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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 12

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LETTRE CCCCXVIII

A M. MURRAY

21 avril 1821.

»Je vous envoie ci-joint une autre lettre sur Bowles, mais je vous avertis par avance qu'elle n'est pas comme la première, et que je ne sais pas ce qu'il en faut publier, si même il n'est pas mieux de n'en rien publier du tout. Vous pouvez sur ce point consulter M. Gifford, et réfléchir deux fois avant de faire la publication.

»Tout à vous sincèrement.

B.

»P. S. Vous pouvez porter ma souscription pour la veuve de M. Scott, etc., à trente livres sterling, au lieu des dix déjà convenues, mais n'écrivez pas mon nom: mettez seulement N. N. La raison est que, comme j'ai parlé de M. Scott dans le pamphlet ci-joint, je paraîtrais indélicat. Je voulais donner davantage, mais mes désappointemens de l'année dernière dans l'affaire Rochdale, et dans le transfert des fonds, me rendent plus économe pour l'année actuelle.

LETTRE CCCCXIX

A M. SHELLEY

Ravenne, 26 avril 1821.

»L'enfant continue à bien aller, et les rapports sont réguliers et favorables; il m'est agréable que ni vous ni Mrs. Shelley ne désapprouviez la mesure que j'ai prise, et qui d'ailleurs n'est que temporaire.

»Je suis très-peiné d'entendre ce que vous me dites de Keats, – est-ce effectivement vrai? je ne croyais pas que la critique eût été si meurtrière. Quoique je diffère essentiellement de vous dans l'estimation de ses ouvrages, j'abhorre à tel point tout mal inutile, que j'aimerais mieux qu'il eût été placé au plus haut pic du Parnasse que d'avoir à déplorer une telle mort. Pauvre diable! et pourtant, avec un amour-propre si déréglé, il n'aurait probablement pas été heureux. J'ai lu l'examen de l'Endymion dans la Quarterly. La critique était sévère, mais certainement pas autant que beaucoup d'articles de cette Revue et d'autres journaux sur tels et tels auteurs.

»Je me rappelle l'effet que produisit sur moi la Revue d'Édimbourg, lors de mon premier poème: c'était colère, résistance et désir de vengeance, – mais non pas découragement et désespoir. J'accorde que ce ne sont pas là d'aimables sentimens, mais dans ce monde d'intrigues et de débats, et surtout dans la carrière de la littérature, un homme doit calculer ses moyens de résistance avant d'entrer dans l'arêne.

 
N'espère pas une vie libre de peine et de danger,
Et ne crois pas l'arrêt de l'humanité rapporté en ta faveur.
 

»Vous savez mon opinion sur cette école poétique de seconde main. Vous savez aussi mon opinion sur votre poésie, – parce que vous n'êtes d'aucune école. J'ai lu Cenci: – mais, outre que je regarde le sujet comme essentiellement impropre au drame, je ne suis point admirateur de nos vieux auteurs dramatiques, en tant qu'on les prend pour modèles. Je nie que les Anglais aient eu jusqu'à présent un drame. Toutefois, votre Cenci est une oeuvre de talent et de poésie. Quant à mon drame, vengez-vous, je vous prie, sur lui, en étant aussi franc que je l'ai été à l'égard du vôtre.

»Je n'ai pas encore votre Prométhée, que j'ai le plus grand désir de voir. Je n'ai pas entendu parler de ma pièce, et je ne sais si elle est publiée. J'ai publié en faveur de Pope un pamphlet que vous n'aimerez pas. Si j'avais su que Keats fût mort-ou qu'il fût en vie et sensible à tel point, – j'aurais omis quelques remarques sur sa poésie, remarques qui m'ont été inspirées par l'attaque qu'il s'est permise contre Pope, et par le peu de cas que je fais de son propre style.

»Vous voulez que j'entreprenne un grand poème, je n'en ai ni l'envie ni le talent. À mesure que je vieillis, je deviens de plus en plus indifférent, – non pour la vie, car nous l'aimons par instinct, – mais pour les stimulus de la vie. D'ailleurs, ce dernier échec des Italiens vient de me désappointer pour plusieurs raisons, – les unes publiques, les autres personnelles. Mes respects à Mrs. Shelley.

»Tout à vous pour toujours.

»P. S. Ne pourrions-nous pas, vous et moi, faire en sorte de nous trouver ensemble cet été! Ne pourriez-vous pas faire un tour ici tout seul

LETTRE CCCCXX

A M. MURRAY

Ravenne, 26 avril 1831.

....................... .........................

»Hé bien! avez-vous publié la tragédie? et la lettre prend-elle?

»Est-il vrai, comme Shelley me l'écrit, que le pauvre John Keats soit mort à Rome de la Quarterly-Review. J'en suis fâché, quoiqu'il eût, à mon avis, adopté un mauvais système poétique; je sais par expérience, qu'un article hostile est aussi dur à avaler que la ciguë; et celui qu'on fit sur moi (et qui produisit les Poètes anglais, etc.) m'abattit, – mais je me relevai; au lieu de me rompre un vaisseau, je bus trois bouteilles de vin et commençai une réponse, parce que l'article ne m'avait rien offert qui pût me donner le droit légitime de frapper Jeffrey d'une façon honorable. Toutefois je ne voudrais pas être l'auteur de l'homicide article pour tout l'honneur et toute la gloire du monde, quoique je n'approuve point du tout cette école d'écrivassiers qui en fait le sujet.

»Vous voyez que les Italiens ont fait une triste besogne-et cela grâce à la trahison, et à la désunion qui règne entre eux. Cela m'a causé une grande vexation. Les malédictions accumulées sur les Napolitains par tous les autres Italiens sont à l'unisson de celles du reste de l'Europe.

»Tout à vous.

»P. S. Votre dernier paquet de livres est en route, mais n'est pas arrivé: Kenilworth est excellent. Mille remercîmens pour les portefeuilles, dont j'ai fait présent aux dames qui aiment les gravures, les paysages, etc. J'ai maintenant un ou deux livres italiens que je voudrais vous faire passer si j'avais une occasion.

»Je ne suis pas à présent dans le meilleur état de santé, – c'est probablement le printems qui en est cause; aussi j'ai restreint mon régime et me suis mis au sel d'Epsom.

»Puisque vous dites que ma prose est bonne, pourquoi ne traitez-vous pas avec Moore pour la propriété des Mémoires? – à la condition expresse (songez-y bien) qu'ils ne soient publiés qu'après mon décès; Moore a la permission d'en disposer, et je lui ai conseillé de le faire.

LETTRE CCCCXXI

A M. MOORE

Ravenne, 28 avril 1821.

«Vous ne pouvez avoir été plus désappointé que moi-même, ni autant trompé. Je l'ai été en courant même quelques dangers personnels dont je ne suis pas encore délivré. Cependant ni le tems ni les circonstances ne changeront ni mes cris ni mes sentimens d'indignation contre la tyrannie triomphante. Le dénoûment actuel a été autant l'ouvrage de la trahison que de la couardise, quoique l'une et l'autre y aient eu leur part. Si jamais nous nous trouvons ensemble, j'aurai avec vous une conversation sur ce sujet. À présent, pour raisons évidentes, je ne puis écrire que peu de chose, vu qu'on ouvre toutes les lettres. On trouvera toujours dans les miennes mes propres sentimens, mais rien qui puisse servir de motif à l'oppression d'autrui.

»Vous voudrez bien songer que les Napolitains ne sont maintenant nulle part plus exécrés qu'en Italie, et ne pas blâmer un peuple entier pour les vices d'une province. C'est comme si l'on condamnait la Grande-Bretagne parce qu'on pille des vaisseaux naufragés sur les côtes de Cornouailles.

»Or maintenant occupons-nous de littérature, – triste chute à la vérité, mais c'est toujours une consolation. Si «l'occupation d'Othello est passée» prenons la meilleure après celle-là; et si nous ne pouvons contribuer à rendre le monde plus libre et plus sage, nous pourrons nous amuser, nous et ceux qui aiment à s'amuser ainsi. Qu'est-ce que vous composez à présent? J'ai fait de tems en tems quelques griffonnages, et Murray va les publier.

»Lady Noël, dites-vous, a été dangereusement malade, mais consolez-vous en apprenant qu'elle est maintenant dangereusement bien portante.

»J'ai écrit une ou deux autres feuilles de Memoranda pour vous; et j'ai tenu un petit journal pendant un mois ou deux jusqu'à ce que j'aie eu rempli le cahier. Puis je l'ai interrompu, parce que les affaires me donnaient trop d'occupation, et puis, parce qu'elles étaient trop sombres pour être mentionnées sans un douloureux sentiment. Je serais charmé de vous envoyer ce petit journal, si j'avais une occasion; mais un volume, quelque petit qu'il soit, ne passe pas sûrement par la voie des postes, dans ce pays d'inquisition.

»Je n'ai point de nouvelles. Comme une fort jolie femme assise à son clavecin me le disait un de nos soirs, avec des larmes dans les yeux, «hélas! il faut que les Italiens se remettent à faire des opéras», je crains que cela seul ne soit leur fort, plus les macaroni. Cependant, il y a des ames hautes parmi eux. – Je vous en prie, écrivez-moi.

»Et croyez-moi, etc.

LETTRE CCCCXXII

A M. MOORE

Ravenne, 3 mai 1821.

«Quoique je vous aie écrit le 28 du mois dernier, je dois accuser réception de votre lettre d'aujourd'hui et des vers qu'elle contient. Ces vers sont beaux, sublimes, et dans votre meilleure manière. Ils ne sont non plus que trop vrais. Cependant, ne confondez pas les lâches qui sont au talon de la botte avec les gens plus braves qui en occupent le haut. Je vous assure qu'il y a des ames plus élevées.

»Rien, néanmoins, ne peut être meilleur que votre poème, et mieux mérité par les lazzaroni. Ces hommes-là ne sont nulle part plus abhorrés et plus reniés qu'ici. Nous parlerons un jour de ces affaires (si nous nous rencontrons), et je vous raconterai mes propres aventures, dont quelques-unes ont peut-être été un peu périlleuses.

 

»Ainsi, vous avez lu la Lettre sur Bowles? Je ne me rappelle pas avoir rien dit de vous qui pût vous offenser, – et certainement je n'en ai pas eu l'intention. Quant à ***, je voulais lui faire un compliment. J'ai écrit le tout d'un seul jet, sans recopier ni corriger, et dans l'attente quotidienne d'être appelé sur le champ de bataille. Qu'ai-je dit de vous? Certainement je ne le sais plus. Je dois avoir énoncé quelques regrets de votre approbation de Bowles. Et ne l'avez-vous pas approuvé, à ce qu'il dit?.. ..................

»Quant à Pope, je l'ai toujours regardé comme le plus grand nom de notre poésie. Les autres poètes ne sont que des barbares. Lui, c'est un temple grec, avec une cathédrale gothique à son côté, une mosquée turque et toutes sortes de pagodes et de constructions bizarres à l'entour. Vous pouvez, si vous voulez, appeler Shakspeare et Milton des pyramides, mais je préfère le temple de Thésée ou le Parthénon à une montagne de briques.

»Murray ne m'a écrit qu'une seule fois, le jour de la publication, alors que le succès semblait être heureux. Mais je n'ai depuis quelque tems reçu que peu de nouvelles d'Angleterre. Je ne sais rien des autres ouvrages (je ne parle que des miens) que Murray devait publier, – je ne sais pas même s'il les a publiés. Il devait le faire il y a un mois. Je désirerais que vous fissiez quelque chose, – ou que nous fussions ensemble.

»Tout à vous pour toujours et de coeur.»

B.

Ce fut à cette époque que Byron commença, sous le titre de Pensées Détachées, ce livre de notices et de memoranda, d'où, dans le cours de cet ouvrage, j'ai extrait tant de passages curieux propres à donner des lumières sur la vie et sur les opinions de notre poète, et dont je vais donner ici l'introduction:

«Parmi les divers Journaux, Mémoires, etc., etc., que j'ai tenus dans le cours de ma vie, il y en a un que j'ai commencé il y a trois mois, et que j'ai continué jusqu'à ce que j'eusse rempli un cahier (assez petit), et environ deux feuilles d'un autre. Puis je l'ai abandonné, en partie parce que je croyais que nous aurions ici quelque chose à faire, que j'avais nettoyé mes armes et fait les préparatifs nécessaires pour agir avec les patriotes, qui avaient rempli mes culottes de leurs proclamations, sermens et résolutions, et caché dans le bas de ma maison quantité d'armes de tout calibre, – et en partie parce que j'avais rempli mon cahier.

»Mais les Napolitains se sont trahis, eux et le monde entier; et ceux qui auraient volontiers donné leur sang pour l'Italie, ne peuvent plus lui donner que leurs larmes.

»Un jour ou l'autre, si ma poussière ne se dissout pas, je jetterai peut-être quelque lumière (car j'ai été assez initié au secret, du moins dans cette partie du pays) sur l'atroce perfidie qui a replongé l'Italie dans la barbarie: à présent, je n'en ai ni le tems ni l'humeur. Cependant, les vrais Italiens ne sont pas blâmables; ce sont ces vils faquins, relégués au talon de la botte que le Hun chausse maintenant pour les fouler aux pieds et les réduire en poudre pour prix de leur servilité. Je me suis risqué ici avec les autres, et c'est encore un problème que de savoir jusqu'à quel point je me suis ou non compromis. Quelques-uns d'entre eux, comme Craigengelt, «diraient tout et plus que tout, pour se sauver eux-mêmes.» Mais advienne que pourra, le motif était glorieux; heureux ceux qui n'ont à se reprocher que d'avoir cru que ces chiens étaient moins canaille qu'ils n'ont été! – Ici, en Romagne, les efforts devaient être nécessairement bornés à des préparatifs et à de bonnes intentions, jusqu'à ce que les Allemands eussent pleinement engagé leurs forces dans une guerre sérieuse, – attendu que nous sommes sur leurs frontières, sans fort ni montagne avant San-Marino. Je ne sais si «l'enfer sera pavé de ces bonnes intentions»; mais il aura probablement bon nombre de Napolitains qui marcheront sur ce pavé, quelle qu'en soit la composition. Les laves de leur Vésuve, avec les corps de leurs ames damnées pour ciment, seraient la meilleure chaussée pour le Corso de Satan.»

LETTRE CCCCXXIII

A M. MURRAY

Ravenne, 10 mai 1821.

«Je viens de recevoir votre paquet. Je dois de la reconnaissance à M. Bowles (et M. Bowles m'en doit aussi), pour l'avoir ramené à des sentimens de bienveillance. Il n'a qu'à écrire, et vous à publier tout ce qu'il vous plaira. Je ne désire rien tant qu'un jeu égal pour toutes les parties. Sans doute, après le changement de ton de M. Bowles, vous ne publierez pas ma Défense de Gilchrist; ce serait par trop brutal d'en agir ainsi, après qu'il a lui-même agi avec tant d'urbanité; car la Défense est peut-être un peu trop âpre, comme son attaque contre Gilchrist. Vous pourrez lui rapporter ce que je dis dans cette pièce sur son Missionnaire (qui est loué comme il le mérite.) Cependant, s'il y a quelques passages qui ne contiennent point de personnalités contre M. Bowles, et qui pourtant contribuent à la solution de la question, vous pourrez les ajouter à la réimpression (si réimpression y a) de la première Lettre à vous adressée. Là-dessus, consultez Gifford; et, surtout, ne laissez rien ajouter qui attaque personnellement M. Bowles.

»J'espère et crois qu'Elliston n'aura pas la permission de représenter mon drame? Sans doute il aurait la bonté d'attendre le retour de Kean avant d'exécuter son projet; quoique, dans ce cas-là même, je ne fusse pas moins contraire à cette usurpation. ..................

»Tout à vous.»

Cette controverse, dans laquelle Lord Byron, avec tant de grâce et de bienveillance, se laissait ainsi désarmer par la courtoisie de son antagoniste, nous sommes loin de courir le risque de la ranimer par la moindre recherche sur son origine et sur ses mérites. Dans toutes les discussions pareilles sur des matières de goût et de pure opinion, où les uns se proposent d'élever l'objet de la contestation, et les autres de le rabaisser, la vérité se trouvera ordinairement dans un juste milieu. Toutefois, quelque jugement que l'on porte sur l'objet même de la controverse, il ne peut y avoir qu'une opinion sur l'urbanité et l'aménité dont les deux adversaires firent preuve, et qui, malgré quelques légères altérations de cette bonne intelligence, conduisirent enfin au résultat annoncé par la lettre précédente; et il ne reste qu'à désirer qu'une si honorable modération trouve autant d'imitateurs que de panégyristes. Dans les pages ainsi supprimées, quand elles étaient toutes prêtes pour le combat, par une force d'abnégation rarement déployée par l'esprit, il y a des passages d'un intérêt général, trop curieux pour être perdus, et par conséquent j'en donnerai l'extrait à nos lecteurs.

«Pope «dort bien, – rien ne peut plus le toucher.» Mais ceux qui ont à coeur la gloire de notre pays, la perfection de notre littérature, l'honneur de notre langue, ne doivent pas laisser troubler un atome de la poussière du poète, ni arracher une feuille du laurier qui croît sur sa tombe...............

»Il ne me paraît pas fort important de savoir si Martha Blount a été ou non la maîtresse de Pope, quoique je lui en eusse souhaité une meilleure. Elle me paraît avoir été une femme froide, intéressée, ignorante et désagréable, sur laquelle Pope, dans la désolation de ses derniers jours, jeta les tendres affections de son coeur, parce qu'il ne savait où les diriger, à mesure qu'il avançait vers sa vieillesse prématurée, sans enfans et sans compagne; – comme l'aiguille aimantée, qui, parvenue à une certaine distance du pôle, devient inutile et vaine, et, cessant d'osciller, se rouille. Martha Blount me paraît avoir été si complètement indigne de toute tendresse, que c'est une preuve de plus de la tendresse de coeur de Pope que d'avoir aimé une telle créature. Mais il faut que nous aimions. J'accorde à M. Bowles qu'«elle ne put jamais avoir le moindre attachement personnel pour Pope», parce qu'elle était incapable de s'attacher, mais je nie que Pope n'eût pu obtenir l'affection personnelle d'une femme meilleure. Il est, à la vérité, peu probable qu'une femme fût tombée amoureuse de lui en le voyant à la promenade, ou dans une loge à l'opéra, ou d'un balcon, ou dans un bal; mais en société il paraît avoir été aussi aimable que modeste, et avec les plus grands désavantages dans sa taille, il avait une tête et une figure remarquablement belles, et surtout de très-beaux yeux. Il était adoré par ses amis, – amis de caractères, d'âges et de talens totalement différens, – par le vieux bourru Wycherley, par le cynique Swift, par l'austère Atterbury, par l'aimable Spence, par le sévère évêque Warburton, par le vertueux Berkeley, et le «gangrené Bolingbroke.» Bolingbroke le pleura comme un enfant, et le récit que Spence a donné des derniers momens de Pope, est au moins aussi édifiant que la description plus prétentieuse de la mort d'Addison. Le guerrier Peterborough et le poète Gay, le spirituel Congreve, et le rieur Rowe, furent tous les intimes de Pope. Celui qui put se concilier tant de personnes de caractères opposés, toutes remarquables ou célèbres, aurait bien pu prétendre à l'attachement qu'un homme raisonnable désire de la part d'une femme aimable.

»Pope, en effet, partout où il a voulu, paraît avoir bien compris le beau sexe. «Bolingbroke, bon juge de ce point», comme dit Warton, regardait l'Épître sur le caractère des femmes, comme le «chef-d'oeuvre» du poète. Et même par rapport à la grossière passion, qui prend quelquefois le nom de «romantique», relativement au degré de sentiment qui l'élève au-dessus de l'amour défini par Buffon, on peut remarquer qu'elle ne dépend pas toujours des qualités physiques, même dans une femme qui en est l'objet. Mme Cottin fut une honnête femme, et elle a probablement pu être vertueuse sans beaucoup d'obstacles. Elle fut vertueuse, et la conséquence de cette opiniâtre vertu fut que deux adorateurs différens (dont l'un était un gentilhomme d'un âge mûr), se tuèrent de désespoir. (Voir la France de lady Morgan.) Je ne voudrais pas, néanmoins, recommander en général cette rigueur aux honnêtes femmes, dans l'espoir de s'assurer chacune la gloire de deux suicides. Quoiqu'il en soit, je crois qu'il y a peu d'hommes qui, dans le cours de leurs observations sur le monde, n'aient pas aperçu que ce ne sont pas les femmes les plus belles qui font naître les plus longues et les plus violentes passions.»

»Mais, à propos de Pope, – Voltaire nous raconte que le maréchal de Luxembourg (qui avait précisément la taille de Pope) était, non-seulement trop galant pour un grand homme, mais encore très-heureux dans ses galanteries. Mme La Vallière, passionnément aimée par Louis XIV, avait une vilaine infirmité. La princesse d'Eboli, maîtresse de Philippe II, roi d'Espagne, et Maugiron, mignon d'Henri III, roi de France, étaient tous deux borgnes; et c'est sur eux que l'on fit la fameuse épigramme latine qui a été, je crois, traduite ou imitée par Goldsmith: -

 
Lumine Acon dextro, capta est Leonilla sinistro,
Et potis est formâ vincere uterque deos;
Blande puer, lumen quod habes concede sorori,
Sic tu coecus Amor, sic erit illa Venus.124
 

Note 124: (retour) «Acon a perdu l'oeil droit, Léonille l'oeil gauche, mais tous deux peuvent, par leur beauté, l'emporter sur les dieux. Charmant jeune homme, donne à ta soeur l'oeil qui te reste; alors elle sera Vénus, et toi, devenu aveugle, tu seras l'Amour.» (Note du Trad.)

»Wilkes, avec sa laideur, avait coutume de dire «qu'il ne restait qu'un quart-d'heure derrière le plus bel homme d'Angleterre,» et cette vanterie passe pour n'avoir pas été désavouée par la réalité. Swift, lorsqu'il n'était ni jeune, ni beau, ni riche, ni même aimable, inspira les deux passions les plus extraordinaires de mémoire d'homme, celles de Vanessa et de Stella:

 
Vanessa, qui compte à peine vingt ans,
Soupire pour une soutane de quarante-quatre125.
 

Note 125: (retour)

 
Vanessa, aged scarce a score,
Sighs for a gown of forty-four.
 

»Swift leur donna une amère récompense; car il paraît avoir brisé le coeur de l'une, et usé celui de l'autre: mais il en fut puni, en mourant dans l'isolement et l'idiotisme entre les mains des domestiques.

»Pour ma part, je pense avec Pausanias que le succès en amour dépend de la fortune. (Voir Pausanias, Achaïques, liv. VII, chap. 26.) Je me rappelle aussi avoir vu à Égine un édifice où il y a une statue de la Fortune, tenant la corne d'Amalthée126, et près d'elle il y a un Cupidon ailé. C'est une allégorie pour faire entendre que le succès des hommes dans les affaires d'amour dépend plus de l'assistance de la Fortune que des charmes de la beauté. Je suis de plus convaincu avec Pindare (à l'opinion de qui je me soumets en d'autres points), que la Fortune est une des Parques, et que, sous un certain rapport, elle est plus puissante que ses soeurs.»

 

Note 126: (retour) Corne d'abondance. (Note du Trad.)

»Grimm fait une remarque du même genre sur les différentes destinées de Crébillon jeune et de Rousseau. Le premier écrit un roman licencieux, et une jeune Anglaise d'une fortune et d'une famille honorables (miss Strafford) s'échappe, et traverse la mer pour se marier avec lui; tandis que Rousseau, le plus tendre et le plus passionné des amans, est obligé d'épouser sa femme de ménage. Si j'ai bonne mémoire, cette remarque a été répétée par la Revue d'Édimbourg, dans l'examen de la Correspondance de Grimm, il y a sept ou huit ans.

»Relativement «à l'étrange mélange de légèreté indécente et quelquefois profane, que Pope offrit souvent dans sa conduite et dans son langage,» et qui choque si fort M. Bowles, je m'oppose à l'adverbe indéfini souvent; et pour excuser l'emploi accidentel d'un pareil langage, il faut se rappeler que c'était moins le ton de Pope que celui du tems. À l'exception de la correspondance de Pope et de ses amis, peu de lettres particulières de l'époque sont parvenues jusqu'à nous; mais celles que nous possédons, – bribes éparses de Farquhar et d'autres, – sont plus indécentes et plus libres qu'aucune phrase des lettres de Pope. Les comédies de Congreve, Vanbrugh, Farquhar, Cibber, etc., qui avaient pour but naturel de représenter les manières et la conversation de la vie privée, sont décisives sur ce point, ainsi que maintes feuilles de Steele et même d'Addison. Nous savons tous quelle conversation sir Robert Walpole, pendant dix-sept ans premier ministre du pays, tenait à sa table, et quelle excuse il donnait pour son langage licencieux, savoir: «Que tout le monde comprenait cela, mais que peu de gens pouvaient parler raisonnablement sur de moins vulgaires sujets.» Le raffinement des tems modernes, – qui est peut-être une conséquence du vice, désirant se masquer et s'adoucir, autant que d'une civilisation vertueuse, – n'avait pas encore fait des progrès suffisans. Johnson lui-même, dans son Londres, a deux ou trois passages qui ne peuvent être lus à haute voix, et le Tambour d'Addison renferme quelques allusions déshonnêtes.»

Je prie le lecteur de donner une attention particulière à l'extrait qui va suivre. Ceux qui se rappellent l'aigreur violente avec laquelle l'homme dont il est question attaqua Lord Byron, à une époque de crise où son coeur et sa réputation étaient le plus vulnérables, éprouveront, si je ne me trompe, en lisant les pensées suivantes, un agréable saisissement d'admiration, seul capable de donner une idée complète du noble et généreux plaisir que Byron dut éprouver en les exprimant.

«Le pauvre Scott n'est plus. Dans l'exercice de sa vocation, il avait enfin imaginé de se faire le sujet des recherches d'un greffier de police; mais il est mort en brave homme, et il s'était montré habile homme durant sa vie. Je le connaissais personnellement, quoique fort peu. Quoi qu'il fût mon aîné de plusieurs années, nous avions été camarades à l'école de grammaire de New-Aberdeen. Il ne se conduisit pas très-bien envers moi, il y a quelques années, en sa qualité d'éditeur de journal, mais il n'était point du tout obligé à se conduire autrement. Le moment offrait une trop forte tentation à plusieurs de mes amis et à tous mes ennemis. À une époque où tous mes parens (hormis un seul) se séparèrent de moi, comme les feuilles se séparent de l'arbre sous le souffle des vents d'automne, et où le petit nombre de mes amis devint encore plus petit; – alors que toute la presse périodique (je veux dire la presse quotidienne et hebdomadaire, et non la presse littéraire) se déchaînait contre moi en toutes sortes de reproches, et que, par une étrange exception, le Courrier et l'Examiner renoncèrent à leur opposition ordinaire, – le journal dont Scott avait la direction ne fut ni le dernier ni le moins vif à me blâmer. Il y a deux ans, je rencontrai Scott à Venise, lorsqu'il était plongé dans la douleur par la mort de son fils, et qu'il avait connu, par expérience, l'amertume des pertes domestiques. Il me pressa beaucoup alors de retourner en Angleterre; et quand je lui eus dit avec un sourire qu'il avait été autrefois d'une opinion contraire, il me répliqua «que lui et d'autres avaient été grandement abusés, et qu'on avait pris beaucoup de peines, et même des moyens extraordinaires, pour les exciter contre moi.» Scott n'est plus, mais plus d'un témoin de ce dialogue est encore en vie. C'était un homme de très-grands talens, et qui avait beaucoup d'acquis. Il avait fait son chemin comme homme littéraire, avec un brillant succès, et en peu d'années. Le pauvre diable! Je me rappelle sa joie lors d'un rendez-vous qu'il avait obtenu ou devait obtenir de sir James Mackintosh, et qui l'empêcha d'étendre plus loin ses voyages en Italie (si ce n'est par une course rapide à Rome). Je songeais peu à quoi cela le conduirait. La paix soit avec lui! – et puissent toutes les fautes que l'humanité ne peut éviter, lui être aussi facilement pardonnées que la petite injure qu'il avait faite à un homme qui respectait ses talens et qui regrette sa perte!»

En réponse aux plaintes que M. Bowles avait articulées dans son pamphlet, pour une accusation d'hypocondrie qu'il supposait avoir été portée contre lui par son adversaire, M. Gilchrist, le noble écrivain s'exprime ainsi:

«Je ne puis concevoir qu'un homme en parfaite santé soit fort affecté par une telle accusation, puisque sa constitution et sa conduite doivent la réfuter amplement. Mais si le reproche était vrai, à quel grief se réduit-il? – à une maladie de foie. Je le dirai au monde entier,» s'écriait le savant Smelfungus. – Vous feriez mieux (répondis-je) de le dire à votre médecin.» Il n'y a rien de déshonorant dans une pareille affection, qui est plus particulièrement la maladie des gens de lettres. Ç'a été l'infirmité d'hommes bons, sages, spirituels et même gais. Regnard, auteur des meilleures comédies françaises, après Molière, était atrabilaire, et Molière lui-même était mélancolique. Le docteur Johnson, Gray et Burns furent tous plus ou moins affectés de l'hypocondrie par intervalles. Ce fut le prélude de la maladie plus sérieuse de Collins, Cowper, Swift et Smart; mais il ne s'ensuit nullement qu'un accès de cette affection doive se terminer ainsi. Mais, dût cette terminaison être nécessaire,

 
Ni les bons, ni les sages n'en sont exempts;
La folie, – la folie seule n'y est pas sujette.
 
Penrose.

»… Mendehlson et Bayle étaient parfois tellement accablés par cette humeur noire, qu'ils étaient obligés de recourir à voir «les marionnettes» et «à compter les tuiles des maisons situées vis-à-vis;» afin de se distraire. Docteur Johnson, par momens, «aurait donné un membre pour recouvrer ses esprits.»...... ................

»Page 14, nous lisons l'assertion bien nette que l'Héloïse seule suffit pour le convaincre (Pope) d'une licence grossière.» Ainsi donc, M. Bowles accuse Pope d'une licence grossière, et fonde le grief sur un poème. La licence est un «grand peut-être» vu les moeurs du tems; – quant à l'épithète grossière, j'en nie positivement l'application. Au contraire, je crois que jamais sujet semblable ne fut et ne put être traité par aucun poète avec tant de délicatesse, mêlée en même tems à une passion si vraie et si intense. L'Atys de Catulle est-il licencieux? Non, certes; et pourtant Catulle est souvent un écrivain graveleux. Le sujet est presque le même, excepté qu'Atys fut le suicide de sa virilité, et qu'Abailard en fut la victime.

»La licence de l'histoire n'était pas de Pope: – c'était un fait. Tout ce qu'il y avait de grossier, il l'a adouci; tout ce qu'il y avait d'indécent, il l'a purifié; tout ce qu'il y avait de passionné, il l'a embelli; tout ce qu'il y avait de religieux, il l'a sanctifié. M. Campbell a admirablement établi cela en peu de mots (je cite de mémoire), en déterminant la différence de Pope et de Dryden, et en marquant où pèche ce dernier. «Je crains, dit-il, si le sujet d'Héloïse était tombé dans les mains de Dryden, que ce poète ne nous eût donné qu'une peinture sensuelle de la passion.» Jamais la délicatesse de Pope ne se dévoila plus que dans ce poème. Avec les aventures et les lettres d'Héloïse, il a fait ce que nul autre esprit que celui du meilleur et du plus pur des poètes n'eût pu accomplir avec de tels matériaux. Ovide, Sappho (dans l'ode qu'on lui attribue), – tout ce que nous avons de poésie ancienne et moderne, se réduit à rien, en comparaison de cette production.