Za darmo

Correspondance, 1812-1876. Tome 4

Tekst
Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

DXI
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 5 mars 1862.

Cher prince,

Vous parlez avec un grand talent, ça ne m'étonne pas, moi, et je sais que cette éloquence vous vient du coeur. Mais tous ces cafards, comme ils vous en veulent! Est-ce qu'ils remporteront? est-ce qu'ils représentent la France aux yeux de l'empereur? Vous avez bien fait de protester d'avance contre l'hypocrite diplomatie du ministre-orateur. Cela nous laisse un peu d'espoir.

Au fond pourtant, je suis furieuse; vous ouvrez à la pensée du règne un courant qui peut tout sauver, et même tout laver dans l'histoire, et on semble fermer volontairement les yeux!

Mais je vous jure que l'Empire est perdu s'il continue à dormir ou à trembler, pendant que les vieux pouvoirs s'éveillent et que les prêtres travaillent. Tout le salut est en vous, en vous seul. Si la France est aussi aveugle que le pouvoir, nous aurons un atroce 1815 et ce qui s'ensuit.

Est-ce que tous ces vieux généraux dévots ne sont pas vendus d'avance?

Cher prince, allez toujours, tout le monde n'est pas ingrat. Le peuple intelligent n'est pas encore corrompu. La France ne peut pas se suicider. Que Dieu veille sur nous et qu'il soit toujours avec vous!

G. SAND.

Les Débats disent avec raison que vous parlez comme personne ne parle, je le crois bien! Vous seul croyez ce que vous dites.

DXII
A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 10 mars 1862.

Vous êtes un bon fils d'aimer votre maman et d'aimer ceux qui l'aiment. Certainement ça me fait plaisir qu'on vous dise du bien de moi, et qu'on en pense, quand c'est des gens de coeur et de mérite comme ceux dont vous me parlez. Est-ce que ce M. Rodrigues n'est pas le frère d'Olinde Rodrigues, que j'ai beaucoup connu, et qui était dans les bons israélites avancés et d'assez belle force en philosophie progressiste?

Je ne sais pas si vous avez remarqué qu'avec les juifs, il n'y a pas de milieu: quand ils se mêlent d'être généreux et bons, ils le sont plus que les croyants du Nouveau Testament. Je suis très touchée de ce mariage d'E.H…. Voilà ce qui s'appelle faire du bien utile. Quand vous reverrez ces bienveillants lecteurs de George Sand, vous leur direz que des lecteurs comme eux me consolent de tant d'autres.

Moi, j'ai essayé, ces jours-ci, de devenir aussi un lecteur de ce pauvre romancier. Ça m'arrive tous les dix ou quinze ans de m'y remettre comme étude sincère et aussi désintéressée que s'il s'agissait d'un autre, puisque j'ai oublié jusqu'aux noms des personnages et que je n'ai que la mémoire du sujet, sans rien retenir des moyens d'exécution. Je n'ai pas été satisfaite de tout; il s'en faut. J'ai relu l'Homme de neige et le Château des Désertes. Ce que j'en pense n'a pas grand intérêt à rapporter; mais le phénomène que j'y cherchais et que j'y ai trouvé est assez curieux et peut vous servir.

Depuis un mois environ je ne m'étais occupée que d'histoire naturelle avec Maurice, et je n'avais plus dans la cervelle que des noms plus ou moins barbares; dans mes rêves, je ne voyais que prismes rhomboïdes, reflets chatoyants, cassure terne, cassure résineuse; et nous passions des heures à nous demander: «Tiens-tu l'orthose?—Tiens-tu l'albite?» et autres distinctions qui ne sont jamais distinctes pour les sens, en mille et un cas minéralogiques.

Si bien que, Maurice parti, cette étude qui, à deux, me passionnait, est retombée pour moi dans l'étude des choses mortes. Et puis j'avais perdu bien du temps et il fallait se remettre à son état. Mais, alors, votre serviteur! il n'y avait plus personne. George Sand était aussi absent de lui-même que s'il fût passé à l'état fossile. Pas une idée d'abord, et puis, les idées revenues, pas moyen d'écrire un mot. Je me suis rappelé vos désespoirs de l'été dernier. Ah! c'était bien autre chose. Vous n'êtes jamais tombé au point de ne pas pouvoir écrire trois lignes dans une langue quelconque; vous ne vous êtes jamais promené dans un jardin avec la monomanie insurmontable de ramasser tous les cailloux blancs pour les comparer les uns aux autres. Alors j'ai pris un ou deux romans de moi pour me rappeler que jadis—il y a six semaines encore—j'écrivais des romans. D'abord je ne comprenais rien du tout. Peu à peu, ça s'est éclairci. Je me suis reconnue, dans mes qualités et dans mes défauts; et j'ai repris possession de mon moi littéraire. A présent, c'est fini, en voilà pour, longtemps à ne pas me relire et à fonctionner comme une eau qui court sans trop savoir ce qu'elle pourrait refléter en s'arrêtant.

Quand vous retomberez dans ces crises-là, relisez le Régent Mutstel, et la Dame aux perles; ou la première venue de vos pièces, et vous vous repêcherez; car nous passons notre vie à nous noyer dans le prisme changeant de la vie, et le petit rayon que nous pouvons avoir en propre y disparaît bien facilement. Mais cela n'est pas mauvais, croyez-le. Se relire souvent, s'examiner sans cesse, se connaître toujours serait un supplice et une cause de stérilité.

Croyez bien que le père Dumas n'a dû l'abondance de ses facultés qu'à la dépense qu'il en a faite. Moi, j'ai des goûts innocents, aussi je ne fais que des choses simples comme bonjour. Mais, pour lui qui porte un monde d'événements, de héros, de traîtres, de magiciens, d'aventures, lui qui est le drame en personne, croyez-vous que les goûts innocents ne l'auraient pas éteint? Il lui a fallu des excès de vie pour renouveler sans cesse un énorme foyer de vie. Vous ne le changerez pas en effet, et vous porterez le poids de cette double gloire, la vôtre et la sienne. La vôtre avec tous ses fruits, la sienne avec toutes ses épines. Que voulez-vous! il a engendré vos grandes facultés, et il se croit quitte envers vous. Vous avez voulu en faire un emploi plus logique: votre moi s'est prononcé là, et vous a emmené sur une autre voie où il ne peut pas vous suivre.

C'est un peu dur et difficile d'être forcé parfois de devenir le père de son père. Il y faut le courage, la raison et le grand coeur que vous avez. Ne le niez pas, ce grand coeur; il perce dans tout ce que vous dites et dans tout ce que vous faites. Il vous gouverne à votre insu peut-être, mais il vous gouverne, et, s'il vous crée des devoirs dont beaucoup de gens ne s'embarrassent guère, il vous payera bien en puissance vraie et en repos intérieur.

Allez-y gaiement, allez-y toujours, et vous verrez plus tard! Tout passe, jeunesse, passions, illusions et besoin de vivre; une seule chose reste, la droiture du coeur. Cela ne vieillit pas et, tout au contraire, le coeur est plus frais et plus fort à soixante ans qu'à trente, quand on le laisse faire.

Je ne vous ai pas remercié, c'est vrai, pour l'offre de votre bijou d'appartement; je ne vous remercie pas, j'accepte pour le cas où je n'aurais plus de gîte à Paris. Où serais-je mieux que chez mon enfant?—Mais, pour un bon bout de temps encore, j'ai mon petit grenier rue Racine et mes habitudes de quartier Latin.

Je vous embrasse de tout mon coeur et je vous charge de tous mes bons souvenirs pour les châtelaines.

G. SAND.

DXIII
A MADEMOISELLE LINA CALAMATTA, A MILAN

Paris, 31 mars 1862.

Ma Lina chérie,

Fiez-vous à nous, fie-toi à lui, et crois au bonheur. Il n'y en a qu'un dans la vie, c'est d'aimer et d'être aimée. Nous sommes deux qui n'aurons pas d'autre but et pas d'autre pensée que de te chérir et de te gâter. Nous aimons ton père si tendrement aussi, que tous nos soins et tous nos désirs seront pour le voir et le chercher, ou l'attirer ou le retenir le plus possible. Il en a toujours été ainsi, tu le sais. Il y a trente ans qu'il est un de nos meilleurs amis, et, à présent qu'il nous confie ce qu'il a de plus cher au monde, il est, avec toi, ce que nous chérissons le plus et le mieux. Maurice enfant l'a aimé d'instinct; homme, il l'a apprécié, et, quand il t'a vue, toi qui tiens tant de lui, il a senti pour toi une sympathie qui ne ressemblait à aucune autre.

Et moi donc!—Je sens bien que je te serai une mère véritable; car j'ai besoin d'une fille et je ne peux pas trouver mieux que celle du meilleur des amis.

Aime ta chère Italie, mon enfant, c'est la marque d'un généreux coeur. Nous l'aimons aussi, nous, surtout depuis qu'elle s'est réveillée dans ces crises d'héroïsme, et, puisque tu l'aimes passionnément, nous l'aimerons ardemment. Ce n'est pas difficile ni méritoire, et, n'en fût-elle pas digne comme elle l'est, nous l'aimerions encore parce que tu l'aimes. Enfin, ma Lina chérie, ouvre-nous ton coeur, et tu verras que le nôtre t'appartient, et que celui dont j'ai plaidé la cause auprès de ton père et de toi est digne de se charger de ton bonheur. Nous avons traversé, Maurice et moi, bien des épreuves en nous tenant toujours la main plus fort et en nous consolant de tout l'un par l'autre; mais toujours nous nous disions: «Où est celle qui nous rendrait complètement forts et heureux?» Viens donc à nous, chère fille, et sois bénie! Je t'embrasse de toute mon âme, et je pense jour et nuit au moment qui nous réunira. A bientôt, j'espère! j'espère et je désire, et je veux.

Embrasse pour moi ton bien-aimé père. Remercie-le pour moi, comme je te remercie d'avoir confiance en nous.

G. SAND.

DXIV
A M. MARGOLLÉ, A TOULON

Paris, 6 avril 1862.

Cher monsieur,

J'ai reçu votre livre en quittant Nohant et j'en ai lu une partie en chemin de fer. Mais, depuis que je suis ici, je n'ai pu l'achever. C'est une vie désordonnée pour moi que ce Paris, où je ne puis m'appartenir un instant.

J'ai beau fuir le monde et ne vouloir aller nulle part, et vouloir me renfermer dans l'intimité, je suis assiégée jusque sur l'escalier et jusque dans mon fiacre. Et puis tant de choses à voir et à faire en quinze jours, quand on ne vient à Paris que tous les deux ou trois ans! Enfin j'achève mes corvées et je repars dans deux jours, et je vous lirai et je reprends la seule vie qui me convienne, la vie d'étude et de réflexion. Ce que j'ai lu est d'un grand intérêt et très beau de coeur et de pensée.

 

Vous avez pris le bon chemin dans la vie. Il n'y en a pas d'autre. Toute cette agitation politique qui règne ici est inféconde. A tous les étages et dans tous les milieux de cette politique, je ne vois que des gens perchés sur leurs balcons et regardant en bas vers le peuple, les uns avec effroi, les autres avec espérance, et tous se disant: «Que fait-il? que va-t-il faire? que pense-t-il? que veut-il? quel mal ou quel bien va sortir de lui? Questions insolubles!» Le peuple n'en sait pas davantage sur ceux qu'il regarde d'en bas, il n'en sait guère plus sur lui-même. Il attend et il s'inspirera du moment; et qu'importe ce qu'il fera, s'il ne sait pas pourquoi il le fait?

Instruisons-le sous toutes les formes. Le résultat de nos efforts est peut-être fort éloigné, mais au moins il est sûr, et tout le reste est inutile.

Je n'ai pas le temps de vous en dire davantage. Je vous écrirai de Nohant, et, en attendant, j'envoie à votre digne compagne, à votre famille et à tous vos chers enfants mille tendres souvenirs.

G. SAND.

DXV
A M. ARMAND BARBÈS, A LA HAYE

Nohant, 3 mai 1862.

Mon ami bien cher,

Je suis, depuis longtemps déjà, sans nouvelles de vous. Pouvez-vous m'en faire donner, si le travail d'écrire vous fatigue encore? Dois-je espérer que vous êtes mieux, comme, votre dernière lettre me l'annonçait?

Moi, je veux vous annoncer le prochain mariage de mon fils avec la fille de mon vieux et cher ami Calamatta. C'est une charmante enfant et un esprit généreux. Cette union est un voeu de mon coeur enfin accompli.

Vous partagerez ma joie, vous qui ne vivez que pour vos amis sans songer à vous-même. Mais, s'il est possible, parlez-moi un peu de vous, sinon pensez à moi et souhaitez du bonheur à mon cher fils. Le ciel, qui vous aime, y aura égard!

GEORGE SAND.

DXVI
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 11 mai 1862.

Cher prince,

Êtes-vous encore à Paris? Je me hâte de vous remercier de toute mon âme pour ma soeur, qui va, grâce à vous, se trouver heureuse.

A présent, j'ai le coeur tout à fait libre de cette perplexité de famille et je suis toute au bonheur de mes enfants, qui se marient dans quelques jours. Ah! si vous ne partiez pas cette semaine, ce serait si vite fait pour vous de venir, incognito, passer vingt-quatre heures!—Ma!—peut-être seriez-vous un peu compromis par notre liberté de conscience?—pas de prêtre!

Nous sommes excommuniés, comme tous ceux qui, de fait ou d'intention, ont souhaité l'unité de l'Italie et le triomphe de Victor-Emmanuel; nous nous tenons pour chassés de l'Église. Mais ne le dites pas à la princesse Clotilde! Il ne faut pas faire pleurer les anges. Elle croit—nous ne croyons pas, nous autres,—à l'Église catholique. Nous serions hypocrites d'y aller.

Encore merci, et tâchez, s'il vous plaît, monseigneur, de nous délivrer Rome. Calamatta nous dit ici que vous allez trouver en Italie des transports d'affection et de reconnaissance. Ce voyage est pour nous une grande espérance; car nous voilà tous très Italiens de coeur, et nous vous aimons d'autant plus.

Mais vous ne resterez pas longtemps? Est-ce que le moment où vous allez être père n'approche pas? Que de joie chez nous quand nous saurons que vous avez ce bonheur!

GEORGE SAND.

DXVII
A MADAME D'AGOULT, A PARIS

Nohant, 7 juin 1862.

Merci de votre bon petit mot, ma chère Marie. C'est bien aimable à vous de vouloir que ces heureux jours qui me viennent soient complétés par un souvenir et une félicitation de votre part. Quand on s'est franchement aimés, je crois qu'on s'aime toujours, même pendant le temps où l'on croit s'être oubliés. Moi, je ne sais plus trop ce qui s'est passé.

La vie est toujours pour moi l'heure présente. Cette heure est telle aujourd'hui, que vous pourriez lire dans mon coeur sans y rien trouver qui vous afflige et vous inquiète.

Donc à vous toujours!

GEORGE.

DXVIII
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 20 juillet 1862.

Mon cher prince,

J'arrive des bords de la Creuse, et j'apprends l'heureux événement; j'en suis enchantée, vous le savez d'avance.

La princesse est une brave mère de nourrir son enfant! Vous, il faut en faire un homme, un vrai homme, de cet enfant-là. Vous serez un tendre père, j'en suis sûre, parce que vous avez été un bon fils; mais occupez-vous vous-même de son éducation, et elle sera ce qu'elle doit être pour un homme de l'avenir et non du passé.

Vos amis comptent là-dessus et se réjouissent. Je ne peux pas vous dire combien je pense à vous et combien je rêve de votre fils, vous êtes content, cette fois? Dites-moi oui, et donnez-lui un baiser pour moi, au nom du bon Dieu, le roi des rois, avec qui je ne suis pas trop mal.

Il n'est pas encore question d'un bonheur comme ça chez nous. J'attends l'espérance avec impatience. Mes enfants sont chez mon mari à Nérac. Il a été gravement malade; il est hors d'affaire, et mes enfants vont me revenir.

Je vous aime de tout mon coeur, toujours.

GEORGE SAND.

DXIX
A MADEMOISELLE NANCY FLEURY, A PARIS

Nohant, 7 août 1862.

Ma chère mignonne,

Je suis bien contente de l'embarras d'Hetzel79 puisqu'il me procure une charmante lettre de toi, et de bonnes nouvelles de vous toutes. J'ai vu ton père hier et nous avons causé, comme tu penses, de tout ce qui vous concerne, et de cette pauvre chère grand'mère qui est partie!

Ma Lina, qui est de retour de son voyage et se propose de t'écrire bientôt, a fait aussi mille questions sur vous à ton père. Et nous avons dit beaucoup de mal de toi, comme tu penses! Nous avons grondé ton père de ce qu'il ne te faisait pas courir un peu avec lui quand il vient chez nous: ce serait si bon pour nous de te tenir ici! Mais il dit: «Cela ne se peut pas, elle travaille, elle est forcée à des relations continuelles pour ses travaux.»

Un temps viendra peut-être où tu auras un peu de vacances, et Valentine aussi, et alors ta petite maman n'aurait plus de raison d'être à Paris quand le père aurait à venir en Berry. Vous prendriez Nohant pour centre d'opérations, ton père faisant ses courses et promenades; vous, le peu de visites que vous tenez à faire maintenant au pays, et vous auriez chez nous le home et la famille.

Rien ici de changé essentiellement depuis les bons jours d'intimité que nous y avons passés ensemble, sauf le grand bonheur d'avoir cette adorable et adorée petite, immense compensation aux douleurs qui nous ont tous frappés et aux adieux tant de fois répétés aux vivants et aux morts.

Laisse Lina et moi faire ce bon rêve de vous ravoir quelquefois près de nous, quand de bonnes circonstances le permettront, et parlons de cette géométrie naturelle, qui est une oeuvre charmante et bonne. Que les lecteurs sont donc bêtes avec leur répulsion pour les mots! Enfin cherchons:

Avant nous.

L'oeuvre avant l'ouvrier.

Les formes primitives.

La science avant les savants.

L'artiste éternel.

Histoire de la forme.

La loi des formes naturelles.

Tout cela ne vaut rien, et rien ne vaudra jamais le vrai titre, qui était le seul juste. Il faut tâcher de persuader à Hetzel de le conserver, ou il faut qu'il en trouve un bon. S'il refusait l'ouvrage, il me semble que madame Pape-Carpentier trouverait à le placer naturellement dans la Bibliothèque utile de Leneveu, qui est un excellent recueil, très répandu et très goûté.

Bonsoir, chère fille; je t'embrasse, je vous embrasse tous bien fort.

TA MARRAINE.

DXX
A MADAME D'AGOULT, A PARIS

Nohant, 23 octobre 1862.

Chère Marie,

J'ai appris bien tard le malheur affreux qui vous a frappée. Je le ressens vivement; et, qu'il soit tard où non pour vous le dire, je veux que vous me comptiez au nombre de ceux que vos douleurs affecteront toujours profondément. C'est dans ces tristes ébranlements de la vie que l'on sent la durée des chaînes de l'affection et comme le réveil de tout ce que le coeur avait mis en commun de joies et de peines. Vous me félicitiez récemment d'avoir acquis une fille charmante, et vous en perdez une accomplie80.

Croyez que l'égoïsme naturel au bonheur s'arrête ici et que je souffre de votre mal. Et puis qu'est-ce que le bonheur quand un jour imprévu nous le brise? Qui peut compter sur le soleil de demain? Votre âme si élevée, votre esprit, qui a touché aux plus hautes solutions de la pensée, a sans doute puisé des forces suprêmes dans l'espoir confiant d'une vie meilleure. Je n'ai donc rien à vous dire pour vous consoler que vous ne sachiez mieux que moi.

Ce que je vous apporte, c'est un grand respect pour vos larmes et une grande tendresse pour vos déchirements.

GEORGE.

DXXI
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 14 décembre 1862.

Merci à vous, cher prince, pour la brochure que vous avez bien voulu me faire envoyer. J'ai été un peu malade ces jours derniers. Je n'ai pu la lire que cette nuit; tous ces documents sont très frappants et de la plus grande utilité. Espérons qu'ils ajouteront leur poids à la somme de réflexions que le public et le gouvernement devraient faire un peu moins longues ou un peu moins indifférentes au salut de l'Italie et de la France.

Devant l'envahissement du pouvoir clérical, il me semble que la France est encore plus menacée que l'Italie. Est-ce une finesse de l'empereur pour laisser constituer chez nous une Église gallicane pendant que celle de Rome tomberait? Le jeu serait habile, mais périlleux. Le prêtre peut bien ruser au plus fin, gallican ou non, et je ne vois pas ce que l'honneur français gagne à remporter ce genre de victoires.

Vous avez fait encore des vôtres, monseigneur! Vous avez couru, cette année, la terre et la mer toujours avec des risques, des gros temps et des aventures. Vous aimez cela, c'est bien, et on me dit que la princesse Clotilde est aussi brave que vous. On me dit aussi que votre fils devient superbe. Voilà des éléments de bonheur domestique.

Mais êtes-vous rassuré sur nos publiques affaires? Il me semble que la vie, à force d'être lente, s'éteint sous la cendre, aussi bien dans les masses que sur les trônes.

Tout mon petit nid vous envoie des respects pleins d'affection et de dévouement. Maurice est touché de votre bon souvenir à l'endroit de la brochure. Il se dispose à aller passer quelques jours dans le Midi chez son père; après quoi, il ira à Paris avec sa chère et parfaite petite femme. Moi, je ne sais quand je sortirai de mon encrier pour respirer un peu; ce que je sais, c'est que je vous aime toujours de tout mon coeur et qu'il me tarde bien de vous revoir.

GEORGE SAND.

79Qui cherchait un titre pour l'ouvrage d'abord intitulé Evenor et Leucippe, et qui s'est définitivement appelé les Amours de l'âge d'or.
80Madame Emile Ollivier.