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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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LETTRE CCCXL

A M. MURRAY

Bologne, 29 août 1819.

«Voilà deux jours que je suis en colère, et j'en ai encore la bile toute émue. Vous allez savoir ce que c'est: Un capitaine de dragons, Hanovrien de naissance, servant maintenant dans les troupes du pape, et que j'ai obligé en lui prêtant de l'argent, quand personne n'aurait voulu lui avancer un paolo, me recommande un cheval que veut vendre le lieutenant ***, officier qui joint le commerce des animaux à l'achat des hommes. Le jour suivant, en ferrant le cheval, on découvrit la fraude, car on m'avait garanti que l'animal était sans défauts. J'envoyai protester contre le marché, et réclamer l'argent. Le lieutenant voulut me parler en personne, j'y consentis; il commença une histoire. – Je lui demandai s'il voulait me rendre mon argent: il me dit que non, mais qu'il ferait un échange, et me demanda un prix exorbitant de ses autres chevaux. Je lui dis qu'il était un fripon. – Il me répliqua qu'il était officier et homme d'honneur, et tira de sa poche un passeport parmesan, signé du général comte Neifperg. Je lui répondis que, puisqu'il était officier, je le traiterais en conséquence, et que s'il était homme d'honneur, il pouvait le prouver en rendant l'argent; que, – quant à son passeport parmesan, j'en faisais autant de cas que d'un fromage de Parme. Il le prit sur un grand ton, et me dit que si nous étions au matin (il était huit heures du soir), il aurait satisfaction de moi. – Quant à cela, dis-je, vous l'aurez tout-à-l'heure, – ce sera une satisfaction mutuelle, je puis vous l'assurer. Si vous êtes, comme vous le dites, un officier, ce qui n'empêche pas que vous ne soyez un fripon, mes pistolets chargés sont dans la pièce voisine, prenez une lumière, examinez et faites le choix des armes. Il me répondit que des pistolets étaient des armes anglaises, et qu'il se battait toujours à l'épée. – Je lui dis alors que je pouvais l'arranger, ayant trois épées de régiment dans un tiroir près de moi, qu'il pouvait prendre la plus longue et se mettre en garde.

»Tout cela se passait en présence d'un tiers. Il dit alors, non, mais que le lendemain il donnerait un rendez-vous à l'heure et au lieu qu'on voudrait. Je répondis que l'usage n'était pas de fixer ces sortes de rendez-vous devant des témoins, que nous ferions mieux de nous parler seuls, et de fixer le moment et les armes. Mais comme l'homme qui était présent sortait de l'appartement, avant qu'il pût fermer la porte, le lieutenant sortit en courant, et en criant de toute sa force: Au secours! au meurtre! et finit par tomber en convulsions devant cinquante personnes, qui virent bien que je n'avais pas d'armes sur moi, et qui l'ayant suivi, lui demandèrent ce que diable il avait. Rien ne put l'arrêter, il s'enfuit sans son chapeau, et alla se coucher malade de frayeur. Il essaya ensuite d'aller porter plainte à la police, qui refusa de la recevoir, comme trop insignifiante. Il est, je crois, parti, ou va partir.

»Le cheval avait été garanti; mais je crois que, d'après les termes du marché, le coquin ne sera pas obligé de rendre l'argent comme le voudrait la loi. Il a cherché à forger une accusation d'assaut et de violence; niais comme la chose s'est passée dans un hôtel public d'une rue très-fréquentée, il y a eu trop de témoins du contraire, et comme militaire, il n'a pas joué là un rôle très-belliqueux, même d'après l'avis des prêtres. Il s'était enfui si vite, qu'il oublia son chapeau, ce dont il ne s'aperçut que lorsqu'il fut rentré dans son auberge. Le fait est tel que je vous le dis; – il commença par faire le brave avec moi, sans quoi je n'aurais jamais pensé à éprouver son adresse aux armes. – Mais que pouvais-je faire? Il parlait d'honneur, de satisfaction, et de son brevet d'officier. – Il me montra un passeport militaire. – Il y a, sur le continent, des châtimens sévères pour les duels réguliers, tandis que les rencontres n'y sont sujettes qu'à des peines légères, de sorte qu'il vaut mieux se battre sur-le-champ. – Il m'avait volé, et voulait m'insulter; je le répète, que pouvais-je faire? ma patience était à bout, et j'avais sous la main des armes honorables et légales. – D'ailleurs, c'était après mon dîner, au moment d'une mauvaise digestion, et où il me déplaît fort d'être dérangé. Son ami est à Forli; nous nous rencontrerons à mon retour à Ravenne. Le Hanovrien me paraît encore le plus fripon des deux; et si ma valeur ne se dissipe pas comme celle d'Acre, «-de par la détente d'un pistolet!» s'il arrive que la matinée soit pluvieuse et que mon estomac soit dérangé, il y aura quelque chose à ajouter au catalogue des décès.

»Or, dites-moi, sir Lucien, ne me regardez-vous pas comme un gentilhomme fort maltraité? Je pense que mon officier peut servir de pendant au major Cartwright de M. Hobhouse; «ainsi donc, bonjour je vous souhaite, mon bon monsieur, le lieutenant.» J'écrirai bientôt sur d'autres sujets, mais en ce moment j'ai griffonné des folies jusqu'à n'en pouvoir plus.»

Au mois de septembre, le comte Guiccioli ayant été appelé à Ravenne pour affaires, laissa à Bologne la jeune comtesse et son amant jouir librement de la société l'un de l'autre. Bientôt on pensa que la mauvaise santé de la jeune femme qui avait servi de motif pour la faire rester, exigeait qu'elle partît pour Venise, afin d'y être mieux soignée; et le comte, auquel on écrivit à ce sujet, consentit avec sa complaisance ordinaire à ce qu'elle s'y rendît accompagnée de Lord Byron. Voici ce que dit cette dame dans ses Mémoires. «Quelques affaires ayant appelé le comte Guiccioli à Ravenne, l'état de ma santé m'obligea, au lieu de l'accompagner, à retourner à Venise, et il consentit à ce que je fisse ce voyage avec Lord Byron. Nous quittâmes Bologne le 15 de septembre; nous parcourûmes les collines Euganéennes et Arqua, et écrivîmes nos noms sur le livre qu'on présente à ceux qui font ce pélerinage. Mais je ne veux pas m'appesantir sur ces souvenirs de bonheur; leur contraste avec le présent est trop affreux! Si un esprit bienheureux, au milieu de toute la plénitude de la félicité céleste, était envoyé sur la terre pour en subir toutes les misères, la différence entre le passé et le présent ne pourrait être plus terrible que ce que j'ai éprouvé du moment où ce mot fatal frappa mon oreille, et où je perdis pour jamais l'espoir de revoir celui dont un regard renfermait pour moi tout le bonheur que le monde peut donner. A mon arrivée à Venise, les médecins me conseillèrent d'essayer l'air de la campagne, et Lord Byron ayant une villa à la Mira, me l'abandonna et vint y résider avec moi. Ce fut là que nous passâmes l'automne, et que j'eus le plaisir de faire votre connaissance.»

J'eus, à cette époque, le bonheur de passer cinq ou six jours avec Lord Byron à Venise, pendant une tournée rapide que je fis dans le nord de l'Italie. Je lui avais écrit pour lui annoncer mon arrivée, et lui dire à quel point je serais heureux si je pouvais le décider à m'accompagner à Rome.

Pendant mon séjour à Genève j'eus l'occasion de juger combien les personnes les moins prévenues mettaient d'empressement à accueillir les calomnies répandues contre Lord Byron. Un jour, dans le cours d'une conversation avec un homme estimable et éclairé, feu M. D**, ce dernier raconta avec beaucoup de vivacité, à mon compagnon et à moi, les détails d'un acte de séduction dont Lord Byron venait de se rendre coupable, et qui offrait les traits les plus odieux qu'on puisse attribuer à un complot contre l'innocence. La victime, jeune personne non mariée, appartenait à une des premières familles de Venise, et s'était laissée entraîner par son séducteur à abandonner la maison de son père pour le suivre dans la sienne, dont, après quelques semaines, il eut la barbarie de la mettre à la porte; en vain, dit le narrateur, le supplia-t-elle de lui permettre d'être son esclave, sa servante, en vain implora-t-elle la liberté de se cacher dans quelque coin obscur de la maison, d'où elle pourrait l'apercevoir quand il viendrait à passer, rien ne put fléchir son séducteur, et l'infortunée, dans son désespoir d'un tel abandon, se jeta dans le canal, d'où elle ne fut retirée que pour être enfermée dans une maison de fous. Quoique convaincu de toute l'exagération de cette histoire, ce ne fut qu'à mon arrivée à Venise que je m'assurai qu'elle n'était, d'un bout à l'autre, qu'un roman, et que ce récit si pathétique, qu'on croyait de si bonne foi à Genève, avait été fabriqué d'après les circonstances déjà connues du lecteur de la fantaisie assez étrange, et, disons-le, peu honorable, que Lord Byron avait eue pour la Fornarina.

Après avoir laissé à Milan lord John Russel, que j'avais accompagné d'Angleterre, j'achetai une petite voiture de voyage et me mis tout seul en route pour Venise. Comme mes momens étaient comptés, je ne m'arrêtai que le tems nécessaire pour admirer à la hâte les merveilles qui se présentaient en chemin, et quittant Padoue à midi, le 8 octobre, j'arrivai vers les deux heures à la porte de la maison de mon ami, à la Mira. Il venait de se lever et était au bain; mais le domestique lui ayant annoncé mon arrivée, il me fit dire que si je voulais attendre qu'il s'habillât, il m'accompagnerait à Venise. Je passai cet intervalle à causer avec Fletcher, une de mes anciennes connaissances, et à voir quelques-uns des appartemens de la villa, qu'il me montra.

Lord Byron ne se fit pas long-tems attendre, et le plaisir que j'éprouvai à le revoir après une séparation de tant d'années, ne fut pas médiocrement augmenté en remarquant que le sien était au moins égal au mien, et d'autant plus vif que de telles réunions étaient devenues rares pour lui depuis quelque tems. Il s'abandonna donc à ses sensations avec la cordialité la plus franche. Il est impossible que ceux qui n'ont jamais connu le charme de ses manières, puissent se faire une idée de ce qu'elles étaient lorsqu'il se trouvait sous l'influence d'impressions aussi agréables que celles qu'il éprouvait dans ce moment.

 

Je fus cependant très-frappé du changement qui s'était opéré dans sa personne; il avait pris de l'embonpoint de corps et de figure, et cette dernière surtout n'avait pas gagné à ce changement, ses traits ayant perdu, en grossissant, un peu de cette finesse et de cette expression tout intellectuelle qui le caractérisaient auparavant; les moustaches aussi, qu'il avait adoptées depuis peu de tems, parce que quelqu'un avait dit de lui qu'il avait una faccia di musico, et la longueur de ses cheveux, qui tombaient sur son cou, ainsi que l'air étranger de son habit et de son bonnet, tout cela réuni produisait ce changement qui me frappait alors. Quoi qu'il en soit, il était encore d'une beauté remarquable; et ce que ses traits avaient pu perdre de leur caractère d'exaltation, était remplacé par l'expression maligne et enjouée de cette humeur épicurienne qu'il avait prouvé être au nombre des nombreux attributs que lui avait prodigués la nature, tandis qu'un peu plus de rondeur dans ses contours, rendait encore plus frappante la ressemblance des belles proportions de sa bouche et de son menton avec ceux de l'Apollon du Belvédère.

Son déjeûner, qu'il prenait rarement avant trois ou quatre heures, fut bientôt expédié. Il avait l'habitude de manger tout debout, et ce repas se composait ordinairement d'un ou deux œufs crus et d'une tasse de thé sans sucre ni lait, avec un morceau de biscuit sec. Avant de partir il me présenta à la comtesse Guiccioli, qui, comme mes lecteurs le savent déjà, habitait alors la Mira, et dont le genre de beauté, singulier dans une Italienne (elle avait le teint blanc et délicat), me donna pendant cette courte entrevue une idée de son esprit et de son amabilité, que tout ce que j'ai appris d'elle par la suite n'a fait que confirmer.

Nous partîmes donc, Lord Byron et moi, pour Fusine, dans ma petite voiture milanaise. – Son majestueux gondolier, avec sa riche livrée et ses épaisses moustaches, mit terriblement à l'épreuve sa solidité, qui avait déjà succombé sous mon poids entre Vérone et Vicence. A notre arrivée à Fusine, mon noble ami, par la connaissance qu'il avait des lieux, m'épargna beaucoup d'embarras et de dépenses dans les différens arrangemens relatifs à la douane, etc. Le mouvement qu'il se donna dans son obligeant empressement à expédier toutes ces affaires, me fournit l'occasion de remarquer que son pied infirme avait acquis un degré d'activité que je ne lui avais pas encore vu, excepté dans les combats de coqs.

Pendant que nous traversions la lagune, le soleil venait de se coucher, et c'était une de ces soirées qu'on choisirait dans un roman pour une première vue de Venise «avec son diadême de tours éclatantes» élevé au-dessus des vagues; et pour mettre le comble à l'intérêt solennel d'un tel moment, j'étais avec l'homme qui venait de donner une nouvelle vie à sa gloire, et qui avait célébré cette belle cité dans ces vers pleins de grandeur: J'étais à Venise, sur le pont des Soupirs, etc.

Mais quelles que fussent les émotions que la première vue d'un tel lieu eût pu faire naître en moi dans d'autres circonstances, il est certain que je la contemplai alors dans une disposition d'esprit toute différente de celle qu'on aurait pu me supposer. – L'excessive gaîté de mon compagnon, et les souvenirs fort peu romantiques qui se partageaient notre conversation, avaient mis tout d'un coup en fuite toute espèce d'images poétiques et historiques; et j'ai presque honte de dire que toute notre traversée se passa à rire et à plaisanter presque sans intervalle, jusqu'au moment où nous nous trouvâmes auprès des marches du palais de mon ami, sur le Grand Canal. – Tout ce qui s'était passé de gai et de ridicule pendant notre vie de Londres; – ses escapades et mes sermons, nos aventures avec les bores 111 et les bleus, (d'après lui, les deux plus grands ennemis du bonheur de Londres), nos joyeuses soirées chez Watier, Kinnaird, etc., et ce maudit souper de Rancliffe, qui aurait dû être un dîner, tout cela fut passé rapidement en revue; et il y mit de son côté un abandon et une gaîté, à la contagion desquels des personnes plus graves auraient eu bien de la peine à échapper.

Note 111: (retour) Nom donné à la secte des ennuyeux.

Il avait déjà exprimé sa résolution que je n'irais pas loger dans un hôtel, mais que j'établirais mon quartier-général dans sa maison pendant toute la durée de mon séjour. S'il y eût demeuré lui-même, rien n'aurait pu m'être plus agréable qu'un tel arrangement; mais comme il n'en était pas ainsi, je trouvai plus commode d'aller dans un hôtel. Je le priai donc de me laisser libre de retenir un appartement à la Grande-Bretagne, qui passait pour un hôtel bien tenu; – mais il ne voulut pas en entendre parler, et pour me décider à rester, il me dit que, quoique obligé de retourner à la Mira le soir, il viendrait dîner avec moi tous les jours tant que je resterais à Venise. En tournant le sombre et triste canal, et en nous arrêtant devant cette maison d'un aspect si humide, je sentis renaître dans toute sa force ma prédilection pour la Grande-Bretagne, et je me hasardai de nouveau à lui faire comprendre qu'il s'éviterait un grand embarras en m'y laissant aller. – Non! non! s'écria-t-il, je vois que vous avez peur d'être mal logé ici, mais la maison n'est pas si incommode que vous pensez.

Pendant que je le suivais à tâtons dans un sombre vestibule, il s'écria: «Ne vous approchez pas du chien!» et après que nous eûmes fait quelques pas, il ajouta: «Prenez garde, ce singe va sauter sur vous!» – Preuve assez curieuse de l'attachement qu'il avait conservé pour tous les goûts de sa jeunesse; car ceci s'accorde parfaitement avec la description de la vie qu'il menait à Newstead en 1809, et de l'espèce de ménagerie à travers laquelle ses hôtes étaient forcés de passer en traversant le vestibule. Ayant échappé à tous ces dangers, je le suivis dans l'escalier de l'appartement qu'il me destinait. Pendant tout ce tems, il avait envoyé des domestiques de côté et d'autre; l'un pour me procurer un laquais de place; un autre pour aller chercher M. Alexandre Scott, auquel il voulait me confier; tandis qu'un troisième avait été envoyé chez son secrétaire pour lui dire de venir-«Ainsi donc vous entretenez un secrétaire? lui dis-je. – Oui, répondit-il, un homme qui ne sait pas écrire, mais voilà les noms pompeux qu'on donne à tout dans ce pays.»

Quand nous arrivâmes à la porte de l'appartement, on s'aperçut qu'il était fermé, et probablement depuis long-tems, puisqu'on n'en put trouver la clef. – Cette circonstance, dans mes idées anglaises, réveilla mes craintes sur l'humidité et la tristesse de cette chambre, et je soupirai encore secrètement après la Grande-Bretagne. Impatient de ce retard, mon hôte, en proférant un des jurons familiers à sa bonne humeur, donna un vigoureux coup de pied dans la porte, qui s'ouvrit toute grande. Nous entrâmes alors dans un appartement non-seulement vaste et élégant, mais ayant cet air d'habitation et de commodité aussi rare qu'agréable à l'œil du voyageur. Là il dit, d'une voix dont l'accent était plein de bienveillance et d'hospitalité: «Voici l'appartement que j'habite moi-même et dans lequel je prétends vous établir.»

Il avait ordonné qu'on apportât à dîner de chez le restaurateur; et en attendant son arrivée ainsi que celle de M. Alexandre Scott, qu'il avait invité à se joindre à nous, nous nous tînmes sur le balcon afin que je pusse avoir une idée de la vue que présentait le canal avant que le jour n'eût tout-à-fait disparu. Il m'arriva de remarquer, en regardant les nuages encore radieux à l'ouest, que ce qui me frappait le plus, dans un coucher du soleil d'Italie, c'étaient ces teintes rosées si remarquables. – A peine avais-je prononcé le mot rosées, que Lord Byron, me mettant la main sur la bouche, s'écria en riant: «Allons, de par tous les diables, Tom, ne nous faites pas ici de poésie.» Dans le petit nombre de gondoles qui passaient en ce moment, il s'en trouvait une à quelque distance dans laquelle étaient assis deux messieurs qui paraissaient anglais, et remarquant qu'ils regardaient de notre côté, Lord Byron se croisant les bras, dit d'un ton de fanfaronnade tout-à-fait comique: «Ah! si vous autres John Bulls saviez quels sont ces deux personnages debout sur ce balcon, c'est pour le coup que vous ouvririez de grands yeux.» Je me hasarde à rapporter ces petites choses, quoique n'ignorant pas le parti qu'on en peut tirer contre moi, parce qu'elles me paraissent peindre ces particularités de manières et de caractère autrement impossibles à décrire. Après un dîner fort agréable, et qui fut continuellement animé par les récits, les propos joyeux et le rire de la gaîté, notre illustre hôte prit congé de nous pour s'en retourner à la Mira, tandis que M. Scott et moi allâmes au théâtre voir l'Octavie d'Alfieri.

Les jours suivans se passèrent à peu près de la même manière pendant mon séjour à Venise. Mes matinées étaient consacrées à aller voir, avec M. Scott, d'une manière trop rapide pour en espérer aucun fruit, tous les trésors que renferme cette ville. Les opinions que Lord Byron a si fortement exprimées sur la peinture et la sculpture, paraîtront à bien des gens une hérésie. Cependant, dans ce manque d'une juste appréciation de ces deux arts, il ressemblait aux grands poètes qui l'ont devancé, surtout au Tasse et à Milton, qui avaient pour eux si peu de goût, qu'on ne trouve pas, je crois, dans leurs ouvrages, une seule allusion à ces grands maîtres dans l'art du pinceau et du ciseau, dont ils avaient pourtant vu les chefs d'œuvres. Mais malgré le mépris qu'avait Lord Byron pour ce jargon affecté et imposteur par lequel on outrage le culte des arts, il est facile de voir qu'il sentait vivement, surtout en sculpture, tout ce qui lui présentait l'image de la grâce ou de la force, d'après quelques passages de ses poèmes qui sont dans la mémoire de tout le monde, et où il ne se trouve pas une ligne qui ne soit palpitante d'un sentiment du grand et du beau, qui n'a jamais été compris par un simple connaisseur.

Je dirai à ce sujet qu'un jour, en causant après dîner des différentes collections que j'avais vues le matin, j'observai que, quoique je n'osasse presque jamais louer un tableau dans la crainte de m'attirer le mépris des connaisseurs, cependant je lui avouai à lui que j'en avais vu un à Milan… «C'est l'Agar», interrompit-il vivement, et c'était en effet de ce tableau que j'allais parler, comme ayant éveillé en moi, par la vérité de l'expression, plus d'émotion réelle que tous les chefs-d'œuvres de Venise. – J'éprouvai un mélange de plaisir et d'orgueil en apprenant de mon noble ami qu'il avait été également touché de la douleur mêlée de reproches qui, dans les yeux de cette femme, raconte toute son histoire.

Le lendemain de mon arrivée, Lord Byron nous ayant quittés pour retourner à la Mira, j'acceptai avec empressement l'offre que me fit M Scott de me présenter à la conversazione de deux femmes célèbres que les touristes d'Italie ont fait connaître comme étant à la tête de tout ce qu'il y avait de plus distingué à Venise. Lord Byron s'était en partie borné aux assemblées de Mme A*** pendant le premier hiver qu'il passa à Venise; mais le ton de ces petites réunions étant beaucoup trop érudit pour son goût, il cessa d'y aller, et leur préféra la société de Mme B***, moins savante et dans laquelle on était plus à son aise. Outre le motif que nous venons de présenter, le noble poète en avait encore un autre pour mettre un terme à ses visites à Mme A***. Cette dame, qu'on a quelquefois honorée du nom de la de Staël italienne, avait fait un livre de portraits contenant l'esquisse des caractères les plus remarquables du siècle; et son intention étant d'y faire paraître Lord Byron, elle fit savoir par un tiers à sa seigneurie, qu'il se trouverait un article où l'on avait essayé d'ébaucher son portrait dans une nouvelle édition qu'elle allait publier de son ouvrage. Elle s'attendait sans doute à ce que cette nouvelle exciterait en lui quelque désir de voir cette esquisse; mais il fut assez contrariant pour ne montrer aucun signe de curiosité. – On lui en reparla de nouveau de la même manière, sans plus de succès; si bien que, voyant enfin que ceci ne faisait aucune impression sur lui, Mme A*** en vint à lui faire directement et en son nom l'offre de lire cet article. Il ne put alors se contenir plus long-tems; et avec plus de sincérité que de politesse, il fit répondre à cette dame qu'il n'avait pas la moindre ambition de paraître dans son ouvrage; que, d'après la réserve de leur liaison et son peu de durée, il était impossible qu'elle fût en état de faire son portrait; et qu'enfin elle ne pouvait lui rendre un plus grand service que de le jeter au feu.

 

Je ne sais si l'hommage repoussé avec si peu de cérémonie par Lord Byron, lui tomba jamais sous les yeux; mais je ne puis croire qu'il n'ait pas éprouvé un léger remords d'avoir ainsi repoussé un portrait dicté par un sentiment bien éloigné de lui être défavorable, et qui, bien qu'il y eût de l'afféterie dans les expressions, avait saisi quelques-uns des traits les moins apparens de son caractère, comme, par exemple, cette défiance de lui-même, si rare dans l'homme qui avait parcouru une telle carrière. Les vers suivans étaient cités dans ce portrait:

 
«Toi dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie.»
 
LAMARTINE.

Il y aurait de la frivolité à s'appesantir sur la seule beauté d'une figure qui portait, d'une manière si évidente, l'empreinte d'un esprit extraordinaire. Mais quelle sérénité sur ce front orné des plus beaux cheveux châtains, et dont les boucles légères étaient disposées avec un art qui se cachait sous l'imitation de ce que la nature a de plus agréable! Quelle expression mobile dans ses yeux, de la couleur azurée du ciel, dont ils semblaient tirer leur origine! Ses dents, pour la forme, l'éclat et la transparence, ressemblaient à des perles; mais ses joues n'étaient colorées que des plus faibles teintes de la rose. Son cou, qu'il laissait découvert, autant que le lui permettaient les usages de la société, était de la plus belle forme et de la plus grande blancheur. Ses mains étaient aussi belles que si elles eussent été un ouvrage de l'art. Sa taille ne laissait rien à désirer, surtout à ceux qui regardent plutôt comme une grâce que comme un défaut un léger balancement du corps, dont on s'apercevait quand il entrait quelque part, sans presque songer à en demander la cause; cette cause elle-même était presque imperceptible, à cause de la longueur des habits qu'il portait. Or ne l'a jamais vu se promener dans les rues de Venise, ni le long des bords agréables de la Brenta, où il passait quelques semaines de l'été. Il y a même des gens qui prétendent qu'il n'avait jamais vu que d'une croisée les merveilles de la Piazza di San Marco, tant était puissant en lui le désir de ne se montrer difforme dans aucune partie de sa personne. Je crois cependant qu'il a souvent contemplé ses beautés, mais à cette heure solitaire de la nuit où les magnifiques édifices qui l'entouraient, éclairés par la douce clarté de la lune, paraissaient mille fois plus intéressans.

Sa figure, qui offrait le calme de l'océan par une belle matinée de printems, devenait en un moment orageuse et terrible comme lui, si un mouvement de colère, que dis-je? si un mot, une pensée même, venait troubler la paix de son esprit. Ses yeux perdaient toute leur douceur, et étincelaient d'une telle manière, qu'il était difficile de soutenir ses regards. On pouvait à peine croire à un changement si rapide; mais il n'était pas possible de se dissimuler que son caractère était naturellement fougueux.

Ce qui l'enchantait un jour l'ennuyait le lendemain, et lorsqu'il paraissait fidèle à suivre une habitude, cela provenait seulement de l'indifférence, pour ne pas dire du mépris, qu'il avait pour toutes, de quelque genre qu'elles fussent; car elles ne lui paraissaient pas mériter d'occuper ses pensées. Son cœur était d'une extrême sensibilité, et se laissait dominer avec une facilité extraordinaire par tout ce qui le touchait; mais son imagination l'égarait et gâtait tout. Il croyait aux présages, et se rappelait avec plaisir qu'il avait cela de commun avec Napoléon. Il paraît que son éducation morale avait été aussi négligée que son éducation intellectuelle avait été soignée, et qu'il ne connaissait aucune contrainte qui pût l'empêcher de se livrer à ses penchans. Qui pourrait croire, avec cela, qu'il était d'une timidité constante et presque enfantine, timidité dont les preuves étaient si évidentes, qu'on ne pouvait en contester l'existence, quelque difficile qu'il parût d'attribuer à Lord Byron un sentiment de modestie. Convaincu qu'en quelque lieu qu'il parût, tous les yeux étaient fixés sur lui, et que toutes les bouches, celles des femmes surtout, s'ouvraient pour dire: «Le voilà! c'est là Lord Byron!» il se trouvait nécessairement dans la situation d'un acteur obligé de soutenir un rôle et de se rendre compte à lui-même, car pour les autres il ne s'en embarrassait guère, de chacune de ses paroles et de ses actions. Cette pensée lui occasionnait un malaise qui était visible pour tout le monde.

Il remarqua, au sujet des événemens qui, en 1814, faisaient le sujet de toutes les conversations, que le monde ne valait ni la peine qu'il fallait pour le conquérir, ni le regret qu'on éprouvait de le perdre. Ce mot, si un mot peut se comparer à de grandes actions, prouverait presque que les pensées et les sentimens de Lord Byron étaient plus vastes et plus extraordinaires que ceux de l'homme dont il parlait...... ...............................

Ses exercices gymnastiques étaient quelquefois violens; quelquefois ils se réduisaient à rien. Son corps, comme son esprit, se pliait facilement à tous ses goûts. Pendant tout un hiver, il sortit tous les matins, seul, pour se transporter dans l'île des Arméniens (petite île située au milieu d'un lac tranquille, à environ un mille de Venise), afin d'y jouir de la société de ces moines savans et hospitaliers, et d'y étudier leur langue difficile; et le soir, reprenant encore sa gondole, il allait passer une couple d'heures seulement en société. Le second hiver, toutes les fois que les eaux du lac étaient violemment agitées, on le remarquait le traversant, et débarquant sur le point le plus proche de la terre ferme. Il fatiguait deux chevaux au moins avant de s'en retourner.

Personne ne lui a jamais entendu prononcer un mot de français, quoiqu'il fût parfaitement versé dans cette langue; mais il détestait la nation et sa littérature moderne. Il avait le même mépris pour celle de l'Italie, et disait qu'elle ne possédait qu'un auteur vivant, opinion que je ne sais si je dois appeler ridicule, fausse ou injurieuse. Sa voix avait assez de douceur et de flexibilité; il parlait avec beaucoup de suavité, quand il n'était pas contredit; mais il préférait s'adresser à son voisin qu'à la compagnie en général.

Peu de nourriture lui suffisait, et il préférait le poisson à la viande, par cette raison bizarre que cette dernière, disait-il, portait à la férocité. Il n'aimait pas à voir les femmes manger, et il faut chercher la cause de cette antipathie extraordinaire dans la crainte de voir déranger l'idée qu'il aimait à se créer de leur perfection et de leur nature presque divine. S'étant toujours laissé gouverner par elles, on pourrait croire que son amour-propre s'était plu à se réfugier dans la pensée de leur excellence, sentiment qu'il trouvait moyen d'allier (Dieu sait comment) au mépris, mêlé d'une espèce de satisfaction, avec lequel il ne tardait pas à les regarder. Mais les contradictions ne doivent pas nous étonner dans des caractères semblables à celui de Lord Byron, et d'ailleurs, qui ne sait que l'esclave déteste celui qui le gouverne?..................

Lord Byron n'aimait pas ses compatriotes, par le seul motif qu'il savait que ses mœurs en étaient méprisées. Les Anglais, observateurs rigides eux-mêmes des devoirs domestiques, ne pouvaient lui pardonner d'avoir négligé les siens et de fouler aux pieds tous les principes. C'est pourquoi, s'il n'aimait à leur être présenté, eux-mêmes ne se souciaient pas beaucoup non plus de cultiver sa connaissance, surtout s'ils avaient leurs femmes avec eux. Cependant tous éprouvaient un vif désir de le voir, et les femmes en particulier, qui, n'osant le regarder qu'à la dérobée, disaient à demi-voix: «Quel dommage!» Si pourtant quelqu'un de ses compatriotes d'un rang élevé et d'une haute réputation s'avançait vers lui avec politesse, il en était évidemment flatté, et secrètement charmé de sa société. Des attentions de ce genre semblaient être, pour la blessure qui restait toujours ouverte dans son cœur ulcéré, comme des gouttes d'un baume bienfaisant et consolateur.