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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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Lorsqu'on lui parlait de son mariage, sujet délicat, mais qui cependant lui était agréable, s'il était traité d'une manière amicale, il paraissait fort ému, et disait qu'il avait été la cause innocente de toutes ses erreurs et de tous ses chagrins. Il s'exprimait sur lady Byron avec beaucoup de respect et d'affection, la nommait une femme supérieure, aussi distinguée par les qualités de son ame que par celles de son esprit, et attribuait à lui seul toute la faute de leur cruelle séparation. Or, était-ce la vanité ou la justice qui lui faisait tenir ce langage? Ne rappelle-t-il pas ce mot de Jules César, que «la femme de César ne doit pas même être soupçonnée?» Que de vanité dans ces paroles du héros romain! Dans le fait, si ce n'eût pas été par vanité, Lord Byron ne serait jamais convenu de cela avec personne. Il parlait de sa petite fille, de sa chère Ada, avec la plus vive tendresse, et paraissait s'applaudir du grand sacrifice qu'il avait fait, en la laissant à sa mère pour lui servir de consolation. La haine profonde qu'il portait à sa belle-mère et à une espèce d'Euriclée de lady Byron, deux femmes à l'influence desquelles il attribuait en partie son éloignement pour lui, démontrait clairement combien cette séparation lui était pénible, malgré quelques plaisanteries amères parfois répandues contre elle dans ses écrits, et qui étaient dictées par le ressentiment plutôt que par l'indifférence............... .......................

A compter de sa mésintelligence avec Mme A***, le noble poète se tourna vers le second point de ralliement de la société vénitienne, et transféra ses visites chez Mme B***, qui, bien que n'étant plus jeune depuis long-tems, avait encore dans les manières ce charme attachant qui résulte presque toujours d'une jeunesse passée à chercher à plaire et à y réussir. On voit du moins la preuve qu'elle n'avait pas perdu tous ses moyens de charmer, dans un admirateur dévoué qui lui était resté, et l'on pense qu'elle-même, peut-être, ne regardait pas comme impossible de finir par enchaîner Lord Byron, et de le joindre à cette longue suite d'amans qui pendant tant d'années avaient servi de trophées aux triomphes de sa beauté. – Quoi qu'il en soit, et s'il est vrai qu'elle eut la moindre chance de faire une pareille conquête, elle s'en était privée elle-même en présentant à son illustre visiteur la comtesse Guiccioli; – cette démarche finit aussi par lui faire perdre même les visites de celui qui embellissait ses réunions; car, par suite de quelques procédés un peu dédaigneux de Mme B*** envers sa dama, il cessa de paraître à ses soirées, et au moment où j'arrivais à Venise, il avait tout-à-fait renoncé à la société.

Je vis de suite, d'après le ton dont on parlait de sa conduite chez Mme B***, à quel point on regardait comme contraire à la morale d'une intrigue, le parti qu'il venait de prendre d'enlever son amie avouée à la protection de son mari, et de la placer sous le même toit que lui. «Il faut en vérité, me dit la maîtresse de la maison, que vous grondiez votre ami; – jusqu'à cette malheureuse affaire il s'était si bien conduit!» Lorsque je rapportai le lendemain à mon noble ami cet éloge de sa moralité passée, il lui arracha tout à-la-fois un sourire et un soupir.

Notre principal sujet de conversation, quand nous étions seuls, était son mariage et toutes les calomnies qu'il lui avait attirées; – il désirait ardemment savoir tout ce qu'on avait pu dire de pis de sa conduite; et comme c'était la première occasion que j'avais de causer avec lui sur ce point, je n'hésitai pas à mettre sa candeur à l'épreuve, non-seulement en lui détaillant tous les faits dont je l'avais entendu accuser, mais en lui indiquant ceux qui me paraissaient les plus croyables. Il écouta tout ceci avec patience, et répondit du ton de la plus grande franchise, se moquant avec mépris des lâches outrages qu'on lui avait attribués, mais avouant en même tems qu'il y avait dans sa conduite matière à blâme et à regret, et citant une ou deux circonstances de sa vie domestique où il s'était laissé emporter jusqu'à proférer des paroles amères, paroles qui venaient plutôt de l'esprit d'inquiétude qui l'agitait que de son propre cœur, mais qu'il se rappelait néanmoins avec un degré de remords et de chagrin qui était capable de les faire oublier aux autres.

Il me parut évident alors que, malgré l'aveu qu'il voulait bien faire de quelque tort, l'énorme disproportion du châtiment qui lui avait été infligé avait laissé une trace profonde dans son esprit, et que l'effet ordinaire d'une telle injustice avait été de le rendre injuste à son tour. Il allait jusqu'à penser que ce sentiment d'inimitié, qu'il attribuait à ceux qu'il regardait comme la cause de tous ses malheurs, ne se reposerait pas même lorsqu'il serait descendu dans la tombe, et continuerait de persécuter sa mémoire comme il empoisonnait encore sa vie, et cette impression avait tant de force sur lui, que pendant un de ces intervalles où nous causions sérieusement, il me conjura au nom de notre amitié, si, comme il l'espérait et le pressentait, je devais lui survivre, de ne pas permettre que d'injustes reproches s'attachassent à sa mémoire, et tout en laissant condamner sa conduite quand elle le méritait, de le justifier de toute fausse accusation.

La mort prématurée qu'il avait si souvent prédite et après laquelle il soupirait, vint malheureusement trop tôt nous apprendre combien ses craintes étaient fausses et peu fondées. Loin d'avoir à le défendre contre aucune attaque de ce genre, son nom ne reçut aucune atteinte hostile, si ce n'est d'un ou deux individus plus nuisibles comme amis que comme ennemis; tandis que personne, selon moi, n'aurait été plus empressé et plus sincère à accorder une généreuse amnistie à sa tombe, que celle chez qui un peu plus d'indulgence à son égard était la seule des vertus à laquelle elle ne l'eût pas forcé de rendre justice.

Avant de me livrer davantage à mes souvenirs, je placerai ici quelques détails curieux sur les habitudes et le genre de vie de mon ami à Venise. Ils m'ont été fournis par un gentilhomme qui a long-tems habité cette ville et qui, pendant la plus grande partie du séjour qu'y fit Lord Byron, vécut avec lui dans toute l'intimité de l'amitié.

«J'ai souvent regretté de n'avoir pas pris note de ses observations pendant nos excursions à cheval et en gondole; rien ne pouvait aller au-delà de la vivacité et de la variété de sa conversation, ainsi que de l'enjouement de ses manières; ses remarques sur les objets environnans étaient toujours originales, et il profitait avec une promptitude remarquable de la moindre circonstance que le hasard lui offrait, et qui certainement aurait échappé à l'attention de tout autre, pour appuyer le raisonnement qu'il s'occupait à soutenir. Il avait le sentiment le plus vif des beautés de la nature, et prenait le plus grand intérêt aux observations, qu'en ma qualité de barbouilleur, je me permettais de faire sur les effets d'ombre et de lumière, et sur les changemens produits dans la couleur des objets par chaque variation de l'atmosphère.

»L'endroit où nous montions à cheval avait été un cimetière juif; mais les Français, pendant l'occupation de Venise, en avaient renversé les murs et nivelé les tombes avec le terrain, afin qu'il n'en résultât pas d'inconvéniens pour les fortifications du Lido, sous les canons duquel il était placé. Comme on savait que c'était là qu'il descendait de sa gondole et que l'attendaient ses chevaux, les curieux parmi nos compatriotes ne manquaient pas de s'y rendre, et il était extrêmement amusant de voir avec quel sang-froid les dames et les messieurs s'avançaient à quelques pas de lui pour l'examiner, quelquefois même à travers une lorgnette, comme ils auraient pu faire à l'égard d'une statue dans un muséum ou des bêtes féroces d'Exeter-Change 112. Quelque flatteur que cela pût être pour la vanité d'un homme, Lord Byron, quoiqu'il le supportât avec patience, s'en montrait et en était réellement, je crois, excessivement ennuyé.

Note 112: (retour) Passage de Londres où l'on montre une espèce de ménagerie.(Note du Trad.)

»J'ai dit que nous galoppions ordinairement le long du rivage, et que l'endroit où nous prenions et quittions nos chevaux était un cimetière; on croira facilement qu'il fallait quelque précaution pour passer par-dessus ces tombes brisées, et que c'était au total un assez mauvais passage à traverser à cheval; comme l'étendue que nous avions à parcourir n'était pas fort longue, puisqu'elle n'avait guère plus de six milles, nous n'allions pas très-vite, afin de faire durer notre promenade, et de jouir aussi long-tems que possible de l'air rafraîchissant de l'Adriatique. Un jour que nous nous en retournions doucement, Lord Byron, tout-à-coup, et sans me rien dire, donne de l'éperon à son cheval, et partant au grand galop, cherche à gagner sa gondole le plus rapidement possible. Ne pouvant comprendre quel caprice s'était saisi de lui, et ayant de la peine à le suivre, même de loin, je regardais de tous côtés, cherchant à découvrir la cause de cette précipitation inaccoutumée. A la fin, j'aperçus à quelque distance, deux ou trois messieurs qui couraient parallèlement avec lui vers sa gondole le long du bord opposé de l'île le plus près de la lagune, espérant y arriver à tems pour le voir descendre de cheval. Une joute s'était établie entre eux, dans laquelle il s'efforçait de les devancer; il y réussit en effet, et se jetant promptement à bas de son cheval, il sauta dans la gondole dont il se hâta de baisser les stores en s'enfonçant dans un coin, de manière à n'être pas vu. Quant à moi, qui ne me souciais pas de risquer mon cou sur le terrain dont j'ai parlé, je pris une allure plus tranquille quand j'arrivai au milieu des tombes, et j'atteignis le lieu de l'embarcation au même moment que mes curieux compatriote, et tout juste pour être témoin de leur mécompte quand ils reconnurent qu'ils avaient couru pour rien. Je trouvai Lord Byron triomphant de les avoir dépassés. – Il exprima en termes énergiques l'ennui que lui causait leur impertinence, tandis que je ne pouvais m'empêcher de rire et de son impatience, et de la mortification des malencontreux piétons, dont l'empressement à le voir, ajoutai-je, me semblait extrêmement flatteur pour lui. Cela, me répondit-il, dépendait du sentiment qui les amenait, et il n'avait pas la vanité de croire qu'ils y fussent excités par aucun mouvement d'admiration pour son caractère et ses talens, mais seulement par une curiosité puérile. Que cela fût ainsi ou autrement, je ne pus m'empêcher de penser qu'il ne se serait pas tant empressé de fuir leur examen s'ils eussent été de l'autre sexe, et que, dans ce dernier cas, il leur aurait rendu leurs regards.

 

»On aurait de la peine à croire jusqu'à quel point se portait la curiosité que toute les classes de voyageurs avaient de le voir, et avec quel empressement ils cherchaient à recueillir toute espèce d'anecdotes relatives à son genre d'être; c'était le principal sujet de leurs questions aux gondoliers qui les transportaient de la terre ferme dans la ville flottante; et ces gens, qui sont naturellement bavards, ne refusaient nullement de se prêter au goût et aux désirs de leurs passagers, et leur racontaient souvent les contes les plus extravagans, les plus dénués de fondement. Ils ne manquaient pas de montrer sa maison et d'indiquer ses habitudes, de manière à procurer une occasion de le voir. Plusieurs Anglais, sous prétexte de parcourir sa maison, dans laquelle il n'y avait aucune peinture remarquable ni d'autre objet d'intérêt que lui-même, parvinrent à s'y introduire par suite de la cupidité des domestiques, et, avec la plus rare impudence, pénétrèrent jusqu'à sa chambre à coucher dans l'espoir de l'y trouver; de là vint en grande partie l'amertume avec laquelle il s'exprima sur leur compte à l'occasion de quelque remarque sans fondement qui avait été faite sur lui par un voyageur anonyme en Italie, et il n'est pas étonnant que tout ceci ait fortifié le cynisme qu'on remarque surtout dans ses derniers ouvrages, et qui ne lui était pas un sentiment plus naturel que les pensées misanthropiques répandues dans ceux qui commencèrent sa réputation. Je suis certain de n'avoir jamais trouvé nulle part plus de bienveillance que dans Lord Byron.

»Tous les gens de sa maison lui étaient extrêmement attachés, et auraient souffert tout au monde pour lui. A la vérité, il était à leur égard d'une indulgence blâmable; car lorsqu'il leur arrivait de négliger leurs devoirs et d'abuser de sa bonté, il les en raillait plutôt que de les en réprimander sérieusement, et ne pouvait jamais se décider à les renvoyer, quoiqu'il les en eût menacés. J'ai été témoin, dans une circonstance, de son éloignement à employer la rigueur contre un artisan qu'il avait puissamment aidé, non-seulement en lui prêtant de l'argent, mais en cherchant à lui être utile de toutes les manières. Malgré tant d'actes de bienfaisance de la part de Lord Byron, cet homme le vola et le trompa de la manière la plus impudente; et quand à la fin Lord Byron fut obligé de le traduire en justice pour le recouvrement de son argent, la seule peine qu'il lui infligea, lorsqu'il fut condamné, fut de le faire mettre en prison pour une semaine, et ensuite de l'en laisser sortir, quoique son débiteur l'eût obligé à des frais considérables, en le faisant passer par toutes les différentes cours d'appel, et qu'il n'en pût jamais obtenir un son. Il m'écrivit à ce sujet de Ravenne: – Si *** est en prison, faites-l'en sortir; s'il n'y est pas, faites-l'y mettre pendant une semaine, afin de lui donner une leçon, et tancez-le comme il faut.

»Il était toujours prêt aussi à secourir les malheureux, et sans mettre la moindre ostentation dans ses charités; car, outre les sommes considérables données à ceux qui s'adressaient à lui personnellement, il soutenait généreusement, par des secours envoyés tous les mois ou toutes les semaines, des personnes qui, recevant cet argent par des mains étrangères, ne connurent jamais leur bienfaiteur. On pourrait ajouter à ceci un ou deux exemples où sa libéralité dut paraître peut-être mêlée d'ostentation, comme lorsqu'il envoya cinquante louis à un pauvre imprimeur dont la maison venait d'être brûlée de fond en comble et toute la fortune détruite; mais cette conduite ne fut pas sans avantages, car elle força en quelque sorte les autorités autrichiennes elles-mêmes à faire quelque chose pour ce malheureux, qui autrement n'en aurait reçu aucune faveur; car je ne fais aucun doute que ce fut la publicité de ce don qui les porta à accorder à cet homme l'usage d'une maison inoccupée appartenant au gouvernement, jusqu'à ce qu'il pût reconstruire la sienne, ou rétablir ses affaires ailleurs. On pourrait citer d'autres exemples où sa générosité avait une source moins noble et plus personnelle 113; mais il serait d'une injustice extrême de les rapporter ici comme traits de caractère.»

Note 113: (retour) Il est sans doute ici question de la libéralité blâmable qu'il exerça envers les maris de ses deux favorites, Mme S*** et la Fornarina.

J'ai déjà dit qu'en écrivant à mon noble ami pour lui annoncer mon arrivée, je lui avais exprimé l'espoir qu'il lui serait possible de faire avec moi le voyage de Rome, et j'avais eu la satisfaction qu'il s'était préparé à exécuter ce projet. Cependant, lorsque je connus tous les détails de sa position actuelle, je crus devoir faire le sacrifice de mes désirs et de mes jouissances personnelles, et lui conseillai fortement de rester à la Mira. En premier lieu, je prévoyais que s'il quittait Mme Guiccioli à cette époque, on pourrait le soupçonner de négligence, si ce n'est même d'abandon, envers une jeune femme qui avait fait tant de sacrifices pour l'amour de lui, et qui, placée alors entre son mari et son amant, avait besoin de toute la prudence et de toute la générosité de ce dernier pour éviter une plus grande honte et des maux plus grands. Il venait aussi de se présenter une occasion qui me semblait favorable de réparer du moins ce qu'il y avait eu de plus imprudent dans toute cette affaire, en remettant cette jeune dame à la protection de son mari, et en lui donnant ainsi le moyen de conserver dans le monde un rang que l'éclat de sa démarche avait pu seul lui faire perdre dans une société aussi indulgente. Cet espoir m'était inspiré par une lettre qu'il me montra un jour que nous dînions tête-à-tête chez le fameux Pellegrino. La comtesse l'avait reçue le matin même de son mari, et le but principal en était, non de lui reprocher sa conduite, mais de lui suggérer qu'elle pourrait bien persuader à son noble admirateur de transmettre à sa garde une somme de 1,000 livres sterling qui, si je me le rappelle bien, était alors déposée chez le banquier de Lord Byron à Ravenne, mais que le digne comte croyait devoir être beaucoup plus avantageusement placée entre ses mains. Il ajoutait qu'il donnerait une garantie et cinq pour cent d'intérêt; car accepter la somme à d'autres termes, serait, disait-il, un avilimento. Quoique chez la femme qui prouva depuis, par le plus noble sacrifice, tout le désintéressement de ses sentimens, un trait d'un caractère si opposé dans son époux dût augmenter encore l'éloignement qu'il lui inspirait, cependant il était tellement important, dans l'intérêt de son amant et dans le sien, de revenir sur l'imprudente démarche qu'ils avaient faite, par l'abandon de cette somme, qui me parut devoir faciliter matériellement un arrangement, que je ne pensai pas que ce fût l'acheter trop cher. Toutefois, mon noble ami différa entièrement avec moi sur ce point, et rien ne pouvait être plus drôle et plus amusant que la manière dont il s'appesantit, dans son nouveau rôle d'amateur d'argent, sur toutes les vertus renfermées dans 1,000 livres sterling, et sur sa résolution de ne pas en donner une seule au comte Guiccioli. Il parlait avec non moins de gaîté et d'originalité de sa confiance dans les moyens qu'il avait de sortir de cette difficulté, et M. Scott, qui vint se joindre à nous après dîner, ayant envisagé la chose sous le même point de vue, il paria avec ce dernier deux guinées que, sans en venir à en débourser autant, il amènerait la chose à bien, et garderait la dame et l'argent.

A la vérité, il est positif qu'il s'était mis en tête, à cette époque, le nouveau caprice (car on ne peut guère lui donner un nom plus sérieux) de surveiller ses dépenses avec l'attention la plus constante et la plus minutieuse. Et, comme cela arrive ordinairement, c'était au moment où ses moyens pécuniaires s'étaient augmentés, que s'était accru aussi en lui le sentiment de la valeur de l'argent. Le premier symptôme que je remarquai de cette nouvelle fantaisie, fut la joie excessive qu'il manifesta quand je lui présentai un rouleau de vingt napoléons que lord Kinnaird, auquel il les avait prêtés dans quelque occasion, m'avait chargé de lui remettre à mon passage à Milan. Ce fut avec l'empressement le plus joyeux et le plus divertissant qu'il déchira le papier, et qu'en comptant la somme il s'arrêta à plusieurs reprises pour se féliciter de son recouvrement.

Quant à la frugalité de son intérieur, je n'en parle que d'après l'autorité des autres; mais il n'est pas difficile de concevoir qu'un esprit inquiet comme le sien, qui se plaisait à lutter constamment contre quelque obstacle, et qui peu de tems auparavant s'était fatigué à apprendre l'arménien, afin, disait-il, que son esprit eût à se briser contre une surface dure et raboteuse, trouvât, faute de mieux, une espèce d'intérêt et de plaisir à contester pied à pied tout superflu de dépense, et à supprimer ce qu'il a appelé lui-même.

La plus critique de nos misères humaines, l'enflure des mémoires de la semaine.

En effet, cet éloge de l'avarice qui revient toujours dans Don Juan, et la gaîté piquante avec laquelle il aime à s'y appesantir, montre à quel point était sérieuse cette innovation de système, qui lui faisait adopter «ce bon vieux vice des vieillards.» C'était dans le même esprit que, peu de tems avant mon arrivée à Venise, il 'avait fait faire une boîte, avec une fente au couvercle, dans laquelle il jetait de tems en tems des sequins, et qu'il ouvrait à des époques fixes pour contempler son trésor. Son genre de vie ascétique lui permettait en ce qui le concernait personnellement, de satisfaire ce nouveau goût d'économie. La carte de son dîner, quand la Margarita vivait avec lui, se composait ordinairement, à ce qu'on m'a assuré, de quatre bec-figues, dont trois étaient mangés par la Fornarina, qui le laissait sortir de table sans avoir satisfait sa faim.

Cependant cette parcimonie (si l'on peut donner ce nom à la nouvelle bizarrerie d'un caractère auquel il fallait toujours du changement), était bien éloignée de cette espèce que Bacon condamne, comme empêchant les hommes de se livrer à des œuvres de bienfaisance, comme on le voit par les actes de libéralité qu'il fit à cette époque, et dont quelques-uns viennent d'être cités par une autorité des plus authentiques; on y voit la preuve que tandis que, pour gratifier un caprice, il tenait une de ses mains serrée, l'autre, suivant le mouvement de son cœur généreux, s'ouvrait avec prodigalité pour secourir le malheur.

La veille de mon départ pour Venise, mon noble ami, en arrivant de la Mira pour dîner, me dit, avec toute la joie d'un écolier auquel on vient d'accorder un congé, que, comme c'était la dernière soirée que je devais passer à Venise, la comtesse lui avait permis de la prolonger toute la nuit, et qu'en conséquence, non-seulement il m'accompagnerait à l'opéra, mais que nous souperions ensemble (comme autrefois) dans quelque café. Ayant remarqué dans sa gondole un livre avec un grand nombre de petits papiers pour marquer les feuilles, je lui demandai ce que c'était. «Rien qu'un livre, dit-il, où je cherche à piller, comme je le fais partout où j'en trouve l'occasion, et voilà de quelle manière je me suis fait la réputation d'un poète original.» L'ayant pris pour le regarder, je m'écriai: Ah! c'est mon vieil ami Agathon! «Comment! répondit-il malicieusement, est-ce que vous m'auriez déjà devancé?»

Mais revenons aux détails de la dernière soirée que nous passâmes ensemble à Venise. Après avoir dîné avec M. Scott chez Pellegrino, nous allâmes un peu tard à l'opéra, où le rôle principal, dans les Bacchanales de Rome, était rempli par une cantatrice dont le principal mérite, suivant Lord Byron, était d'avoir donné un coup de stilet à un de ses amans favoris. Dans les intervalles du chant, il me désigna plusieurs personnes, dans les spectateurs, qui s'étaient rendues célèbres de différentes manières, mais la plupart d'une façon peu honorable, et il me raconta une anecdote, au sujet d'une dame assise près de nous, qui, sans être de fraîche date, mérite d'être rapportée, comme preuve de l'humeur facétieuse des Vénitiens. Il paraît que Napoléon avait déclaré que cette dame était la plus belle de Milan; mais les Vénitiens n'étant pas tout-à-fait de l'avis du grand homme, se contentèrent de l'appeler la bella per decreto, ajoutant, comme les décrets commençaient toujours par le mot considérant, ma senza il considerando.

 

De l'opéra, conformément à notre projet de passer la nuit, nous nous rendîmes dans une espèce de cabaret de la place Saint-Marc; et là, à quelques toises du palais des doges, nous nous mîmes à boire du punch chaud à l'eau-de-vie, en riant aux souvenirs du passé, jusqu'à ce que l'horloge de Saint-Marc eût sonné deux heures. Lord Byron me fit alors monter dans sa gondole; et la lune brillant dans tout son éclat, il ordonna aux gondoliers de nous diriger sur les points qui présentaient la vue la plus avantageuse de Venise à cette heure. Rien ne pouvait être d'une beauté plus solennelle que tout ce qui nous entourait; et, pour la première fois, j'avais devant les yeux la Venise de mes rêves. Tous ces détails ignobles qui offensent l'œil au grand jour étaient adoucis par le clair de lune ou perdus dans un vague confus; et l'effet de cette muette cité de palais qui semblait endormie sur les eaux au milieu du calme brillant de la nuit, était capable de produire l'impression la plus profonde sur l'imagination la moins exaltée. Mon compagnon s'aperçut de mon émotion, et parut se livrer un moment lui-même au même genre de sensations; et comme nous échangeâmes quelques remarques relativement à ces ruines de la gloire humaine qui étaient devant nous, sa voix, ordinairement si enjouée, avait un doux accent de mélancolie que je ne lui avais jamais trouvé, et que j'oublierai difficilement. Cette disposition toutefois ne dura qu'un instant; il passa rapidement de là à une raillerie qui le mit bientôt d'une humeur tout-à-fait différente, et nous nous séparâmes sur les trois heures, à la porte de son palais, en riant, comme nous nous étions abordés, après être auparavant convenus que je dînerais de bonne heure le lendemain à sa villa, en prenant la route de Ferrare.

J'employai la matinée du jour suivant à achever de voir tout ce qu'il y a à Venise, n'oubliant pas surtout d'examiner ce portrait peint par Giorgone, à l'entour duquel l'exclamation du poète, «mais quelle femme 114!» attirera long-tems les admirateurs de la beauté. Je quittai Venise, et vers trois heures j'arrivai à la Mira. Je trouvai mon illustre hôte qui m'attendait. En traversant le vestibule, je vis la petite Allegra avec sa bonne, qui paraissait rentrer de la promenade. J'ai déjà dit combien son imagination bizarre se plaisait à falsifier son caractère, et à s'attribuer les défauts les plus étrangers à sa nature: j'en eus dans cette occasion une preuve frappante. Après avoir dit quelques mots en passant à la petite, je fis quelques remarques sur sa beauté; il me dit alors: «Avez-vous quelque idée (mais je présume que oui) de ce qu'on appelle tendresse paternelle? pour moi, je n'en ai pas la moindre.» Et lorsqu'un an ou deux après cet enfant vint à mourir, celui qui proférait alors ces paroles si dénuées de vérité, fut si accablé de cet événement que tous ceux qui l'entouraient tremblèrent à cette époque pour sa raison.

Note 114: (retour) Ce n'est que son portrait et celui de son fils et de sa femme, mais quelle femme! c'est l'amour en vie! (BEPPO, Stance 12.)

Il paraît pourtant que cette description du tableau n'est pas exacte; car, suivant Vassari et d'autres, Giorgone ne fut jamais marié, et mourut jeune.(Note de Moore.)

Peu de tems avant le dîner, il sortit de l'appartement, et y rentra une ou deux minutes après, portant à la main un sac de peau blanche. «Regardez, me dit-il, en me le présentant, ceci vaudrait quelque chose pour Murray, quoique vous, j'en suis sûr, n'en voulussiez pas donner six sous. – Qu'est-ce que cela? lui demandai-je. – Ma vie et mes aventures, répondit-il.» En entendant ceci, je fis un geste d'étonnement. «Ce n'est pas une chose, continua-t-il, qui puisse se publier de mon vivant; mais vous pouvez le prendre si vous voulez: tenez, faites-en ce qu'il vous plaira.» Je le remerciai vivement, en prenant le sac, et j'ajoutai: «Ce sera un joli legs à faire à mon petit Tom, qui étonnera, par cette publication, les dernières années du dix-neuvième siècle.» Il me dit ensuite: «Vous pouvez montrer cela à vos amis, si vous croyez que cela en vaille la peine.» Et voilà, presque mot pour mot, ce qui se passa entre nous à ce sujet.

A dîner, nous eûmes le plaisir de la société de Mme Guiccioli, qui, sur un mot de Lord Byron, eut la bonté de me donner une lettre d'introduction pour son frère le comte Gamba, qu'il était probable, d'après eux, que je trouverais à Rome. Je n'eus jamais l'occasion de présenter cette lettre, qui était ouverte pour que j'en prisse lecture, et dont la plus grande partie avait été, j'imagine, dictée par mon noble ami. – Je ne crois donc pas commettre une indiscrétion en en donnant ici l'extrait, prévenant le lecteur que l'allusion faite au château, etc., etc., est relative à des contes sur la barbarie de Lord Byron envers sa femme, que le jeune comte avait entendu rapporter, et qu'il croyait aveuglément. Après quelques phrases de complimens, la lettre continue ainsi: «Il est en route pour voir les merveilles de Rome, et personne, j'en suis sûr, n'est plus capable de les apprécier. Tu m'obligeras et me feras plaisir en lui servant de guide autant qu'il te sera possible. C'est un ami de Lord Byron, et qui est beaucoup mieux instruit de son histoire qu'aucun de ceux qui l'ont racontée. En conséquence, il te décrira, pour peu que tu lui demandes, la forme, les dimensions et tout ce que tu voudras savoir de ce château, où il tient captive une femme jeune et innocente, etc., etc. – Mon cher Piétro, quand tu auras ri de tout ton cœur de tout cela, fais deux mots de réponse à ta sœur, qui t'aime et t'aimera toujours avec la plus vive tendresse.

»THÉRÉSA GUICCIOLl.»

Après m'avoir exprimé ses regrets de ce que je ne pouvais prolonger davantage mon séjour à Venise, mon noble ami me dit: – «Il me semble, du moins, que vous auriez pu disposer d'un ou deux jours pour aller avec moi à Arqua. J'aurais aimé, continua-t-il d'un air pensif, à visiter cette tombe-là avec vous.» – Puis, reprenant sa gaîté ordinaire; «Nous ferions un joli couple de poètes pélerins, Tom, qu'en pensez-vous?» Je ne me rappelle jamais sans étonnement et sans me le reprocher amèrement, que j'ai refusé cette offre, perdant ainsi, par ma faute, l'occasion de faire une excursion dont le souvenir eût été pendant le reste de ma vie celui d'un rêve enchanteur. Mais mon but principal, qui était d'aller à Rome et, s'il se pouvait, jusqu'à Naples, dans l'intervalle de tems auquel les circonstances me limitaient, m'empêcha de sentir tout le prix de la partie qui m'était offerte.

Quand le moment du départ arriva, il m'exprima son intention de m'accompagner pendant quelques milles, et ordonnant qu'on fît suivre ses chevaux, il monta dans ma voiture, et revint avec moi jusqu'à Stia. Ce fut là que, pour la dernière fois, combien, hélas! j'étais loin de croire que c'était la dernière, je dis adieu à mon bon, à mon admirable ami.