Je suspendrai un instant ici l'histoire de ma lignée paternelle pour introduire un nouveau personnage qu'un étrange rapprochement place dans la même prison à la même époque.

J'ai parlé d'Antoine Delaborde, le maître paulmier et le maître oiselier; c'est-à-dire qu'après avoir tenu un billard, mon grand-père maternel vendit des oiseaux. Si je n'en dis pas davantage sur son compte, c'est que je n'en sais davantage. Ma mère ne parlait presque pas de ses parens, parce qu'elle les avait peu connus, et perdus lorsqu'elle était encore enfant. Qui était son grand'père paternel? Elle n'en savait rien ni moi non plus. Et sa grand'mère? Pas davantage. Voilà où les généalogies plébéiennes ne peuvent lutter contre celles des riches et des puissans de ce monde. Eussent-elles produit les êtres les meilleurs ou les plus pervers, il y a impunité pour les uns, ingratitude envers les autres. Aucun titre, aucun emblème, aucune peinture ne conserve le souvenir de ces générations obscures qui passent sur la terre et n'y laissent point de traces. Le pauvre meurt tout entier, le mépris du riche scelle sa tombe et marche dessus sans savoir si c'est même de la poussière humaine que foule son pied dédaigneux.

Ma mère et ma tante m'ont parlé d'une grand'mère maternelle qui les avait élevées, et qui était bonne et pieuse. Je ne pense pas que la révolution les ruina. Elles n'avaient rien à perdre, mais elles y souffrirent, comme tout le peuple, de la rareté et de la cherté du pain. Cette grand'mère était royaliste, Dieu sait pourquoi, et entretenait ses deux petites-filles dans l'horreur de la révolution. Le fait est qu'elles n'y comprenaient goutte, et qu'un beau matin on vint prendre l'aînée, qui avait alors quinze ou seize ans et qui s'appelait Sophie-Victoire (et même Antoinette, comme la reine de France), pour l'habiller tout de blanc, la poudrer, la couronner de roses et la mener à l'hôtel de ville. Elle ne savait pas elle-même ce que cela signifiait: mais les notables plébéiens du quartier, tout fraîchement revenus de la Bastille et de Versailles, lui dirent: «Petite citoyenne, tu es la plus jolie fille du district, on va te faire brave, voilà le citoyen Collot-d'Herbois, acteur du Théâtre-Français, qui va t'apprendre un compliment en vers avec les gestes; voici une couronne de fleurs; nous te conduirons à l'hôtel de ville, tu présenteras ces fleurs et diras ce compliment aux citoyens Bailly et La Fayette, et tu auras bien mérité de la patrie.»

Victoire s'en fut gaîment remplir son rôle au milieu d'un chœur d'autres jolies filles, moins gracieuses qu'elle apparemment, car elles n'avaient rien à dire ni à présenter aux héros du jour, elles n'étaient là que pour le coup d'œil.

La mère Cloquart (la bonne maman de Victoire) suivit sa petite-fille avec Lucie, la sœur cadette, et toutes deux bien joyeuses et bien fières, se faufilant dans une foule immense, réussirent à entrer à l'hôtel de ville et à voir avec quelle grâce la perle du district débitait son compliment et présentait sa couronne. M. de La Fayette en fut tout ému, et prenant la couronne, il la plaça galamment et paternellement sur la tête de Victoire en lui disant: «Aimable enfant, ces fleurs conviennent à votre visage plus qu'au mien.» On applaudit, on prit place à un banquet offert à La Fayette et à Bailly. Des danses se formèrent autour des tables, les belles jeunes filles des districts y furent entraînées; la foule devint si compacte et si bruyante, que la bonne mère Cloquart et la petite Lucie, perdant de vue la triomphante Victoire, n'espérant plus la rejoindre et craignant d'être étouffées, sortirent sur la place pour l'attendre; mais la foule les en chassa. Les cris d'enthousiasme leur firent peur. Maman Cloquart n'était pas brave: elle crut que Paris allait s'écrouler sur elle, et elle se sauva avec Lucie, pleurant, et criant que Victoire serait étouffée ou massacrée dans cette gigantesque farandole.

Ce ne fut que vers le soir que Victoire revint les trouver dans leur pauvre petite demeure, escortée d'une bande de patriotes des deux sexes, qui l'avaient si bien protégée et respectée, que sa robe blanche n'était pas seulement chiffonnée.

A quel événement politique se rattache cette fête donnée à l'hôtel de ville? Je n'en sais rien. Ni ma mère ni ma tante n'ont jamais pu me le dire; probablement qu'en y jouant un rôle elles n'en savaient rien non plus. Autant que je puis le présumer, ce fut lorsque Lafayette vint annoncer à la commune que le roi était décidé à revenir dans sa bonne ville de Paris.

Probablement à cette époque les petites citoyennes Delaborde trouvèrent la révolution charmante. Mais plus tard elles virent passer une belle tête ornée de longs cheveux blonds au bout d'une pique, c'était celle de la malheureuse princesse de Lamballe. Ce spectacle leur fit une impression épouvantable, et elles ne jugèrent plus la révolution qu'à travers cette horrible apparition.

 

Elles étaient alors si pauvres que Lucie travaillait à l'aiguille, et que Victoire était comparse dans un petit théâtre. Ma tante a nié depuis ce dernier fait, et, comme elle était la franchise même, elle l'a nié certainement de bonne foi. Il est possible qu'elle l'ait ignoré; car, dans cet orage où elles étaient emportées comme deux pauvres petites feuilles qui tournoient sans savoir où elles sont, dans cette confusion de malheurs, d'épouvantes et d'émotions incomprises, si violentes parfois, qu'elles avaient, à certaines époques, tout à fait détruit le sens de la mémoire chez ma mère, il est possible que les deux sœurs se soient perdues de vue pendant un certain temps. Il est possible qu'ensuite Victoire, craignant les reproches de la grand'mère, qui était dévote, et l'effroi de Lucie, qui était prudente et laborieuse, n'ait pas osé avouer à quelles extrémités la misère ou l'imprévoyance de son âge l'avaient réduite. Mais le fait est certain, parce que Victoire, ma mère, me l'a dit, et dans des circonstances que je n'oublierai jamais: je raconterai cela en son lieu, mais je dois prier le lecteur de ne rien préjuger avant ma conclusion.

Je ne sais à quel endroit il arriva à ma mère, sous la Terreur, de chanter une chanson séditieuse contre la république. Le lendemain on vint faire une perquisition chez elle, on y trouva cette chanson manuscrite qui lui avait été donnée par un certain abbé Borel. La chanson était séditieuse en effet; mais elle n'en avait chanté qu'un seul couplet qui l'était fort peu. Elle fut arrêtée sur-le-champ avec sa soeur Lucie (Dieu sait pourquoi!) et incarcérée d'abord à la prison de la Bourbe, et puis dans une autre, et puis transférée enfin aux Anglaises, où elle était probablement à la même époque que ma grand'mère.

Ainsi deux pauvres petites filles du peuple étaient là, ni plus ni moins que les dames les plus qualifiées de la cour, et de la ville. Mlle Comtat y était aussi, et la supérieure des religieuses anglaises, Mme Canning, s'était intimement liée avec elle. Cette célèbre actrice avait des accès de piété tendre et exaltée. Elle ne rencontrait jamais Mme Canning dans les cloîtres sans se mettre à genoux devant elle et lui demander sa bénédiction. La bonne religieuse, qui était pleine d'esprit et de savoir-vivre, la consolait et la fortifiait contre les terreurs de la mort, l'emmenait dans sa cellule et la prêchait sans l'épouvanter, trouvant en elle une belle et bonne ame où rien ne la scandalisait. C'est elle-même qui a raconté cela à ma grand'mère devant moi, lorsque j'étais au couvent, et qu'au parloir elles repassaient ensemble les souvenirs de cette étrange époque.

Au milieu d'un si grand nombre de détenues souvent renouvelées par le départ21 des unes et l'arrestation des autres, si Marie-Aurore de Saxe et Victoire Delaborde ne se remarquèrent pas, il n'y a rien d'étonnant. Le fait est que leurs souvenirs mutuels ne datèrent point de cette époque. Mais qu'on me laisse faire ici un aperçu de roman. Je suppose que Maurice se promenât dans le cloître, tout transi et battant la semelle contre le mur en attendant l'heure d'embrasser sa mère; je suppose aussi que Victoire errât dans le cloître et remarquât ce bel enfant; elle qui avait déjà dix-neuf ans; elle eût dit, si on lui eût appris que c'était là le petit-fils du maréchal de Saxe: — «Il est joli garçon: quant au maréchal de Saxe, je ne le connais pas.» — Et je suppose encore qu'on eût dit à Maurice: «Vois cette pauvre jolie fille qui n'a jamais entendu parler de ton aïeul, et dont le père vendait des oisillons en cage, c'est ta future femme...» je ne sais ce qu'il eût répondu alors; mais voilà le roman engagé.

Qu'on n'y croie pas, pourtant. Il est possible qu'ils ne se soient jamais rencontrés dans ce cloître, et il n'est pourtant pas impossible qu'ils s'y soient regardés et salués en passant, ne fût-ce qu'une fois. La jeune fille n'aurait pas fait grande attention à un écolier; le jeune homme, tout préoccupé de ses chagrins personnels, l'aura peut-être vue, mais il l'aura oubliée l'instant d'après. Le fait est qu'ils ne se sont souvenus de cette rencontre ni l'un ni l'autre lorsqu'ils ont fait connaissance en Italie, dans une autre tempête, plusieurs années après.

Ici l'existence de ma mère disparaît entièrement pour moi, comme elle avait disparu pour elle-même dans ses souvenirs. Elle savait seulement qu'elle était sortie de prison comme elle y était entrée, sans comprendre comment et pourquoi. La grand'mère Cloquart n'ayant pas entendu parler de ses petites-filles depuis plus d'un an les avait crues mortes. Elle était bien affaiblie quand elle les vit reparaître devant elle; car au lieu de se jeter d'abord dans leurs bras, elle eut peur et les prit pour deux spectres.

Je reprendrai leur histoire où il me sera possible de la retrouver. Je retourne à celle de mon père, que, grâce à ces lettres, je perds rarement de vue.

Les rapides entrevues qui servaient de consolation à la mère et au fils furent brusquement interrompues. Le gouvernement révolutionnaire prit une mesure de rigueur contre les proches parens des détenus, en les exilant hors de l'enceinte de Paris et en leur interdisant d'y mettre les pieds jusqu'à nouvel ordre. Mon père alla s'établir à Passy avec Deschartres, et il y passa plusieurs mois.

Cette seconde séparation fut plus déchirante encore que la première. Elle était plus absolue, elle détruisait le peu d'espérances qu'on avait pu conserver. Ma grand'mère en fut navrée, mais elle réussit à cacher à son fils l'angoisse qu'elle éprouva en l'embrassant avec la pensée que c'était pour la dernière fois.

Quant à lui, il n'eut point des pressentimens aussi sombres, mais il fut accablé. Ce pauvre enfant n'avait jamais quitté sa mère, il n'avait jamais connu, jamais prévu la douleur. Il était beau comme une fleur chaste et doux comme une jeune fille. Il avait seize ans, sa santé était encore délicate, son ame exquise. A cet âge, un garçon élevé par une tendre mère est un être à part dans la création. Il n'appartient pour ainsi dire à aucun sexe; ses pensées sont pures comme celles d'un ange; il n'a point cette puérile coquetterie, cette curiosité inquiète, cette personnalité ombrageuse qui tourmentent souvent le premier développement de la femme. Il aime sa mère comme la fille ne l'aime point et ne pourra jamais l'aimer. Noyé dans le bonheur d'être chéri sans partage et choyé avec adoration, cette mère est pour lui l'objet d'une sorte de culte. C'est de l'amour, moins les orages et les fautes où plus tard l'entraînera l'amour d'une autre femme. Oui, c'est l'amour idéal, et il n'a qu'un moment dans la vie de l'homme. La veille il ne s'en rendait pas encore compte et vivait dans l'engourdissement d'un doux instinct; le lendemain déjà ce sera un amour troublé ou distrait par d'autres passions, ou en lutte peut-être avec l'attrait dominateur de l'amante.

Un monde d'émotions nouvelles se révélera alors à ses yeux éblouis; mais s'il est capable d'aimer ardemment et noblement cette nouvelle idole, c'est qu'il aura fait avec sa mère le saint apprentissage de l'amour vrai.

2121 Départ signifiait là alors la guillotine.