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Correspondance, 1812-1876 — Tome 5

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DCXXVI
A M. HENRY HARISSE, A PARIS

Nohant, 19 janvier 1866.

Merci pour votre excellente lettre, mon cher Américain. Tous les détails que vous me donnez sont bons; que Sainte-Beuve se porte mieux surtout, cela me cause une joie réelle. Moi, je lutte contre l'anémie qui me menace, et je ne songe même pas à travailler du cerveau. Je plante des choux toute la journée, ou je couds des rideaux et des courtepointes, le tout à l'effet de m'installer ici dans une chambre plus petite et plus chaude que celle où je travaille. Je me suis tapissée en bleu tendre parsemé de médaillons blancs où dansent de petites personnes mythologiques. Il me semble que ces tons fades et ces sujets rococos sont bien appropriés à l'état d'anémie et que je n'aurai là que des idées douces et bêtes. C'est ce qu'il me faut maintenant.

Le beau berrichon de ma jeunesse est aujourd'hui une langue morte; la bourrée, cette danse si jolie, est remplacée par de stupides contredanses; nos chants du pays, admirables autrefois et qui faisaient l'admiration de Chopin et de Pauline Garcia, cèdent le pas à la Femme à barbe. De belles routes remplacent nos sentiers où l'on se perdait; de vieux ombrages presque vierges, que l'on savait où trouver et que nous seuls connaissions, ont disparu, et la botanique sylvestre est au diable.

Refaire un roman berrichon! non, je ne vous l'ai pas promis. Ce serait repasser par le chemin des regrets, et vraiment, à mon âge, il faut combattre une tendance si naturelle et si fondée. Il faut vivre en avant; c'est la devise de notre pays, et, quoi qu'il m'en coûte de secouer mes souvenirs, je ne veux pas méconnaître ce que l'avenir peut nous apporter. Je ne veux pas être ingrate non plus envers la vieillesse, qui est aussi un bon âge, plein d'indulgence, de patience et de clartés. Si l'on me rendait mes énergies, je ne saurais plus qu'en faire, n'étant plus dupe de moi-même. Je voudrais revoir l'Italie, parce que ce sera une Italie nouvelle. Retrouverai-je la force d'y'aller? Ce n'est pas sûr; mais je ne veux pas m'en tourmenter. Si j'en suis à mes dernières lueurs, je me dirai que j'ai bien assez fait le métier du chien tournebroche et que la vie éternelle est un voyage qui promet assez d'émotions et d'étonnements.

Priez donc Paul de Saint-Victor de me faire envoyer son livre31? C'est un talent, ah! oui, et un vrai. En lisant tant de chefs-d'oeuvre jetés le matin dans un feuilleton comme des perles à la consommation brutale des pourceaux, je me demandais toujours pourquoi cela n'était pas rassemblé et publié. Je suis curieuse de savoir si je retrouverai l'émotion que cela m'a donnée en détail.

Non, Théo32 ne sera pas de l'Académie. Il ne voudra pas faire ce qu'il faut pour cela, ou, s'il s'y résigne, il le fera mal. Il ne se tiendra pas de dire ce qu'il pense des vieux fétiches. Si je me trompe, je serai bien étonnée, par exemple!

Mais, vous qui ne parlez pas de vous, êtes-vous toujours décidé à quitter la France dans un temps donné? Non, cela me parait impossible. Il me semble que la France a besoin de ses amants; ceux qui lui appartiennent légitimement la méconnaissent ou la brutalisent. Restez avec nous, aidez-nous à rester Français ou à le redevenir.

N'oubliez pas que vous m'avez promis de venir me voir ici. Notre vieille maison est un coin assez curieux, où l'on a réussi, pendant trente ans, à vivre en dehors de toute convention et à être artiste pour soi, sans se donner en spectacle au monde. Vous y serez reçu par mes enfants comme un ami.

Et bonsoir! me voilà très fatiguée devoir écrit; mais je suis à vous de tout coeur.

G. SAND.

DCXXVII
À M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 21 janvier 1867.

Eh bien, cher fils, comment êtes-vous arrivé à Paris, par ce temps de frimas qui vous a surpris le jour du départ? Avez-vous eu froid dans l'affreuse diligence? Vous êtes-vous embêté. Je vous ai fait faire là une vraie corvée et je me le reprochais en voyant tomber la neige. Et j'ai été si patraque, moi, depuis ce temps-là, que je n'avais pas le courage de vous demander de vos nouvelles, et de celles de la patiente et stoïque alitée33. Je crois que je vais mieux à présent, du moins il y a des jours où je me crois guérie. Ça ne peut guère se faire par une saison si dure; aussi je prends patience et m'arrange pour ne pas penser, à mon mal. J'ai fait diversion en m'installant dans ma nouvelle chambre, où j'ai enfin chaud et où je me trouve doucement et bêtement dans le bleu tendre, couleur d'anémie. J'ai soif de travailler.

Avez-vous lu Mont-Revêche? Y voyez-vous plus clair que moi. Pouvez-vous me lancer dans une bonne voie comme pour Yilleiner? Sauf à ne pouvoir pas exécuter tout ce que vous m'indiquerez et à tourner du côté où je peux être moi, avec mes défauts et mes qualités. On ne se sépare pas de soi-même. Il me semble que vous me sortiriez de mes irrésolutions et que vous me rendriez la foi. Essayez, si Madame Aubray ne vous absorbe pas trop. Peut-être que je m'en vas tout doucement et que je n'ai pas à m'inquiéter de l'avenir. Mais, si, avant de me confier à ce toujours plus calme dont parle Goethe, je pouvais faire encore un bon travail, je serais satisfaite. Voyez, et voyez bien, si c'est avec Mont-Revèche que je peux donner ce dernier coup de collier. Si, après réflexion, vous me dites non, je pincerai d'une autre guitare, sans aucun découragement.

Les enfants vous envoient des tendresses, ainsi qu'à tout votre beau sexe, Coliche comprise. Moi, je vous embrasse trétous, comme on dit ici.

Qu'est-ce que vous pensez, vous, de ce couronnement de l'édifice napoléonien? Il me semble que ce n'est qu'une velléité; on sait si peu se servir de la liberté en France, qu'on se dépêchera de mal user du peu qu'on nous donne, et vite alors on reprendra plus qu'on ne nous avait pris, pour nous dire: «Vous voyez, c'est votre faute!» Ou bien quoi? sent-on qu'il faut s'exécuter et que la chose craque? c'est peut-être trop tard, on ne fait pas des citoyens d'un coup de plume, quand on les a si bien corrompus pendant quinze ans.

Aurore a repris son aplomb après votre départ, et je croîs qu'un jour de plus l'eût apprivoisée. Elle n'est pas bruyante; mais elle est tout de même farceuse avec un air sérieux. Bonsoir, mon enfant. Je vous embrasse tendrement.

G. SAND.

DCXXVIII
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET

Nohant, 8 février 1867.

Bah! zut! troulala! aïe donc! aïe donc! je ne suis plus malade ou du moins je ne le suis plus qu'à moitié. L'air du pays me remet, ou la patience, ou l'autre, celui qui veut encore travailler et produire. Quelle est ma maladie? Rien. Tout en bon état, mais quelque chose qu'on appelle anémie, effet sans cause saisissable, dégringolade qui, depuis quelques années, menace, et qui s'est fait sentir à Palaiseau, après mon retour de Croisset. Un amaigrissement trop rapide pour être logique, le pouls trop lent, trop faible, l'estomac paresseux ou capricieux, avec un sentiment d'étouffement et des velléités d'inertie. Il y a eu impossibilité de garder un verre d'eau dans ce pauvre estomac durant plusieurs jours, et cela m'a mise si bas, que je me croyais peu guérissable; mais tout se remet, et même, depuis hier, je travaille.

Toi, cher, tu te promènes dans la neige, la nuit. Voilà qui, pour une sortie exceptionnelle, est assez fou et pourrait bien te rendre malade aussi! Ce n'est pas la lune, c'est le soleil que je te conseillais; nous ne sommes pas des chouettes, que diable! Nous venons d'avoir trois jours de printemps. Je parie que tu n'as pas monté à mon cher verger, qui est si joli et que j'aime tant. Ne fût-ce qu'en souvenir de moi, tu devrais le grimper tous les jours de beau temps à midi. Le travail serait plus coulant après et regagnerait le temps perdu et au delà.

Tu es donc dans des ennuis d'argent? Je ne sais plus ce que c'est depuis que je n'ai plus rien au monde. Je vis de ma journée comme le prolétaire; quand je ne pourrai plus faire ma journée, je serai emballée pour l'autre monde, et alors je n'aurai plus besoin de rien. Mais il faut que tu vives, toi. Comment vivre de ta plume si tu te laisses toujours duper et tondre? Ce n'est pas moi qui t'enseignerai le moyen de te défendre. Mais n'as-tu pas un ami qui sache agir pour toi? Hélas! oui, le monde va à la diable de ce côté-là; et je parlais de toi, l'autre jour, à un bien cher ami, en lui montrant l'artiste, celui qui est devenu si rare, maudissant la nécessité de penser au côté matériel de la vie. Je t'envoie la dernière page de sa lettre; tu verras que tu as là un ami dont tu ne te doutes guère, et dont la signature te surprendra.

 

Non, je n'irai pas à Cannes malgré une forte tentation! Figure-toi qu'hier, je reçois une petite caisse remplie de fleurs coupées en pleine terre, il y a déjà cinq ou six jours; car l'envoi m'a cherchée à Paris et à Palaiseau. Ces fleurs sont adorablement fraîches, elles embaument, elles sont jolies comme tout. — Ah! partir, partir tout de suite pour les pays du soleil. Mais je n'ai pas d'argent et, d'ailleurs, je n'ai pas le temps. Mon mal m'a retardée et ajournée. Restons. Ne suis-je pas bien? Si je ne peux pas aller à Paris le mois prochain, ne viendras-tu pas me voir ici? Mais oui, c'est huit heures de route. Tu ne peux pas ne pas voir ce vieux nid. Tu m'y dois huit jours, ou je croirai que j'aime un gros ingrat qui ne me le rend pas.

Pauvre Sainte-Beuve! Plus malheureux que nous, lui qui n'a pas eu de gros chagrins et qui n'a plus de soucis matériels. Le voilà qui pleure ce qu'il y a de moins regrettable et de moins sérieux dans la vie, entendue comme il l'entendait! Et puis très altier, lui qui a été janséniste, son coeur s'est refroidi de ce côté-là. L'intelligence s'est peut-être développée, mais elle ne suffit pas à nous faire vivre, et elle ne nous apprend pas à mourir. Barbès, qui depuis si longtemps attend à chaque minute qu'une syncope l'emporte, est doux et souriant. Il ne lui semble pas, et il ne semble pas non plus à ses amis, que la mort le séparera de nous. Celui qui s'en va tout à fait, c'est celui qui croit finir et ne tend la main à personne pour qu'on le suive ou le rejoigne.

Et bonsoir, cher ami de mon coeur. On sonne la représentation, Maurice nous régale ce soir des marionnettes. C'est très amusant, et le théâtre est si joli! un vrai bijou d'artiste. Que n'es-tu là! C'est bête de ne pas vivre porte à porte avec ceux qu'on aime.

DCXXIX
A M. HENRY HARRISSE, A PARIS

Nohant, 14 février 1867

Cher ami, Je vous remercie de penser à moi, de vous occuper de ce qui m'intéresse, et de me le dire d'une façon si charmante. C'est une coquetterie que me fait la destinée, de me donner un correspondant tel que vous. Je vois, grâce à vous le dîner Magny comme si j'y étais. Seulement il me semble qu'il doit être encore plus gai sans moi; car Théo a parfois des remords quand il s'émancipe trop à mon oreille. Dieu sait pourtant que je ne voudrais, pour rien au monde, mettre une sourdine à sa verve. Elle fait d'autant plus ressortir l'inaltérable douceur de l'adorable Renan, avec sa tête de Charles le Sage.

Plus heureuse que Sainte-Beuve, je me rétablis bien. J'ai encore eu une rechute d'accablement; mais je recommence à aller mieux et j'essaye de me remettre au travail, mot bien ambitieux pour un simple romancier.

Merci pour l'article Jouvin; car j'ai retrouvé votre bonne écriture sur la bande. Je lui écris par le même courrier. Oui, nous avons eu et nous avons encore de belles journées ici. Notre climat est plus clair et plus chaud que celui des environs de Paris. Le pays n'est pas beau généralement chez nous: terrain calcaire, très fromental, mais peu propre au développement des arbres; des lignes douces et harmonieuses; beaucoup d'arbres, mais petits; un grand air de solitude, voilà tout son mérite. Il faudra vous attendre à ceci, que mon pays est comme moi, insignifiant d'aspect. Il a du bon quand on le connaît; mais il n'est guère plus opulent et plus démonstratif que ses habitants.

Vous savez que je compte toujours vous y voir arriver un jour ou l'autre. Mais prévenez-moi, pour que je ne sois pas ailleurs, et tenez-moi au courant de vos voyages. Mon fils, à qui j'ai beaucoup parlé de vous, vous envoie d'avance toutes ses cordialités.

A vous de coeur.

G. SAND.

DCXXX
A. GUSTAVE FLAUBERT, A PARIS

Nohant, 16 février 1867.

Non, je ne suis pas catholique, mais je proscris les monstruosités. Je dis que le vieux laid qui se paye des tendrons ne fait pas l'amour et qu'il n'y a là ni cyprès, ni ogive, ni infini, ni mâle, ni femelle. Il y a une chose contre nature; car ce n'est pas le désir qui pousse le tendron dans les bras du vieux laid, et, là où il n'y a pas liberté et réciprocité, c'est un attentat à la sainte nature.

I1 faut croire que nous nous aimons tout de bon, cher camarade, car nous avons eu tous les deux en même temps la même pensée. Tu m'offres mille francs pour aller à Cannes, toi qui es gueux comme moi, et, quand tu m'as écrit que tu étais embêté de ces choses d'argent, j'ai rouvert ma lettre pour t'offrir la moitié de mon avoir, qui se monte toujours à deux mille; c'est ma réserve. Et puis je n'ai pas osé. Pourquoi? C'est bien bête; tu as été meilleur que moi, tu as été tout bonnement au fait. Donc je t'embrasse pour cette bonne pensée et je n'accepte pas. Mais j'accepterais, sois-en sûr, si je n'avais pas d'autre ressource. Seulement, je dis que, si quelqu'un doit me prêter, c'est le seigneur Buloz, qui a acheté des châteaux et des terres avec mes romans. Il ne me refuserait pas, je le sais. Il m'offre même. Je prendrai donc chez lui, s'il le faut. Mais je ne suis pas en état de partir, je suis retombée ces jours-ci. J'ai dormi trente-six heures de suite, accablée. A présent, je suis sur pied, mais faible. Je t'avoue que je n'ai pas I'énergie de vouloir vivre. Je n'y tiens pas; me déranger d'où je suis bien, chercher de nouvelles fatigues, me donner un mal de chien pour renouveler une vie de chien, c'est un peu bête, je trouve, quand il serait si doux de s'en aller comme ça, encore aimant, encore aimé, en guerre avec personne, pas mécontent de soi et rêvant des merveilles dans les autres mondes; ce qui suppose l'imagination encore assez fraîche.

Mais je ne sais pourquoi je te parle de choses réputées tristes, j'ai trop l'habitude de les envisager doucement. J'oublie qu'elles paraissent affligeantes à ceux qui semblent dans la plénitude de la vie. N'en parlons plus et laissons faire le printemps, qui va peut-être me souffler l'envie de reprendre ma tâche. Je serai aussi docile à la voix intérieure qui me dira de marcher qu'à celle qui me dira de m'asseoir.

Ce n'est pas moi qui t'ai promis un roman sur la sainte Vierge. Je ne, crois pas du moins. Mon article sur la faïence, je ne le retrouve pas. Regarde donc s'il n'a pas été imprimé à la fin d'un de mes volumes pour compléter la dernière feuille. Ça s'appelait Giovanni Freppa ou les Maïoliques.

Oh! mais quelle chance! En t'écrivant, il me revient dans la tête un coin où je n'ai pas cherché. J'y cours, je trouve! Je trouve bien mieux que mon article, et je t'envoie trois ouvrages qui te rendront aussi savant que moi. Celui de Passeri est charmant.

Barbès est une intelligence, certes, mais en pain de sucre. Cerveau tout en hauteur, un crâne indien aux instincts doux, presque introuvables; tout pour la pensée métaphysique, devenant instinct et passion qui dominent tout. De là un caractère que l'on ne peut comparer qu'à celui de Garibaldi. Un être invraisemblable à force d'être saint et parfait. Valeur immense, sans application immédiate en France. Le milieu a manqué à ce héros d'un autre, âge ou d'un autre pays.

Sur ce, bonsoir. — Dieu, que je suis veau! Je te laisse le titre de vache, que tu t'attribues dans tes jours de lassitude. C'est égal, dis-moi quand tu seras à Paris. Il est probable qu'il me faudra y aller quelques jours pour une chose ou l'autre. Nous nous embrasserons, et puis vous viendrez à Nohant cet été. C'est convenu, il le faut!

Mes tendresses à la maman et à la belle nièce.

DCXXXI
A M. PAUL DE SAINT-VICTOR, A PARIS

Nohant, 18 février 1867.

Combien je vous remercie de ce beau livre, un chef-d'oeuvre, un modèle pour le fond, et pour la forme! Ce n'est pas une découverte pour moi. Je vous ai toujours suivi avec l'adoration de votre talent, chaque jour plus pur et plus plein; mais il fait bon tenir tout cela ensemble et le relire comme on relit sans cesse Mozart et Beethoven.

Si je n'eusse été malade, et très malade, j'aurais voulu joindre ma petite note au concert des éloges, et la Revue des Deux Mondes m'eût peut-être laissé dire. Mais ce n'est que depuis trois jours que je peux écrire quelques pages. L'article que j'ai publié sur le livre de Maurice était fait il y a longtemps. Ce livre, qu'on a dû vous porter de sa part, devait paraître beaucoup plus tôt.

Me voilà revenue à la vie et vous y avez contribué. Si quelque chose remet la tête et le coeur à leur place, c'est ce que vous avez dans la tête et dans le coeur.

Bien à vous.

G. SAND.

Mon fils veut aussi que je vous dise son admiration.

DGXXXII
A M. ARMAND BARBES, A LA HAYE

Nohant, 2 mars 1867.

Cher excellent ami, Je suis guérie depuis une huitaine de jours; je reprends mes forces rapidement et je travaille. Je veux vous le dire pour ne pas laisser à votre tendre amitié une préoccupation vaine. Je refais un nouveau bail, sans joie ni chagrin, comme je vous le disais. La vie ne m'apportera pas de nouveaux bonheurs et peut-être me ménage-t-elle de nouveaux chagrins. Inutile d'en supputer les chances, puisque le devoir est de l'accepter quelle qu'elle soit.

Ainsi vous faites, avec un courage bien supérieur au mien, qui n'est qu'un détachement amené par l'expérience. Vous, toujours prisonnier ou malade, vous n'avez guère vécu réellement; aussi votre âme s'est habituée à s'épanouir quand même, dans une région au-dessus de la vie réelle, et cette noble existence torturée, toujours souriante et douce, restera comme une légende dans le coeur de nos enfants.

Merci, merci, et pardon mille fois pour les inquiétudes que vous m'exprimez. Aucun médecin ne sait jamais comment je m'atténue et me remets si vite; je ne le sais pas non plus. Je ne devrais, parler de moi qu'in articulo mortis, puisque je donne de fausses peurs à mes amis.

Maurice vous embrasse, et moi aussi, bien tendrement. Ne vous fatiguez pas à m'écrire; mais, quand vous êtes bien ou passablement, deux lignes! c'est un si grand bonheur pour nous!

A vous.

G. SAND.

DCXXXIII
A M. LOUIS VIARDOT, A BADEN

Nohant, 11 avril 1867.

Quoi qu'il en soit, me voilà mieux et très calme, à Nohant, où j'ai passé presque tout l'hiver. Maurice est heureux en ménage; il a un vrai petit trésor de femme, active, rangée, bonne mère et bonne ménagère, tout en restant artiste d'intelligence et de coeur. Nous avons un seul petit enfant; une fillette de quinze mois, qui s'appelle Aurore, et qui annonce aussi beaucoup d'intelligence et d'attention. La gentille créature semble faire son possible pour nous consoler du cher petit que nous avons perdu. Maurice est devenu grand piocheur, naturaliste, géologue et romancier par-dessus le marché. Moi, j'ai peu travaillé cet hiver; j'ai été trop détraquée.

Voilà notre bulletin en réponse au vôtre. Mais pourquoi donc êtes-vous si brouillés avec Paris? Est-ce que l'Exposition n'attirera pas ma fifille34? Et puis la France, en somme, n'est-ce pas quelque chose, et quelqu'un à retrouver, ne fût-ce que pour résumer sa propre vie en la voyant se transformer? La surface, n'est pas belle; c'est la phase de l'impudence dans les moeurs avec l'hypocrisie dans les idées. Mais on dit qu'il se fait, en dessous, un grand travail économique et philosophique d'où sortiront un socialisme nouveau et une politique nouvelle. Il faut vivre dans cet espoir; car les classes qui remuent et qui paraissent sont affreusement pourries; et l'on est étonné de se voir, à soixante ans passés, plus jeune et plus naïf que la jeunesse et la prétendue virilité de ce temps. Que de choses il y aurait à se dire sur tout cela! mais vous pressentez bien ce qui en est, et, sauf que je me plains de l'abandon où vous laissez vos amis, j'approuve fort votre retraite dans la vie de famille, seul et dernier refuge de la liberté de l'âme.

 

J'embrasse et chéris éternellement ma fifille grande et bonne, et nous nous réunissons tous trois pour vous envoyer à tous deux, ainsi qu'à vos chers enfants, nos meilleures amitiés de coeur.

G. SAND.

3131 Hommes et Dieux.
3232 Théophile Gautier.
3333 Madame Alexandre Dumas.
3434 Madame Pauline Viardot-Garcia.