Za darmo

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

DEUXIÈME PARTIE

SCÈNE PREMIÈRE
(La scène est devant les murs de Rome. Assaut. L'armée est en mouvement avec des échelles pour franchir les murailles. Bourbon s'avance le premier, avec une écharpe blanche sur son armure33.)
CHOEUR D'ESPRITS dans les airs
I

Voici le matin; mais il est sombre et couvert. Où fuit la silencieuse alouette? Où s'est retiré le soleil nébuleux? Est-ce bien là le jour? Le regard de la nature semble planer avec tristesse sur la cité noble et sacrée; mais au dehors frémit un tocsin qui doit émouvoir les saints renfermés dans l'enceinte, et ranimer les cendres héroïques éparses autour des jaunes ondes du Tibre. Réveille-toi, génie des sept montagnes, avant que tes bases ne soient ébranlées!

II

Entendez-vous le bruit pressé des pas? Mars conduit chaque ébranlement! Les pieds se meuvent d'un commun accord comme les marées sous l'influence lunaire. Ils courent à la mort avec la régularité des eaux roulantes, alors que les vagues, s'élevant au-dessus des puissantes digues sans que leur ordre soit troublé, viennent se briser les unes après les autres. Entendez-vous le froissement des armures? Baissez vos regards sur chaque guerrier; comme son œil ardent menace ces remparts! Considérez chacun des degrés de chaque échelle, semblable aux raies qui sillonnent le corps d'une sinistre couleuvre.

III

Considérez ces murs, hérissés sans intervalle de redoutables défenses. Tout à l'entour, de loin et de près, s'entrouvre la noire bouche des canons; brille le fer des lances, brûlent des mèches, se chargent les mousquets, et le tout pour vomir bientôt la mort. Tous les vieux instrumens de carnage, réunis à ce que l'industrie des hommes a nouvellement découvert, sont ici disposés comme un innombrable troupeau de sauterelles. Ombre de Rémus! ce jour sera terrible comme celui du crime de ton frère. Les chrétiens viennent combattre contre le temple du Christ: lui faudra-t-il subir la même destinée que toi?

IV

Près, – près, plus près encore! Tel le tremblement de terre ébranle les montagnes, d'abord par une secousse légère et sourde comme les premiers sillonnemens de l'onde; ensuite avec un fracas terrible et prolongé, jusqu'à ce que les rochers soient réduits en poussière; ainsi se précipite en avant l'armée! Illustres guerriers, héros dont le renom vit encore; ombres éternelles, premières fleurs des sanglantes, prairies qui entourent Rome, Rome la mère d'un peuple unique! ne sortirez-vous pas de votre assoupissement, quand les nations, dans leurs querelles, vont traîner la charrue sur vos lauriers! Mais vous qui avez pleuré sur le bûcher de Carthage, ne versez pas de larmes; applaudissez! Rome pleure à son tour34.

V

En avant se précipitent les nations diverses! La famine depuis long-tems remplace leurs denrées; la haine et la faim dans le cœur, ils se poussent devers les murailles comme une troupe de loups, et plus terribles encore. Ah! ville de gloire, vas-tu donc devenir un objet de pitié! Il faut tous, Romains, combattre comme vos pères! Comparé aux noirs bandits de Bourbon, Alaric était un vainqueur miséricordieux. Lève-toi, cité éternelle! lève-toi! Porte de tes mains, la flamme sous tes portiques, plutôt que de laisser ces infâmes ennemis souiller de leur présence le dernier de tes foyers.

VI

Oh! voyez-vous ce spectre ensanglanté! Pour les fils d'Ilion, il n'est plus d'Hector; les enfans de Priam aimaient leur frère; et le fondateur de Rome méconnut sa mère, quand, par un crime que rien ne dut expier, il plongea le fer dans le cœur de son frère jumeau. Voyez l'ombre gigantesque se prolonger haute et large sur les remparts! Quand il traversa pour la première fois tes fossés, tu entrevis, ô Rome naissante, le jour de ta ruine. Vainement aujourd'hui t'éleverais-tu dans les airs à l'égal de Babel, tu n'arrêterais pas ses pas; et du haut de ton plus superbe dôme, voici déjà Rémus qui réclame de toi vengeance.

VII

Voilà qu'ils te franchissent dans leur fureur, merveille du monde! Le feu, la fumée, la clameur infernale t'environnent! la mort se fait jour à travers et sous tes murs. Le fer commence à froisser un autre fer; plus bas l'échelle gémit, étincelante sous une charge d'acier qui s'écroule à ses pieds au milieu de mille blasphêmes. De rechef, chaque guerrier immolé est soudain remplacé par un autre; le sang mélangé de l'Europe abreuve tes fossés. Tes murs peuvent s'écrouler, ô Rome, mais tes champs doivent se réjouir de l'engrais qu'on leur prodigue. Mais hélas! ô Rome, tes foyers! – silence! En proie même à tant d'angoisses, tu combats encore comme jadis tu avais coutume de vaincre.

VIII

Pénates antiques, un effort de plus! n'abandonnez pas à la cruelle Até vos fumans foyers. Un effort de plus, ombres de héros! ne cédez pas ainsi à des Nérons étrangers. L'impie qui tua sa mère et répandit le sang de Rome était du moins votre concitoyen; c'était un Romain qui donnait aux Romains des fers, – et Brennus ne put vous livrer à ses barbares. – Encore un effort, ames des saints et des martyrs: levez-vous! vos titres sont les plus respectables. Puissantes divinités, voilà vos temples écroulés et toujours imposans, même dans leurs débris. Fondateurs glorieux de ces autels du Christ et de la vérité, frappez ceux qui vous menacent. Tibre, que tes torrens attestent l'horreur dont la nature même est saisie. Que chaque cœur entr'ouvert, mais palpitant encore, se retourne comme le lion mortellement frappé. Rome! sois convertie en une tombe immense; mais sois jusqu'au dernier moment la Rome des Romains!

(Bourbon, Arnold, César et autres arrivent au pied du mur
Arnold se dispose à planter son échelle.)
BOURBON

Arrêtez, Arnold, je suis devant.

ARNOLD

Non pas, monseigneur.

BOURBON

Arrêtez, monsieur, je l'exige. Suivez-moi! Je suis fier d'un tel compagnon; mais je ne veux pas ici de guide. (Il plante son échelle et commence à monter.) Allons, mes enfans, en avant! (Il est frappé et tombe.)

CÉSAR

Et de lui!

ARNOLD

Puissances éternelles! comment soutenir le courage de l'armée? – Mais vengeance! vengeance!

BOURBON

Ce n'est rien. Donnez-moi votre main. (Il prend la main d'Arnold et se relève; mais en mettant le pied sur l'échelle il retombe encore.) Arnold, je suis perdu. Cachez mon sort, – tout ira bien; – mais cachez-le; jetez mon manteau sur ce qui sera dans peu de la poussière; il ne faut pas que les soldats voient cela35.

ARNOLD

Il faut vous emporter; j'ai besoin de l'aide de-

BOURBON

Non, mon brave ami, la mort plane sur moi. Mais une vie! qu'est-ce que cela? L'ame de Bourbon vous guidera encore; ayez soin seulement de leur laisser ignorer que je ne sois plus qu'un cadavre; et quand ils n'auront plus d'ennemis devant eux, vous ferez ce qu'il vous plaira.

CÉSAR

Votre altesse ne voudrait-elle pas baiser la croix? Nous n'avons pas ici de prêtre; mais le pommeau de cette épée peut vous en servir: – il en a bien servi pour Bayard36.

 
BOURBON

Méchant valet! oses-tu bien le nommer en ce moment! mais je l'ai mérité.

ARNOLD, à César

Vilain, ne parlez pas davantage.

CÉSAR

Comment! voilà qu'un chrétien meurt, et je ne pourrais lui offrir un chrétien vade in pace?

ARNOLD

Silence! Les voilà donc glacés ces yeux qui pouvaient regarder le monde entier, sans voir rien de comparable à eux!

BOURBON

Arnold, si jamais tu voyais la France, – mais hâte-toi, l'assaut devient plus vif, – une heure de plus, une minute, et je mourrais dans l'intérieur de la ville. Éloignez-vous, Arnold, loin d'ici! vous perdez du tems, ils vont gagner Rome sans vous.

ARNOLD

Et sans vous!

BOURBON

Non, non, je les conduirai encore en esprit. Couvre mon cadavre, et ne dis pas que j'aie cessé de respirer. Adieu! sois vainqueur!

ARNOLD

Mais, dois-je vous laisser ainsi?

BOURBON

Il le faut, – Adieu! nos gens gagnent de l'avance.

(Bourbon meurt.)
CÉSAR, à Arnold

Allons, comte, à l'ouvrage.

ARNOLD

Il est vrai, je pleurerai ensuite. (Arnold couvre d'un manteau le corps de Bourbon, puis il s'écrie en montant à l'échelle.) Bourbon, Bourbon! Sus, enfans, Rome est à nous!

CÉSAR

Bonsoir, seigneur connétable; tu as été un homme. (César suit Arnold, ils atteignent les créneaux; Arnold et César sont renversés.) Aimable culbute! Votre seigneurie serait-elle blessée?

ARNOLD

Non. (Il remonte à l'échelle.)

CÉSAR

Voilà un bon limier, une fois qu'il est échauffé! et ce n'est pas là un jeu d'enfant. Voyez comme il frappe! Sa main touche encore aux créneaux; il s'y cramponne comme si c'était un autel; il y met le pied et-qu'y a-t-il ici, un Romain? (Ici un homme tombe.) C'est le premier oiseau de la couvée! Il est tombé sur le bord de son nid. Qu'y a-t-il donc, camarade?

LE BLESSÉ

Une goutte d'eau!

CÉSAR

Nous n'avons, d'ici au Tibre, d'autre liquide que du sang.

LE BLESSÉ

Je meurs pour Rome. (Il expire.)

CÉSAR

C'est comme Bourbon; mais dans un autre sens. Voilà ces grands hommes! voilà leurs immortels motifs! Mais je dois être au jeune dépôt qui m'est confié; il est sans doute maintenant dans le Forum. A la charge!

(César franchit l'échelle; la toile tombe.)
SCÈNE II
(La ville. – Combat dans les rues entre les assiégeans et les assiégés
Les habitans fuient en désordre.)
CÉSAR, entrant

Je ne puis trouver mon héros; il est perdu dans la foule héroïque qui maintenant est à la poursuite des fuyards, ou se bat contre les désespérés. Qu'avons-nous ici? un ou deux cardinaux, qui ne semblent pas fort curieux du martyre. Quelle agilité dans ces vieilles jambes rouges! Ils auraient bien fait de quitter leurs chausses, comme ils ont ôté leurs chapeaux; ils cesseraient d'être pour les pillards un point de mire. Laissons-les fuir, les ruisseaux de sang ne tacheront pas du moins leurs bas: ils sont de la même couleur.

(Entre un parti de combattans. – Arnold est à la tête des assaillans.)

Le voici escorté des deux frères, – le sang et la gloire. Holà! arrêtez, comte.

ARNOLD

En avant! il ne faut pas qu'ils se rallient.

CÉSAR

Je te le dis, ne sois pas trop emporté; il faut, pour l'ennemi fuyant, un pont d'or. Je t'ai donné la beauté du corps et l'exemption de plusieurs maladies corporelles, mais non mentales; je n'en avais pas le pouvoir. Tout en te donnant la forme du fils de Thétis, je ne t'ai pas plongé dans le Styx et je ne garantirais pas mieux contre l'ennemi ton cœur chevaleresque que ne le fut le talon d'Achille. Ainsi donc, de la prudence; et n'oublie pas que tu es encore un mortel.

ARNOLD

Et qui, avec un peu d'ame, songerait à combattre, s'il était invulnérable! Beau plaisir! Penses-tu que je m'attacherai au lièvre quand j'entendrai rugir les lions?

(Arnold rentre dans la mêlée.)
CÉSAR

Voilà bien un échantillon de l'humanité! Son sang est échauffé; il serait bon, pour calmer sa fièvre, qu'on lui en tirât quelque peu.

(Arnold lutte contre un Romain qui se retire contre un portique.)
ARNOLD

Rends-toi, esclave, je te ferai quartier.

LE ROMAIN

Cela est bientôt dit.

ARNOLD

Et fait: on connaît ma loyauté.

LE ROMAIN

On connaîtra mes actions.

(Ils reprennent le combat; César avance vers eux.)
CÉSAR

Comment, Arnold! arrête-toi, tu as affaire à un célèbre artiste, à un sculpteur habile, et qui sait parfaitement manier l'épée et le poignard. Il l'emporte sur toi, mon cher mousquetaire. C'est lui qui fit tomber Bourbon du haut des remparts.

ARNOLD

Oui, serait-il vrai? Il aura donc travaillé à son monument.

LE ROMAIN

Je pourrais cependant en tailler pour de plus vaillans que vous.

CÉSAR

Bien parler, mon homme de marbre! Benvenuto, tu as du talent dans les deux parties, et celui qui tuera Cellini aura fait un ouvrage aussi difficile que ceux que tu fis jamais avec les blocs de Carrare.

(Arnold désarme et blesse celui-ci, mais légèrement; ce dernier tire un
pistolet et fait feu, puis se retire et disparaît sous le portique.)
CÉSAR

Comment vas-tu? C'est là, je pense, un avant-goût des sanglans festins de Bellone?

ARNOLD, chancelant

C'est une égratignure; donne-moi ton écharpe, il ne m'échappera pas.

CÉSAR

Où est le coup?

ARNOLD

Dans l'épaule; ce n'est pas le bras de l'épée, – et cela suffit. J'ai soif: si j'avais un casque d'eau!

CÉSAR

C'est en ce moment un liquide fort recherché; on n'en trouve pas aisément.

ARNOLD

Ma soif augmente, mais je connais un moyen de l'éteindre.

CÉSAR

Elle, ou toi-même?

ARNOLD

La chance est la même; je m'en rapporte aux dés. Mais je perds mon tems à babiller; hâte-toi, je te prie. (César lui met son écharpe.) Et toi, pourquoi tant d'insouciance? Ne veux-tu pas frapper aussi?

CÉSAR

Vos anciens philosophes regardaient le genre humain en spectateurs des jeux olympiques. Si je trouvais un prix digne d'être disputé, je pourrais me montrer tel que Milon lui-même.

ARNOLD

Oui, quand il se prit dans le chêne.

CÉSAR

J'affronterais une forêt, si je le trouvais bon. Je combats contre les masses, ou pas du tout. En attendant, poursuis ton divertissement comme moi le mien: je n'ai qu'a regarder, puisque mes ouvriers coupent gratuitement ma moisson.

ARNOLD

Exécrable démon! toujours le même.

CÉSAR

Et toi, toujours homme.

ARNOLD

Comment? je ne veux que me montrer tel.

CÉSAR

Oui, tel que sont les hommes.

ARNOLD

Que veux-tu dire?

CÉSAR

Que tu sens et que tu vois.

(Arnold s'éloigne et se réunit aux combattans, divisés en masses détachées. La toile tombe.)
SCÈNE III
(L'église de Saint-Pierre. Intérieur. Le pape est à l'autel. Prêtres qui l'environnent en confusion. Citoyens accourant pour trouver un refuge, et poursuivis par la soldatesque.)
Entre CÉSAR
UN SOLDAT ESPAGNOL

Main-basse sur eux, camarades! Prenez-moi ces lampes; ouvrez jusqu'à l'échine cette tête chauve et tonsurée! il a un rosaire d'or!

UN SOLDAT LUTHÉRIEN

Vengeance! vengeance! Frappons d'abord, nous pillerons après; – c'est la demeure de l'Ante-Christ.

CÉSAR, l'arrêtant

Comment donc, schismatique! et que prétends-tu?

LE SOLDAT LUTHÉRIEN

Au saint nom du Christ, détruire le superbe Ante-Christ! Je suis chrétien.

CÉSAR

Oui, un disciple qui forcerait le fondateur lui-même à renier sa doctrine, s'il voyait quels sont ses prosélytes. Songe plutôt au pillage.

LE SOLDAT LUTHÉRIEN

C'est le diable, vous dis-je.

CÉSAR

Chut! ne révèle pas ce secret; il ne manquerait pas de te reconnaître pour être à lui.

LE SOLDAT LUTHÉRIEN

Pourquoi le protéges-tu? Je le répète, c'est le diable, ou du moins le vicaire du diable sur la terre.

CÉSAR

C'est précisément pour cela: pourquoi chercher querelle à ses meilleurs amis? Vous feriez mieux de vous tenir en repos; son heure n'est pas encore venue.

LE SOLDAT LUTHÉRIEN

C'est ce que l'on va voir.

(Le soldat luthérien s'avance vers le pape; un des gardes lui envoie
un coup de fusil qui le fait tomber au pied de l'autel.)
CÉSAR, au luthérien

Je vous l'ai dit.

LE SOLDAT LUTHÉRIEN

Est-ce que vous ne me vengerez pas?

CÉSAR

Moi? non. Vous le savez, la vengeance appartient au Seigneur; et vous voyez bien qu'il n'aime pas qu'on empiète sur lui.

LE SOLDAT LUTHÉRIEN, en mourant

Ah! du moins si je l'avais tué, j'irais dans le ciel, environné d'une éternelle gloire! Oh! mon Dieu! pardonne à la faiblesse d'un bras qui ne l'a pu atteindre, et reçois dans ta miséricorde ton serviteur! C'est encore un illustre triomphe; la superbe Babylone n'est plus; la prostituée des sept montagnes a changé sa robe de pourpre contre des cilices et des cendres.

CÉSAR

Oui, et les tiennes parmi les autres. Bien fait, vieille Babel!

(Les gardes se défendent en désespérés; le pontife s'esquive par un
passage dérobé jusqu'au Vatican et au château Saint-Ange.)
CÉSAR

Oui, c'est là se battre avec gloire! Allons, prêtres! allons, soldats! Comme ils y vont de la voix et du geste! Je n'ai pas vu de pantomime plus comique depuis la prise de la Juiverie par Titus. Mais c'était alors le tour des Romains, aujourd'hui c'est celui de leurs ennemis.

SOLDATS

Il s'est échappé; suivons-le.

AUTRE SOLDAT

Ils ont barré l'étroit passage; il est obstrué de morts jusqu'à la porte.

CÉSAR

Je suis ravi qu'il ait échappé, et il doit bien, en partie, m'en rendre grâces. Je ne voudrais pas que l'on abolît ses bulles; – ce serait perdre la moitié de notre empire, et ces indulgences exigent un peu de retour. – Non, non, il ne faut pas qu'il tombe; d'ailleurs son évasion peut être la matière d'un miracle futur, et comme telle fortifier la preuve de son infaillibilité. (S'adressant aux soldats espagnols.) Eh bien! coupe-gorges, pourquoi vous arrêtez-vous? Si vous ne vous pressez pas, vous ne trouverez plus un seul pieux grain d'or! Et vous donc, catholiques, retournerez-vous sans une seule relique d'un pareil pélerinage? Les luthériens eux-mêmes ont une dévotion plus sincère. Voyez comme ils dévalisent les châsses!

 
SOLDATS

Par saint Pierre! il dit vrai; les hérétiques emporteront la meilleure part.

CÉSAR

Ce serait une honte! Allons, allons, aidez-les dans leur acte de piété.

(Les soldats se dispersent; les uns quittent l'église, tandis que d'autres y entrent.)
CÉSAR

Les voilà partis, et d'autres reviennent; ainsi coule vague sur vague ce que ces malheureuses créatures appellent l'éternité. Elles pensent être les brisans de cet océan, tandis qu'elles ne sont que de légères bulles, engendrées par son écume. Maintenant autre chose.

(Entre Olympia poursuivie. – Elle embrasse l'autel.)
SOLDAT

Elle est à moi.

AUTRE SOLDAT, s'opposant au premier

Vous mentez; je l'ai troquée le premier; elle serait la nièce du pape que je ne la céderais pas.

(Ils se battent.)
TROISIÈME SOLDAT, s'avançant vers Olympia

Cessez vos réclamations; les miennes sont les meilleures.

OLYMPIA

Monstre infernal, vous ne me toucherez pas vivante!

TROISIÈME SOLDAT

Vivante ou morte.

OLYMPIA, embrassant un crucifix massif

Respectez votre Dieu.

TROISIÈME SOLDAT

Oui, quand il est en or, ma belle; c'est vôtre dot que vous serrez.

(Il s'avance vers elle, quand Olympia, en étreignant avec plus
de force le crucifix, l'ébranle et le fait tomber; dans sa chute, il renverse le soldat.)
TROISIÈME SOLDAT

Oh! grand Dieu!

OLYMPIA

Ah! maintenant vous le reconnaissez.

TROISIÈME SOLDAT

J'ai la tête cassée. Camarades! au secours! je n'y vois plus.

(Il meurt.)
AUTRES SOLDATS, accourant

Tuez-la, quand elle aurait mille vies: elle a assassiné notre camarade.

OLYMPIA

Mort désirable! Vous n'avez pas de vie à accorder que le dernier des hommes ne puisse ravir. Grand Dieu! par ton fils qui nous a rachetés, par la mère de ton fils, reçois-moi telle que je voudrais paraître à tes yeux, digne d'elle, de lui et de toi!

(Entre Arnold.)
ARNOLD

Que vois-je! Maudites bêtes féroces, arrêtez.

CÉSAR, à part et en riant

Ah! ah! ah! voilà la justice; ces dogues ont les mêmes droits que lui. Mais voyons comment cela finira.

SOLDATS

Comte, elle a tué notre camarade.

ARNOLD

Avec quelle arme?

SOLDATS

Avec la croix sous laquelle il est tombé; regardez-le couché là, plutôt comme un ver que comme un homme: elle l'a frappé à la tête.

ARNOLD

En effet, voilà une femme aussi recommandable qu'un brave homme. Si vous en étiez, vous auriez des respects pour elle. Mais éloignez-vous, et rendez grâce à votre bassesse; c'est le seul dieu auquel vous deviez en ce moment la vie. Si vous aviez touché un seul cheveu de ses tresses en désordre, j'aurais fait dans vos rangs un plus grand jour que l'ennemi lui-même. Loin d'ici, jackals! contentez-vous des os que le lion vous jette, et ne tombez pas sur ceux qu'il ne vous accorde pas.

UN SOLDAT, en murmurant

Alors le lion n'a qu'à vaincre pour lui-même.

ARNOLD, le frappant

Séditieux! va te révolter dans l'enfer; – mais sur la terre tu auras obéi. (Les soldats attaquent Arnold.)

ARNOLD

Avancez! j'en suis ravi; je vous montrerai, lâches, comment il faut vous commander, et quel est celui qui vous conduisit le premier sur les murs que vous n'osiez escalader; jusqu'au moment où j'arborai ma bannière sur le sommet. Vous êtes bien courageux maintenant que vous êtes dans la ville.

(Arnold terrasse les plus avancés; les autres jettent leurs armes.)
SOLDATS

Merci! merci!

ARNOLD

Apprenez donc à l'accorder. À présent, vous ai-je montré qui vous conduisit sur les créneaux de Rome?

SOLDATS

Oui, nous l'avons vu et éprouvé; pardonnez l'erreur d'un moment dans le feu de la victoire, – la victoire à laquelle vous nous avez guidés.

ARNOLD

Éloignez-vous donc! rentrez dans vos quartiers; vous les trouverez établis dans le palais Colonna.

OLYMPIA, à part

Dans la maison de mon père!

ARNOLD aux soldats

Laissez vos armes, elles vous seraient inutiles, la ville est rendue; et songez bien à tenir vos mains nettes ou je trouverai, pour vous rebaptiser, un ruisseau aussi rouge qu'en ce moment les eaux du Tibre.

SOLDATS; ils déposent leurs armes et s'éloignent

Nous obéirons.

ARNOLD à Olympia

Madame, vous n'avez plus rien à craindre.

OLYMPIA

Je le croirais si j'avais un glaive; mais il n'importe pas, – la mort a mille chemins; et le marbre qui couvre le pied de cet autel verra ensanglanter ma tête avant que tu m'arraches de ces lieux. Homme, Dieu te pardonne!

ARNOLD

J'espère bien mériter son pardon et le tien lui-même; je ne t'ai pas offensée.

OLYMPIA

Tu ne m'as pas offensée! Qui donc a porté le fer et le feu dans ma patrie? Tu ne m'as pas offensée! Qui donc a fait de la maison de mon père une retraite de brigands? Et ce temple, et ce mélange du sang des Romains et des saints? En vain voudrais-tu maintenant me protéger; il n'en sera rien!

(Elle lève les yeux au ciel, s'enveloppe de sa robe et se dispose à se précipiter de l'autel, du côté opposé à celui où se tient Arnold.)
ARNOLD

Arrête, arrête, je jure…

OLYMPIA

Épargne à ton ame déjà bien assez criminelle un serment que l'enfer lui-même ne voudrait pas garantir. Je te connais.

ARNOLD

Non, tu ne me connais pas, je ne suis pas de ces gens là, bien que-

OLYMPIA

Je te juge par tes compagnons; Dieu te jugera tel que tu es véritablement. Je te vois teint du sang de Rome; prends le mien, c'est tout ce que tu peux espérer de moi. Ici, sur le marbre du temple où l'eau sainte me baptisa fille de Dieu, je lui rends mon ame moins sainte, sans doute, mais non moins pure que les fonts baptismaux ne m'avaient rendue.

(Olympia étend une main vers Arnold d'un air dédaigneux, puis se précipite de l'autel sur le marbre.)
ARNOLD

Dieu éternel! je sens ta puissance! Au secours! au secours! Elle n'est plus.

CÉSAR, approchant

Me voici.

ARNOLD

Toi! mais enfin sauve-la!

CÉSAR, l'aidant à soulever Olympia

Elle a bien réussi; la chute a été sérieuse.

ARNOLD

Ô ciel! elle ne respire plus.

CÉSAR

S'il en est ainsi, je ne puis rien faire: il n'est pas en mon pouvoir de ressusciter.

ARNOLD

Vil esclave!

CÉSAR

Esclave ou maître, c'est tout un; de bonnes paroles cependant ne sont jamais déplacées, à mon avis.

ARNOLD

Des paroles? – peux-tu venir à son aide?

CÉSAR

Je veux bien l'essayer. Une aspersion d'eau bénite pourrait être utile.

(Il va puiser sur les fonts un peu d'eau dans son casque.)
ARNOLD

Elle est souillée de sang.

CÉSAR

Il n'en est pas dans ce moment de plus pure dans Rome.

ARNOLD

Que de pâleur! Que de charmes! Comme elle repose sans vie! Oh toi! modèle de toute beauté, je n'aime que toi, morte ou vivante.

CÉSAR

C'est ainsi qu'Achille aimait Penthésiléa; il semble que vous avez hérité de son cœur aussi bien que de sa figure; toutefois ce n'était pas un doucereux.

ARNOLD

Elle respire! Mais non; ce n'est rien que le dernier mouvement de vie disputé à la mort!

CÉSAR

Elle respire.

ARNOLD

Le dirais-tu? Il serait donc vrai!

CÉSAR

Vous me jugez bien: – le diable parle vrai plus souvent qu'on ne le croit; mais il a un ignorant auditoire.

ARNOLD, sans l'écouter

Oui, son cœur bat. Hélas! faut-il que le seul cœur que je voulusse voir battre auprès du mien palpite aujourd'hui sous l'étreinte d'un assassin.

CÉSAR

Voilà une sage réflexion, un peu tardive aujourd'hui. Où la transporterons-nous? Je vous dis qu'elle vit.

ARNOLD

Mais vivra-t-elle?

CÉSAR

Autant que le peut la poussière.

ARNOLD

Elle est donc morte?

CÉSAR

Bah! bah! vous l'êtes aussi, et vous l'ignorez. Elle reviendra à la vie-du moins à ce que vous prenez pour elle, et telle que vous êtes vous-même; mais il faut recourir à des moyens humains.

ARNOLD

Transportons-la dans le palais Colonna où j'ai fixé ma bannière.

CÉSAR

Allons donc, il faut la soulever.

ARNOLD

Doucement.

CÉSAR

Aussi doucement que vous autres portez vos morts, sans doute parce qu'ils ne peuvent plus souffrir des cachots.

ARNOLD

Mais est-il bien vrai qu'elle vive?

CÉSAR

Oh! ne craignez rien; mais si plus tard vous en avez regret, ne me le reprochez pas.

ARNOLD

Qu'elle vive, c'est assez!

CÉSAR

L'esprit de sa vie est encore dans son sein, et peut y rester. Comte, je vous obéis en toute chose; c'est ici pour moi un office nouveau, j'en ai peu l'habitude; mais vous sentirez quel sincère ami vous avez dans celui que vous nommez un diable. Sur la terre, vous avez souvent des diables pour amis; pour moi, je n'abandonne pas les miens. Doucement transportons cet être charmant, à peine matériel, et presque tout esprit. En vérité; je suis presque amoureux d'elle, comme jadis le furent les anges du beau sexe primitif.

ARNOLD

Toi?

CÉSAR

Moi; mais ne craignez rien, je ne serai pas votre rival.

ARNOLD

Mon rival?

CÉSAR

J'en pourrais être un formidable, mais depuis que j'ai tué les sept maris de la future fiancée de Tobie (et qu'après tout cela il eût suffi d'un peu d'encens pour me chasser), j'ai dit adieu aux intrigues: elles valent rarement la peine qu'on se donne pour réussir, ou-ce qui est plus difficile, – pour se défaire de l'objet auparavant chéri; car c'est là le mal, pour les mortels du moins.

ARNOLD

Silence! je te prie, doucement! je crois voir ses lèvres s'agiter, ses yeux s'ouvrir!

CÉSAR

Sans doute comme les étoiles, car c'est, une métaphore pour Vénus et pour Lucifer.

ARNOLD

Au palais Colonna, comme j'ai dit.

CÉSAR

Oh! je sais mon chemin dans Rome.

ARNOLD

Maintenant avançons; doucement!

(Ils sortent en emportant Olympia.)

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE.

33Une écharpe blanche. «Après que les estoiles se furent obscurcies pour plus grande splendeur du soleil et aussi des armes reluisantes des soldats, qui s'apprestaient pour aller à l'assaut; lui, après avoir ordonné de son assaut, estant vestu tout de blanc, pour se faire mieux recognoistre et apparoistre (ce qui n'estoit pas signe d'un couard), les armes à la main, marche le premier, et proche de la muraille, ayant monté deux eschelons de son eschelle, ainsi qu'il l'avoit dit le soir. Aussi, il lui advint que l'envieuse fortune, ou, pour mieux dire, traîtresse, fit qu'une arquebusade lui donna droit au costé gauche, et le blessa mortellement.» (Brantôme, idem.)
34On dit que Scipion, le second Africain, répéta un vers d'Homère et pleura sur l'embrasement de Carthage. Il eût mieux fait de lui accorder une capitulation.(Note de Lord Byron.)
35Il ne faut pas que les soldats voient cela. «Et encores que ceste arquebusade lui ostast l'estre et la vie, toutes fois d'un seul point elle ne lui sceut oster sa magnanimité et vigueur, tant que son corps eut du sentiment. Ainsi qu'il le monstra bien par sa propre bouche: car estant tombé du coup, il dit à aucuns de ses plus fidèles amis qui estoient tout auprès de lui… qu'ils le couvrissent d'un manteau et l'ostassent de là, afin que sa mort ne fût occasion aux autres de laisser l'entreprise si bien commencée. Et ainsi qu'il tenoit ces paroles avec un brave cœur, comme s'il n'eust eu aucun mal, il donna fin, comme mortel, à ses derniers jours.» (Brantôme, idem.)
36Pour Bayard. L'intention de César, en prononçant dans un pareil moment le nom de Bayard, est d'une cruauté tout-à-fait diabolique. «Le capitaine Bayard, atteint d'une arquebusade, se feit coucher au pied d'un arbre, le visage vers l'ennemi: où le duc de Bourbon, lequel estoit à la poursuite de nostre camp, le vint trouver, et dit audit Bayard: qu'il avoit grand pitié de lui, le voyant en cet estat, pour avoir esté si vertueux chevalier. Le capitaine Bayard lui fit réponse: Monsieur, il n'y a point de pitié en moy, car je meurs en homme de bien; mais j'ai pitié de vous, de vous voir servir contre vostre prince, et vostre patrie, et vostre serment. Et peu après, ledit Bayard rendit l'esprit.» (Mémoires de Martin Dubellay.)