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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6

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(Un feu follet s'élève à travers le bois et vient s'arrêter sur le front du cadavre. L'inconnu disparaît et le corps se lève.)
ARNOLD

Oh! horrible!

INCONNU, sous la figure d'Arnold

Comment, est-ce que tu trembles?

ARNOLD

Non, ce n'est qu'un frissonnement. Où donc a fui le corps qui te portait tout à l'heure?

INCONNU

Au royaume des ombres. Mais parcourons celui où nous sommes encore. Où veux-tu aller?

ARNOLD

Faut-il que tu m'accompagnes?

INCONNU

Et pourquoi non? Ceux qui valent mieux que toi ont plus mauvaise société.

ARNOLD

Ceux qui valent mieux que moi!

INCONNU

Oh! je le vois, votre nouvelle forme vous donne de l'orgueil; j'en suis ravi. Déjà de l'ingratitude? Admirable! c'est un plaisir de vous instruire. – C'est, dans un instant, deux métamorphoses; et voilà que déjà vous avez l'expérience des manières du monde. Mais supportez ma présence. En vérité, elle pourra vous être utile dans votre route. Maintenant, décidez; où porterons-nous nos pas?

ARNOLD

Où se trouvera réuni le plus de monde: je veux voir comment il agit.

INCONNU

C'est-à-dire où règnent la guerre et les femmes. Voyons! l'Espagne, l'Italie, – les nouvelles terres atlantiques, – l'Afrique et tous ses Maures. En vérité, il y a peu de choix: toutes les races sont maintenant et partout, comme à l'ordinaire, acharnées les unes contre les autres.

ARNOLD

J'ai entendu dire des merveilles de Rome.

INCONNU

Fort bon choix! – le meilleur que l'on puisse faire sur la terre depuis que Sodome n'est plus. Le champ est vaste; car le Franc, le Hun, l'Espagnol, descendant des antiques Vandales, se jouent en ce moment sur les brûlans rivages de ce jardin de l'univers.

ARNOLD

Quelle sera notre manière de voyager?

INCONNU

Nous prendrons de bons coursiers, comme des gens de distinction. Holà! mes chevaux! Jamais il n'en fut de meilleurs depuis ceux qui jetèrent dans le Pô Phaéton. Et nos pages aussi!

(Deux pages entrent avec quatre chevaux noirs.)
ARNOLD

Oh! la belle chose.

INCONNU

C'est la plus noble race. Osez lui comparer celle de Barbarie ou vos Kochlani de l'Arabie.

ARNOLD

Le flocon vaporeux qui s'échappe de leurs fiers naseaux embrase l'air lui-même; des jets de flamme, semblables à des essaims de vers luisans, se balancent autour de leur crinière, ainsi que par un rayon de soleil des insectes vulgaires entourent nos vulgaires coursiers.

INCONNU

Montez, monseigneur; eux et moi nous sommes à votre service.

ARNOLD

Et ces pages aux yeux noirs, – quels sont leurs noms?

INCONNU

C'est vous qui les baptiserez.

ARNOLD

Comment, dans l'eau sainte?

INCONNU

Pourquoi pas? le plus grand pécheur est le saint le plus accompli.

ARNOLD

Ils sont bien beaux; et certes ils ne peuvent être des diables.

INCONNU

Qui en doute? Le diable est toujours hideux, et votre beauté n'a jamais rien de diabolique, n'est-ce pas?

ARNOLD

Je nommerai Huon celui qui porte le cor doré et une figure si fraîche et si radieuse, car, il a le regard du charmant enfant perdu dans les bois, et qu'on n'a jamais retrouvé; quant à l'autre, plus brun et plus soucieux, qui ne sourit jamais, mais garde l'air sérieux et cependant calme de la nuit, il s'appellera Memnon, comme ce roi d'Égypte dont la statue rend une fois chaque jour un son harmonieux. Mais vous?

INCONNU

J'ai dix mille noms, et deux fois autant d'attributs; mais puisque j'ai pris une forme humaine, je porterai un nom d'homme.

ARNOLD

Et qui tiendra plus de l'homme que le corps lui-même, bien qu'il m'ait appartenu.

INCONNU

Alors, appelez-moi César.

ARNOLD

Comment! ce nom est le signe de l'empire, et il ne fut porté que par les maîtres du monde.

INCONNU

C'est par cela même qu'il convient parfaitement au diable déguisé, tel du moins que vous me supposez: à moins pourtant que vous n'aimiez mieux me prendre pour le pape.

ARNOLD

Va donc pour César. Pour moi je veux garder le simple nom d'Arnold.

CÉSAR

Nous y ajouterons un titre: – le comte Arnold. Il n'a rien de disgracieux, et il fera un bon effet sur un billet doux.

ARNOLD

Ou dans une proclamation devant un champ de bataille.

CÉSAR, chantant

A cheval, à cheval! Mon coursier noir frappe la terre et dévore l'espace! Il n'est pas de jeune étalon de l'Arabie qui connaisse mieux celui qu'il doit porter. Plus léger à mesure qu'il s'élève davantage, les montagnes ne retarderont pas sa course: il ne bronchera pas dans les marais; il ne sera pas dépassé dans la plaine, l'onde ne le fera pas tomber; le bord d'un ruisseau ne le décidera pas à s'arrêter pour étancher sa soif. Dans l'arène, il ne perdra pas sa respiration; dans le combat, rien ne pourra le lasser; il traversera les pierres aiguës. Ni le tems, ni la fatigue ne pourront l'abattre. L'étable ne lui ôtera pas son ardeur; et toujours ses pieds rapides lutteront avec les ailes du griffon. Quoi de plus doux qu'un pareil voyage? A cheval, à cheval! Jamais l'écume ne blanchira le mors, jamais la poussière ne souillera les crins de nos noirs coursiers. Faut-il courir ou voler des Alpes au Caucase? dans un clin d'oeil nous aurons franchi l'espace qui les sépare.

(Ils montent sur leurs chevaux et disparaissent.)
SCÈNE II
(La scène représente un camp sous les murs de Rome.)
ARNOLD et CÉSAR
CÉSAR

Nous voilà donc arrivés.

ARNOLD

Oui; mais mes pieds ont foulé des cadavres: mes yeux sont encore pleins de sang.

CÉSAR

Essuyez-les donc et voyez clair. Comment, n'êtes-vous pas un conquérant? N'êtes-vous pas le chevalier favori, le volontaire compagnon du vaillant Bourbon, jadis connétable de France, et qui bientôt sera maître d'une ville qui, sous les empereurs, était la maîtresse du monde ancien?

ARNOLD

Comment, monde ancien? Est-ce qu'il y en a de nouveaux?

CÉSAR

Oui, pour vous; vous éprouverez bientôt qu'il en existe, aux richesses et aux maladies que vous lui devrez; une moitié du globe donnera le titre de nouveau à l'autre moitié, parce que vous ne comprenez que le frivole et douteux rapport de vos yeux et de vos oreilles.

ARNOLD

Et j'ajoute à ce rapport une foi complète.

CÉSAR

A votre aise; vous lui devrez d'agréables erreurs, et cela vaut mieux qu'une vérité pénible.

ARNOLD

Chien!

CÉSAR

Homme!

ARNOLD

Diable!

CÉSAR

Votre humble et obéissant serviteur.

ARNOLD

Maître, dirais-tu avec plus de raison; tu m'as traîné jusqu'ici à travers des tableaux de carnage et de débauche.

CÉSAR

Où donc voudrais-tu être?

ARNOLD

Oh! en paix. – Oui, en paix!

CÉSAR

Et qui peut se flatter d'y être? Depuis l'étoile jusqu'au ver rampant, la vie est partout en mouvement, et la commotion est encore le dernier signe de la vie. La planète tourne jusqu'à ce qu'elle devienne comète, et que dans sa course vagabonde elle hâte la destruction des autres planètes. L'humble ver poursuit sa vie rampante aux dépens de l'existence d'autres objets: mais comme eux, il faut qu'il vive et qu'il meure esclave de celui qui l'a créé pour vivre et mourir. Il vous faut obéir au maître de toute chose, à l'invariable nécessité: contre ses arrêts, la révolte ne réussit pas.

ARNOLD

Mais quand elle vient à réussir?

CÉSAR

Ce n'est plus la révolte.

ARNOLD

L'emportera-t-elle aujourd'hui?

CÉSAR

Le Bourbon a donné des ordres pour l'assaut; au rayon du jour on sera à l'ouvrage.

ARNOLD

Hélas! et la ville succombera-t-elle? Je vois la demeure gigantesque du vrai Dieu; je vois Saint-Pierre, son fidèle serviteur, élancer son dôme dans le firmament où le Christ monta lui-même en laissant sur la terre un gage de bonheur et de gloire dans le sang qu'il avait répandu sur une croix (instrument de torture pour lui, Dieu et fils de Dieu, mais unique consolation des faibles mortels).

CÉSAR

Il est là et il y sera.

ARNOLD

Quoi?

CÉSAR

Le crucifix et une foule d'autels qui resplendissent dans des lieux moins élevés: il y a encore çà et là sur les murailles des couleuvrines et des arquebuses; et que n'y voit-on pas, excepté les hommes qui y mettent le feu pour tuer d'autres hommes?

ARNOLD

En serait-il donc fait de ces colonnades presque divines? de ces pilastres soutenant des murailles indestructibles? du théâtre où s'asseyaient les empereurs et leurs sujets (des sujets romains) pour y contempler le combat des rois du désert et des forêts; quand le lion et l'indomptable sanglier venaient joûter dans l'arène, pour y remplacer les hommes qui de tous côtés étaient soumis à la ville éternelle; alors que les bois payaient leur tribut d'existence à ces amphithéâtres et se réunissaient aux citoyens de la Dacie pour contribuer par leur trépas à l'amusement d'une minute, et pour arracher enfin à leurs bourreaux cette exclamation: un autre, quelqu'autre gladiateur?

 
CÉSAR

De quoi voulez-vous parler? de la ville ou de l'amphithéâtre; d'une église, ou de toutes? car vous confondez toutes ces choses et vous me confondez moi-même.

ARNOLD

Demain avec le chant du coq sonnera l'assaut.

CÉSAR

Qui, s'il finit avec le premier accent du rossignol du soir, offrira quelque chose d'inoui dans les annales des grands siéges: car les hommes ne saisissent guère leurs proies qu'après de longues peines.

ARNOLD

Le soleil s'avance avec autant de calme et peut-être plus beau qu'il ne se montra sur Rome, le jour que Rémus franchit son mur.

CÉSAR

Je l'ai vu en ce moment.

ARNOLD

Vous?

CÉSAR

Oui, monsieur, vous oubliez que je suis un esprit, ou que du moins je l'étais avant de prendre votre corps abandonné et d'avilir mon nom. A présent je suis César et bossu. Eh bien! le premier des Césars était une tête chauve, et ses lauriers lui plaisaient bien mieux comme perruque (ainsi le dit l'histoire), que comme signe de gloire. Ainsi va le monde, mais nous n'en serons pas moins joyeux. J'ai donc vu tel que je suis votre Romulus tuer son propre frère, fruit jumeau des mêmes entrailles; et pourquoi? parce qu'il franchit un fossé (car alors il n'y avait pas de murs autour de Rome aujourd'hui si orgueilleuse). Ainsi le premier ciment de Rome fut le sang d'un frère, et quand le sang de ses enfans coulerait en flots assez larges pour donner la teinte la plus rouge aux jaunes ondes du Tibre, ce ne serait rien encore auprès des torrens de sang que les avides descendans du fratricide ont fait couler sur la terre pendant tant de siècles.

ARNOLD

Mais que peut-on reprocher aux arrière-petits-fils de Romulus, eux qui vécurent dans la paix du ciel et dans les retraites de la piété?

CÉSAR

Et qu'avaient-ils fait, ceux que les anciens Romains exterminèrent? – Mais écoutons.

ARNOLD

Ce sont des soldats: ils chantent une ronde insouciante, à la veille de tant de trépas, du leur peut-être.

CÉSAR

Et pourquoi ne chanteraient-ils pas aussi bien que des cygnes? Ceux-ci du moins sont noirs; on n'en peut douter29.

ARNOLD

Vous êtes savant, je m'en aperçois.

CÉSAR

Oui, je connais ma grammaire. Je fus élevé pour être moine: j'étais autrefois versé dans la connaissance des lettres étrusques, aujourd'hui oubliées, et-si je voulais me rappeler-j'expliquerais leurs hiéroglyphes plus clairement que votre alphabet.

ARNOLD

Et que ne le faites-vous?

CÉSAR

Il me convient mieux de résoudre en hiéroglyphes votre alphabet; et j'imite en cela vos hommes d'état, vos prophètes, prêtres, docteurs, alchimistes, philosophes et tant d'autres qui, sans avoir besoin d'une nouvelle confusion des langues, ont édifié plus de Babels que les bégayans maçons sortis de la fange du déluge, quand ils renoncèrent à leur œuvre et se dispersèrent. Et pourquoi? pourquoi, je vous prie? parce que nul d'entre eux ne comprenait plus son voisin. Ils sont bien plus sages aujourd'hui! La déraison, le non-sens n'est plus capable de les diviser: le non-sens! c'est leur compagnon fidèle, leur Shibboleth, leur Koran, leur Talmud; leur talisman cabalistique! c'est l'excellente base sur laquelle ils aiment le mieux bâtir-

ARNOLD l'interrompant

Oh! railleur éternel! silence! Comme la voix rauque des soldats se transforme, dans le lointain, en un chant solennel et sublime! Écoutons!

CÉSAR

Oui, autrefois j'ai entendu les anges chanter.

ARNOLD

Et les démons hurler.

CÉSAR

De concert avec les hommes. Mais écoutons. J'aime tous les genres de musique.

CHOEUR DES SOLDATS

Les bandes noires ont franchi les Alpes et leurs monceaux de neiges. Bourbon, le ravisseur, les conduit; ils ont passé le large fleuve du Pô. Nous avons battu tous nos ennemis, nous avons fait prisonnier un roi, nous n'avons tourné le dos à personne; nous avons donc bien le droit de chanter. A jamais, vive à jamais Bourbon! quoique sans un sou vaillant, nous ne montrerons que plus d'ardeur à escalader ces vieilles murailles. Guidés par Bourbon, nous allons au point du jour entourer les portes, les briser ou tomber sur elles. En montant tous d'un pied ferme sur l'échelle, nous pousserons des cris de joie; la mort seule restera muette. Guidés par Bourbon, nous monterons sur les murs de la vieille Rome: et qui pourrait alors calculer la dépouille de chaque maison? En avant, en avant, guidés par les lis! et tombent les clefs du tremblant pontife! Nous nous reposerons à notre aise dans la vieille Rome aux sept montagnes: ses rues seront ensanglantées, son Tibre prendra la couleur rouge, et ses temples sonores répéteront le bruit de notre marche. C'est Bourbon, c'est Bourbon, c'est Bourbon qui nous protége! c'est avec nos chants que nous battrons la charge! Le feu en avant, l'Espagne pour avant-garde, puis viendront nos divers compagnons: près de l'Espagnol retentiront les tambours de la Germanie, et la pointe des lances italiennes sera couchée sur le sein de leur patrie. Pour nous, notre chef vient de la France, il a fait la guerre à son frère. C'est Bourbon, oui c'est Bourbon, sans feu ni lieu, c'est Bourbon qui va nous conduire au sac de Rome30.

CÉSAR

Voilà un chant dont les assiégés, il me semble, doivent peu s'effrayer.

ARNOLD

Sans doute, si nos soldats sont fidèles aux paroles du chœur. Mais voici le général entouré de ses chefs et de ses confidens. Généreux rebelle!

(Le connétable de Bourbon entre avec les siens, etc., etc.)
PHILIBERT

Comment donc, noble prince, vous n'êtes pas content?

BOURBON

Pourquoi le serais-je?

PHILIBERT

La plupart des hommes le seraient à la veille d'une conquête telle que celle qui se prépare.

BOURBON

Si ma sécurité était complète!

PHILIBERT

Ne doutez pas des soldats; les murs seraient de diamant qu'ils sauraient bien les briser. La meilleure artillerie c'est la faim.

BOURBON

Ma plus faible crainte est de les voir échouer. Comment, comment seraient-ils repoussés, avec Bourbon pour leur chef, et pour aiguillon leur violent appétit? – Ces vieux murs seraient des montagnes, et ceux qui les gardent les anciens dieux de la fable, que je ne craindrais rien de mes Titans; – mais aujourd'hui-

PHILIBERT

Eh bien! ce sont des hommes qui se battent contre des hommes.

BOURBON

Sans doute, mais ces murs ont vu autrefois des siècles merveilleux! Ils ont enfanté des grandes ames; la terre ancienne et l'ombre vivante de l'impérieuse Rome est peuplée de ces nobles guerriers; je crois les voir marcher le long des remparts de la cité éternelle, et m'adjurer par leur sang glorieux, avec leurs mains privées de vie, de ne pas les approcher.

PHILIBERT

N'y songez pas! Voudriez-vous fuir devant des fantastiques menaces de fantômes?

BOURBON

Ils ne me menacent pas: j'affronterais, il me semble, la menace d'un Seylla; mais ils rapprochent et lèvent, puis laissent retomber leurs mains glacées; et leurs visages maigres, leurs regards d'aspics fascinent les miens. Regardez là!

PHILIBERT

Je vois des créneaux élevés.

BOURBON

Et là?

PHILIBERT

Pas même une garde en perspective; ils se tiennent à l'écart derrière les parapets, à l'abri des balles de nos lansquenets qui pourraient les atteindre dans le crépuscule.

BOURBON

En vérité vous êtes aveugle.

PHILIBERT

Pour ne rien voir au-delà de ce qui est visible.

BOURBON

Un millier d'années ont envoyé tous leurs grands capitaines sur ces murs; – le dernier Caton s'y trouve déchirant ses entrailles plutôt que de survivre à la liberté du pays que je veux enchaîner; et le premier César, en habit de triomphateur, court de créneaux en créneaux.

PHILIBERT

Faites donc la conquête des murs pour lesquels il fit tant d'exploits, et vous serez plus grand que lui.

BOURBON

Vous dites vrai, je le ferai ou j'y perdrai la vie.

PHILIBERT

Vous ne le pouvez pas; mourir dans une telle entreprise, c'est moins la mort que l'aurore d'un jour éternel.

(Le comte Arnold et César s'avancent.)
CÉSAR

Ceux qui ne sont que des hommes, ne peuvent-ils donc supporter l'ardeur brûlante de cette gloire, objet de leur ambition?

BOURBON

Ah! salut au sardonique bossu! salut à son maître, l'astre de beauté de notre armée, le vaillant aussi bien que le beau, le généreux comme l'aimable! Avant la prochaine matinée nous saurons vous trouver de l'ouvrage à tous deux.

CÉSAR

Avec la permission de votre altesse vous n'en trouverez pas moins pour vous-même.

BOURBON

Et dans ce cas, petit bossu, je ne serai pas le dernier à mon poste.

CÉSAR

Bossu! vous pouvez le dire; car, en votre qualité de général, placé sur les derrières de l'armée, vous avez pu voir mon dos; mais, quant à vos ennemis, ils ne le connaissent pas encore.

BOURBON

Voilà, je l'avoue, une bonne repartie; je l'avais provoquée. – Quoi qu'il en soit, la poitrine de Bourbon fut et sera toujours aussi avancée en face du danger que la vôtre, quand vous seriez le diable.

 
CÉSAR

Oh! si je l'étais, je me serais bien gardé de venir ici.

PHILIBERT

Pourquoi donc?

CÉSAR

C'est que la moitié de vos bandes valeureuses ne tardera guère à se donner hardiment à lui, et que l'autre moitié lui sera dépêchée plus promptement encore et avec autant de certitude.

BOURBON

Arnold, votre vilain ami est aussi serpent dans ses paroles que dans ses actions.

CÉSAR

Votre altesse ne me rend pas justice. Le premier serpent était un flatteur, et je ne le suis pas; quant à mes actions, je ne pique qu'après avoir été piqué.

BOURBON

Vous êtes brave, et cela me suffirait; vous avez la parole aiguë et l'action prompte, c'est encore mieux. Je ne suis pas seulement un soldat, mais encore le camarade des soldats.

CÉSAR

Altesse, c'est une mauvaise compagnie, plus mauvaise même pour amis que pour ennemis; attendu qu'avec les premiers les relations sont plus durables.

PHILIBERT

Eh bien! drôle, tu deviens insolent au-delà du privilége d'un bouffon.

CÉSAR

Véridique, voulez-vous dire. Et bien je mentirai: – la chose est aussi facile; et vous allez me louer, car je vous déclare un héros.

BOURBON

Laissez-le, Philibert: il est brave, et toujours, avec cette face hideuse et la montagne de ses épaules, on l'a vu le premier au feu et sur le champ de bataille. Il supporte patiemment la faim; et, quant à sa langue, notre camp jouit d'une parfaite licence. Et pour moi, j'aime mieux l'aiguillon pénétrant d'un spirituel railleur que les imprécations lourdes et grossières d'un esclave affamé, mécontent et désespéré, qui reste sourd à tout autre argument qu'une table bien garnie, du vin, du sommeil, et quelques maravédis qu'il prend pour une véritable richesse.

CÉSAR

Il serait à désirer que les princes de la terre n'en demandassent pas davantage.

BOURBON

Allons, silence!

CÉSAR

Oui, mais non pas inaction; usez vous-même de paroles, vous en avez peu à dire.

PHILIBERT

Que prétend cet effronté bavard?

CÉSAR

Bavarder, comme tant d'autres prophètes31.

BOURBON

Aussi, Philibert, pourquoi le vexer? N'avez-vous rien de mieux à penser? Arnold! demain je donne l'assaut.

ARNOLD

Je le savais déjà, monseigneur.

BOURBON

Et vous me suivrez?

ARNOLD

Oui, puisqu'il m'est défendu de conduire.

BOURBON

Il est nécessaire, pour donner toute l'intrépidité possible à notre armée épuisée, que son chef mette le premier le pied sur le premier degré de l'échelle la plus avancée.

CÉSAR

Et sur le dernier; espérons-le du moins. A ce prix, il obtiendra la récompense de ses efforts.

BOURBON

Demain, la première capitale du monde peut être à nous. A travers toutes les révolutions, la ville aux sept montagnes a retenu sur les autres peuples son empire; les Césars n'ont cédé qu'à Alaric, et les Alarics ne cédèrent qu'aux pontifes: mais Romains, Goths ou pontifes, tous furent également les maîtres du monde. Civilisés, barbares ou sacrés; les murs de Romulus n'ont pas cessé d'être le cirque d'un empire. Eh bien! leur tour est passé, le nôtre est venu; espérons que nous saurons aussi bien combattre et mieux gouverner qu'eux.

CÉSAR

Certainement; les camps sont l'école des vertus civiles. Et que prétendez-vous faire de Rome?

BOURBON

Ce qu'elle fut jadis32.

CÉSAR

Au tems d'Alaric?

BOURBON

Non, vil esclave! au tems du premier César dont vous portez le nom comme tant de dogues.

CÉSAR

Et de rois. C'est un beau nom pour tous les animaux de chasse.

BOURBON

Il y a vraiment un démon dans cette langue amère et sanglante. Ne seras-tu jamais sérieux?

CÉSAR

Jamais, la veille d'une bataille: ce ne serait pas être bon soldat. Que le général soit pensif, à la bonne heure; nous autres aventuriers, nous devons redoubler d'enjouement. Et pourquoi nous attrister? Notre déité tutélaire, sous la forme du général, veille pour nous. Loin des camps la réflexion! Si les soldats songeaient à en faire, vous pourriez bien tenter seul d'entrouvrir ces murailles.

BOURBON

Raillez à votre aise, c'est du moins un avantage en vous que vous ne vous en battez pas plus mal.

CÉSAR

Merci de la liberté! Aussi bien, c'est la seule paie que j'ai reçue au service de votre altesse.

BOURBON

Eh bien! monsieur, demain vous pouvez vous payer de vos mains. Regardez ces tours; elles renferment nos trésors. Mais, Philibert, il faut tenir un conseil. Arnold, nous y désirons votre présence.

ARNOLD

Prince, au conseil comme en campagne, vous pouvez compter sur moi.

BOURBON

Nous nous en félicitons doublement. Au point du jour vous remplirez un poste de confiance.

CÉSAR

Et moi?

BOURBON

Vous courrez avec Bourbon après la gloire. Bon soir.

ARNOLD, à César

Prépare pour l'assaut notre armure, et va m'attendre dans ma tente.

(Sortent Bourbon, Arnold, Philibert, etc.)
CÉSAR, seul

Dans ta tente! crois-tu m'échapper, parce que tu ne me verras plus? Ou penses-tu que le hideux étui qui contenait ton principe de vie soit pour moi autre chose qu'un masque? Voilà donc les hommes! les héros! les chefs! la fleur des bâtards d'Adam! Telle est la conséquence de la faculté de penser, accordée à la matière, substance indocile, méditant dans la confusion, agissant de même, en un mot, toujours retombant dans son élément primitif. Fort bien; je vais jouer avec ces pauvres marionnettes: c'est du moins, pour un esprit comme moi, le passe-tems d'une heure ennuyeuse. Quand je serai las, j'ai affaire dans les étoiles, que ces pauvres créatures imaginent faites pour leurs beaux yeux. Ce serait un bon tour d'en faire éclater une au milieu d'eux, et de mettre ainsi le feu sur et sous leur nichée. Comme alors on verrait toutes ces fourmis s'agiter sur le sol brûlant, et tout à coup cessant de mutuellement s'égorger, se réunir pour la première fois dans une oraison universelle! Ah! ah! ah!

(Il éclate de rire, et s'éloigne.)

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

29L'armure de fer dont les soldats étaient couverts les faisait paraître noirs de la tête aux pieds. César fait ici allusion à ce vers de Juvénal devenu proverbe: Rara avis in terris, nigroque similluna cycno.
30Au sac de Rome. Il semble que Lord Byron ait lu la vie du connétable de Bourbon dans notre Brantôme. Voici les paroles de ce dernier: «Les braves soldats Espagnols honoraient leur général; car, à ce que j'ai oui dire à aucuns de ce tems-là, par tout le camp, ils ne chantaient autre chanson que ses louanges, et même en cheminant pour se désennuyer, et surtout quand ils le voyaient passer; auxquels il applaudissait et les saluait fort courtoisement, leur disant, à tous les coups (ainsi qu'il disait à Rome): Laissez faire, compagnons, patientez un peu; je vous mène en un lieu que vous ne sçavez pas, où je vous ferai tous riches............... .................................... «Le 5e de mai 1527, et ordonnant ses troupes pour le lendemain à l'assaut, il les harangua encore pour la seconde fois, disant: Mes capitaines, qui tous êtes de grande valeur et courage, et tous mes soldats très-bien aymés de moy, puisque la grande aventure de nostre sort nous a menés et conduits icy, au point et au lieu que nous avons tant désirés; après avoir passé tant de meschans chemins, avec neiges et froids si grands, avec pluies et boues, et des rencontres d'ennemis, avec faim et soif sans aucun sol, bref avec toutes les nécessites du monde… Si vous avez jamais désiré saccager une ville pour des richesses et trésors, cette-cy en est une et la plus riche, voire la dame de tout le monde.»
31Prophètes. «Mes frères, je trouve certainement que là est cette ville que, au temps passé, prognostica un sage astrologue de moy, me disant qu'infailliblement, à la prise d'une ville, mon fier ascendant me menaçait, que j'y devois mourir; mais je vous jure que c'en est le moindre de mes soucys.» (Brantôme, Discours du Connétable à ses soldats.)
32Ce qu'elle fut jadis. «De plus, il se voulait rendre patron de la ville, et se faire dire roi des Romains.» (Brantôme, Vie du Connétable de Bourbon.)