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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 12

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»Je dois toutefois avertir que je n'ai rien lu d'Adolphe Müller, et pas autant que je désirerais de Goëthe, Schiller et Wieland. Je ne les connais que par l'intermédiaire des traductions anglaises, françaises et italiennes. Leur langue réelle m'est absolument inconnue, – excepté des jurons appris de la bouche de postillons et d'officiers en querelle. Je peux jurer en allemand: -sacranient, -verfluchter, -hundsfott, etc., mais je n'entends guère la conversation moins énergique des Allemands.

»J'aime leurs femmes (j'aimai jadis en désespéré une Allemande nommée Constance), et tout ce que j'ai lu de leurs écrits dans les traductions, et tout ce que j'ai vu de pays et de peuple sur le Rhin, – tout, excepté les Autrichiens que j'abhorre, que j'exècre, que-je ne puis trouver assez de mots pour exprimer la haine que je leur porte, et je serais fâché de leur faire du mal en proportion de ma haine; car j'abhorre la cruauté encore plus que les Autrichiens, sauf un instant de passion, et alors je suis barbare, – mais non pas de propos délibéré.

»Grillparzer est grand, – antique, – non aussi simple que les anciens, mais très-simple pour un moderne; – il est trop madame de Staël-iste par-ci par-là; mais c'est un grand et bon écrivain.

Samedi 13 janvier 1821.

»Esquissé le plan et les Dramatis Personæ d'une tragédie de Sardanapale, à laquelle j'ai songé pendant quelque tems. Pris les noms dans Diodore de Sicile (je sais l'histoire de Sardanapale depuis l'âge de douze ans), et lu un passage du neuvième volume, édition in-8°, dans la Grèce de Mitford où l'auteur réhabilite la mémoire de ce dernier roi des Assyriens.

»Dîné, – nouvelles politiques, – les puissances veulent faire la guerre aux peuples. L'avis semble positif, – Ainsi soit-il, – elles seront enfin battues. Les tems monarchiques sont près de finir. Il y aura des fleuves de sang, et des brouillards de larmes, mais les peuples triompheront à la fin. Je ne vivrai pas assez pour le voir, mais je le prévois.

»J'ai apporté à Teresa la traduction italienne de la Sappho de Grillparzer, elle m'a promis de la lire. Elle s'est disputée avec moi, parce que j'ai dit que l'amour n'était pas le plus élevé des sujets pour la vraie tragédie; et comme elle avait l'avantage de parler dans sa langue maternelle, et avec l'éloquence naturelle aux femmes, elle a écrasé le petit nombre de mes argumens. Je crois qu'elle avait raison. Je mettrai dans Sardanapale plus d'amour que je n'avais projeté, – si toutefois les circonstances me laissent du loisir. Ce si ne sera qu'avec grande peine pacificateur.

14 janvier 1821.

»Parcouru les tragédies de Sénèque. Écrit les vers d'exposition de la tragédie projetée de Sardanapale. Fait quelques milles à cheval dans la forêt. Brouillard et pluie. Rentré, – dîné, – écrit encore un peu de ma tragédie.

»Lu Diodore de Sicile, parcouru Sénèque, et quelques autres livres. Écrit encore de ma tragédie. Pris un verre de grog. Après m'être fatigué à cheval par un tems pluvieux, après avoir écrit, écrit, écrit, – les esprits animaux (du moins les miens) ont besoin d'un peu de récréation, et je n'aime plus le laudanum comme autrefois. Aussi j'ai fait remplir un verre d'un mélange d'eaux spiritueuses et d'eau pure, et je parviendrai à le vider. Je conclus ainsi et ici le journal d'aujourd'hui»…

15 janvier 1821.

»Beau tems. – Reçu une visite. – Sorti et fait un tour à cheval dans la forêt, – tiré des coups de pistolet, – Revenu à la maison; dîné, – lu un volume de la Grèce de Mitford, écrit une partie d'une scène de Sardanapale. Sorti, – entendu un peu de musique, – appris quelques nouvelles politiques. Les autres puissances italiennes ont aussi envoyé des ministres au congrès. La guerre paraît certaine, – en ce cas, elle sera cruelle. Parlé de diverses matières importantes avec un des initiés. À dix heures et demie rentré chez moi.

»Je viens de faire une réflexion singulière. En 1814, Moore («le poète par excellence», titre qu'il mérite bien), Moore et moi nous allions ensemble dans la même voiture, dîner chez le comte Grey, capo politico92 du reste des whigs. Murray, le magnifique Murray (l'illustre éditeur) venait de m'envoyer la gazette de Java, – je ne sais pourquoi. – En la parcourant par pure curiosité, nous y trouvâmes une controverse sur les mérites de Moore et les miens. Il y a de la gloire pour nous à vingt-six ans. Alexandre avait conquis l'Inde au même âge; mais je doute qu'il fût un objet de controverse, ou que ses conquêtes fussent comparées à celles du Bacchus indien, à Java.

Note 92: (retour) Chef politique. – C'est ce même comte Grey qui est aujourd'hui premier ministre. (Note du Trad.)

»C'était une grande gloire que celle d'être nommé avec Moore; une plus grande, de lui être comparé; et la plus grande des jouissances du moins, que d'être avec lui: et certes c'était une bizarre coïncidence que de dîner ensemble tandis qu'on disputait sur nous au-delà de la ligne équinoxiale.

»Hé bien, le même soir, je me trouvai avec le peintre Lawrence, et j'entendis une des filles de lord Grey (jeune personne belle, grande, et animée, ayant de cet air patricien et distingué de son père, ce que j'aime à la folie) jouer de la harpe avec tant de modestie et d'ingénuité qu'elle semblait la déesse de la musique. Hé bien, j'aurais mieux aimé ma conversation avec Lawrence (qui conversait délicieusement), et le plaisir d'entendre la jeune fille, que toute la renommée de Moore et la mienne réunies.

»Le seul plaisir de la gloire est qu'elle prépare la route au plaisir, et plus notre plaisir est intellectuel, mieux vaut pour le plaisir et pour nous-mêmes. C'était toutefois agréable que d'avoir entendu le bruit de notre renommée avant le dîner, et la harpe d'une jeune fille après.

16 janvier 1821.

»Lu, – promenade à cheval, – tir du pistolet, – rentré, – dîné, – écrit, – fait une visite, – entendu de la musique, – parlé d'absurdités, – et retourné au logis.

»Écrit de ma tragédie, – j'avance dans le premier acte avec toute la hâte possible… Le tems est toujours couvert et humide comme au mois de mai à Londres, – brouillard, bruine, air rempli de scotticismes, qui, tout beaux qu'ils sont dans les descriptions d'Ossian, sont quelque peu fatigans dans leur perspective réelle et prosaïque. – Politique toujours mystérieuse.

17 janvier 1821.

»Promenade à cheval dans la forêt, – tir du pistolet; – dîner. Arrivé d'Angleterre et de Lombardie un paquet de livres, – anglais, italiens, français et latins. Lu jusqu'à huit heures, – puis sorti.

18 janvier 1821.

«Aujourd'hui, la poste arrivant tard, je ne suis point sorti à cheval. Lu les lettres; – deux gazettes seulement, au lieu de douze que l'on doit à présent m'envoyer. Fait écrire par Lega à ce négligent de Galignani, et ajouté moi-même un postscriptum. Dîné.

»À huit heures je me proposais de sortir. Lega entre avec une lettre au sujet d'un billet qui n'a pas été acquitté à Venise, et que je croyais acquitté depuis plusieurs mois. Je suis entré dans un accès de fureur qui m'a presque fait tomber en défaillance. Je ne me suis pas remis depuis. Je mérite cela pour être si fou; – mais j'avais de quoi être irrité; – bande de faquins! Ce n'est, toutefois, que vingt-cinq livres sterling.»

19 janvier 1821.

«Promenade à cheval. Le vent d'hiver est un peu moins cruel que l'ingratitude, quoique Shakspeare dise le contraire. Du moins, je suis si accoutumé à rencontrer plus souvent l'ingratitude que le vent du nord, que je regarde le premier mal comme le pire des deux. J'avais rencontré l'un et l'autre dans l'espace de vingt-quatre heures; ainsi j'ai pu en juger.

»Songé à un plan d'éducation pour ma fille Allegra, qui doit bientôt commencer ses études. Écrit une lettre, – puis un postscriptum. J'ai les esprits abattus, – c'est certainement de l'hypocondrie, – le foie est malade; – je prendrai une dose de sels.

»J'ai lu la vie de M. R. L. Edgeworth, père de la fameuse miss Edgeworth, écrite par lui-même et par sa fille. Certes, c'est un grand nom. En 1813, je me souviens d'avoir rencontré le père et la fille dans le monde fashionable de Londres (monde où j'étais alors un item, une fraction, le segment d'un cercle, l'unité d'un million, le rien de quelque chose), dans les cercles, et à un déjeûner chez sir Humphrey et lady Davy. J'avais été le lion de 1812; miss Edgeworth, et madame de Staël, etc., avec les cosaques, vers la fin de 1813, furent les curiosités de l'année suivante.

»Je trouvai dans Edgeworth un beau vieillard, avec le teint rouge de vin de l'homme âgé, mais actif, vif et inépuisable. Il avait soixante-dix ans, mais il n'en montrait pas cinquante, – non certes, ni même quarante-huit. J'avais vu depuis peu le pauvre Fitzpatrick, – homme de plaisir, d'esprit, d'éloquence, – enfin, homme universel: il chancelait, – mais il parlait toujours en gentilhomme, quoique d'une voix faible. Edgeworth faisait le fanfaron, parlait fort et long-tems; mais il n'était ni faible ni décrépit, et il paraissait à peine vieux.............. ........................

»Il ne fut pas fort admiré à Londres, et je me rappelle une plaisanterie assez drôle qui avait cours parmi les gens du bon ton du jour: – voici ce que c'est: on invitait alors tous les hommes à signer une adresse «pour le rappel de Mrs. Siddons au théâtre (cette actrice venait de prendre congé du public, au grand malheur des tems; – car il n'y eut jamais et jamais il n'y aura de talent pareil.) Or, Thomas Moore, de profane et poétique mémoire, proposa de signer et faire circuler une adresse semblable pour le rappel de M. Edgeworth en Irlande93.

 

Note 93: (retour) Moore, dans une note, nie qu'il ait été l'auteur de cette plaisanterie. (Note du Trad.)

»Le fait est qu'on s'intéressa davantage à miss Edgeworth. C'était une jeune fille mignonne et modeste, – sinon belle, du moins agréable. Sa conversation était aussi paisible que sa personne. …

......... ........................

»La famille Edgeworth fut, d'ailleurs, une excellente pièce de curiosité, et eut la vogue pendant deux mois, jusqu'à l'arrivée de Mme de Staël.

»Pour en venir aux ouvrages des Edgeworth, je les admire; mais ils n'excitent point de sentiment, ils ne laissent d'amour-que pour quelque maître-d'hôtel ou postillon irlandais. Mais ils produisent une impression profonde d'intelligence et de sagesse, – et peuvent être utiles.»

20 janvier 1821.

«Promenade à cheval, – tir du pistolet. Lu de la Correspondance de Grimm. Dîné, – sorti, – entendu de la musique, – rentré; – écrit une lettre au lord Chamberlain, pour le prier d'empêcher les théâtres de représenter le Doge, que les journaux italiens disent être sur le point de paraître sur la scène. C'est une belle chose! – Quoi! sans demander mon consentement, et même en opposition formelle à ma volonté!»

21 janvier 1821.

«Beau et brillant jour de gelée, – c'est-à-dire, une gelée d'Italie; car les hivers ici ne vont guère au-delà de la neige. – Promenade à cheval comme à l'ordinaire, et tir du pistolet. Bien tiré, – cassé quatre bouteilles ordinaires, et même plutôt petites que grandes, en quatre coups, à quatorze pas, avec une paire de pistolets communs et la première poudre venue. Presque aussi bien tiré, – eu égard à la différence de la poudre et des pistolets, – que lorsqu'en 1809, 1810, 1811, 1812, 1813, 1814, je coupais les cannes, les pains à cacheter, les demi-couronnes94, les schelings, et même le trou d'une canne, à douze pas, avec une seule balle, – et cela par la vue et le calcul, car ma main n'est pas sûre, et varie même selon le bon ou mauvais tems. Je pourrais prendre à témoin des prouesses que je cite, Joe Manton et plusieurs autres personnes; – car le premier m'a appris, et les autres m'ont vu faire ces exploits.

Note 94: (retour) Petite pièce d'argent. (Note du Trad.)

»Dîné, – rendu visite, – rentré, – lu. Remarqué dans la Correspondance de Grimm l'observation suivante, savoir que «Regnard et la plupart des poètes comiques étaient des gens bilieux et mélancoliques, et que M. de Voltaire, qui est très-gai, n'a jamais fait que des tragédies, – et que la comédie gaie est le seul genre où il n'ait point réussi. C'est que celui qui rit et celui qui fait rire sont deux hommes fort différens.» (Vol. VI.)

»En ce moment, je me sens aussi bilieux que le meilleur des écrivains comiques (même que Regnard lui-même, qui est le premier après Molière, dont quelques comédies prennent rang parmi les meilleures qui aient été écrites en quelque langue que ce soit, et qui est supposé avoir commis un suicide), et je ne suis pas en humeur de continuer ma tragédie de Sardanapale, que j'ai, depuis quelques jours, cessé de composer.

»Demain est l'anniversaire de ma naissance, – c'est-à-dire à minuit juste; et ainsi, dans douze minutes, j'aurai trente trois ans accomplis!!! – et je vais me coucher, le coeur navré d'avoir vécu si long-tems et pour si peu de chose.

»Il est minuit et trois minutes. – «Minuit a été annoncé par l'horloge du château,» et j'ai maintenant trente-trois ans!

 
Eheu! fugaces, Posthume, Posthume,
Labuntur anni 95!
 

Note 95: (retour) Horace.

Hélas! Hélas! ô Posthumus, les années fugitives s'écoulent!

»Mais je n'éprouve pas tant de regrets pour ce que j'ai fait que pour ce que j'aurais pu faire.

 
Dans le chemin de la vie, si plein de boue et de ténèbres,
Je me suis traîné jusqu'à la trente-troisième année.
Que m'a laissé le tems en s'écoulant ainsi?
Rien-excepté trente-trois ans.
 

22 janvier 1821.

1821
CI-GÎT
ENTERRÉ DANS L'ÉTERNITÉ
DU PASSÉ,
D'OU IL N'Y A POINT
DE RÉSURRECTION
POUR LES JOURS, – QUOI QU'IL PUISSE ADVENIR
POUR LA POUSSIÈRE MORTELLE,
L'AN TRENTE-TROISIÈME
D'UNE VIE MAL DÉPENSÉE;
LEQUEL, APRÈS
UNE LONGUE MALADIE DE PLUSIEURS MOIS,
TOMBA EN LÉTHARGIE,
ET EXPIRA
LE 22 JANVIER, L'AN DE GRACE 1821
IL LAISSE UN SUCCESSEUR
INCONSOLABLE
DE LA PERTE MÊME
QUI OCCASIONNA
SON EXISTENCE

23 janvier 1821.

»Belle journée. Lecture, – promenade à cheval, – tir du pistolet. Rentré, – dîné, – lu. Sorti à huit heures, – fait la visite ordinaire. Je n'ai entendu parler que de guerre. – «Il n'y a toujours qu'un cri: Les voici.» Les carbonari paraissent n'avoir pas de plan; – rien de convenu entre eux, ni comment, ni quand il faut agir. Dans ce cas, ils ne feront aboutir à rien ce projet, si souvent différé et jamais mis à exécution.

»Rentré chez moi, et donné les ordres nécessaires, en cas de circonstances qui exigeraient un changement de résidence. J'agirai comme il pourra sembler à propos, quand j'apprendrai décidément ce que les barbares veulent faire. A présent, ils bâtissent un pont de bateaux sur le Pô, ce qui sent furieusement la guerre. En peu de jours, nous saurons probablement ce qu'il en est. Je songe à me retirer vers Ancône, plus près de la frontière du nord; c'est-à-dire si Teresa et son père sont obligés de se retirer, ce qui est très-probable, vu que toute la famille est libérale: sinon, je resterai. Mais mes mouvemens ne dépendront que des désirs de la comtesse.

»Ce qui m'embarrasse, c'est que je ne sais pas trop que faire de ma petite-fille, et de mon nombreux mobilier dont la valeur est assez considérable: – le théâtre de la guerre, où je songe à me rendre, ne leur est guère convenable. Mais il y a une dame âgée qui se chargera de la petite, et Teresa dit que le marchese C*** veillera à la sûreté des meubles. La moitié de la ville fait ses bagages, comme pour se mettre en route. Joli carnaval! Les gredins auraient bien pu attendre jusqu'au carême.»

24 janvier 1821.

«Revenu. – Rencontré quelques masques au Corso. – «Vive la bagatelle!» – Les Allemands sont sur le Pô, les barbares aux portes, et leurs maîtres tiennent conseil à Laybach, et voici qu'on danse, qu'on chante et qu'on fait des folies: «car demain on peut mourir.» Qui peut dire que les arlequins n'ont pas raison? Comme lady Baussière et mon vieil ami Burton, – «je continuai à me promener à cheval.»

»Dîné, – (scélérate de plume!) – boeuf coriace: il n'y a pas en Italie de boeuf qui vaille le diable, – à moins qu'on ne puisse manger un vieux boeuf dans sa peau, le tout rôti au soleil.

»Les principaux acteurs des événemens qui peuvent survenir sous peu de jours, sont sortis pour une partie de tir. Si c'était, comme «une partie de chasse des Highlanders», un prétexte pour une grande réunion de conseillers et de chefs, tout irait bien. Mais ce n'est ni plus ni moins qu'un vrai tapage, une mousqueterie en l'air, une petite guerre de poules d'eau, une vaine dépense de poudre, de munitions et de coups de fusil par pur amusement: – drôles de gens pour «un homme qui a envie de risquer son cou avec eux,» comme dit Marishal Wells dans le Nain Noir.

»Si l'on se rassemble, – «la chose est douteuse,» – il n'y aura pas mille hommes à passer en revue. La raison en est que la populace n'a point d'intérêt en ceci; – il n'y a que la noblesse et la classe moyenne. Je voudrais que les paysans fussent de la partie: c'est une race belle et sauvage de léopards bipèdes. Mais les Bolonais ne voudront pas agir, – et sans eux les Romagnols ne peuvent rien. Ou s'ils essaient, – qu'importe? Ils essaieront: l'homme ne peut faire plus; – et s'il veut y consacrer toute sa force, il peut faire beaucoup. Témoins les Hollandais contre les Espagnols, – alors les tyrans, – ensuite les esclaves, – et depuis peu les hommes libres de l'Europe.

»L'année 1820 n'a pas été heureuse pour moi en particulier, quels qu'en soient les résultats pour les nations. J'ai perdu un procès, après deux décisions en ma faveur. Le projet de prêter de l'argent sur une hypothèque irlandaise a été définitivement rejeté par l'homme d'affaires de ma femme, après un an d'espérances et de peines. Le procès Rochdale a duré quinze ans, et a toujours prospéré jusqu'à mon mariage; depuis quoi tout a été mal, – pour moi du moins.

»Dans la même année, 1820, la comtesse Teresa Guiccioli, née Gamba, et malgré tout ce que j'ai dit et fait pour le prévenir, a voulu se séparer de son mari, il cavalier commendatore Guiccioli, etc. Plus, plusieurs autres petite vexations de l'année, – voitures versées, – meurtre commis devant ma porte, et la victime mourant dans mon lit, – crampes en nageant, – coliques, – indigestions et accès bilieux, etc., etc., etc., -

 
Maints menus articles font une somme,
Oui-dà, pour le pauvre Caleb Quotem.
 

25 janvier 1821.

«Reçu une lettre de lord S*** O***, secrétaire-d'État des Sept-Îles. Il m'a écrit d'Ancône (en route pour retourner à Corfou), sur quelques affaires particulières. Il est fils du second lit de feu le duc de L***. Il veut que j'aille à Corfou. Pourquoi non? – peut-être irai-je le printems prochain.

»Répondu à la lettre de Murray, – lu, – rodé de côté et d'autre. Griffonné cette page additionnelle du Journal de ma Vie. Un jour de plus a passé sur lui et sur moi; – mais «qu'est-ce qui vaut le mieux de la vie ou de la mort? Les Dieux seuls le savent,» comme Socrate dit à ses juges, à la clôture du tribunal. Deux mille ans écoulés depuis que le sage a fait cette profession d'ignorance, ne nous ont pas éclairés davantage sur cette importante question; car, suivant la justice chrétienne, personne ne peut-être sûr de son salut, – pas même le plus juste des hommes, puisqu'un seul instant de foi chancelante peut le jeter à la renverse durant sa paisible marche vers le paradis. Or donc, quelle que puisse être la certitude de la foi, l'individu ne peut avoir une foi plus certaine à son bonheur ou à sa misère que sous le règne de Jupiter.

»On a dit que l'immortalité de l'ame est un grand peut-être: – c'en est toujours un grand. Tout le monde s'y cramponne; – le plus stupide, le plus niais et le plus méchant des bipèdes humains est toujours persuadé qu'il est immortel.»

26 janvier 1821.

«Belle journée; – les queues de quelques jumens annoncent un changement de tems, mais le ciel est clair partout. Promenade à cheval, – tir du pistolet, – bien tiré. Rencontré, à mon retour, un vieillard. Fait la charité, – acheté un schelling de salut. Si le salut pouvait être acheté, j'ai donné dans cette vie à mes semblables, – quelquefois pour le vice, mais, sinon plus souvent, du moins plus largement pour la vertu, – beaucoup plus que je ne possède maintenant. Je n'ai jamais dans ma vie autant donné à une maîtresse que j'ai fait quelquefois à un pauvre homme dans une détresse honorable; – mais peu importe. Les coquins qui m'ont continuellement persécuté (avec l'aide de ***96 qui a couronné leurs efforts), triompheront tant que je vivrai; – et justice ne me sera rendue qu'alors que la main qui trace ces lignes sera aussi froide que les coeurs qui m'ont blessé.

Note 96: (retour) Mot supprimé dans le texte anglais par Moore. (Note du Trad.)

»À mon retour, sur le pont près du moulin, j'ai rencontré une vieille femme. Je lui demandai son âge; – elle me dit: Tre croci. Je demandai à mon groom (quoique je sache moi-même assez proprement l'italien), ce que diable elle voulait dire avec ses trois croix. Il me dit, quatre-vingt-dix ans, et qu'elle avait cinq ans par dessus le marché!!! Je répétai la même chose trois fois, crainte de méprise: – quatre-vingt-quinze ans!!! – et cette femme était encore active. – Elle entendit ma question, car elle y répondit; – elle me vit, car elle s'avança vers moi; elle ne paraissait pas du tout décrépite, quoiqu'elle eût bien l'air de la vieillesse. Je lui ai dit de venir demain, et je l'examinerai. J'aime les phénomènes; si elle a quatre-vingt-quinze ans, elle doit se souvenir du cardinal Albéroni, qui fut légat ici.

 

»En descendant de cheval, j'ai trouvé le lieutenant E*** qui venait d'arriver de Faënza: je l'ai invité à dîner demain avec moi. Je ne l'ai pas invité pour aujourd'hui, parce qu'il n'y avait qu'un petit turbot (repas régulier et religieux du vendredi) que je voulais manger à moi seul: je l'ai mangé.

»Sorti, – trouvé Teresa comme de coutume, – musique. Les gentilshommes qui font des révolutions, et qui sont allés à une partie de tir, ne sont pas encore de retour. Ils ne reviendront pas avant dimanche, – c'est-à-dire ils auront été absens cinq jours pour s'amuser, tandis que les intérêts de tout un pays sont en jeu, et qu'eux-mêmes sont compromis.

»Il est difficile de soutenir son rôle parmi une telle troupe d'assassins et d'écervelés; – mais l'écume du bouillon une fois enlevée ou tombée, il peut y avoir du bon. Si ce pays pouvait seulement être délivré, quel sacrifice serait trop grand pour l'accomplissement de ce désir? pour l'extinction de ce soupir des siècles? Espérons: on espère depuis mille ans. Les vicissitudes même du hasard peuvent amener cette chance: – c'est un coup de dés.

»Si les Napolitains ont un seul Masaniello parmi eux, ils battront les bouchers ensanglantés de la couronne et du sabre. La Hollande, dans des circonstances pires, battit les Espagnes et les Philippe; l'Amérique battit les Anglais; la Grèce battit Xerxès, et la France battit l'Europe, jusqu'à ce qu'elle eût pris un tyran; l'Amérique du sud battit ses vieux vautours et les chassa de leur nid; et, pourvu que ces hommes se tiennent fermes, il n'y a rien qui puisse les faire bouger.»

28 janvier 1821.

«La Gazette de Lugano n'est pas arrivée. Lettres de Venise. Il paraît que ces animaux d'Autrichiens ont saisi mes trois ou quatre livres de poudre anglaise. Les gredins! – j'espère les payer en balles. Promenade à cheval jusqu'à la tombée de la nuit.

»Considéré les sujets de quatre tragédies que j'écrirai (si je vis, et si les circonstances le permettent): Sardanapale, déjà commencé; Caïn, sujet métaphysique, un peu dans le style de Manfred, mais en cinq actes, peut-être avec le choeur; Françoise de Rimini, en cinq actes; et je ne suis pas sûr de ne pas essayer Tibère. Je crois que je pourrais tirer quelque chose (dans mon genre de tragique, au moins) du sombre isolement et de la vieillesse du tyran, et même de son séjour à Caprée, en adoucissant les détails, et en exposant le désespoir qui a dû conduire à ces vicieux plaisir. Car ce n'est qu'un sombre et puissant esprit en désespoir qui a pu recourir à ces solitaires horreurs, – outre que Tibère était vieux, et maître du monde tout à-la-fois.»

MÉMORANDA

«Qu'est-ce que la poésie? – Le sentiment d'un ancien monde et d'un monde à venir.»

Seconde pensée

«Pourquoi, au comble même du désir et des plaisirs humains; – pourquoi, aux jouissances du monde, de la société, de l'amour, de l'ambition et même de l'avarice, se mêle-t-il un certain sentiment de doute et de chagrin, – une crainte de l'avenir, – un doute du présent, un retour sur le passé pour en tirer le pronostic du futur? (Le meilleur des prophètes est le passé.) Pourquoi? – Je ne le sais pas, si ce n'est que montés au pinacle, nous sommes plus que jamais susceptibles de vertige, et que nous ne craignons jamais de tomber que du haut d'un précipice, – qui, plus il est profond, plus il est majestueux et sublime. Et, par conséquent, je ne suis point sûr que la crainte ne soit pas une sensation agréable; l'espérance l'est du moins; et quelle espérance y a-t-il sans un profond levain de crainte? et quelle sensation est aussi délicieuse que l'espérance? et sans l'espérance, où serait le futur? – en enfer. Il est inutile de dire où est le présent: car nous le savons pour la plupart; et, quant au passé, qu'est-ce qui domine dans la mémoire? – l'espérance déjouée. Ergo, dans toutes les affaires humaines, je vois l'espérance, – l'espérance, – rien que l'espérance. J'accorde seize minutes, quoique je ne les aie jamais comptées, à toute possession réelle ou supposée. De quelque lieu que nous partions, nous savons où tout ira nécessairement aboutir. Et cependant, à quoi bon le savoir? Les hommes n'en sont ni meilleurs ni plus sages. Durant les plus grandes horreurs des plus grandes pestes (par exemple, celles d'Athènes et de Florence, -voir Thucydide et Machiavel), les hommes furent plus cruels et plus débauchés que jamais. Tout cela est un mystère; je sens beaucoup, mais je ne sais rien, excepté _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 97.

Note 97: (retour) Ces traits de plume, arrachés à Lord Byron par l'impatience, existent dans le manuscrit original. (Note de Moore.)

Pensée pour un discours de Lucifer dans la tragédie de Caïn.

 
Si la mort était un mal, te laisserais-je vivre?
Insensé! vis comme je vis moi-même, comme vit ton père,
Comme les fils de tes fils vivront à jamais.
..................98
 

Note 98: (retour) Nous avons supprimé tout un passage contre les frères Schlegel, et en particulier contre W. F. S***, parce que Byron parle de ces deux critiques allemands avec une amertume et une injustice qu'il va presque rétracter une page plus loin. (Note du Trad.)

29 janvier 1821.

«Hier, la femme de quatre-vingt-quinze ans est venue me voir. Elle m'a dit que son fils aîné (s'il était maintenant en vie) aurait soixante-dix ans. Elle est grêle, courte, mais active; – elle entend, elle voit, – et sans cesse elle parle. Elle a encore plusieurs dents, – toutes à la mâchoire inférieure, et rien que des dents de devant. Elle est très-profondément ridée, et a au menton une sorte de barbe grise clair-semée, au moins aussi longue que mes moustaches. Sa tête, en vérité, ressemble au portrait de la mère de Pope, portrait que l'on trouve dans quelques éditions des oeuvres de ce poète.

»J'ai oublié de lui demander si elle se rappelait Albéroni (qui a été légat ici), mais je le lui demanderai la prochaine fois. Je lui ai donné un louis, – lui ai commandé un habillement complet, et lui ai assigné une pension hebdomadaire. Jusqu'à présent, elle avait travaillé à ramasser du bois et des pommes de pin dans la forêt, – joli travail à quatre-vingt-quinze ans! Elle a eu une douzaine d'enfans, dont quelques-uns vivent encore. Elle se nomme Maria Montanari.

»Rencontré dans la forêt une compagnie de la secte dite des Américains (sorte de club libéral), tous armés, et chantant de toute leur force, en romagnol: -Sem tutti soldat' per la liberta. (Nous sommes tous soldats pour la liberté.) Ils m'ont salué comme je passais; – je leur ai rendu leur salut, et ai continué ma promenade à cheval. Ce fait peut montrer l'esprit actuel de l'Italie.

»Mon journal d'aujourd'hui se compose de ce que j'ai omis hier. Aujourd'hui, tout a été comme à l'ordinaire. J'ai peut-être une meilleure opinion des écrits des frères Schlegel que je n'avais il y a vingt-quatre heures; et mon opinion leur deviendra encore plus favorable, si c'est possible.

»On dit que les Piémontais ont enfin chanté: -Ça ira! Lu Schlegel. Il dit de Dante que, «dans aucun tems, le plus grand et le plus national de tous les poètes italiens n'a jamais été le grand favori de ses compatriotes.» C'est faux! Il y a eu plus d'éditeurs et de commentateurs, – et dernièrement d'imitateurs de Dante, que de tous les autres poètes italiens pris ensemble. Il n'a pas été le favori de ses compatriotes! Quoi donc! en ce moment (1821), on parle Dante, – on écrit Dante, – on pense et on rêve Dante avec un excès d'admiration qui serait ridicule si le poète n'en était pas si digne.

»C'est dans le même style que l'écrivain allemand parle de gondoles sur l'Arno: – gentil garçon, pour oser parler de l'Italie!

»Il dit encore que le principal défaut de Dante est, en un mot, l'absence de tendres sentimens. De tendres sentimens! – et Françoise de Rimini, – et les sentimens d'Ugolin le père, – et Béatrix, – et la Pia? Pourquoi Dante a-t-il une tendresse supérieure à toute tendresse, quand il exprime ce sentiment? Il est vrai que, en traitant de l'[Grec: Adês]99 ou enfer chrétien, il n'y a pas beaucoup de place ou de carrière pour la tendresse; – mais qui, hormis Dante, aurait pu introduire la moindre tendresse dans l'enfer! Y en a-t-il dans Milton? Non; – et le ciel de Dante n'est rien qu'amour, gloire et majesté.»

Note 99: (retour) Litter. Lieu de ténèbres, enfer, (Note du Trad.)

Une heure après minuit.

»J'ai toutefois trouvé un passage où l'Allemand a raison; – c'est sur le Vicaire de Wakefield100. – De tous les romans en miniature (et c'est peut-être la meilleure forme sous laquelle un roman puisse paraître), le Vicaire de Wakefield est, je pense, le plus parfait.» Il pense! – il pouvait en être sûr; mais c'est très-bien pour un Schlegel. Je me sens envie de dormir, et je ferai bien d'aller me coucher. Demain il fera beau tems.