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Correspondance, 1812-1876. Tome 3

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CCCXXXIX
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE

Nohant, 23 janvier 1853.

Cher ami,

Je vais à Paris après m'être assurée des intentions qu'on pouvait avoir à mon égard. Elles sont rassurantes, on m'a même expédié un laissez-passer signé Maupas. Je ne veux pas écrire le principal but de mon voyage; je te le dirai si je te vois auparavant ou au retour. Mais tu peux le deviner. Si je ne réussis pas, je n'aurai du moins rien empiré, et j'aurai fait mon devoir à mes risques et périls.

Je suis dans l'embarras et dans l'inquiétude pour ce billet de six mille francs. Nécessairement, quoique l'affaire reste bonne et solide, les événements ont imprimé un temps d'arrêt à la vente, juste au moment où les bénéfices, consacrés jusqu'ici à payer tous les frais, allaient devenir nets pour moi. Quelque bien qu'elle aille durant le mois prochain, le caissier doute que je puisse restituer les six mille francs au 8 mars. J'en avais trois mille de réservés sur ma bourse particulière; mais ce voyage qu'il faut que je fasse me les laissera-t-il intacts? J'en doute, si, comme il est probable, ma négociation prend un certain temps. Donc, le plus sûr, c'est que tu me fasses renouveler le billet, à ton beau-père en payant l'intérêt.—S'il marque la plus légère défiance ou contrariété (ce qu'à Dieu ne plaise je ne voudrais t'attirer!), déplace ma dette et fais-la porter sur quelque autre point pour un an. J'ignore si les événements ont rendu ces transactions difficiles. S'il en était ainsi et qu'on craignît que je ne fusse exilée ou emprisonnée,—j'ai maintenant la certitude du contraire,—je pourrais offrir une délégation sur mes fermages de Nohant, en cas de départ sérieux.

Bonsoir, cher ami. J'embrasse mille fois Eugénie. Si tu arrives avant que je sois partie, viens me voir. Il me semble que cela serait utile, et cela me ferait grand plaisir.

G. S.

Voulez-vous donner l'hospitalité à mon pauvre Marquis23?

Si vous avez des livraisons détachées de mon édition illustrée, renvoyez-les-moi, je vous envoie tout ce qui a paru broché. Un exemplaire pour vous, un pour Muller, un pour madame Fleury.

CCCXL
AU MÊME

Paris, 30 janvier 1852.

J'agis, je cours. Ça va bien. J'ai été reçue on ne peut mieux, et des poignées de main de cette dame en veux-tu en voilà! Demain, je tâcherai de faire régler l'affaire. Le Gaulois et autres de là-bas24 me désavouent, me défendent de les nommer. Sont-ils bêtes de craindre quelque bêtise de ma part! Mais, fichtre, qu'ils parlent pour eux! Il y en a bien d'autres qui ne seront pas fâchés de revenir coucher dans leur lit, ne fût-ce que le Vigneron25.

Je n'ai pas le temps de vous écrire autre chose sinon que ma santé est meilleure, que ma pièce est reçue à bras ouverts, que je cours le jour et que je travaille la nuit, que j'ai vu Eugène, qui me paraît sage et gentil, que je vous embrasse et que je vous aime.

Silence sur mes démarches.

CCCXLI
A M. LE CHEF DU CABINET AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, 1er février 1852.

Monsieur,

Ayez l'obligeance de vouloir bien rappeler à M. de Persigny que je lui ai demandé l'élargissement des personnes arrêtées ou poursuivies à la Châtre. Elles sont trois: M. Fleury, ex-représentant, absent; M. Périgois et M. Emile Aucante, prisonniers. Je demande l'abandon de l'instruction commencée contre elles, et je la demande comme un acte de justice, puisque je puis répondre sur ma tête de ces trois personnes, comme n'ayant en rien justifié les soupçons formulés contre elles.

J'ai nommé aussi M. Lebert, notaire, compromis plus sérieusement et coupable, selon l'acte d'accusation, d'avoir rassemblé les habitants de sa commune avec l'intention de les insurger. Je puis encore répondre des intentions de M. Lebert, homme d'ordre, de science et de haute moralité. Il a eu la résolution d'empêcher des actes de violence et de protéger, par son influence et sa fermeté, la propriété et les personnes que menaçait l'insurrection annoncée des communes voisines. Si j'avais été à sa place, j'en eusse fait autant, et je suis très peu partisan des insurrections de paysans.

Voilà ce que j'ai demandé à M. le ministre, non comme une faveur du gouvernement que mes amis ne m'ont point autorisée à accepter, mais comme un acte de justice dont ma conscience peut attester la nécessité morale. Mais, pour moi, si je dois accepter cet acte de justice politique comme une faveur personnelle de M. de Persigny, oh! je ne demande pas mieux, et c'est de tout mon coeur que je lui en serai personnellement reconnaissante, ainsi qu'à vous, monsieur, qui voudrez-bien joindre votre voix à la mienne, j'en suis certaine.

Heureuse d'obtenir de sa confiance en ma parole l'élargissement de mes plus proches voisins, je n'ai pourtant pas renoncé à plaider auprès de lui la cause de mon département tout entier. C'est dans ce but que je me suis permis de l'importuner de ma parole, toujours très gauche et très embarrassée. Priez-le, monsieur, de se souvenir qu'au milieu de mon gâchis naturel, je lui ai posé une question à laquelle il a répondu en homme de coeur et d'intelligence: Poursuivez-vous la pensée?—Non, certes.

Eh bien, parmi les nombreux prisonniers qui sont détenus à Châteauroux et à Issoudun, plusieurs peut-être ont eu la pensée de prendre les armes pour défendre l'Assemblée. Je ne sais pas si elle en valait beaucoup la peine; mais enfin c'était une conviction sincère de leur part, et, avant que la France se fût prononcée d'une manière imposante pour l'autorité absolue, le gouvernement pouvait considérer ceci comme une lutte ardente à soutenir, mais non comme un crime à châtier de sang-froid. La lutte a cessé; le gouvernement, à mesure qu'il s'éclairera sur ce qui s'est passé en France depuis les journées de décembre, aura horreur des vengeances personnelles auxquelles la politique a servi de prétexte, et reconnaîtra qu'il est perdu dans l'opinion s'il ne les réprime. Il reconnaîtra aussi que, là où ces vengeances se sont exercées, elles ont eu un double but, celui de satisfaire de vieilles haines, et celui de rendre impossible un gouvernement qu'elles trahissaient en feignant de le servir. Je ne nommerai jamais personne à M. de Persigny; mais il s'éclairera et verra bien!

En attendant, M. le ministre m'a dit qu'il ne punissait pas la pensée, et je prends acte de cette bonne parole, qui m'a ôté tout le scrupule avec lequel je l'abordais. Je ne sais pas douter d'une bonne parole, et c'est dans cette confiance que je lui dis que personne n'est coupable dans le département de l'Indre. Initiée naturellement, par mes opinions et la confiance que l'on m'accorde, à toutes les démarches des républicains, je sais qu'on s'est réuni, en petit nombre, qu'on s'est consulté, qu'on a attendu les nouvelles de Paris, et qu'à celle de l'abstention volontaire du peuple, chacun s'est retiré chez soi en silence. Je sais que, partie de Paris au milieu du combat, je suis venue dire à mes amis: «Le peuple accepte, nous devons accepter.» Je ne m'attendais guère à les voir arrêtés par réflexion quinze jours après, et, parmi eux, ceux de la Châtre, qui n'avaient été à aucune réunion, attendant mon retour, peut-être, pour savoir la vérité.

S'il en était autrement, si ce que je dis là n'était pas vrai, je n'aurais pas quitté ma retraite, où personne ne m'inquiétait, et mon travail littéraire, qui me plaît et m'occupe beaucoup plus que la politique, pour venir faire à M. le président et à son ministre un conte perfide et lâche. Je me serais tenue en silence dans mon coin, me disant que la guerre est la guerre, et que qui va à la bataille doit accepter la mort ou la captivité. Mais, en présence d'injustices si criantes, ma conscience s'est révoltée, je me suis demandé s'il était honnête de se dire: «Tant mieux que la réaction soit odieuse, tant mieux que le gouvernement soit coupable; on le haïra d'autant plus, on le renversera d'autant mieux.» Non! j'ai horreur de ce raisonnement, et, s'il est politique, alors je n'entends rien à la politique et ne suis pas née pour y jamais rien comprendre.

En attendant, le mal se fait et la souffrance tue le corps et l'âme. Le malheur aigrit les esprits. La défaite exaspère les uns, le triomphe enivre les autres, les haines de parti s'enveniment, les moeurs deviennent affreuses, les relations humaines fratricides.

Non, il n'est pas possible de se réjouir de cela et d'y applaudir dans son coin. En souhaitant que nos adversaires politiques soient le moins coupables envers nous, je crois être plus républicaine, plus socialiste que jamais.

M. de Persigny, chargé de la noble mission de réparer, de consoler, d'apaiser, et joyeux d'en être chargé, j'en suis certaine, appréciera mon sentiment et ne voudra pas que son nom, celui du prince auquel il a dévoué sa vie, soient le drapeau dont Les légitimistes et les orléanistes (sans parler des ambitieux qui appartiennent à tous les pouvoirs) se servent pour effrayer les provinces, par l'insolent triomphe des plus mauvaises passions.

 

Voilà mon plaidoyer, monsieur; je suis un avocat si peu exercé, et la crainte d'ennuyer et d'importuner est si grande chez moi, que je n'ose pas l'adresser directement à M. le ministre. Mais, comme c'est la première fois, la dernière fois j'espère, que je vous importune, vous, monsieur, je vous demande en grâce de le résumer pour le lui présenter. Il sera plus clair et plus convaincant dans votre bouche.

Qui sait si je ne pourrai pas vous rendre un jour même service de coeur et de conviction.

Les destins et les flots sont changeants. J'ai passé bien des heures, en mars, et en avril 1848, dans le cabinet où M. de Persigny m'a fait l'honneur de me recevoir. J'y allais faire pour le parti qui nous a renversé ce que je fais aujourd'hui pour celui qui succombe. J'y ai plaidé et prié souvent, non pour faire ouvrir des prisons, elles étaient vides, mais pour conserver des positions acquises, pour modérer des oppositions obstinées mais inutiles, pour protéger des intérêts non menacés, mais effrayés. J'y ai demandé et obtenu bien des aumônes pour des gens qui m'avaient calomniée et persécutée. Je ne suis pas dégoûtée de mon devoir, qui est, avant tout, je crois, de prier les forts pour les faibles, les vainqueurs pour les vaincus, quels qu'ils soient et dans quelque camp que je rue trouve moi-même.

Agréez, monsieur, mes excuses pour cette longue lettre, et mes remerciements pour la patience que vous aurez eue de la lire jusqu'au bout. Permettez-moi d'espérer que vous accorderez votre aide généreuse et sympathique à des intentions dont la droiture ne saurait être soupçonnée.

CCCXLII
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME)
A PARIS

Paris. 2 février 1852.

Cher prince,

Le comte d'Orsay, qui est si bon, et qui cherche toujours ce qu'il peut annoncer d'agréable à ses amis, me dit aujourd'hui que vous avez de la sympathie, presque de l'amitié pour moi.

Rien ne peut me faire plus de bien; outre que je venais de lui dire que j'avais pour vous, et tout à fait ces sentiments-là, je sens en vous un appui sincère et dévoué pour ceux qui souffrent de l'affreuse interprétation donnée, par certains agents, aux intentions du pouvoir.

J'espère que vous pourrez obtenir la réparation de bien des erreurs, de bien des injustices, et je sais que vous le voulez. Ah! mon Dieu, comme il y a peu d'entrailles aujourd'hui! Vous en avez, vous, et vous en donnerez à ceux qui en manquent!

Vous êtes venu aujourd'hui pendant que j'étais chez M. d'Orsay; il m'a annoncé votre visite, je suis vite revenue chez moi, il était trop tard. Vous aviez fait espérer que vous reviendriez à six heures, mais vous n'avez pu revenir. J'en suis doublement désolée, et pour moi, et pour mes pauvres prisonniers de l'Indre, que je voudrais tant vous faire sauver. M. d'Orsay m'a dit que vous le pouviez, que vous aviez de l'autorité sur M. de Persigny. Je dois dire que M. de Persigny a été fort bon pour moi, et m'a offert des grâces particulières pour ceux de mes amis que je voudrais lui nommer. M. le président m'avait dit la même chose. Mes amis m'avaient tellement défendu de les nommer, que j'ai dû refuser les bontés de M. le président.

M. de Persigny, avec qui je pouvais me mettre plus à l'aise, ayant insisté, et me faisant écrire aujourd'hui pour ce fait, je crois pouvoir, sans compromettre personne, accepter sa bonne volonté comme personnelle à moi.

Si cela est humiliant pour quelqu'un, c'est donc pour moi seule, et j'accepte l'humiliation sans faux orgueil, voire avec un sentiment de gratitude sincère, sans lequel il me semble que je serais déloyale. J'ai donc écrit plusieurs noms, et je compte sur l'effet des promesses; mais mon but eût été d'obtenir pleine amnistie pour tous les détenus et prévenus du département de l'Indre26; c'est d'autant plus facile qu'il n'y a eu aucun fait d'insurrection, que toutes les arrestations sont préventives et qu'aucune condamnation n'a encore été prononcée. Il ne s'agit donc que d'ouvrir les prisons, conformément à la circulaire ministérielle, à tous ceux qui sont peu compromis, et que de faire rendre un arrêt de non-lieu, ou suspendre toute poursuite contre ceux qui sont un peu plus soupçonnés. Un mot du ministre au préfet en déciderait.

Les tribunaux, s'ils sont saisis de ces affaires, ce que j'ignore, sont d'aveugles esclaves.

M. de Persigny ne pouvait guère me promettre cela à moi; mais vous pourriez le demander avec insistance, et vous l'obtiendriez certainement.

Je n'ai pas besoin de vous dire que mon coeur en sera pénétré de reconnaissance et d'affection. C'est le vôtre qui plaidera en vous-même beaucoup mieux que moi.

Vous avez dit chez moi que vous partiez pour la campagne; j'espère que ma lettre vous y parviendra et que vous écrirez au ministre; vous le verrez aussi, à votre retour, n'est-ce pas, prince? et j'apprendrai aux habitants de mon Berry qu'il faut vous aimer comme je vous aime, moi, avec un coeur qui a l'âge maternel, c'est-à-dire celui meilleures affections.

GEORGE SAND.

CCCXLIII
AU PRINCE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Paris, 3 février 1852.

Prince,

Dans une entrevue où l'embarras, et l'émotion m'ont rendue plus prolixe que je ne me l'étais imposé, j'ai obtenu de vous des paroles de bonté qu'on n'oublie pas. Vous avez bien voulu me dire: «Demandez-moi telle grâce particulière que vous voudrez.»

J'ai eu l'honneur de vous répondre que je n'étais autorisée par personne à vous implorer. Je n'avais vu personne à Paris, vous étiez ma première visite.

Je n'aurais pu que vous importuner d'un détail en insistant sur les arrestations opérées dans ma province, et dont les conséquences ne me paraissent pas graves, puisque aucun fait d'insurrection ne s'est produit là, et qu'à supposer la pensée d'une résistance, il est impossible qu'on veuille châtier la pensée non suivie d'effet, Je pouvais le craindre en quittant cette province, où l'autorité semblait avoir pris à tâche de consterner et de désaffectionner la population par des rigueurs sans motifs sérieux. Mais, en vous écoutant me répondre avec tant de douceur et d'humanité, je ne pouvais plus conserver d'inquiétude, et je n'avais plus d'autre démarche à faire pour mes compatriotes de l'Indre, que celle de hâter leur élargissement par mes instances auprès de votre ministre.

Mais, si je me flatte de l'espoir d'obtenir aisément l'absolution pour des hommes qu'aucune décision n'a encore atteints, je ne suis pas sans effroi pour ceux sur le sort desquels il a été statué ailleurs d'une manière rigoureuse. J'en ai vu deux aujourd'hui que je sais complètement innocents, si c'est le fait de conspiration que l'on veut châtier, si ce n'est pas l'opinion… chose impossible, inouïe dans nos moeurs, dans les idées de notre génération, impossible cent fois dans le coeur du prince Louis-Napoléon. Je les ai trouvés résignés à leur sort et croyant, grâce au système excessif que vous venez de réprimer, à cette chose monstrueuse qu'ils étaient frappés pour leurs principes et non pour leurs actes. J'ai repoussé vivement cette supposition, qui m'était douloureuse après ce que je vous ai entendu dire. J'ai répété que j'avais foi en vous, et que la personnalité était inconnue au coeur d'un homme pénétré, comme vous l'êtes, d'une mission supérieure aux passions et aux ressentiments de la politique vulgaire.

J'ai dit que j'irais vous demander leur grâce ou la commutation de leur peine. Ils avaient dit non d'abord; ils ont dit oui, quand ils ont vu ma conviction. Ils m'ont autorisée à profiter de cette offre généreuse que vous m'avez faite et qu'il m'était si douloureux d'être forcée de refuser.

Maintenant, vous n'estimeriez pas ces deux hommes si je vous disais qu'ils rétracteront leurs principes, qu'ils abandonneront leurs sentiments. Ils ont toujours été, ils seront toujours étrangers aux conspirations, aux sociétés secrètes, et la forme absolue de votre gouvernement ne peut plus vous faire redouter l'émission publique de doctrines que vous ne toléreriez pas.

Je prends sur moi la dette de la reconnaissance.

Vous savez que, de ma part, elle sera profonde et sincère. Ne dédaignez pas un sentiment si rare en ce monde, et que vous trouverez peut-être dans les partis vaincus plus que dans ceux qui profitent de la victoire. Prince, je me souviens de vous avoir écrit à Ham que vous seriez empereur un jour, et que, ce jour-là, vous n'entendriez plus parler de moi. Vous voilà huit millions de fois plus haut placé qu'un empereur d'Allemagne ou de Russie, et pourtant je vous implore. Faites que je m'enorgueillisse de m'être parjurée.

Peut-être n'entrerait-il pas dans vos desseins actuels de laisser savoir que c'est à moi, écrivain socialiste, que vous accordez la commutation de peine de deux socialistes. S'il en était ainsi, croyez à mon honneur, croyez à mon silence. Je ne confie à personne l'objet de cette lettre, et, satisfaite d'être fière de vos bontés dans le secret de mon coeur, je n'en dirai jamais l'heureux résultat, si telle est votre volonté.

GEORGE SAND.

Si vous ne repoussez pas ma prière, daignez me faire savoir le moment que vous m'accordez pour aller vous nommer les deux personnes qui m'intéressent.

CCCXLIV
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE

Paris, 10 février 1852.

Mes amis,

Ne soyez pas inquiets du résultat de mes démarches. Autant qu'on peut être sûr des choses humaines, je le suis que nous gagnerons notre procès. Je vous dirai des choses qui vous étonneront bien, mais qu'il est inutile de confier au papier.

J'ai embrassé, ce soir, dans la rue, votre ami de Ribérac27, libre pour vingt-quatre heures sur le pavé de Paris, et partant cette nuit pour Bruxelles, avec un autre dont vous verrez le nom dans les journaux.

La personne que vous savez a été, à cet égard, d'un chevaleresque accompli, et il y a autour de cela des circonstances qui ébranleront toutes vos idées sur son compte, et qui, pour le mien, m'enchaînent sérieusement par une estime personnelle en dehors de toutes les idées politiques; invariables chez moi, comme vous pensez bien.

Il faut, en effet, beaucoup de prudence et de discrétion en ce qui me concerne. Je ne crains nullement de me compromettre pour mon compte; mais je peux faire quelque bien à ceux qui souffrent, et il est inutile de susciter des difficultés. Je crois que je les vaincrais toutes, mais cela me retarderait.

Bonsoir, chers enfants; je n'ai pas le temps d'écrire, mais écrivez-moi et dites-moi qui sort ou ne sort pas.

Je vous embrasse de coeur.

Merci pour mon vieux chien. Vous êtes bons de l'aimer. Je n'ai pas encore perdu l'habitude de le chercher derrière moi à chaque instant.

CCCXLV
AU PRINCE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE

Paris, 13 février 1852

Prince,

Permettez-moi de mettre sous vos yeux une douloureuse supplique: celle de quatre soldats condamnés à mort, qui, dans leur profonde ignorance des choses politiques, ont choisi un proscrit pour leur intermédiaire auprès de vous. La femme du proscrit, qui ne demande et n'espère rien pour sa propre infortune et qui ne connaît pas plus que moi les signataires de la pétition, m'écrit, en me l'envoyant, quelques lignes fort belles, qui vous toucheront plus, j'en suis certaine, que ne le ferait un plaidoyer de ma part. La pauvre ouvrière désolée, réduite à la misère avec trois enfants, malade elle-même, mais muette et résignée, est loin de croire que j'oserai vous faire lire ses fautes d'orthographe. Moi, je ne voulais plus vous importuner; mais, quand j'ai vu qu'il s'agissait de la peine de mort, et nullement des malheurs de mon parti vaincu, j'ai senti qu'un moment d'hésitation m'ôterait le peu de sommeil qui me reste.

Je n'ai pas pu refuser non plus de vous présenter la supplique du malheurenx Emile Hogat, qui m'a été remise en l'absence et de la part du prince Napoléon-Jérôme. C'est ce prince qui m'avait dit, au moment où, pour la première fois, j'allais vous aborder en tremblant: «Oh! pour bon, il l'est. Ayez confiance!» C'était un encouragement si bien fondé, que je lui en dois de la gratitude. Et, à propos de la triple grâce que vous m'avez accordée, je voudrais vous dire quelque chose qui vous intéressera et vous satisfera, j'en suis bien sûre. J'en ai même plusieurs à vous dire, c'est mon devoir, et, cette fois, je n'aurai pas à vous demander pardon de vous les avoir dites.

 

Quand vous aurez un instant à perdre, comme on dit dans le monde, accordez-le-moi, vous me trouverez toujours prête à en profiter avec une vive reconnaissance.

GEORGE SAND

Noms des condamnés à mort: Duchauffour, Lucas (Jean-César), Mondange, Guillemin, soldats au 3e régiment de chasseurs d'Afrique.

23Petit chien havanais.
24Les exilés réfugiés à Bruxelles.
25Patureau, dit Francoeur.
26Victimes du coup d'État du 2 décembre 1851.
27Marc Dufraisse.