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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8

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APPENDICE

EXTRAIT DU VOYAGE DU CAPITAINE BLIGH

Le 27 décembre, il souffla un vent d'est très-violent, pendant lequel nous souffrîmes beaucoup. Une lame emporta la vergue de rechange et les esparres des chaînes de haubans du grand mât sur le tribord; une autre entra dans le vaisseau et couvrit toutes les chaloupes; plusieurs tonneaux de bière, qui avaient été amarrés sur le pont, se défoncèrent et furent emportés, et ce ne fut pas sans beaucoup de risque et de danger que nous parvînmes à attacher les embarcations pour empêcher qu'elles n'eussent le même sort. Une grande quantité de notre provision de biscuit fut aussi gâtée de manière à ne plus pouvoir en faire usage; car la mer avait pénétré dans l'arrière du bâtiment et avait rempli la cabine d'eau.

Le 5 janvier 1788, nous vîmes l'île de Ténériffe à environ douze lieues de nous, et le lendemain étant un dimanche, nous jetâmes l'ancre dans la rade de Santa-Cruz. Là, nous renouvelâmes nos provisions, et après avoir terminé nos affaires, nous mîmes à la voile le 10.

Je divisai alors nos gens en trois quarts, et je chargeai du troisième quart M. Fletcher Christian, un des lieutenans. J'ai toujours pensé qu'il était à désirer que ce réglement fût établi lorsque les circonstances le permettaient, et je suis persuadé qu'un sommeil non interrompu contribue non-seulement beaucoup à la santé de l'équipage d'un vaisseau, mais même le rend bien plus capable de supporter la fatigue en cas d'un événement imprévu.

Comme je désirais me rendre à Otaïti sans m'arrêter, je réduisis d'un tiers la portion de biscuit, et je fis filtrer l'eau destinée à la boisson dans des pierres filtrantes que j'avais achetées à Ténériffe à cet effet. J'appris alors à l'équipage du vaisseau le but de notre voyage, et donnai l'assurance d'un avancement certain à quiconque le mériterait par ses efforts.

Le mardi 26 février, étant dans une latitude sud 29° 38', et dans une longitude ouest 44° 38', nous enverguâmes de nouvelles voiles, et fîmes d'autres préparatifs nécessaires contre le tems que nous devions nous attendre à avoir dans cette haute latitude. Nous n'étions éloignés de la côte du Brésil que d'environ 100 lieues.

Dans la matinée du dimanche 2 mars, après m'être assuré que tout le monde était propre et en bonne tenue, le service divin fut célébré, comme c'était toujours l'usage, ce jour-là: je donnai à M. Christian Fletcher, que j'avais précédemment chargé du troisième quart, une autorisation écrite de remplir les fonctions de lieutenant.

Le changement de température commença bientôt à se faire sentir d'une manière remarquable, et afin que nos gens ne souffrissent pas par négligence de leur part, je leur fis donner des vêtemens plus chauds et plus convenables au climat. Le 11, nous vîmes un grand nombre de baleines d'une immense grosseur, avec deux trous derrière la tête, d'où l'eau jaillissait.

Le contre-maître m'ayant porté plainte, je jugeai qu'il était nécessaire de punir de vingt-quatre coups de fouet Mathieu Quintal, un des matelots, à cause de son insolence et de son insubordination. C'était la première fois que je me trouvais dans la nécessité d'ordonner un châtiment depuis que nous étions à bord.

Nous nous trouvions à la hauteur du cap San-Diégo, à l'est de la Terre de Feu, et le vent ne nous étant pas favorable, je jugeai plus prudent de tourner à l'est de la terre de Stalen, que de traverser le détroit de Lemaire. Nous passâmes le port de la Nouvelle-Année et le cap Saint-Jean, et le lundi 31 nous arrivâmes au 60° 1' de latitude sud; mais le vent devint variable, et nous eûmes du mauvais tems.

Des orages, accompagnés d'une grosse mer, continuèrent jusqu'au 12 avril. Le vaisseau commença à faire eau, ce qui exigeait que l'on pompât toutes les heures, et nous ne devions pas nous attendre à moins, après une telle continuité de vents et de grosses mers. Les ponts aussi firent eau de telle sorte qu'il fut nécessaire d'abandonner la grande cabine, dont je ne faisais pas grand usage, excepté quand il faisait beau, à ceux qui n'avaient pas de place pour y suspendre leurs hamacs, et par ce moyen les entre-ponts furent moins obstrués.

Joint à tout ce mauvais tems, nous avions encore le chagrin de nous apercevoir, à la fin de chaque jour, que nous rétrogradions; car, malgré tous nos efforts pour louvoyer, nous ne faisions guère que dériver sous le vent. Le mardi 22 avril, nous avions huit hommes sur la liste des malades, et le reste de notre monde, quoiqu'en bonne santé, était très-fatigué; mais je vis avec beaucoup de chagrin qu'il nous serait impossible d'arriver de ce côté aux îles de la Société, car il y avait trente jours que nous étions dans une mer orageuse. La saison était trop avancée pour que nous pussions espérer qu'un meilleur tems nous permît de doubler le cap Horn. D'après ces considérations, jointes à d'autres encore, je fis gouverner au vent et porter sur le cap de Bonne-Espérance, à la grande satisfaction de tous ceux qui étaient à bord.

Nous jetâmes l'ancre, le vendredi 23 mai, dans la baie de Sunon, au Cap, après une assez bonne navigation. Le vaisseau avait besoin d'être complètement calfaté, car il faisait tellement eau que nous avions été obligés de pomper toutes les heures pendant la traversée depuis le cap Horn. – Les voiles et les agrès avaient aussi besoin de réparations, et en examinant les provisions on en trouva une quantité considérable avariée.

Après être restés trente-huit jours dans ce mouillage, et lorsque mon équipage eut recueilli tout l'avantage qu'on pouvait attendre des rafraîchissemens de toute espèce qui s'y trouvaient, nous appareillâmes le 1er juillet.

Un vent frais souffla: le 20 la mer devint houleuse, et dans l'après-midi il augmenta avec tant de violence que le vaisseau fut presque chassé sur le gaillard d'avant, avant que nous pussions carguer nos voiles. On abaissa les basses vergues et on descendit le mât de perroquet sur le pont, ce qui soulagea beaucoup le bâtiment. Le vaisseau se tint sur le côté. Toute la nuit et le matin nous fîmes route vent-arrière après avoir pris des ris dans notre voile de misaine. La mer étant encore grosse, il devint très-dangereux dans l'après-midi de redresser le bâtiment. Nous restâmes donc encore sur le côté toute la nuit, sans éprouver d'accident, à l'exception d'un homme qui, étant au gouvernail, fut jeté par-dessus la roue, et en sortit très-meurtri. Vers midi la violence du vent diminuant, nous continuâmes notre route sous la voile de misaine avec les ris que nous avions pris.

En peu de jours nous dépassâmes l'île de Saint-Paul, où l'on trouve de bonne eau comme je l'ai appris d'un capitaine hollandais, ainsi qu'une source chaude dans laquelle on peut faire bouillir le poisson aussi complètement que sur le feu. En approchant de la terre de Van-Diémen, nous eûmes un très-mauvais tems accompagné de neige et de grêle, mais nous ne vîmes rien qui pût nous indiquer notre position exacte le 13 août, à l'exception d'un veau marin qui parut à la distance de vingt lieues. Nous jetâmes l'ancre dans la baie de l'Aventure le mercredi 20.

Pendant notre traversée, depuis le cap de Bonne-Espérance, nous eûmes presque toujours le vent à l'ouest avec un très-gros tems. L'approche d'un vent violent du sud est annoncée par des nuées d'oiseaux de la famille des albatross ou des peterels, et la baisse ou le changement du vent quand il tourne au nord, par l'éloignement où ils se tiennent. Le thermomètre aussi varie de cinq ou six degrés dans sa hauteur quand on doit s'attendre à un de ces changemens de vent.

Dans le pays qui environne la baie de l'Aventure, il y a dans les forêts beaucoup d'arbres de cent-cinquante pieds de hauteur. Nous remarquâmes plusieurs aigles, quelques hérons d'un magnifique plumage, et une grande variété de perroquets.

Les indigènes ne paraissant pas, nous allâmes à leur recherche vers le cap Frédéric-Henri. Bientôt ayant jeté le grapin près du rivage, car il était impossible d'aborder, nous entendîmes leurs voix semblables au gloussement des oies, et nous en vîmes une vingtaine sortir du bois. Nous leur jetâmes des paquets de menues quincailleries qu'ils ne voulurent pas ouvrir qu'ils ne m'eussent vu faire signe de les quitter; alors ils s'y décidèrent, et tirant ces objets, ils les mirent sur leur tête. En nous apercevant, ils s'étaient mis à parler avec une grande volubilité et d'une manière très-bruyante, élevant leurs bras au-dessus de leur tête. Ils parlaient si vite qu'il était impossible de distinguer un seul des mots qu'ils prononçaient. Leur couleur est d'un noir terne. – Leur peau est tatouée sur la poitrine et sur les épaules. L'un d'eux se distinguait par la couleur de son corps peint en ocre rouge; mais tous les autres étaient enduits de noir avec une espèce de suie, dont ils avaient une couche si épaisse sur la figure et sur les épaules, qu'il était difficile de dire à quoi ils ressemblaient.

Le jeudi 4 septembre, nous sortîmes de la baie de l'Aventure, gouvernant d'abord vers l'est-sud-est, puis au nord-est, et le 19 nous arrivâmes en vue d'un groupe de petites îles rocailleuses que je nommai les îles Bonté. Peu de tems après, nous remarquâmes que la mer était souvent couverte, pendant la nuit, d'une quantité étonnante de petites méduses qui répandent une clarté semblable à celle d'une chandelle par des fibres phosphorescentes qui s'étendent sur une partie de leur corps, et laissent le reste dans l'obscurité.

Nous découvrîmes l'île d'Otaïti le 15, et avant de jeter l'ancre le lendemain matin dans la baie de Matavaï, un si grand nombre de canots était venu à notre rencontre, qu'après que les naturels se furent assurés que nous étions des amis, ils vinrent à bord, et obstruèrent tellement le pont, que j'avais de la peine à trouver les gens de mon équipage. La distance que le vaisseau avait parcourue, depuis qu'il était parti d'Angleterre jusqu'à son arrivée à Otaïti, tant en courses directes qu'en courses contraires, était en tout de 27,086 milles, ce qui fait, l'un dans l'autre, 108 milles par 24 heures.

 

Nous perdîmes ici notre chirurgien le 9 décembre. Depuis peu il ne sortait presque plus de la cabine, quoiqu'on ne regardât pas son état comme dangereux. Néanmoins, comme il parut plus mal le soir, on le transporta dans un lieu où il avait plus d'air, mais sans aucun succès, puisqu'il mourut une heure après. Ce malheureux homme buvait beaucoup, et aimait si peu à faire de l'exercice, qu'on ne put jamais le décider à faire une douzaine de tours sur le pont pendant tout le tems que dura la traversée.

Le lundi 5 juin, on ne trouva pas le petit cutter, ce dont on me fit part immédiatement; l'équipage du vaisseau ayant été rassemblé, on s'aperçut qu'il manquait trois hommes qui l'avaient emmené.

Ils avaient pris avec eux huit armemens complets et des munitions; mais quant à leur plan, tout le monde à bord paraissait en être complètement ignorant. Je descendis à terre et j'engageai tous les chefs à m'aider à ratrapper la chaloupe et les déserteurs. Effectivement, le cutter fut ramené dans le courant de la journée par cinq des indigènes; mais les hommes ne furent pris que près de trois semaines plus tard. Ayant appris qu'il étaient dans une partie différente de l'île d'Otaïti, j'y allai dans la chaloupe, pensant qu'il ne serait pas très-difficile de s'en assurer avec le secours des naturels. Cependant ils apprirent mon arrivée, et lorsque je fus près de l'habitation où ils étaient, ils vinrent sans armes et se rendirent. Quelques-uns des chefs avaient déjà saisi, une fois auparavant, ces déserteurs, et les avaient enchaînés; mais ils s'étaient laissés persuader de leur rendre la liberté, par les belles promesses qu'ils leur avaient faites de retourner au vaisseau; après quoi, ayant trouvé moyen de s'emparer de nouveau des armes, ils avaient nargué les indigènes.

L'objet de ce voyage était accompli, puisque j'avais fait porter à bord, le mardi 31 mars, 115 plants de l'arbre à pain: outre cela, nous avions recueilli plusieurs autres plantes, dont quelques-unes portaient les plus beaux fruits du monde, et étaient précieuses pour les différentes teintures qu'elles pouvaient offrir et les propriétés qu'elles possédaient. Le 4 avril, au coucher du soleil, nous appareillâmes d'Otaïti et dîmes adieu à une île où, pendant vingt-trois semaines, nous avions été traités avec une amitié et des égards qui semblaient croître en proportion de la longueur de notre séjour. Les circonstances suivantes prouveront assez que nous n'avions pas été insensibles à l'hospitalité de ce peuple; car c'est à ses manières affectueuses et attachantes qu'on doit attribuer les causes de l'événement qui amena la ruine d'une expédition qui, selon toutes les apparences, devait avoir le résultat le plus favorable.

Le lendemain, nous arrivâmes en vue de l'île Huaheine, et un double canot, contenant dix indigènes, étant venu sur nos bordages, je vis parmi eux un jeune homme qui me reconnut; j'y étais venu en 1780, avec le capitaine Cook, à bord de la Résolution. Quelques jours après avoir quitté cette île, le tems devint sujet aux rafales, et une masse épaisse de nuages obscurs se forma à l'est. Bientôt après nous aperçûmes une trombe d'eau qui ressortait en proportion de l'obscurité des nuages qui étaient derrière. Autant que je pus en juger, la partie supérieure pouvait avoir deux pieds de diamètre et la base environ huit pouces. À peine avais-je fait ces remarques, que j'observai qu'elle s'avançait rapidement vers le vaisseau. Nous changeâmes immédiatement de direction, et déployâmes toutes nos voiles, excepté celle de misaine. Bientôt après, elle passa à trente pieds de l'arrière avec un frémissement, mais sans que personne en ressentît aucun effet, quoiqu'elle fût aussi rapprochée. Elle semblait marcher de la vitesse environ de dix milles à l'heure, et elle se dissipa un quart-d'heure après nous avoir dépassés. Il est impossible de dire le mal qu'elle aurait pu nous faire si elle fût passée directement sur nous. Nos mâts, à ce que j'imagine, auraient pu en être emportés; mais je ne crois pas qu'elle eût occasionné la perte du vaisseau.

Laissant plusieurs îles sur notre route, nous jetâmes l'ancre à Anamooka, le 23 avril; un vieillard infirme, nommé Tapa, que j'y avais connu en 1777, et que je reconnus sur-le-champ, vint à bord avec d'autres de différentes îles du voisinage. Ils désiraient voir le vaisseau; et lorsqu'on les mena en bas, où les plants de l'arbre à pain étaient arrangés, ils témoignèrent une grande surprise. Quelques-uns de ces plants étaient morts; nous fûmes à terre pour nous en procurer d'autres.

Nous remarquâmes chez les indigènes de nombreuses marques du deuil très-profond auquel ils se livrent quand ils perdent leurs parens, telles que des tempes ensanglantées, des têtes dépouillées de cheveux, et, ce qui est pis encore, dans la plupart d'entre eux, des mains privées de plusieurs doigts. De beaux petits garçons, qui n'avaient pas plus de six ans, avaient perdu le petit doigt des deux mains, et plusieurs des hommes s'étaient en outre coupé le doigt du milieu de la main droite.

Les chefs vinrent dîner avec moi, et nous traitâmes ensemble pour l'achat d'une grande quantité d'ignames: nous en obtînmes aussi des plantains et des fruits de l'arbre à pain. Mais les ignames surtout étaient en très-grande abondance chez eux, et d'une grosseur remarquable; une entre autres pesait quarante-cinq livres. Il vint des canots à voile, dont quelques-uns ne contenaient pas moins de quatre-vingt-dix passagers; et il en arriva successivement un si grand nombre des îles différentes, qu'il devint impossible de rien faire au milieu d'une telle multitude qui n'avait aucun chef revêtu d'une autorité suffisante pour la commander. J'ordonnai donc à une de leurs bandes, qui se disposait à venir à bord, d'aller faire de l'eau, et nous levâmes l'ancre le samedi 26 avril.

Nous nous tînmes près de l'île de Kotoo, pendant la plus grande partie de l'après-midi du lundi, dans l'espoir que quelque canot viendrait au vaisseau; mais cet espoir fut trompé. Le vent étant au nord, nous gouvernâmes à l'ouest dans la soirée pour passer au sud de Tofoa, et je donnai des ordres pour que l'on continuât toute la nuit de suivre cette direction. Le maître eut le premier quart, le canonnier eut le second, et M. Christian le quart du matin: tel était l'ordre de la nuit.

Jusque-là, le voyage s'était continué avec une prospérité dont rien n'avait troublé le cours, et il avait été accompagné de circonstances à la fois agréables et satisfaisantes; mais la scène allait changer, et se présenter sous un aspect bien différent. Il s'était formé une conspiration qui devait détruire le fruit de nos travaux passés, et ne produire que malheur et détresse; et elle avait été concertée avec tant de mystère et de circonspection, qu'il n'en transpira aucune circonstance capable de nous avertir du danger qui nous menaçait.

La nuit du lundi, le quart avait été distribué comme je viens de le dire. Le mardi, avant le lever du soleil, pendant que je dormais encore, M. Christian avec le capitaine d'armes, le second canonnier et Thomas Burkits, matelot, entrèrent dans ma cabine, et s'emparant de moi, me lièrent les mains derrière le dos avec une corde, me menaçant d'une mort immédiate si je parlais ou faisais le moindre bruit. Cela ne m'empêcha pas de crier aussi haut que je pus, dans l'espoir d'obtenir du secours; mais les officiers qui n'étaient pas du complot étaient déjà gardés par des sentinelles placées à leur porte: à celle de ma cabine, on avait posté trois hommes, indépendamment des quatre qui étaient dans l'intérieur. Tous, excepté Christian, avaient des fusils et des baïonnettes, lui seul un coutelas. Je fus traîné hors du lit, en chemise, sur le tillac, souffrant beaucoup de la manière dont on m'avait serré les mains en les attachant. Lorsque je demandai les motifs d'une telle violence, la seule réponse que je reçus fut des injures pour ne pas garder le silence. Le maître, le canonnier, le chirurgien, le second maître et Nelson, le jardinier, étaient renfermés dans les soutes, et l'écoutille de la fosse aux câbles était gardée par des sentinelles. Le maître d'équipage, le charpentier et l'ecclésiastique eurent la permission de venir sur le tillac, où ils me virent debout, en arrière du mât de misaine, les mains liées derrière le dos, entouré de gardes, à la tête desquels était Christian. Le maître d'équipage reçut alors l'ordre de mettre la chaloupe à la mer, avec la menace de prendre garde à lui, s'il n'obéissait pas immédiatement.

La chaloupe ayant été hissée, M. Heyward et M. Mallet, deux des aspirans, et M. Samuel, l'ecclésiastique, reçurent l'ordre d'y entrer. Je demandai le motif de cet ordre, et cherchai à persuader aux gens qui m'entouraient de ne pas persévérer dans ces actes de violence, mais ce fut en vain. – Leur réponse fut constamment: «Taisez-vous, ou vous êtes mort.»

Le maître avait envoyé demander la permission de venir sur le tillac; et elle lui avait été accordée; mais on lui commanda bientôt de retourner dans sa cabine. Je ne discontinuais pas mes efforts pour changer la face des affaires, lorsque Christian remplaçant le coutelas qu'il tenait par une baïonnette, et me saisissant fortement par la corde qui liait mes mains me menaça d'une mort immédiate si je ne me tenais pas tranquille; et les scélérats qui m'entouraient avaient leurs fusils armés, la baïonnette au bout.

D'autres individus furent appelés pour entrer dans la chaloupe, et on les entraîna par-dessus le bordage, d'où je conclus que je devais être abandonné à la mer avec eux. Une autre tentative pour changer les esprits n'amena que la menace de me brûler la cervelle.

On permit au maître d'équipage et à ceux des matelots qui devaient être mis dans la chaloupe de prendre de la ficelle, de la toile, des lignes, des voiles, des cordages et une tonne d'eau de vingt-huit gallons. M. Samuel obtint cent-cinquante livres de biscuit avec une petite quantité de rum et de vin, ainsi qu'un octant et une boussole. Mais on lui défendit, sous peine de mort, de toucher à aucune carte, à aucun livre ou instrument d'astronomie, et surtout à mes dessins et à mes observations.

Les mutins ayant ainsi jeté dans la chaloupe les matelots dont ils voulaient se débarrasser, Christian ordonna qu'on donnât un verre d'eau-de-vie à chaque homme de son équipage. Les officiers furent ensuite appelés sur le tillac et jetés par-dessus l'abordage dans la chaloupe, tandis qu'on me tenait séparé de tout le monde en arrière du mât de misaine. Christian, armé d'une baïonnette, tenait la corde qui liait mes mains, et les gardes qui m'entouraient avaient leurs fusils en joue; mais lorsque je défiai ces misérables ingrats de tirer, ils les remirent au repos. Je m'aperçus que l'un d'eux, Isaac Martin, était disposé à me secourir, et comme il me faisait manger du shaddock, mes lèvres étant entièrement desséchées, nos regards nous firent comprendre mutuellement nos sentimens; mais ceci fut remarqué et on l'emmena. Il entra alors dans la chaloupe, essayant de quitter le vaisseau; cependant il fut obligé d'y retourner. Quelques autres y furent aussi retenus contre leur inclination.

Je crus remarquer que Christian balança quelque tems s'il garderait le charpentier, ou ses aides. À la fin il se détermina pour ces derniers, et le charpentier fut conduit dans la chaloupe. – On lui laissa prendre sa caisse à outils, non pourtant sans de grandes difficultés.

M. Samuel sauva mon journal et ma commission, avec quelques autres papiers très-importans relatifs au vaisseau. Il exécuta ceci avec beaucoup de courage, quoique sévèrement surveillé. Il tenta aussi de sauver le garde-tems et une boîte contenant mes plans, dessins et observations depuis quinze ans, qui étaient en grand nombre, mais on l'entraîna en lui disant: «Malédiction! vous êtes bien heureux d'en avoir autant.»

D'assez vives altercations eurent lieu parmi l'équipage révolté pendant que tout ceci se passait. Quelques-uns s'écriaient en jurant: «Je veux être damné s'il ne trouve pas moyen de s'en retourner en Angleterre, si on lui laisse emporter quelque chose.» Ils voulaient parler de moi; et lorsqu'ils virent le charpentier emporter sa boîte à outils: «Malédiction! dans un mois il aura un autre vaisseau;» tandis que d'autres tournaient en ridicule la situation malheureuse de la chaloupe, qui tirait beaucoup d'eau et offrait si peu de place pour tous ceux qui y étaient contenus. Quant à Christian, on aurait dit qu'il méditait sa destruction et celle du monde entier.

Je demandai des armes, mais les mutins se moquèrent de moi en disant que je connaissais bien les gens chez lesquels j'allais. Quatre coutelas, cependant, nous furent jetés dans la chaloupe après que nous eûmes viré de bord.

 

Les officiers et les matelots étant dans la chaloupe, on n'attendait plus que moi. Le capitaine d'armes en informa Christian, qui dit alors: «Allons, capitaine Bligh, vos officiers et vos hommes sont maintenant dans la chaloupe, et il faut que vous alliez avec eux. Si vous essayez de faire la moindre résistance, vous serez immédiatement mis à mort.» Et sans plus de cérémonie, je fus jeté par-dessus le bordage, par une troupe de scélérats armés. Alors on me délia les mains. Une fois dans la chaloupe, on nous fit virer sur l'arrière, au moyen de la corde qui nous tenait amarrés. Alors on nous jeta quelques morceaux de porc, ainsi que les quatre coutelas. L'armurier et le charpentier m'appelèrent alors pour me dire de ne pas oublier qu'ils n'avaient pris aucune part dans toute cette affaire. Après être restés quelque tems à servir de jouet à ces malheureux sans compassion, et en butte à leurs railleries, nous fûmes à la fin poussés au large, et abandonnés aux flots de l'Océan.

Dix-huit personnes étaient avec moi dans la chaloupe: le maître, le premier chirurgien, le botaniste, le canonnier, le maître d'équipage, le charpentier, le maître timonier et le quartier-maître en second; deux quartier-maîtres, le voilier, deux cuisiniers, l'ecclésiastique, le boucher et un garçon. Il restait à bord Fletcher Christian, le maître en second, Pierre Haywood, Edward Young, George Stewart, aspirans; le capitaine d'armes, le second canonnier, le second maître d'équipage, le jardinier, l'armurier, le second charpentier et ses ouvriers, et quatorze matelots: c'était, à tout prendre, les hommes les plus capables.

Ayant peu ou pas de vent, nous voguâmes assez vite vers l'île de Tofoa, qui était au nord-est, à environ dix lieues de distance. Tant que le vaisseau resta en vue, il gouverna ouest ouest-nord; mais je regardai ceci comme une feinte, car lorsqu'on nous éloigna, les mutins répétèrent plusieurs fois, par acclamations: «Otaïti! Otaïti!»

Christian, leur chef, était d'une famille respectable du nord de l'Angleterre: c'était le troisième voyage qu'il faisait avec moi. Malgré la dureté avec laquelle il me traita, le souvenir d'anciens bienfaits produisit en lui quelques remords. Lorsque l'on m'entraîna hors du vaisseau, je lui demandai si c'était ainsi qu'il répondait aux marques nombreuses qu'il avait eues de mon amitié. Il parut troublé de cette question, et me répondit avec une grande émotion: «Capitaine Bligh, vous avez frappé juste: je suis dans l'enfer; je suis dans l'enfer!» Ses talens le rendaient parfaitement capable de se charger du troisième quart, d'après la manière dont j'avais divisé l'équipage du vaisseau.

Haywood était aussi d'une famille respectable du nord de l'Angleterre; et, ainsi que Christian, c'était un jeune homme de talent. Ces deux jeunes gens avaient été les objets particuliers de mes soins, et je m'étais donné beaucoup de peine pour les instruire, ayant conçu l'espoir qu'ils feraient un jour honneur à leur pays dans cette profession. Young m'était bien recommandé, et Stewart appartenait à des parens des Orkneys, pays où nous avions été si bien accueillis à notre retour des mers du Sud, en 1780, que, d'après cette seule considération, je l'aurais pris volontiers avec moi; mais d'ailleurs il avait toujours joui d'une bonne réputation.

Lorsque j'eus le loisir de réfléchir, une satisfaction secrète m'empêcha de me livrer à l'abattement. Et cependant, quelques heures auparavant, je me trouvais dans la situation la plus satisfaisante: commandant un vaisseau dans le meilleur état possible, pourvu de tout ce qui pouvait être nécessaire à la santé et au service de l'équipage; le but de notre voyage était atteint, nous en avions accompli les deux tiers, et le reste de la traversée n'offrait qu'une perspective de succès.

On demandera naturellement quelle pouvait être la cause d'une pareille révolte? En réponse à cette question, je ne puis donner que mes conjectures. – J'ai souvent pensé que les mutins s'étaient flattés de l'espoir de passer une vie plus heureuse parmi les Otaïtiens qu'il ne leur serait jamais possible de se la procurer en Angleterre: ceci, joint à quelques liaisons qu'ils avaient formées avec des femmes du pays, occasionna très-probablement toute cette affaire.

Les femmes d'Otaïti sont belles, douces, enjouées dans leur conversation et leurs manières, et ont assez de délicatesse pour se faire admirer et chérir. Les chefs étaient si attachés à nos gens, qu'ils les encourageaient, en quelque sorte, à rester avec eux, et leur promettaient de vastes possessions. Dans des circonstances semblables, auxquelles s'en joignirent d'autres encore, on ne peut guère s'étonner qu'une troupe de matelots, dont la plupart n'avaient pas de famille, se soient laissés entraîner, lorsqu'il ne dépendait que d'eux de s'établir au milieu de l'abondance, dans une des plus belles îles du monde, où il n'y avait pas de nécessité de se livrer au travail, et qui leur offrait l'attrait de plaisirs dont il est impossible de se former une idée. Cependant, tout ce qu'un commandant pouvait craindre était la désertion, telle qu'il y en a plus ou moins d'exemples dans les mers du Sud, et non une révolte complète.

Mais le secret qui accompagna ce complot surpasse toute croyance. Treize de ceux qui partageaient mon sort avaient toujours vécu avec les matelots; et cependant, ni eux, ni les camarades de Christian, de Stewart, d'Heywood et de Young n'avaient jamais remarqué aucune circonstance qui pût faire soupçonner ce qui se tramait. Il n'est donc pas étonnant que j'en sois devenu victime, mon esprit étant complètement exempt de méfiance. Peut-être la chose ne serait-elle pas arrivée s'il y eût eu des troupes à bord et une sentinelle à la porte de ma cabine, que je laissais toujours ouverte pendant la nuit, afin que l'officier de quart put entrer chez moi toutes les fois qu'il en avait besoin. Si cette révolte eût été occasionnée par quelque sujet de mécontentement, fondé ou non, j'en aurais découvert des symptômes, ce qui m'aurait mis sur mes gardes; mais il en était bien autrement. Je vivais, surtout avec Christian, de la manière la plus amicale; ce jour même, il était engagé à dîner avec moi, et la veille au soir, il s'était excusé de partager mon souper, sous prétexte d'une indisposition dont j'avais témoigné de l'inquiétude, étant bien loin de soupçonner son intégrité ou son honneur.

FIN DE L'APPENDICE.