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Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4)

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LETTRE I







De Maurice à sa mère.





«

Stradella

, 21 prairial.





«Nous courons comme des diables. Hier, nous avons passé le Pô et rossé l'ennemi. Je suis très fatigué. Toujours à cheval, chargé de missions délicates et pénibles, je m'en suis tiré assez bien, et t'en donnerai des détails lorsque j'aurai un peu de temps. Ce soir, je n'ai que celui de t'embrasser et de te dire que je t'aime.»





LETTRE II





«Au quartier-général, à

Torre di Garofolo

,



le 27 prairial an VIII.





«Historiens, taillez vos plumes; poètes, montez sur Pégase; peintres, apprêtez vos pinceaux; journalistes, mentez tout à votre aise! Jamais sujet plus beau ne vous fut offert. Pour moi, ma bonne mère, je vais te conter le fait tel que je l'ai vu, et tel qu'il s'est passé.



«Après la glorieuse affaire de Montebello nous arrivons le 23 à Voghera. Le lendemain nous en partons à dix heures du matin, conduits par notre héros, et à quatre de l'après-midi, nous arrivons dans les plaines de San-Giuliano. Nous y trouvons l'ennemi, nous l'attaquons, nous le battons, et l'acculons à la Bormida, sous les murs d'Alexandrie. La nuit sépare les combattans; le 1

er

 consul et le général en chef vont se loger dans une ferme à Torre di Garofolo. Nous nous étendons par terre sans souper, et l'on dort. Le lendemain matin, l'ennemi nous attaque, nous nous rendons sur le champ de bataille et nous y trouvons l'affaire engagée. C'était sur un front de deux lieues. Une canonnade et une fusillade à rendre sourd! Jamais, au rapport des plus anciens, on n'avait vu l'ennemi si fort en artillerie. Sur les neuf heures, le carnage devenait tel que deux colonnes rétrogrades de blessés et de gens qui les portaient, s'étaient formées sur la route de Marengo à Torre di Garofolo. Déjà nos bataillons étaient repoussés de Marengo. La droite était tournée par l'ennemi, dont l'artillerie formait un feu croisé avec le centre. Les boulets pleuvaient de toutes parts. L'état-major était alors réuni. Un boulet passe sous le ventre du cheval de l'aide-de-camp du général Dupont. Un autre frise la croupe de mon cheval. Un obus tombe au milieu de nous, éclate et ne blesse personne. On délibère pourtant sur ce qu'il est bon de faire. Le général en chef envoie à la gauche un de ses aides-de-camp, nommé Laborde avec qui je suis assez lié; il n'a pas fait cent pas que son cheval est tué, je vais à la gauche avec l'adjudant-général Stabenrath. Chemin faisant, nous trouvons un peloton du 1

er

 de dragons. Le chef s'avance vers nous tristement, nous montre douze hommes qu'il avait avec lui, et nous dit que c'est le reste de cinquante qui formaient son peloton le matin. Pendant qu'il parlait, un boulet passe sous le nez de mon cheval, et l'étourdit tellement qu'il se renverse sur moi comme mort. Je me dégage lestement de dessous lui. Je le croyais tué et fus fort étonné quand je le vis se relever. Il n'avait aucun mal. Je remonte dessus et nous nous rendons à la gauche, l'adjudant-général et moi. Nous la trouvons rétrogradant. Nous rallions, de notre mieux, un bataillon. Mais à peine l'était-il que nous voyons, encore plus sur la gauche, une colonne de fuyards courant à toutes jambes. Le général m'envoie l'arrêter. C'était là chose impossible. Je trouve l'infanterie pêle-mêle avec la cavalerie, les bagages et les chevaux de main. Les blessés abandonnés sur la route et écrasés par les caissons et l'artillerie. Des cris affreux, une poussière à ne pas se voir à deux pas de soi. Dans cette extrémité, je me jette hors de la route et cours en avant, criant:

halte à la tête!

 Je cours toujours; pas un chef, pas un officier. Je rencontre Caulincourt le jeune, blessé à la tête, et fuyant, emporté par son cheval. Enfin je trouve un aide-de-camp. Nous faisons nos efforts pour arrêter le désordre. Nous donnons des coups de plat de sabre aux uns, des éloges aux autres; car, parmi ces désespérés il y avait encore bien des braves. Je descends de cheval, je fais mettre une pièce en batterie, je forme un peloton. J'en veux former un second. A peine avais-je commencé que le premier avait déjà déguerpi. Nous abandonnons l'entreprise et courons rejoindre le général en chef. Nous voyons Bonaparte battre en retraite.



«Il était deux heures; nous avions déjà perdu, tant prises que démontées, douze pièces de canon. La consternation était générale; les chevaux et les hommes harassés de fatigue, les blessés encombraient les routes. Je voyais déjà le Pô, le Tesin à repasser; un pays à traverser dont chaque habitant est notre ennemi, lorsqu'au milieu de ces tristes réflexions, un bruit consolateur vient ranimer nos courages. La division Desaix et Kellermann arrivent avec treize pièces de canon. On retrouve des forces, on arrête les fuyards. Les divisions arrivent; on bat la charge et on retourne sur ses pas; on enfonce l'ennemi, il fuit à son tour, l'enthousiasme est à son comble: on charge en riant; nous prenons huit drapeaux, six mille hommes, deux généraux, vingt pièces de canon, et la nuit seule dérobe le reste à notre fureur.



«Le lendemain matin, le général Mélas envoie un parlementaire: c'était un général. On le reçoit dans la cour de notre ferme, au son de la musique de la garde consulaire et toute la garde sous les armes. Il apporte des propositions. On nous cède Gènes, Milan, Tortone, Alexandrie, Acqui, Pizzighitone, enfin une partie de l'Italie et le Milanais. Ils s'avouent vaincus. Nous allons aujourd'hui dîner chez eux à Alexandrie. L'armistice est conclu. Nous donnons des ordres dans le palais du général Mélas. Les officiers autrichiens viennent me demander de parler pour eux au général Dupont. C'est, en vérité, trop plaisant! Aujourd'hui, l'armée française et l'armée autrichienne n'en forment plus qu'une. Les officiers impériaux enragent de se voir ainsi donner des lois; mais ils ont beau enrager, ils sont battus.

Væ victis!



«Ce soir, le général Stabenrath, nommé pour l'exécution des articles du traité, et avec lequel j'étais le matin de la bataille, m'a dit en me serrant la main qu'il était content de moi; que j'avais été comme un beau diable, et que le général Dupont en était instruit. Dans le fait, je puis te dire, ma bonne mère, que j'ai été ce qui s'appelle ferme et toute la journée sous le boulet. Nous avons eu un nombre infini de blessés, et, comme ils le sont tous par le canon, très peu en reviendront. On en apporta hier par centaines au quartier-général, et, ce matin, la cour était pleine de morts. La plaine de Marengo est jonchée de cadavres sur un espace de deux lieues. L'air est empesté, la chaleur étouffante. Nous allons demain à Tortone, j'en suis fort aise, car, outre qu'on meurt de faim ici, l'infection devient telle que, dans deux jours, il ne serait plus possible d'y tenir. Et quel spectacle! on ne s'habitue pas à cela.



«Pourtant, nous sommes tous de fort bonne humeur; voilà la guerre! Le général a des aides-de-camp fort aimables, et qui me témoignent beaucoup d'amitié. Plus d'inquiétude, ma bonne mère, voilà la paix; dors sur les deux oreilles; bientôt, nous n'aurons plus qu'à nous reposer sur nos lauriers. Le général Dupont va me faire lieutenant. Vraiment! j'allais oublier de te le dire, tant je me suis oublié depuis quelques jours. Comme son aide-de-camp a été blessé, je lui en sers provisoirement. Adieu, ma bonne mère, je suis harassé de fatigue et vais me coucher sur la paille. Je t'embrasse de toute mon ame. A Milan, où nous allons ces jours-ci, je t'en dirai plus long et j'écrirai à mon oncle de Beaumont.»





LETTRE III





«

Au citoyen Beaumont, à l'hôtel de Bouillon, quai Malaquais, Paris.



«

Turin

, le .. messidor an VIII (juin ou juillet 1800).





«Pim, pan, pouf, patatra! en avant! sonne la charge! En retraite! en batterie! Nous sommes perdus! Victoire! Sauve qui peut! Courez à droite, à gauche, au milieu! Revenez, restez, partez, dépêchons-nous! Gare l'obus! au galop! Baisse la tête, voilà un boulet qui ricoche... Des morts, des blessés, des jambes de moins, des bras emportés, des prisonniers, des bagages, des chevaux, des mulets, des cris de rage, des cris de victoire, des cris de douleur, une poussière du diable, une chaleur d'enfer, des f... des b... des m... un charivari, une confusion, une bagarre magnifique. Voilà, mon bon et aimable oncle, en deux mots, l'aperçu clair et net de la bataille de Marengo, dont votre neveu est revenu très bien portant, après avoir été culbuté, lui et son cheval, par le passage d'un boulet, et avoir été régalé, pendant quinze heures, par les Autrichiens, du feu de trente pièces de canon, de vingt obusiers et de trente mille fusils. Cependant, tout n'est pas si brutal, car le général en chef, content de mon sang froid et de la manière dont j'avais rallié des fuyards pour les ramener au combat, m'a nommé lieutenant sur le champ de bataille de Marengo. Je n'ai donc plus qu'un fil dans mon épaulette. Maintenant, couverts de gloire et de lauriers, après avoir été dîner chez papa Mélas et lui avoir donné nos ordres dans son palais d'Alexandrie, nous sommes revenus à Turin avec mon général, nommé ministre extraordinaire du gouvernement français, et nous donnons des lois au Piémont, logés au palais du duc d'Aoste, ayant chevaux, voitures, spectacles, bonne table, etc. Le général Dupont a sagement congédié tout son état-major; il n'a conservé que ses deux aides-de-camp et moi, de manière que me voilà adjoint tout seul au ministre. Comme je n'entends pas grand'chose aux affaires, je donne mes audiences dans la salle à manger, parce que, par principe, je ne parle jamais mieux que quand je suis

dans mon assiette

. C'est avec de telles maximes qu'on gouverne sagement les empires. Malheureusement, voilà la guerre terminée; tant pis, car encore trois ou quatre culbutes sur la poussière des champs de bataille, et j'étais général. Cependant, je ne perds pas courage. Quelque bon matin, les affaires se brouilleront encore, et nous rattraperons le temps perdu, en nous retapant sur nouveaux frais.

 



«Ne m'en veuillez pas, mon bon oncle, d'être resté si longtemps sans vous écrire. Mais nos courses, nos conquêtes, nos victoires, m'ont absolument pris tous mes instans. Désormais, je serai plus exact; je n'y aurai pas grand'peine. Je n'aurai qu'à suivre les mouvemens de mon cœur, il me ramène toujours vers mon bon oncle, que j'embrasse de toute mon ame.



«Je prie M. de Bouillon d'agréer l'hommage de mon respect,





«MAURICE.»





Dans une troisième lettre sur la bataille de Marengo, lettre adressée aux jeunes Villeneuve, et commençant ainsi: «

Or, écoutez, mes chers neveux

,» mon père ajoute quelques circonstances omises à dessein dans ses autres lettres:



«Votre

respectable

 oncle, après avoir été frisé par un boulet, culbuté par un autre, lui et son cheval, avait reçu dans la poitrine un coup de crosse, ce qui lui procura un petit crachement de sang qui dura une heure, et dont il se guérit en courant toute la journée au grand trot et au grand galop, etc... Au reste, mes amis, si je ne me suis pas fait tuer, ce n'est pas ma faute.. Le détail de toutes nos misères serait trop long; mais figurez-vous ce que c'est que de rester trois grands jours dans des plaines brûlantes sans rien manger. A

Torre di Garofolo

, nous avions, pour tout soulagement, un puits pour 1,400 hommes.....................



Il finit en disant:



«Recevez, mes bons amis, vingt-trois embrassades chacun, et présentez mes respects à ces dames.»





LETTRE VI





«

Milan

, le .. fructidor an VIII (septembre 1800).





«Il y a bien longtemps que je ne t'ai écrit, ma bonne mère, mais les derniers temps de notre séjour à Turin ont été si remplis, nous avons eu tant à faire pour mettre en ordre le reste de notre ministère; à peine arrivés à Milan, nous avons eu tant de visites à rendre avec le général Dupont, que, jusqu'à présent, je n'ai pu te donner de mes nouvelles. Le général continue à me montrer beaucoup d'intérêt. Tes lettres n'y ont pas peu contribué. Je suis de tous ses voyages, de toutes ses parties. Il a laissé à Turin Decouchy et Merlin...



«Nous passons notre temps ici à courir en voiture et à faire des dîners. Nous en faisons de fort bons chez Pétiet, le ministre de France. Le soir, nous allons au cours et au spectacle, qui est magnifique. Il y a une cantatrice et un ténor admirables. Les ballets sont fort mal dansés, mais les décorations superbes. En somme, forcé de m'amuser

par ordre

, je prends le parti de m'amuser pour tout de bon. Milan est fort agréable; mais je suis fort content de m'en aller. Tout cela est bel et bon; mais deux mois passés dans les plaisirs ne vous avancent pas plus que si vous aviez dormi deux mois. Et deux mois passés dans les camps peuvent me faire capitaine. Et puis, il faut courir et voyager quand on est jeune: cette coutume date de Télémaque. Adieu, ma bonne mère; il faut que j'aille faire mon porte-manteau. Je t'embrasse de toute mon ame.»





LETTRE VII





«

Bologne

, 24 fructidor.





«.........



«Ah! que tu es fine, ma bonne mère! Tu as deviné, sans que je t'en aie dit un seul mot, que j'avais été, dans cette maudite Capoue, sous l'empire d'une terrible préoccupation! Ne m'interroge pas trop, je t'en prie. Il y a des choses qu'on aime mieux raconter qu'écrire. Que veux-tu! je suis dans l'âge des émotions vives, et je ne suis pas coupable de les ressentir. J'ai été enivré, mais j'ai souffert aussi; pardonne-moi donc, et souviens-toi que j'ai quitté Milan avec joie, avec une ardente volonté de me consacrer aux devoirs de mon emploi. Plus tard, je te racontrai tout, de sangfroid; car déjà j'ai retrouvé, dans l'agitation de mon métier, le calme de mon esprit. Je me suis acquitté de mon mieux de la commission du général. J'ai parcouru en trois jours toute la ligne. Je suis arrivé hier, et, le soir même, j'ai eu la satisfaction de voir mon rapport, dont le général a été très content, envoyé tout vif au général en chef. Ce n'est pas là servir en machine, et j'aime la guerre quand j'en comprends les mouvemens et la pensée. C'est pour moi comme une belle partie d'échecs: au lieu que, pour le pauvre soldat, c'est un grossier jeu de hasard. Il est vrai que bien des êtres, qui me valent sous d'autres rapports, sont forcés de passer leur vie dans des fatigues obscures que n'embellit jamais le plaisir de comprendre et de savoir. Je les plains, et je partagerais leurs souffrances, si, en les partageant, je pouvais les adoucir. Mais il n'en serait rien, et, puisque l'éducation m'a donné quelque lumière, ne dois-je pas à mon pays, dont j'ai embrassé la défense avec ardeur, de mettre à son service la petite capacité de ma cervelle, aussi bien que l'activité de mes membres? M. de Latour-d'Auvergne, ce héros que je pleure, fut de mon avis quand je lui parlai ainsi; il me trouva tout aussi bon patriote que lui-même, malgré mon grain d'ambition et tes sollicitudes maternelles. Sa modestie m'a fait surtout une impression que je n'oublierai jamais, et que, toute ma vie, je me proposerai pour modèle. La vanité gâte le mérite des plus belles actions. La simplicité, un silence délicat sur soi-même en rehaussent le prix et font aimer ceux qu'on admire. Hélas! il n'est plus! Il a trouvé une mort glorieuse et digne de lui. Tu ne le maudis plus maintenant, et tu le regrettes avec moi!



«D'ailleurs, tu persistes à détester tous les héros. Comme je n'en suis pas encore un, je ne crains rien pour le présent. Mais est-ce que tu me défends d'aspirer à le devenir? Je serais capable d'y renoncer si tu me menaçais de ne plus m'aimer, et d'aller planter des choux en guise de lauriers dans les carrés de ton jardin. Mais j'ai bon espoir pourtant que tu t'habitueras à mon ambition et que je trouverai moyen de me la faire pardonner.



«J'ai traversé les Etats du duc de Parme et je me suis cru en 88. Des fleurs de lis, des armes, des livrées, des chapeaux sous les bras, des talons rouges; ma foi, cela paraît bien drôle aujourd'hui. On nous regardait dans les rues comme des animaux extraordinaires. Il y avait dans leurs regards un mélange d'effroi, de scandale, de haine tout-à-fait comique: Ils ont tous les préjugés, la sottise et la poltronnerie de nos royalistes de Paris. Notre commissaire des guerres, jeune homme tout à fait aimable, passa la soirée dans une des grandes maisons de l'endroit, et nous raconta que la conversation avait roulé tout le temps sur l'arbre généalogique de chaque famille des Etats du duc. Pour se divertir, il leur dit qu'il y avait dans la ville un petit-fils du maréchal de Saxe, et qu'il servait la république. Il y eut un long cri d'horreur et de stupéfaction dans l'assemblée. On n'en revenait pas, et encore n'osa-t-on pas dire devant ce jeune homme tout ce qu'on pensait d'une pareille abomination. J'en ai bien ri.



«J'ai été voir, dans cette bonne ville de Parme, l'académie de peinture et l'immense théâtre dans le goût des anciens cirques, bâti par Farnèse. On n'y a pas joué depuis deux siècles, il tombe en ruines, mais il est encore admirable. A Bologne, j'ai vu la galerie San-Pietri, une des plus belles collections de l'Italie. Il y a les plus beaux ouvrages de Raphaël, du Guide, du Guerchin et des Carrache.



«Adieu, ma bonne mère, aime-moi, gronde-moi, pourvu que tes lettres soient bien longues, car je n'en trouve jamais assez.»





LETTRE X







De Maurice à sa mère.





«

Florence

, 26 vendémiaire an IX (octobre 1800).





«C'est pour le coup que nous venons de faire une belle équipée! Nous venons de rompre la trève comme de jolis garçons que nous sommes. En trois jours nous nous sommes emparés de la Toscane et de la belle et délicieuse ville de Florence. M. de Sommariva, ses fameuses troupes, ses terribles paysans armés, tout a fui à notre approche, et nous sommes des enfonceurs de portes ouvertes.



«Avec le général Dupont commandant l'expédition, nous avons traversé l'Apennin à la tête de l'avant-garde, et maintenant nous nous reposons délicieusement sous les oliviers, les orangers, les citronniers et les palmiers qui bordent les rives de l'Arno. Cependant, les Toscans, insurgés, se sont retranchés dans Arezzo, et tiennent en échec le général Mounier, l'un de nos généraux de division; mais nous venons d'y envoyer du canon, et demain tout sera terminé.



«Il n'y a rien de comique comme notre entrée à Florence: M. de Sommariva avait envoyé à notre rencontre plusieurs parlementaires chargés de nous assurer de sa part qu'il allait désarmer les paysans qu'il avait soulevés, et qu'il nous priait de nous arrêter; mais que si nous persistions à entrer dans Florence, il se ferait tuer sur les remparts. C'était bien parler. Mais, en dépit de ses promesses et de ses menaces, nous continuâmes notre marche. Arrivés à quelques milles de Florence, le général Dupont envoie le général Jablonowski avec un escadron de chasseurs pour savoir si en effet l'ennemi défend la place. Moi, qui me trouvais là assez désœuvré, je suis le général Jablonowski. Nous arrivons militairement par quatre le sabre à la main, au grand trot. Point de résistance. Nous entrons dans la ville. Personne pour nous arrêter. Au coin d'une rue, nous nous trouvons nez à nez avec un détachement de cuirassiers autrichiens. Nos chasseurs veulent les sabrer. L'officier autrichien s'avance vers nous, chapeau bas, et nous dit que lui et son piquet formant la garde de police, il est obligé de se retirer des derniers. Une si bonne raison nous désarme, et nous le prions poliment d'aller rejoindre bien vite le reste de l'armée autrichienne et toscane qui se repliait sur Arezzo. Nous arrivons sur la grande place, où les députés du gouvernement viennent nous rendre leurs devoirs. J'établis le quartier-général dans le plus beau quartier et le plus beau palais de la ville. Je retourne vers le général Dupont; nous faisons une entrée triomphale, et voilà une ville prise!



«Le soir même, on illumine le Grand-Opéra, on nous garde les plus belles loges, on nous envoie de bonnes berlines pour nous y traîner, et nous voilà installés en maîtres. Le lendemain, il nous restait à prendre deux forts garnis chacun de dix-huit pièces de canon et d'un obusier. Nous envoyons dire aux deux commandans que nous allons leur fournir toutes les voitures nécessaires à l'évacuation de leurs garnisons. Frappés d'une si

terrible

 sommation, ils se rendent sur-le-champ, et nous voilà maîtres des deux forts. Cette capitulation nous a fait tant rire, que nous étions tentés de nous imaginer que les Autrichiens s'entendaient avec nous. Il paraît cependant qu'il n'en est rien.



«Ils ont emporté et embarqué à Livourne la fameuse Vénus et les deux plus belles filles de Niobé. J'ai été ce matin à la galerie. Elle est remplie d'une immense quantité de statues antiques presque toutes superbes. J'ai vu le fameux Torse, la Vénus à la coquille, le Faune, le Mercure, et force empereurs et impératrices de Rome. Cette ville fourmille de beaux édifices et regorge de chefs-d'œuvre. Les ponts, les quais et les promenades sont un peu distribués comme à Paris, mais elle a cet avantage d'être située dans un vallon admirable d'aspect et de fertilité. Ce ne sont que

villas

 charmantes, allées de citronniers, forêts d'oliviers; juge comme tout cela nous paraît joli au sortir des Apennins!



«Ça ira bien pourvu que ça dure, mais je crois que nous marcherons du côté de Ferrare si les hostilités recommencent avec les Autrichiens. Alors, nous abandonnerons ces belles contrées pour retourner aux rives arides du Pô.

 



«Tu vois, ma bonne mère, que je cours de la belle manière. Je ne veux point quitter le général Dupont; il me veut du bien. Je jouis ici de l'amitié et de la considération de ceux avec qui je vis. Le général a trois aides-de-camp; le troisième est Merlin, fils du directeur. Il était aide-de-camp de Bonaparte, et a fait avec lui les campa