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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8

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«Le Doge, blessé de trouver constamment un contradicteur et un censeur si amer dans son frère, lui dit un jour en plein conseil: «Messire Augustin, vous faites tout votre possible pour hâter ma mort: vous vous flattez de me succéder; mais si les autres vous connaissent aussi bien que je vous connais, ils n'auront garde de vous élire.» Là-dessus il se leva, ému de colère, rentra dans son appartement, et mourut quelques jours après. Ce frère, contre lequel il s'était emporté, fut précisément le successeur qu'on lui donna. C'était un mérite dont on aimait à tenir compté, surtout à un parent, de s'être mis en opposition avec le chef de la république.»

(Daru, Histoire de Venise; vol. II, sect. xi, p. 533.)

FIN DE L'APPENDICE

NOTE DE LORD BYRON

Dans l'excellent et courageux ouvrage sur l'Italie, de lady Morgan, je remarque que l'expression Rome de l'Océan est appliquée à Venise; la même phrase se retrouve dans les Deux Foscari. Heureusement mon éditeur peut attester en mon nom que la tragédie fut composée et envoyée en Angleterre avant que j'eusse vu l'ouvrage de lady Morgan, que je reçus seulement le 16 d'août. Mais je m'empresse de remarquer cette coïncidence, et de céder l'originalité de la phrase à celle qui l'a pour la première fois présentée au public. Et je le fais avec d'autant plus d'empressement, que l'on m'apprend (car je me suis peu donné la peine de m'en assurer par moi-même) que je viens d'être l'objet d'une accusation de plagiat. Déjà l'on m'avait envoyé sous le voile de l'anonyme une déclaration menaçante de la même espèce, sans doute dans le but d'arracher de moi quelque argent. Quoi qu'il en soit, je n'ai rien à répondre aux imputations de ce genre. L'on m'accuse d'avoir composé la description d'un voyage en vers d'après le récit de plusieurs naufrages réels en prose, en prenant à cette source tous les matériaux qui me semblaient le plus importans. Gibbon fait un mérite au Tasse «d'avoir copié dans les chroniqueurs les plus minutieux détails du siége de Jérusalem.» La même chose est peut-être à blâmer chez moi; je m'en soucie fort peu.

Pendant que je travaillais à défendre le caractère de Pope, la troupe famélique des écrivains de Grub-Street semble avoir voulu attaquer le mien: rien de mieux, pour eux et pour moi. Une des accusations portées dans leur épître anonyme est surtout fort amusante: on y pose en fait sérieusement que «j'ai reçu 500 livres sterling pour avoir annoncé le cirage patenté de Day et Martin.» Voilà le compliment le plus flatteur que l'on ait jamais accordé à la puissance de mon style. On y voit encore la preuve qu'une personne a tenté de faire connaissance avec M. Townsend (homme de lois, qui vint, il y a trois ans, me trouver à Venise pour affaire), dans l'intention de recevoir de ce visiteur accidentel la confidence de quelques diffamations particulières sur mon compte. M. Townsend est libre de dire ce qu'il sait. Je ne rappelle cette circonstance que pour indiquer quel misérable monde se trouve renfermé au milieu du monde littéraire, et comment ces honnêtes gens-là travaillent. On me fait un autre crime, m'a-t-on dit, dans la Gazette littéraire, d'avoir écrit des notes pour la Reine Mab, ouvrage que je n'avais jamais vu avant sa publication, et que je me souviens d'avoir alors montré à M. Sotheby comme un poème d'un mérite et d'une imagination remarquable. Je n'ai pas écrit une seule de ces notes; je ne les ai jamais vues manuscrites. Personne même ne sait mieux que leur véritable auteur combien nous différons tous deux matériellement d'opinion quant à la partie métaphysique de l'ouvrage; mais je n'en admire pas moins hautement, avec tout ce qui n'est pas aveuglé par la bassesse et la bigotterie, ce qu'il y a de poésie dans cette production et dans les autres du même auteur.

M. Southey aussi, dans la pieuse préface d'un poème où l'irréligion est aussi inoffensive que dans Wat-Tyler l'esprit de sédition, attendu que l'un et l'autre restent également absurdes, invoque contre moi la sévérité des lois, attendu que la tolérance de pareils écrits aurait conduit à la révolution française: non pas des écrits dans le genre de Wat-Tyler, mais de ceux de l'école satanique. Cela est faux, et M. Southey sait fort bien que cela est faux. Tous les écrivains français de quelqu'indépendance furent persécutés; Voltaire et Rousseau furent exilés, Marmontel et Diderot furent mis à la Bastille; et le despotisme de ce tems fit une guerre continuelle à tous les écrivains de la même secte. En second lieu, la révolution française ne fut pas occasionnée par un écrit quelconque; elle serait arrivée quand même aucun de ces écrits n'eût existé. C'est la mode d'attribuer tout à la révolution française, et la révolution française à tout, excepté à sa réelle cause. Cette cause est évidente: – le gouvernement exigeait trop, et le peuple ne pouvait donner ni supporter davantage; sans cela, les encyclopédistes auraient inutilement usé toutes les plumes du monde. Et la révolution anglaise-(la première, j'entends), par qui fut-elle occasionnée? Certes, les puritains étaient aussi pieux, aussi sévères que Wesley ou son biographe! Je le répète donc; les actes, – les actes de la part du gouvernement, et non pas les écrits qui les attaquent, ont causé les tourmentes passées, et causeront celles qui se préparent.

Je ne suis pas révolutionnaire, mais je les regarde comme inévitables. Mon vœu serait de voir la constitution anglaise restaurée plutôt que renversée. Aristocrate par ma naissance, et j'ajouterai par mon caractère, j'ai encore la plus grande partie de ma fortune dans les fonds publics; qu'aurais-je donc à gagner à une révolution? Peut-être ai-je plus à y perdre, en tous cas, que M. Southey, avec toutes ses places, ses gratifications, pour ses panégyriques et ses calomnies. Mais, je le répète, une révolution est inévitable. Que le gouvernement soit fier d'avoir réprimé quelques misérables tumultes; ils ne sont que de faibles vagues repoussées pour un instant du rivage, tandis que la grande marée roule cependant, et gagne à chaque minute un nouveau terrain. M. Southey nous accuse de saper la religion du pays; croit-il donc la soutenir en écrivant des vies telle que celle de Wesley? Jamais un culte ne tombe sans qu'un autre ne le remplace. Il n'y eut, il n'y aura jamais de contrée sans religion. On nous citera encore la France; mais ce fut dans Paris seulement un parti frénétique, qui soutint, et pour un instant encore, la dogmatique absurdité de la théophilantropie. Si l'église d'Angleterre est renversée, elle tombera sous les coups des sectaires, et non pas des sceptiques. Les hommes sont aujourd'hui trop sages, trop éclairés, trop convaincus de leur immense importance dans les royaumes de la métaphysique, pour jamais se soumettre à l'impiété du doute. Il peut y avoir quelques spéculateurs incrédules; mais c'est comme quelques rares gouttes d'eau dans le pâle rayon de la raison humaine. Ils sont en fort petit nombre; et leurs opinions, dépouillées d'enthousiasme et sans aliment pour les passions, ne feront jamais de prosélytes, – à moins toutefois qu'on ne les persécute: cette circonstance, sans doute, pourrait leur donner quelque importance.

M. Southey triomphe avec une lâche férocité, en prévoyant le repentir du lit de mort des objets de sa haine; il a formé lui-même une charmante vision du jugement en prose aussi bien qu'en vers, et remplie de la plus impudente impiété. Quelles seront les sensations de M. Southey ou les miennes, dans l'instant terrible où il faudra quitter la vie? c'est ce que ni lui ni moi ne devrions songer à décider. Je n'ai pas attendu mon lit de mort pour me repentir d'une foule d'actions; j'ai cela de commun avec la plupart des hommes, tant soit peu réfléchis, et en dépit de l'orgueil diabolique que, dans sa fureur, ce misérable renégat attribue à ceux qui le méprisent. Sans doute il ne m'appartient pas de peser et de déterminer ce que j'ai pu faire de bien ou de mal; mais du moins je puis borner ma défense à l'assertion très-facile à prouver, que, dans ma position, j'ai toujours fait plus de bien réel dans une seule année, depuis que j'ai atteint ma vingtième, que n'en a fait M. Southey dans tout le cours de sa méprisable et mobile existence. Il est quelques actions que je puis me rappeler avec un noble orgueil, et que les calomnies d'un écrivain vendu ne sauraient atteindre. Il en est d'autres auxquelles je me reporte avec douleur et repentir; mais le seul acte de ma vie que M. Southey puisse réellement connaître, puisqu'il me mit en rapport avec l'un de ses amis intimes, ne saurait certainement être une occasion de déshonneur pour cet ami ni pour moi-même.

Je n'ignore pas les autres calomnies de M. Southey; je sais tout ce qu'il osa publier, à son retour de Suisse, contre moi et d'autres personnes honorables: dans ce monde, cette conduite lui a fait peu de profit, et si sa croyance est la bonne, elle doit lui en faire encore moins dans l'autre. Il ne m'appartient pas de préjuger quel sera son lit de mort: c'est une affaire entre lui et son créateur. Mais, certes, il est plaisant et odieux de voir l'arrogance de ce prédicateur indifférent de toutes les doctrines, désignant à la damnation éternelle, ses frères, quand il a dans son pupitre des productions telles que Wat-Tyler, l'Apothéose de George III, et l'Élégie sur Martin le régicide. Il semble que l'une de ses consolations soit une certaine note latine d'un certain ouvrage d'un certain M. Landor, pour lequel l'amitié de Robert Southey sera, dit-il, un honneur, quand les disputes éphémères et les éphémères réputations du jour seront oubliées. Pour moi, je n'envie pas une amitié ni une gloire réversible, avec les intérêts, comme la fortune de M. Thélusson, à la troisième et quatrième génération. – Cette amitié sera probablement aussi mémorable que les épopées de M. Southey, desquelles Porson a dit (comme je l'ai répété, il y a dix ou douze ans, dans les Bardes anglais), qu'on s'en souviendrait quand Homère et Virgile seront oubliés, et non pas avant. Je le laisse pour le présent.

 

FIN DE LA NOTE.

CAÏN,

MYSTÈRE

«Or le serpent était le plus malin

des animaux que le Seigneur Dieu

avait faits.»

(Genèse, chap. III, vers. I.)

A
SIR WALTER SCOTT, BARONNET,

Ce Mystère de Caïn est dédié, par son obligé ami et dévoué serviteur,

L'AUTEUR.

PRÉFACE

Les scènes suivantes sont intitulées Mystère, par allusion à l'ancien titre de mystère ou moralité donné aux drames dont le sujet était analogue. L'auteur n'a cependant pas pris les mêmes libertés qui jadis étaient tolérées dans les ouvrages de ce genre, comme peut s'en convaincre tout lecteur curieux de consulter ces productions très-profanes, en anglais, en français, en italien ou en espagnol. L'auteur s'est efforcé de conserver le langage qui convenait le mieux à ses personnages; et quand il a cru devoir emprunter celui de l'Écriture, il l'a reproduit en l'altérant aussi peu, même quant aux paroles, que pouvait le permettre le rhythme poétique. Le lecteur se souviendra que la Genèse ne dit pas qu'Ève fut tentée par un démon, mais par le serpent; et cela, uniquement parce qu'il était le plus subtil des animaux. Quelle que soit l'interprétation que les rabbins et les pères aient donnée à ce passage, j'ai dû prendre les mots comme je les ai trouvés, et répliquer avec l'évêque Watson, quand on lui citait en pareille occasion les Pères, tandis qu'il était recteur de Cambridge: «Voyez le livre,» entendant parler de l'Écriture. Il faut encore se rappeler que mon sujet n'a rien de commun avec le Nouveau-Testament, et que l'on ne pourrait, sans anachronisme, s'y reporter le moins du monde.

Depuis long-tems je n'ai lu de poèmes sur des sujets religieux. Je n'ai pas relu Milton depuis l'âge de vingt ans; mais avant cet âge, je l'avais tant de fois parcouru, que l'impression ne s'en est jamais effacée. Je n'ai pas lu la Mort d'Abel de Gessner depuis l'âge de huit ans, à Aberdeen. Le souvenir que j'en ai conservé est en général agréable; mais quant aux détails, je me souviens seulement que la femme de Caïn s'appelait Meala. – Dans mon ouvrage, je les appelle Adah et Zillah, les premiers noms féminins qui soient écrits dans la Genèse; c'était celui des femmes de Lamech: celles de Caïn et d'Abel ne sont pas désignées par leurs noms. Ainsi, dans le cas où le même sujet nous aurait inspiré quelques idées analogues, je puis dire que je l'ignore, et je ne m'en soucie que légèrement.

Le lecteur n'oubliera pas non plus qu'on ne trouve pas une seule allusion à la vie future dans les ouvrages de Moïse, ni même dans tout le vieux Testament. Les raisons de cette singulière omission sont développées dans le livre de Warburton, de la Légation divine; elles sont, ou elles ne sont pas satisfaisantes: mais il est certain qu'on n'en a pas trouvé de meilleures. J'ai pu supposer, dans tous les cas, que Caïn n'en avait pas encore pris connaissance, sans avoir eu besoin, je l'espère, de falsifier l'Écriture-Sainte.

Quant au langage de Lucifer, je ne pouvais guère le modeler sur celui d'un prédicateur chrétien; mais j'ai fait ce qui était en mon pouvoir pour le maintenir dans les bornes de la politesse spiritualiste.

S'il se défend d'avoir tenté Ève sous la forme du serpent, c'est uniquement parce que la Genèse n'offre pas la plus indirecte allusion à quelque chose de ce genre, et qu'elle ne met en scène le serpent que dans le cercle de ses facultés serpentines.

NOTA. – Le lecteur remarquera que l'auteur adopte dans ce poème l'opinion de Cuvier, que le monde, avant la création de l'homme, avait été déjà plusieurs fois détruit. Cette hypothèse, fondée sur l'étude des différentes couches de terre, et sur les ossemens des énormes animaux dont la race est perdue, et que l'on a trouvés parmi elles, n'est pas contraire au récit de Moïse, et sert plutôt à le confirmer. Nul ossement humain n'a été découvert, bien que ceux d'autres animaux dont la race est encore aujourd'hui conservée se retrouvent mêlés aux squelettes des races disparues. L'assertion de Lucifer, que le monde préadamite fut aussi peuplé d'êtres raisonnables, d'une intelligence supérieure à celle de l'homme, et doués d'une force comparable à celle du mammoth, etc., etc., est d'ailleurs une fiction poétique destinée à le servir dans ses projets de séduction.

Je dois ajouter qu'Alfieri a fait une tramélogédie intitulée Abel. Je ne l'ai jamais lue, non plus qu'aucun des autres ouvrages posthumes de cet écrivain, à l'exception de sa Vie.

PERSONNAGES
HOMMES

ADAM.

CAÏN.

ABEL.

FEMMES

ÈVE.

ADAH.

ZILLAH.

ESPRITS

L'ANGE DU SEIGNEUR.

LUCIFER.

CAÏN

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE
(La scène se passe hors du Paradis. – Le soleil se lève.)
ADAM, ÈVE, CAÏN, ABEL, ADAH, ZILLAH,
offrant un sacrifice
ADAM

O Dieu, l'éternel, l'infini, le très-sage! – toi qui d'une parole fis jaillir des ténèbres la lumière sur l'abîme des eaux: – salut, Jéhovah! salut encore au retour de la lumière!

ÈVE

O Dieu! qui nommas le jour, et séparas pour la première fois le matin de la nuit; – toi qui divisas les flots, et donnas le nom de firmament à une partie de ton ouvrage, – à jamais, salut!

ABEL

O Dieu! qui transformas les élémens en terre, en eau, en air et en flamme; toi, père des jours et des nuits, et avec eux des mondes éclairés de leurs flambeaux, ou voilés de leurs ténèbres; toi qui communiques l'existence à des êtres faits pour en jouir et pour les aimer aussi bien que toi, – salut, mille fois salut!

ADAH

Dieu éternel! père de toutes choses! qui créas ces êtres excellens et brillans de beauté, pour être aimés plus que toutes choses, à l'exception de toi, – permets-moi de les confondre avec toi dans le même amour. – Salut! mille fois salut!

ZILLAH

O Dieu! qui, malgré ton amour, ta puissance et ta bonté, permis au serpent de nous séduire, et d'arracher mon père au paradis terrestre, préserve-nous aujourd'hui d'autres malheurs. – Salut! mille fois salut!

ADAM

Caïn, mon fils, mon premier né, pourquoi gardes-tu le silence?

CAÏN

Pourquoi parlerais-je?

ADAM

Pour prier.

CAÏN

N'avez-vous pas prié vous-même?

ADAM

Oui, et de la plus grande ferveur.

CAÏN

Et très-haut: je vous ai entendus.

ADAM

Puisse Dieu nous avoir également entendus!

ABEL

Ainsi soit-il!

ADAM

Et cependant mon fils aîné se tait encore.

CAÏN

Mieux vaut que je reste silencieux.

ADAM

Pourquoi?

CAÏN

Je n'ai rien à demander.

ADAM

Rien dont tu puisses rendre grâce?

CAÏN

Non.

ADAM

Ne vis-tu pas?

CAÏN

Ne dois-je pas mourir?

ÈVE

Hélas! le fruit défendu de l'arbre commence à tomber devant nous.

ADAM

Et nous devons le recueillir. O Dieu! pourquoi as-tu planté l'arbre de la science?

CAÏN

Et pourquoi n'avez-vous pas cueilli le fruit de l'arbre de vie? alors vous auriez pu le braver!

ADAM

O mon fils! ne blasphème pas: c'est ainsi que parlait le serpent.

CAÏN

Pourquoi pas? le reptile parlait bien. Vous aviez l'arbre de la science, vous aviez celui de la vie: – la science est bonne et la vie est bonne; comment donc toutes deux peuvent-elles être mauvaises?

ÈVE

Mon fils, tu parles comme à l'instant où je péchai, alors que tu n'étais pas encore né. Ne me rappelle pas mon malheur par le tien. Je me suis repentie. Ne m'offre pas la vue de l'un de mes enfans succombant aux inspirations du serpent devant les murs mêmes du paradis qu'il a pour jamais fermé à tes parens. Sois satisfait de ce qui est. Sans notre curiosité fatale, tu serais heureux dans ce moment, – ô mon cher fils!

ADAM

Nos prières sont terminées, séparons-nous, et reprenons nos travaux: ils sont nécessaires sans être pénibles. La terre est jeune encore; elle récompense volontiers, par le don de ses fruits, notre léger travail.

ÈVE

Caïn, vois ton père calme et résigné: fais comme lui.

(Adam et Ève sortent.)
ZILLAH

Ne le veux-tu pas, mon frère?

ABEL

Pourquoi ce nuage qui obscurcit ton front? il ne peut te servir de rien, si ce n'est à réveiller le courroux de l'Éternel.

ADAH

Mon cher Caïn, serais-je également l'objet de ton courroux?

CAÏN

Non, Adah! seulement je voulais être seul un instant. Abel! je souffre; mais ce mal sera passager. Devance mes pas, mon frère, – je ne tarderai pas à te suivre; et vous aussi, mes sœurs, ne tardez pas davantage: vous ne devez pas recevoir un repoussant accueil. Je vous suis.

ADAH

Mais je reviendrai, si tu tardes quelque tems.

ABEL

La paix du Seigneur soit dans votre ame, mon frère!

(Sortent Abel, Zillah, Adah.)
CAÏN, seul

Et c'est là la vie! – Travailler! et pourquoi travailler? – parce que mon père n'a pu conserver sa place dans l'Éden. Mais en suis-je cause? – je n'étais pas né; je ne cherchais pas à naître, et je ne tiens nullement au sort dans lequel m'a placé cette naissance. Pourquoi faut-il qu'il ait cédé au serpent et à la femme? ou pourquoi souffrir d'avoir cédé? Quel crime dans cette faiblesse? L'arbre était planté, pourquoi ne l'était-il pas pour lui? et sinon, pourquoi le placer près de lui, au centre de l'Éden, et le plus beau de tous les arbres? A toutes mes questions, ils n'ont qu'une réponse: «Il l'a voulu; il est bon.» Et comment puis-je le savoir? Parce qu'il est tout-puissant, s'ensuit-il qu'il soit souverainement bon? Je ne le juge que par les résultats: – ils sont amers. – Faut-il que je les subisse pour une faute qui n'est pas la mienne? Mais qu'aperçois-je près d'ici? – une forme comme celle des anges; mais l'aspect plus triste et plus sévère que le leur. Je frémis malgré moi; pourquoi cependant le craindrais-je plus que les autres esprits dont je vois tous les jours, dans le crépuscule, les épées flamboyantes, alors qu'errant autour des portes dont l'entrée nous est interdite, je cherche à saisir quelque chose des jardins qui devaient être mon héritage, avant que la nuit n'en obscurcisse les murailles et les arbres immortels? Si les chérubins armés ne m'effraient pas, pourquoi frémirais-je à l'aspect de celui qui maintenant s'approche? Cependant, il semble plus puissant qu'eux tous; leur égal en beauté, et cependant moins radieux qu'il ne fut ou pourrait être. Le chagrin semble une partie de son immortalité; se pourrait-il? et la douleur ne serait-elle pas le partage exclusif des hommes? Le voici.

(Entre Lucifer.)
LUCIFER

Mortel!

CAÏN

Ange! quel es-tu?

LUCIFER

Le maître des anges.

CAÏN

S'il est ainsi, peux-tu les abandonner, et descendre près d'une vile poussière?

LUCIFER

Je connais les pensées de la poussière; j'y compatis, ainsi qu'aux vôtres.

CAÏN

Eh quoi! vous connaissez mes pensées?

LUCIFER

Elles sont celles de tout être digne de penser; – c'est la partie immortelle de votre substance qui parle en vous.

CAÏN

Quelle partie immortelle? cela ne nous a pas été révélé. L'arbre de vie nous fut enlevé par la folie de mon père, et celui de la science fut trop tôt dépouillé par l'avidité de ma mère; tout le fruit qui nous en soit resté est la mort!

 
LUCIFER

Ils t'ont trompé; tu vivras.

CAÏN

Je vis, mais je vis pour mourir. Je ne vois rien dans la mort qui m'effraie, si ce n'est que je sens un frisson invincible, un aveugle et naturel instinct de vie que j'abhorre, autant que je me méprise moi-même, et cependant que je ne puis dompter: – voilà pourquoi je vis encore. Pourquoi suis-je, hélas! né?

LUCIFER

Tu vis, et tu vivras à jamais. Ne crois pas que la terre qui forme ton enveloppe soit la condition de ton existence: – elle te quittera, et tu seras encore le même.

CAÏN

Le même! et pourquoi pas mieux?

LUCIFER

Il se pourra que tu sois comme nous.

CAÏN

Et vous?

LUCIFER

Nous sommes éternels.

CAÏN

Êtes-vous heureux?

LUCIFER

Nous sommes puissans.

CAÏN

Êtes-vous heureux?

LUCIFER

Non: l'es-tu?

CAÏN

Comment le serais-je? Regarde-moi.

LUCIFER

Pauvre argile! Et tu as la prétention d'être malheureux! toi!

CAÏN

Je le suis. – Mais toi, avec toute ta puissance, qui es-tu?

LUCIFER

Un être qui aspire au rang de ton créateur, et qui ne t'aurait pas fait ce que tu es.

CAÏN

Ah! tu me sembles presque un dieu, et-

LUCIFER

Je ne le suis pas; et n'ayant pu le devenir, je ne veux être que ce que je suis. Il a vaincu; qu'il règne!

CAÏN

Qui?

LUCIFER

Le créateur de ton père et celui de la terre.

CAÏN

Et du ciel, de tout ce qu'il renferme. J'ai entendu ses anges le chanter, et mon père le redire.

LUCIFER

Ils disent-ce qu'ils sont forcés de chanter et de dire, sous peine d'être ce que je suis, – ce que tu es: des esprits et des hommes.

CAÏN

Et que sommes-nous?

LUCIFER

Des ames qui osent jouir de leur immortalité, – des ames qui osent regarder en face leur éternel tyran, et lui dire que son mal n'est pas bon. Si, comme il le dit, il nous a créés-ce que je ne sais ni ne crois; – quoi qu'il en soit-il ne peut nous anéantir: nous sommes immortels! – Bien plus, il en est ravi, afin de nous torturer davantage. Qu'il le fasse donc: il est tout-puissant; – mais dans sa grandeur, il n'est pas plus heureux que nous au milieu de nos tourmens. La bonté n'aurait pas fait le mal; et qu'a-t-il fait autre chose? Laissons-le cependant reposer sur son trône immense et solitaire; qu'il crée des mondes nouveaux pour adoucir l'ennui d'une insipide éternité et d'une immense solitude! Qu'il lance dans l'espace globes sur globes: le tyran n'en est pas moins seul; et s'il pouvait donner la faculté de le combattre, il serait moins malheureux. Mais qu'il règne, et que sans cesse il multiplie sa misère. Esprits et hommes, nous devons entre nous sympathiser: nos souffrances sont communes; apprenons à les supporter, en réunissant à jamais notre misère, tandis que lui, accablé sous le poids de sa grandeur, il ne pourra que créer encore, et toujours créer. -

CAÏN

Tu me parles de choses qui, depuis long-tems, flottent comme autant de visions à travers mes pensées: je ne pouvais concilier ce que je vois avec ce que j'entends. Mon père et ma mère me parlent de serpent, d'arbres et de fruits; je vois les portes de ce qu'ils nomment leur paradis gardées par l'épée flamboyante de chérubins qui nous repoussent, eux et moi; je sens le poids d'un travail journalier et d'une constante pensée; je contemple un monde où je ne semble rien, avec des idées qui semblent capables de tout maîtriser: – mais je me croyais seul en proie à ce genre de misère. – Mon père est abattu; ma mère n'a plus cette ame qui lui faisait aspirer après la science, au risque d'une malédiction éternelle; mon frère est un jeune gardeur de troupeaux, qui offre les premiers nés de ses brebis à celui qui ne permet pas à la terre de rien donner qui ne soit arrosé de nos sueurs; ma sœur Zillah chante un hymne d'actions de grâces avant les oiseaux du matin; et mon Adah, ma bien-aimée, elle ne comprend rien aux soucis qui me dévorent: en un mot, jusqu'alors, aucun être n'avait sympathisé avec moi. Eh bien! – je suis ravi de m'associer aux esprits.

LUCIFER

Si ton ame ne te rendait pas digne d'une pareille association, je n'apparaîtrais pas maintenant à tes yeux. Comme la première fois, un serpent eût suffi pour te charmer.

CAÏN

Oh! serait-ce donc toi qui tentas ma mère?

LUCIFER

Je ne tente qu'avec l'appât de la vérité. N'y avait-il pas l'arbre de la science? l'arbre de vie n'était-il pas encore chargé de fruits? Suis-je cause qu'elle trembla d'y toucher? Est-ce moi qui plaçai des objets défendus à la portée d'êtres innocens, et que leur innocence même devait rendre curieux? Moi, je vous aurais créés des dieux; et celui qui vous a exilés ne l'a fait que pour vous empêcher «de manger le fruit de vie, et de devenir des dieux comme nous.» N'étaient-ce pas là ses paroles?

CAÏN

Oui; et je les entendis de ceux qui les avaient entendues au milieu des éclairs.

LUCIFER

Quel était donc le démon, de celui qui vous défendait de vivre, ou de celui qui voulait vous faire vivre à jamais dans le bonheur et le pouvoir de la science?

CAÏN

Pourquoi n'ont-ils pas ravi le fruit de l'un et de l'autre arbre, ou n'ont-ils pas laissé tous les deux?

LUCIFER

L'un vous appartient déjà, l'autre peut vous appartenir encore.

CAÏN

Et par quel moyen?

LUCIFER

En résistant; en demeurant vous-mêmes. L'ame est supérieure à tout, quand l'ame veut bien se comprendre, quand elle se fait le point central du cercle qui l'entoure, – et qu'elle est faite pour maîtriser.

CAÏN

Mais n'as-tu pas tenté mes parens?

LUCIFER

Moi? misérable poussière! et pourquoi, comment les aurais-je tentés?

CAÏN

Le serpent, disent-ils, était un esprit.

LUCIFER

Qui l'a dit? cela n'est pas écrit là-haut. L'homme, dans ses craintes immenses et sa petite vanité, peut bien rejeter sur les substances spirituelles le tort de sa propre chute; mais notre orgueilleux despote ne voudrait pas falsifier ainsi les faits. Le serpent était le serpent, – rien de plus, et cependant l'égal de ceux qu'il tenta, par sa nature terrestre comme la leur; – leur supérieur en sagesse, puisqu'il put les séduire, et leur donner la connaissance qui devait détruire leurs insipides plaisirs. Crois-tu que je voulusse revêtir l'enveloppe des êtres qui doivent mourir?

CAÏN

Mais, enfin, le reptile avait-il un démon en lui?

LUCIFER

Il ne fit qu'en éveiller un dans ceux qu'entraînait sa langue venimeuse. Je te répète que le serpent n'était rien de plus qu'un serpent: demande-le au chérubin qui garde l'arbre séducteur. Quand des milliers de siècles auront roulé sur vos cendres dispersées et sur celles de votre race, les habitans de la terre pourront bien alors cacher sous les fables leurs fautes primitives, m'attribuant un déguisement que je méprise, comme je méprise tout ce qui plie le genou devant celui qui ne fit des êtres que pour les courber devant sa triste et solitaire éternité; mais nous qui voyons la vérité en face, nous devons la reproduire. Tes malheureux parens écoutèrent les conseils d'un reptile; ils tombèrent. Et pourquoi les esprits les auraient-ils tentés? Quel objet digne d'envie, que les bornes étroites de votre paradis, pour des intelligences qui peuvent traverser l'espace! – Mais je te parle de choses que tu ignores, avec ton arbre de la science.

CAÏN

Mais du moins tu ne peux parler d'une nouvelle science sans m'inspirer le désir de la pénétrer, la soif de m'en abreuver; oui, mon ame est digne de la comprendre.

LUCIFER

En aurais-tu le courage?

CAÏN

Tu peux l'éprouver.

LUCIFER

Oserais-tu contempler la mort?

CAÏN

Je ne l'ai pas encore vue.

LUCIFER

Mais tu devras la subir.

CAÏN

Mon père dit que c'est une chose terrible, ma mère pleure en l'entendant nommer: Abel, alors, lève les yeux au ciel; Zillah laisse retomber les siens vers la terre, en soupirant une prière; Adah me regarde, et se tait.

LUCIFER

Mais toi?

CAÏN

D'indicibles pensées pénètrent dans mon cœur embrasé, quand j'entends parler de cette toute-puissante mort qui semble inévitable. Ne pourrais-je lutter contre elle? J'ai lutté avec le lion, quand j'étais encore enfant; je jouais avec lui, jusqu'à ce qu'il s'échappât de mes bras en rugissant.

LUCIFER

Elle n'a pas de forme; mais elle anéantira tous les êtres, enfans de la terre, qui sont revêtus d'une forme.

CAÏN

Ah! je croyais que c'était un être; et quel autre qu'un être pouvait créer quelque chose d'aussi fatal aux êtres?

LUCIFER

Demande au destructeur.

CAÏN

Quel est-il?

LUCIFER

Le créateur. – Donne-lui le nom qu'il te plaira; il ne crée que pour détruire.

CAÏN

Je ne le savais pas; cependant, au nom de la mort, je le conjecturais: je ne la connais pas, mais elle me semble horrible. Dans la vaste désolation des nuits, je l'ai recherchée, j'ai tenté de la surprendre; et quand je voyais les formes gigantesques que l'ombrage jetait sur les murs d'Éden, et que traversait le glaive étincelant des chérubins, j'attendais après ce que je croyais elle: car, en même tems que la crainte, naissait dans mon cœur le désir de connaître ce qui devait tous nous subjuguer; – mais rien ne se présentait. Alors je détachais mes yeux accablés de la vue du paradis défendu, notre première patrie; je les reportais aux flambeaux répandus sur nos têtes, si nombreux et si ravissans: eux aussi devront-ils donc mourir?

LUCIFER

Peut-être; – mais long-tems après que vous ne serez plus, toi et les tiens.

CAÏN

J'en suis ravi; je n'aurais pas voulu les voir mourir: ils sont trop beaux. Qu'est-ce que la mort? Je sens, et je le crains, que c'est une chose terrible; mais, pourquoi? je ne puis le comprendre. On nous l'a dénoncée comme un mal, à nous, à ceux qui péchèrent, à ceux qui ne péchèrent pas: – ce mal, quel est-il?