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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8

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13. L'amour qui embellit et attendrit tous les êtres; la jeunesse qui colore l'air qui l'entoure; le ciel qui la couvre des nuances brillantes de l'arc-en-ciel; le souvenir des périls passés, qui fait que l'homme lui-même jouit de l'intervalle où il cesse de détruire; – l'attrait réciproque de cette beauté qui se fait sentir au cœur le plus farouche, et le frappe comme l'éclair frappe l'acier: tout contribua à unir l'homme à demi civilisé et la fille sauvage, et à confondre, dans une seule ame absorbée par la passion, l'adolescent et la jeune fille. Les souvenirs tumultueux des combats avaient cessé de remplir d'une joie sombre un cœur qui commençait à se détacher d'eux. Il ne ressentait plus cet ennui, cette impatience du repos qui le troublait naguère, comme l'aigle dans son nid, dont le bec aiguisé et l'œil perçant cherchent une victime dans la vaste étendue des cieux: – son ame s'était amollie dans cet état voluptueux, où il goûtait ces douceurs efféminées de l'Élysée, qui ne promettent pas de lauriers à la tombe des héros; mais, hélas! ces lauriers se flétrissent s'ils ne sont arrosés de sang. – Et lorsque les cendres d'un mortel sont déposées dans l'urne funèbre, le myrte ne leur prête-t-il pas un aussi doux ombrage? Si César n'eût connu que les baisers de Cléopâtre, Rome eût été libre, et le monde ne fût pas devenu sa conquête. Eh! qu'ont fait pour le monde les exploits de César, la renommée de César? Nous le sentons dans notre avilissement: cette gloire a posé son cachet sanglant sur nos chaînes, elle y a fait naître la rouille que nos tyrans se plaisent à y entretenir. Eh quoi! la gloire, la nature, la raison et la liberté réunies ordonneront à des millions d'hommes exaspérés de faire ce que Brutus exécuta seul! – Elles leur commanderont de renverser du poste élevé qu'ils occupent depuis trop long-tems, ces vils imitateurs d'un despote, qui, semblables à l'oiseau moqueur, répètent le chant de la tyrannie! et cependant nous continuerons à être traqués par ces chats-huans ignobles, dignes seulement de la chasse aux souris, et que nous nous obstinons à prendre pour de nobles faucons, tandis que le premier mot de liberté suffirait pour chasser ces épouvantails: car leur effroi nous prouve assez qu'ils ne sont pas autre chose!

14. Plongée dans les ravissemens de la passion, et oubliant doucement la vie, Neuah, la fille de la mer du Sud, était tout ce qu'une femme peut être pour un époux lorsqu'aucune distraction du monde ne la détourne de son amour; loin d'une société railleuse, toujours prête à se moquer d'une flamme nouvelle et passagère, et de cet essaim bourdonnant de fats, qui fait bruyamment éclater son admiration, ou murmure à son oreille les expressions d'une flamme adultère, qui en veut à son devoir, à sa gloire et à son bonheur. Son ame et toutes les sensations qui l'agitaient étaient à nu comme ses belles formes. On pouvait la comparer à l'arc-en-ciel pendant l'orage: – ses nuances mobiles offrent une brillante variété, mais colorent toujours les cieux du plus doux éclat; son arc a beau s'étendre, ses couleurs changer, ce n'est pas moins le nuage qui porte la messagère des amours.

15. C'est là, c'est dans cette grotte du rivage battu par les vagues qu'ils passaient les matinées brûlantes du tropique. Les heures n'existaient pas pour eux: – ils ne calculaient pas le tems. Leurs oreilles n'étaient pas frappées du son lugubre de l'horloge, qui nous distribue la portion journalière de la vie, et avertit l'homme, en s'en moquant, avec un rire d'airain. Que leur importait le passé ou l'avenir? Le présent, comme un tyran, les tenait enchaînés; – leur sablier était le sable du rivage, et la mer voyait s'écouler leurs doux momens ainsi que ses vagues paisibles; leur horloge, c'était le soleil dans son immense horizon. Ils ne comptaient pas, eux pour qui la journée n'était qu'une heure. Le rossignol remplaçait pour eux la cloche du soir, lorsqu'il chantait mélodieusement à la rose les adieux du jour 44. Ils voyaient se coucher leur large soleil, non comme dans le nord, d'une marche lente et graduée, et affaiblissant son éclat à mesure qu'il descend sur l'océan; mais ardent, enflammé, conservant toute sa plénitude, et comme s'il abandonnait pour jamais le monde, et le privait de lumière, plongeant dans les flots son front étincelant, tel qu'un héros, qui se précipite dans la tombe. Alors ils se levaient tous deux, regardaient d'abord le firmament, puis revenaient chercher la lumière dans les yeux l'un de l'autre; et s'étonnant qu'un soleil d'été durât si peu, ils se demandaient si en effet le jour était à sa fin.

16. Et pourquoi ceci paraîtrait-il étrange? – Le dévot ne vit pas sur la terre; dans son extase, les jours et les mondes passeraient devant lui sans être aperçus: son ame a pris son vol vers le ciel avant sa poussière. – L'amour est-il donc moins puissant? Non; sa route est glorieusement tracée, et c'est aussi vers Dieu qu'elle le conduit. Tout ce que nous connaissons ici-bas des délices du ciel est attaché à cette autre meilleure moitié de nous-mêmes, dont nous ressentons la joie ou la douleur bien plus que celle qui nous est propre. Cette flamme qui absorbe tout, et qui, jointe à celle qui l'allume, ne forme plus qu'un seul feu, feu pur, semblable au bûcher funèbre des Indiens, où les cœurs tendres brûlent sans exhaler un soupir. Combien de fois n'avons-nous pas oublié le tems, lorsque, dans la solitude, nous admirions le trône universel de la nature, ses forêts, ses déserts, ses eaux, cette réponse éloquente et profonde qu'elle fait à notre intelligence? N'y a-t-il pas de la vie dans les étoiles et les montagnes? Une ame n'anime-t-elle pas les vagues de la mer? Les larmes muettes qui dégouttent de ces humides rochers n'expriment-elles pas un sentiment? – Non, non! elles nous appellent, elles nous ouvrent leurs sphères, elles nous invitent à nous affranchir avant l'heure du poids de cette enveloppe d'argile, à plonger notre ame dans l'immensité, à nous dépouiller de cette forme trompeuse et fragile qui nous est si chère! – Qui peut encore songer à soi en contemplant les cieux? Et sans porter si haut ses regards, quel est celui qui, dans les frais momens de la jeunesse, avant d'avoir reçu les leçons du tems, a jamais pensé à la dépravation de l'homme et à la sienne? À cette heureuse époque de la vie, la nature entière est son royaume et l'amour son trône.

17. Neuah et Torquil se levèrent. Les teintes douces et mélancoliques du crépuscule avaient pénétré dans la grotte qui leur servait d'asile, et dont la voûte, tapissée de spar humide de rosée, joignait son faible éclat à celui des étoiles qui se rassemblaient sur le firmament. Le couple heureux, partageant le calme de la nature, prit lentement le chemin de sa cabane élevée au pied d'un palmier, tantôt souriant, tantôt silencieux comme tout ce qui les entourait. Que l'ame est belle dans cet état de sérénité; elle est belle comme l'amour même! Le murmure des flots de l'océan était presque aussi faible que celui du coquillage imitateur de leur bruissement 45, et qui, tel que l'enfant né dans les profondeurs des mers et séparé du sein maternel, crie sans cesse et ne veut pas dormir, faisant entendre sa petite plainte, et se désespérant en vain dans le vaste sein de la vague sa nourrice. Les forêts disparaissaient insensiblement dans l'obscurité, comme pour aller se livrer au repos; l'oiseau du tropique regagnait son nid par le chemin des rochers, et le ciel d'azur qui les entourait semblait un lac paisible où l'ardente piété pouvait étancher sa soif.

18. Mais écoutez! À travers les palmiers et les plantains, une voix se fait entendre; non telle qu'un amant l'eût choisie pour venir interrompre, à une telle heure, le silence d'une nuit si calme. Ce n'était pas la brise du soir passant sur la montagne, et faisant frémir les rochers et les arbres, ces cordes sonores de la nature, le premier et le plus harmonieux des instrumens, et puis leur servant elle-même d'écho. Ce n'était pas non plus l'alarme du bruyant cri de guerre, qui venait de rompre le charme, ni le soliloque plaintif du hibou hermite, anachorète ailé aux grands yeux, à la vue faible, qui entonne la nuit son hymne lugubre, dans laquelle s'exhale son ame solitaire: – c'était le sifflet d'un marin, fort et prolongé, aussi perçant que le sifflement d'un oiseau de mer. Il y eut une pause; puis une voix rauque cria: «Holà! Torquil! mon garçon! Quelles nouvelles! Holà! frère, holà!» «Qui appelle?» s'écria Torquil, en suivant des yeux le son de la voix. «Quelqu'un,» répondit-on brièvement.

 

19. En ce moment, celui dont on venait d'entendre la voix parut lui-même, et avec lui la brise aromatique du sud se chargea, non de ces parfums qu'elle recueille en passant sur une couche de violettes, mais de ces tourbillons de fumée qui aiment à se mêler aux vapeurs de l'eau-de-vie et du vin. Ils s'échappaient alors d'une pipe courte et fragile, mais qui avait porté ses émanations odorantes dans les deux zones, et toujours en action là où les vents soufflent et où la mer roule ses flots, avait exhalé sa fumée de Portsmouth au pôle, et opposant sa vapeur à la lueur éblouissante des éclairs, toujours calme et paisible, au milieu des montagnes de vagues, et dans toutes les variations d'un ciel inconstant, n'avait cessé d'offrir à Éole un perpétuel sacrifice. Et quel était celui qui la portait? Je puis me tromper, mais je le prendrais pour un marin ou pour un philosophe 46. Ô sublime tabac, qui de l'est à l'ouest charmes les travaux du marin et le repos des enfans de Mahomet; toi qui, sur l'ottomane du musulman, partages ses heures entre l'opium et ses femmes dont tu es devenu le rival; magnifique à Stamboul, moins noble mais non moins chéri dans Wapping ou le Strand, divin en Hookas, superbe dans une riche et brillante pipe dont l'ambre orne le bout; comme tant d'autres objets qui nous charment, si tu attires plus généralement les hommages revêtu de tout l'éclat de la parure, tes vrais adorateurs admirent bien davantage tes beautés sans déguisement. Donnez-moi un cigarre.

20. Une figure humaine s'approche au milieu de l'obscurité de la forêt dont elle vient troubler la solitude. Son aspect a quelque chose de fantastique; on dirait un marin revêtu d'un déguisement de sauvage, et tel qu'il paraît sortant des flots de l'océan lorsque les joyeux vaisseaux traversent la ligne et qu'une foule de matelots, se livrant à ces bruyantes saturnales, se rassemblent sur le tillac dans le char emprunte de Neptune. Le dieu de l'océan sourit de voir son nom revivre encore une fois, ne fût-ce que dans la pantomime grotesque de ses fidèles enfans qui s'abandonnent à la joie au milieu de vents inconnus à ses Cyclades natales. Cependant le vieux Neptune se réjouit de voir reparaître sur l'océan quelques faibles traces de son règne antique. La veste que porte notre marin, quoique presque en lambeaux; sa pipe qu'il ne quitte pas et qui ne cesse jamais de fumer; quelque chose dans son air et dans sa taille qui ressemble à un mât de misaine, et un certain balancement dans sa démarche, semblable à celui de son vaisseau chéri, indiquent assez son premier état: cependant l'espèce de mouchoir dont sa tête est enveloppée avec si peu d'élégance et de soin, et le morceau d'étoffe trop exigu qui remplace un pantalon trop tôt la proie des épines (car les plus belles forêts ont aussi les leurs), et lui tient lieu de ce vêtement pour lequel les Anglais n'ont pas trouvé d'expression 47; ses pieds et sa poitrine nus, et cette figure brûlée par le soleil, pourraient annoncer un sauvage aussi bien qu'un homme de mer. Mais ces armes sont celles de sa profession, et les produits de cette Europe que deux mondes bénissent pour la civilisation qu'ils lui doivent. Son fusil est suspendu derrière ses larges épaules, un peu courbées par le séjour de la mer, mais robustes comme celles du sanglier.

Son coutelas privé de sa gaîne, perdue ou usée par le tems, pend à son côté: et à sa ceinture est une paire de pistolets, qu'on pourrait comparer à un couple d'époux (que cette métaphore ne soit pas prise pour un sarcasme), car si l'un manque son feu, l'autre n'en part pas moins à l'instant. Tout ceci, avec une baïonnette un peu moins exempte de rouille que lorsqu'elle était sortie pour la première fois du fourreau, complète l'accoutrement de cet homme qui s'avance au milieu des ombres de la nuit, muette spectatrice de ce costume bizarre.

21. «Quelles nouvelles, Ben Bunting? s'écria notre nouvel ami Torquil, lorsqu'il vit le marin en face. Y a-t-il quelque chose de neuf?» «Oui, oui, répondit Ben, rien de neuf, mais assez de nouvelles; une étrange voile s'est montrée au large.» «Une voile! qu'entends-je? Mais comment avez-vous pu la découvrir? C'est impossible. Je n'ai pas vu sur la mer le moindre lambeau de toile.» «Cela se peut, dit Ben, vous avez pu ne pas la voir de la baie; mais moi, du haut du rocher où j'ai fait le quart aujourd'hui, je l'ai aperçue dans le bassin, car le vent était frais et propice.» «Et lorsque le soleil s'est couché, où était-elle? Avait-elle jeté l'ancre?» «Non, mais elle a continué de se diriger sur nous jusqu'à ce que le vent soit tombé.» «Et son pavillon?» «Je n'avais pas de lunette; mais, de par Dieu, tout loin qu'elle fût, la sorcière ne m'a pas paru nous vouloir du bien.» «Est-elle armée?» «Je m'y attends; on a envoyé à la découverte; il est tems, ce me semble, pour nous de mettre à la mer.» «À la mer? Quel que soit celui qui nous donne maintenant la chasse, nous ne fuirons pas le combat, car ce serait une lâcheté; nous mourrons à notre poste comme des braves.» «Oui, oui; quant à cela, c'est tout-à-fait égal à Ben.» «Christian sait-il cette nouvelle?» «Oui, et il a mis tous les bras en réquisition, et rassemblé tous nos gens au quartier. Ils sont occupés à fourbir leurs armes, et nous avons des canons à transporter et à mettre en état; on vous demande.» «C'est trop juste, et ne le serait-ce pas, je n'ai pas une ame capable d'abandonner mes camarades sans secours pendant l'orage. Ma Neuah! ah! pourquoi le sort ne poursuit-il pas que moi seul? Pourquoi doit-il persécuter aussi un être si tendre et si fidèle? Mais quoi qu'il arrive, ah! Neuah, n'amollis pas mon courage. Le tems presse et ne me permet pas une seule larme. – Mais quoi qu'il advienne, je suis à toi.» – «Il a raison, ajouta Ben. C'est bon pour la marine 48

Chant Troisième

1. Le combat était terminé. Cette lueur fatale qui enveloppe le canon lorsqu'il porte la mort, avait aussi cessé d'éclairer les ténèbres; la vapeur sulfureuse des armes à feu avait abandonné la terre, et, chassée vers le ciel, en avait souillé un moment l'éclat. Le bruit effroyable de chaque décharge ne faisait plus retentir les échos, de nouveau livrés à leur paisible mélancolie. On n'entendait plus de cris d'horreur répétés de part et d'autre. La lutte avait cessé. Les vaincus subissaient leur sort. Les révoltés étaient écrasés, dispersés ou pris, ou, si quelques-uns survivaient, c'était pour envier le destin des morts. Un petit nombre, un bien petit nombre s'était échappé, et ceux-ci étaient poursuivis dans toute cette île qu'ils avaient aimée par-dessus leur pays natal. Ils n'avaient plus, sur la terre, d'asile et de patrie, après avoir renié celle qui les avait vus naître. Traqués comme des bêtes sauvages, comme elles ils cherchaient le désert, de même que l'enfant se réfugie dans le sein de sa mère. Mais en vain les loups et les lions, poursuivis par le chasseur, cherchent leur antre, et plus vainement encore l'homme voudrait échapper à l'homme.

2. Il est un rocher dont la base saillante se projette au loin dans l'océan, et brave les plus terribles accès de sa fureur. Lorsque la vague irritée escalade ses flancs énormes, aussitôt elle en est précipitée, comme le brave qui s'élance le premier à l'assaut, et retombe sur cette masse de flots écumeux qui combattent sous les bannières du vent. C'est là que se rassemblent quelques malheureux échappés au combat, faibles, sanglans, brûlans de soif, mais tenant encore leurs armes, et conservant un reste d'orgueil de leur ancienne résolution, qui annonce en eux des hommes plus habitués à lutter contre le sort qu'à s'en laisser surprendre. Ils semblaient avoir prévu et défié leur destinée, comme un événement probable. Et cependant une lueur d'espoir, non celui d'être pardonnes, mais de rester dans l'oubli, ou d'échapper aux recherches sur ce rocher éloigné, au milieu de cet océan de vagues, avait en partie effacé de leurs pensées qu'ils venaient de contempler et de subir la vengeance des lois de leur pays. Leur île, verdâtre comme les flots de la mer, ce paradis gagné au prix d'un crime, ne pouvait plus servir d'asile à leurs vices et à leurs vertus. Leurs sentimens honnêtes, s'ils en avaient encore, étaient perdus pour eux: – leurs fautes leur restaient seules. Proscrits jusque dans leur seconde patrie, ils étaient perdus. En vain le monde s'ouvrait devant eux, toutes les portes leur en paraissaient fermées. Leurs nouveaux alliés avaient combattu, avaient versé leur sang dans ce sacrifice mutuel; mais à quoi leur avaient servi la massue, la lance et le bras d'Hercule contre la puissance magique de ce talisman destructeur, de ce tonnerre qui écrase le guerrier avant qu'il puisse faire l'emploi de sa force; et, semblable à ce fléau pestilentiel dont on ne peut arrêter les ravages, creuse en même tems la tombe du brave et celle de la valeur humaine 49? Ce peu de guerriers avaient fait tout ce que des hommes déterminés ont souvent osé et fait contre le nombre, mais quoique le choix naturel de l'homme semble être de mourir libre, la Grèce elle-même, la Grèce n'avait vu qu'une fois les Thermopyles, jusqu'à ce jour où, se forgeant un glaive de ses chaînes brisées, elle expire pour revivre encore.

3. Au pied de ce roc immense, ce petit nombre d'hommes ressemblait aux restes fugitifs d'une troupe de daims. – Leurs yeux étaient enflammés, – leur aspect indiquait l'épuisement de leurs forces; cependant ils étaient encore teints du sang de ceux qui les poursuivaient. Une petite source, tombant du haut du rocher, précipitait en bouillonnant, de cime en cime, son onde douce et fraîche, qui, folâtre et vagabonde, allait égarer son cristal limpide et étincelant aux rayons du jour, dans le vaste sein de la mer. Réunie à l'immense, au farouche océan, mais encore pure et fraîche comme l'innocence, et courant moins de dangers qu'elle, son onde argentée brillait encore d'un doux éclat sur la surface des flots, semblable au timide chamois qui contemple sans s'effrayer, le précipice au-dessous duquel mugissent, s'élèvent et s'abaissent les vagues bleuâtres de la vaste mer. Ce fut à cette fraîche source qu'ils coururent: – toutes leurs sensations étant absorbées en ce moment par cet impérieux besoin de la nature, la soif brûlante qui les dévorait. Ils burent comme ceux qui croient boire pour la dernière fois, et se débarrassèrent de leurs armes pour mieux savourer cette rosée délicieuse. Ils rafraîchirent leurs gosiers desséchés, et lavèrent le sang de leurs blessures qui ne devaient peut-être avoir d'autres bandages que des chaînes. Après avoir étanché leur soif, ils regardèrent tristement autour d'eux, et comme étonnés de retrouver encore autant des leurs vivans et libres. Mais chacun, gardant le silence, semblait interroger les yeux de son camarade pour y chercher un langage que ses lèvres lui refusaient, comme si leur voix eût expiré avec leur cause.

 

4. Sombre, et un peu séparé du reste, se tenait Christian, les bras croisés sur sa poitrine. Ce coloris animé, jadis répandu sur ses joues, et que rien n'y faisait jamais pâlir, avait été remplacé par la teinte livide du plomb. Ces cheveux d'un brun clair, flottant avec tant de grâce, se dressaient maintenant sur son front comme autant de vipères. Immobile comme une statue, les lèvres serrées comme pour comprimer jusqu'au souffle qui soulevait encore sa poitrine, muet et menaçant, il était debout appuyé contre le rocher; et à l'exception d'un faible battement de pied qui, de tems à autre, laissait une impression plus profonde sur le sable, on aurait pu le croire changé en pierre. À quelques pas de là, Torquil, la tête appuyée contre un banc de roc, ne parlait pas, mais perdait son sang par une blessure qui pourtant n'était pas mortelle: – la plus dangereuse était celle dont il souffrait intérieurement. Son front était pâle, ses yeux bleus caves; et les gouttes de sang dont sa blonde chevelure était teinte indiquaient assez que son abattement n'était pas l'effet du désespoir, mais de l'épuisement de la nature. À côté de lui était un homme aussi farouche qu'un ours, et cependant plein de la bonne volonté d'un frère: c'était Ben Bunting, qui, ayant essayé d'étancher, de laver et de bander sa blessure, se mit ensuite à allumer tranquillement sa pipe, ce trophée qui avait survécu à cent combats, ce phare qui l'avait réjoui pendant mille et mille nuits. Le quatrième et le dernier de ce groupe solitaire marchait de long en large, s'arrêtant de tems à autre, et se baissant comme pour ramasser un caillou; puis le rejetant, et recommençant à marcher à la hâte; puis s'arrêtant tout-à-coup pour jeter les yeux sur ses compagnons, et sifflant à demi la moitié d'un air; après quoi il reprenait sa marche précipitée, avec quelque chose qui indiquait en lui un mélange d'insouciance et d'inquiétude. Voici une longue description, quoiqu'elle s'applique à une scène qui à peine dura cinq minutes; mais quelles minutes! des momens semblables changent la vie des hommes en éternité!

5. À la fin, Jack Skyserape, homme actif et mobile comme le vif-argent, effleurant tout comme le souffle léger de l'éventail, plus brave que ferme, plus disposé à affronter la mort et à la subir tout d'un coup, qu'à lutter contre le désespoir, s'écria: «God damn 50!» ces syllabes énergiques, qui servent de base à l'éloquence anglaise, comme l'Allah du Turc ou l'exclamation payenne du Romain: de par Jupiter! servaient autrefois, dans des cas embarrassans, pour exhaler la première impression. – Jack était donc embarrassé: jamais héros ne le fut davantage; et, ne sachant que dire, il se mit à jurer. Ces sons long-tems familiers arrachèrent Ben aux méditations de la pipe. Il l'ôta de sa bouche; et, d'un air grave et important, ajouta seulement au juron: «His eyes 51!» complétant ainsi cette phrase restée imparfaite, et que je ne crois pas avoir besoin de répéter.

6. Mais Christian, d'une nature plus noble, offrait l'image d'un volcan éteint. Silencieux, morne et farouche, les traces brûlantes des passions subsistaient encore sur ses traits obscurcis de sombres nuages. Enfin, portant devant lui un œil austère, son regard tomba sur Torquil, qui, dans sa faiblesse, était forcé de s'appuyer. «En est-il donc ainsi? s'écria-t-il; et toi aussi, malheureux enfant, et toi aussi, il faut que ma démence te perde!» Il dit, et s'avança à grands pas vers le lieu où était le jeune Torquil, encore teint du sang qu'il venait de perdre. Il saisit sa main avec ardeur, mais ne la pressa pas comme redoutant pour lui-même l'effet de cette caresse. Puis il s'informa de son état, et lorsqu'il apprit que la blessure était plus légère qu'il ne l'avait imaginé ou craint, son front parut s'éclaircir autant qu'un tel moment le lui permettait. «Oui, s'écria-t-il, nous avons succombé dans le combat; mais notre défaite n'a pas été celle de lâches: elle n'a pas offert à nos ennemis un triomphe facile. – Ils nous ont chèrement achetés; ils peuvent nous payer plus cher encore, car j'y perdrai la vie. Mais vous, avez-vous la force de fuir? Ce serait encore une consolation pour moi si vous pouviez me survivre; notre troupe affaiblie est réduite à un trop petit nombre pour résister. Oh! un canot, un seul canot; ne fût-ce qu'une coquille, pour vous transporter loin d'ici, aux lieux où l'espérance peut encore habiter avec vous. – Quant à moi, mon sort est tel que je l'ai voulu; j'ai vécu, et je mourrai libre et sans peur.»

7. Comme il parlait, au bord du promontoire qui élève au-dessus des flots sa tête haute et grisâtre, une tache noire se fit apercevoir sur l'océan, volant avec rapidité et ressemblant à l'ombre d'une mouette. – Oh ciel! elle est suivie d'une seconde; et toutes deux, tantôt en vue, tantôt cachées, suivant les sinuosités de l'océan, s'approchent enfin d'assez près pour qu'on puisse reconnaître les traits bien connus de leur noir équipage, pour qu'on puisse distinguer leurs agiles pagaïes, légères comme une paire d'ailes, se jouant sur les brisans et fuyant à travers les ondes, tantôt perchées au sommet de la vague houleuse, tantôt se plongeant dans l'écume mugissante qui surgit en bouillonnant et couvre successivement le sein de la mer de blanches nappes qui se divisent bientôt en gros flocons, formant à leur tour une neige fine et subtile. Cependant les barques, comme de petits oiseaux traversant un ciel menaçant, continuent de voguer en dépit des brisans et des vagues, et approchent enfin du rivage. Leur art leur semble enseigné par la nature, tant est remarquable l'adresse avec laquelle ces sauvages fendent les flots de l'océan avec lequel dès l'enfance ils sont habitués à jouer!

8. Et quelle est celle qui, sautant la première sur le rivage, s'élance comme une Néréide de sa conque marine? Sa peau est noire, mais brillante comme l'ébène, ses yeux humides respirent l'amour, l'espoir et la constance. C'est Neuah! Neuah! tendre, fidèle, adorée. – Son cœur s'épanche dans celui de Torquil comme un torrent: elle sourit, elle pleure, elle le presse plus étroitement encore sur son sein comme pour s'assurer que c'est bien lui, frémit en apercevant sa blessure encore tiède de sang; puis, en s'assurant qu'elle est légère, elle sourit de nouveau, et de nouveau verse des larmes. Neuah est la fille d'un guerrier; elle peut supporter un tel spectacle, le comprendre, en gémir, mais non se livrer au désespoir. Son amant vit; – aucun ennemi, aucune crainte ne peut troubler les délices que voit éclore un tel moment. La joie brille à travers ses larmes. C'est encore la joie qui gonfle son sein de sanglots et agite si violemment son cœur qu'on en pourrait presque entendre les battemens: et le ciel lui-même est dans le soupir qu'exhale l'enfant de la nature livrée à ses plus douces extases.

9. Les êtres plus austères, témoins de cette entrevue, n'y furent pas insensibles. Et qui pourrait l'être en voyant ainsi deux cœurs s'élancer l'un vers l'autre? Christian lui-même contempla la jeune fille et le jeune homme, d'un œil sec, mais brillant d'une joie sombre et où se peignait toute l'amertume que les souvenirs d'un tems meilleur répandent dans notre ame, alors que tout est perdu sans espoir jusqu'au dernier rayon de l'arc-en-ciel. – «Et sans moi!» s'écria-t-il; puis il s'arrêta et se détourna, puis regarda encore le jeune couple de la même manière que, dans son antre, le lion contemple ses petits. Après quoi il retomba dans sa sombre indifférence, comme insensible à sa destinée future.

10. Mais le tems ne permettait pas de se livrer long-tems à de bonnes ou de mauvaises pensées. – Les vagues ne tardèrent pas à apporter autour du promontoire le bruit des rames ennemies. – Hélas! qui rendait ce bruit si effrayant? Tout le monde se prépara à la défense, tous, excepté la fiancée de Toobonaï, elle qui la première avait aperçu, dans la baie, les chaloupes armées qui se hâtaient de presser leurs voiles pour achever la destruction du petit nombre qui leur était échappé; elle, dis-je, fit signe à ses compatriotes de retourner à leur proue, fit embarquer ses hôtes, et lancer à la mer leurs fragiles canots. Dans l'un elle avait placé Christian et ses deux camarades: mais Torquil et elle ne pouvaient plus se séparer; elle l'établit dans le sien. Au large! au large! Ils sortent des brisans, s'élancent le long de la baie vers un groupe de petites îles, retraite des oiseaux de mer qui y forment leurs nids, et du veau marin qui vient creuser son lit dans le sable du rivage. Ils rasent la cime azurée des vagues, fuient rapidement, et sont rapidement poursuivis par leurs cruels persécuteurs. Ces derniers obtiennent de l'avantage, puis le reperdent, puis le regagnent et les menacent sur l'océan; bientôt les deux canots ainsi chassés se séparent et prennent chacun une route différente sur les flots pour déjouer les poursuites. Vite! vite! chaque pagaïe aujourd'hui décide de la vie d'un homme; mais il s'agit de bien autre chose pour Neuah que de la vie ou de plusieurs vies. – L'amour a frété sa frêle barque, et c'est lui qui la pousse vers la baie; et maintenant l'ennemi et le port sont proches. – Un moment!.. un seul moment encore! – Fuis, barque légère! Fuis!

44On n'a besoin de rien ajouter à cette allusion à la fable bien connue des amours du rossignol et de la rose, qui est devenue maintenant aussi familière au lecteur de l'Occident qu'à celui de l'Orient.
45Si le lecteur veut appliquer à son oreille le coquillage qui est sur sa cheminée, il comprendra l'allusion qu'on veut faire ici. Si ce passage lui paraît obscur, il trouvera dans Gébir la même idée, mieux exprimée en deux lignes. Je n'ai jamais lu ce poème; mais j'ai entendu citer ces deux vers par un lecteur plus profond, et qui parait être d'une opinion bien différente de celle exprimée par l'éditeur de la Revue du trimestre, qui, dans sa réponse au rédacteur chargé de la critique de son Juvénal, prononça qu'on ne pouvait rien lire de plus mauvais et de plus absurde. C'est à M. Landor, l'auteur de Gébir, qui fut ainsi jugé, et de quelques autres poèmes latins qui rivalisent d'obscénité avec Martial et Catulle, que l'immaculé M. Southey a adressé ses déclamations contre l'impureté.
46Hobbes, à qui nous devons Locke et d'autres philosophes, était un fumeur déterminé, – même jusqu'à fumer plus de pipes qu'on n'en pourrait compter.
47Il y a dans le texte: qui lui servent d'inexpressible.
48C'est bon pour la marine, mais les matelots ne veulent pas le croire, est un vieux dicton, et une des dernières traces qui subsistent encore (mais en plaisanterie seulement) de la jalousie qui exista jadis entre deux armées également braves.
49Archidamus, roi de Sparte, et fils d'Agésilas, en voyant une machine inventée pour lancer des pierres et des dards, s'écria que c'était le tombeau de la valeur. La même anecdote a été attribuée à quelques chevaliers, lorsqu'on fit pour la première fois usage de la poudre à canon; mais le fait original se trouve dans Plutarque.
50Dieu damne. – Il me semble que ce jurement intraduisible, et d'ailleurs bien connu des Français, sera mieux ici en anglais. (N. du Tr.)
51Ses yeux. God damn his eyes, Dieu damne ses yeux. – Ce juron est familier à la classe la plus grossière du peuple anglais. (N. du Tr.)