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Anatole, Vol. 1

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CHAPITRE XXI

A dater de ce jour, madame de Saverny perdit de son goût pour la retraite, et en prit un très-vif pour la promenade et les spectacles; il est vrai qu'un hasard assez explicable l'y fesait rencontrer souvent Anatole, placé presque toujours dans l'endroit le plus obscur de la salle, aux loges du rez-de-chaussée; il était plutôt deviné qu'aperçu par Valentine, à qui la moindre lueur suffisait pour lire sur les traits d'Anatole tout ce qui se passait dans son cœur. Une certaine retenue l'engageait parfois à fuir ses regards; mais alors un attrait irrésistible semblait triompher de sa volonté, et ses yeux revenaient d'eux-mêmes puiser dans ceux d'Anatole le feu qui les animait.



Depuis que madame de Nangis affectait de s'éloigner de Valentine, madame de Réthel s'en rapprochait. Une grande conformité de principes et de goût rendait chaque jour leur liaison plus intime. Le commandeur s'en réjouissait, car c'était son ouvrage. En effet, révolté de l'abandon où madame de Nangis laissait sa belle-sœur, il avait conçu l'idée d'engager sa nièce à la suivre quelquefois dans le monde, où la réputation d'une jeune femme dépend si souvent de celle qui l'accompagne: madame de Réthel, flattée de cette préférence, se prêtait de bonne grace aux desirs que témoignait Valentine, et trouvait tout simple qu'ayant été élevée à la campagne, elle voulût un peu s'amuser des plaisirs de Paris. Madame de Nangis voyait naître cette intimité avec satisfaction; car elle connaissait l'antipathie de M. d'Émerange pour madame de Réthel, et elle espérait que tous les charmes de Valentine ne le détermineraient pas à braver le mal-aise qu'il éprouvait toujours en présence de madame de Réthel. Pendant quelque temps cette supposition se trouva juste; mais le chevalier se lassa bientôt d'un éloignement si contraire à ses projets. On le vit redoubler d'assiduités auprès de madame de Saverny, en dépit de tout ce qu'elle tentait pour s'y soustraire. Il imagina un moyen de la contraindre à recevoir ses soins, en confiant sous le secret, au comte de Nangis, le dessein qu'il avait de lui demander la main de sa sœur, aussitôt que la mort d'un vieil oncle le rendrait héritier d'un grand titre et d'une fortune considérable. M. de Nangis savait que les espérances du chevalier étaient bien fondées; et de plus que cet oncle, attaqué d'une maladie grave, ne pouvait prolonger long-temps l'impatience de son neveu. L'idée de ce mariage enchantait la vanité de M. de Nangis, et il ne doutait pas que sa sœur n'en fût aussi flattée que lui; il voyait d'avance dans son futur beau-frère, un homme dont l'esprit et la fortune obtiendraient bientôt le plus grand crédit à la cour; et l'on sait qu'aux yeux de M. de Nangis, avoir du crédit, c'était posséder toutes les qualités humaines.



D'après l'effet d'un sentiment délicat, que le chevalier sut bien faire valoir, il prévint le comte que rien ne l'engagerait à se déclarer à madame de Saverny, avant l'événement qui devait le mettre à portée de lui offrir une fortune digne d'elle. Cette réserve fut très-approuvée; et M. de Nangis promit de récompenser tant de délicatesse, en donnant au chevalier les occasions les plus fréquentes de témoigner à Valentine le desir qu'il avait de lui plaire. C'est par suite de cette convention que M. d'Émerange se fesait conduire par le comte, dans tous les lieux où il savait rencontrer madame de Saverny, et qu'il s'assurait l'accueil que l'on ne peut refuser à un ami de sa famille. On présume bien que le chevalier avait fait promettre avant tout à M. de Nangis, de ne point mettre la comtesse dans la confidence, sous le prétexte assez plausible qu'elle n'en saurait pas garder le secret à sa belle-sœur. Mais l'habitude que M. de Nangis avait de traiter sa femme à-peu-près comme un enfant, rendait la recommandation inutile.



Valentine, loin de deviner ce qui se passait entre eux, se demandait souvent comment la gravité de son frère pouvait s'arranger de la conversation d'un ami aussi léger; mais elle s'en étonnait moins en pensant à l'extrême facilité de M. d'Émerange, à prendre le ton qui convenait le mieux aux gens qu'il avait intérêt de captiver, et cette réflexion lui fesait craindre de voir cette amitié durer beaucoup trop long-temps pour le repos de toute sa famille. Le sien en fut le premier troublé, car à la suite d'une soirée que le chevalier avait passée dans la loge de madame de Saverny, voici le billet qu'elle reçut:



Anatole a Valentine.



«Serait-il possible que l'être le plus parfait se fût laissé séduire par les agréments frivoles d'un homme incapable d'aimer; tant de beauté, de qualités célestes, deviendraient le partage d'un cœur égoïste? et celui que le plus pur amour anime, n'obtiendrait pas même un souvenir! Non, sur ce fait, je n'en croirai que vous; s'il est vrai que l'insensibilité, l'ironie, enfin toutes les vertus d'un fat, aient le don de vous plaire, je ne dois plus rien adorer au monde, et vous me verrez fuir désespéré, comme le malheureux dont un profane vient de renverser l'idole.»



Le ton de ce billet offensa Valentine, et, sans pitié pour le sentiment qu'il exprimait, elle ne vit que l'injustice de vouloir dicter des lois sans s'exposer à en recevoir.



Puisqu'un obstacle que j'ignore, pensa-t-elle, doit me priver éternellement du plaisir de le voir, de quel droit m'imposerait-il le sacrifice des soins qu'un autre peut m'offrir? Certes, je n'encourage pas ceux du chevalier, et ne cache pas même assez à quel point je les redoute; mais si des motifs qui me sont personnels m'engagent à détruire ses espérances, je n'en veux recevoir l'ordre de personne. C'est ainsi que la fierté de Valentine s'indignait de l'empire qu'Anatole se croyait déja sur elle. Tant de despotisme lui semblait autorisé par la faiblesse qu'elle avait eue de recevoir ses lettres après l'aveu qu'il avait osé lui faire, elle se reprochait même d'avoir répondu à la première, et plus encore, de s'être laissée tromper par l'apparence de cette respectueuse soumission qui paraissait devoir la rassurer sur tous les sentiments d'Anatole. Cependant elle aurait bien voulu accorder les intérêts de son cœur et ceux de sa dignité; mais son imagination chercha vainement un moyen d'instruire Anatole de l'indifférence que lui inspiraient tous les agréments du chevalier, sans qu'elle fût obligée de se justifier elle-même du tort de le trouver aimable.



Une visite du commandeur vint très-à-propos la tirer de cet embarras. Il s'aperçut bientôt du ressentiment qu'elle tâchait de dissimuler, et sans en demander la cause, il s'amusa à la deviner; il parla d'abord des folies de madame de Nangis, comme d'un sujet très-propre à donner de l'humeur; mais Valentine se mit à excuser la comtesse avec tant de douceur et d'indulgence, que le commandeur se dit: Non, ce n'est pas cela: et il passa au chevalier d'Émerange. Valentine ne laissa point échapper cette occasion de lui avouer combien elle était contrariée du bruit qui se répandait dans le monde sur son prétendu mariage avec le chevalier; elle entra dans tous les détails qui devaient le mieux convaincre M. de Saint-Albert, du peu de succès du chevalier auprès d'elle, et comme elle en parlait naturellement et sans dépit, le commandeur se dit: Ce n'est pas encore cela. Après avoir tenté aussi inutilement plusieurs autres épreuves, il pria Valentine de lui montrer ce fameux jasmin dont madame de Réthel raffolait, et qu'elle prétendait être plus beau que celui de la princesse de L… – Je suis charmée qu'il lui plaise autant, répondit Valentine, avec un empressement extraordinaire, je vais le faire porter chez elle. En disant ces mots, elle sonna pour en donner l'ordre, et mit tant de vivacité dans ce mouvement, que le commandeur soupçonna qu'il était l'effet d'une résolution pénible; il assura que madame de Réthel ne consentirait jamais à causer tant de chagrin à celui qui lui avait offert ce bel arbuste. – Vraiment, reprit Valentine, en affectant un air gai que l'inflexion de sa voix démentait; en le donnant, je ne fais d'injure à personne, car j'ignore à qui je le dois. – Et moi, je le sais, répliqua le commandeur; et c'est au nom de l'amitié que je vous prie de le conserver. Ma nièce saura l'aimable intention que vous aviez de lui faire ce joli présent; un autre l'apprendra peut-être aussi, cela doit suffire à votre vengeance. En finissant ces mots, M. de Saint-Albert quitta madame de Saverny, et la laissa confondue de se voir ainsi devinée; mais il rit en lui-même du succès de sa petite ruse. En se rappelant les soins de Valentine à lui prouver qu'elle n'aimait point le chevalier, son agitation au premier mot qu'il lui avait adressé sur un sujet relatif à Anatole, et le dépit qu'elle avait montré en sacrifiant un présent qu'elle croyait tenir de lui, il présuma que quelques reproches dictés par la jalousie avaient excité cette grande colère; et il se dit: Pour le coup, c'est cela.



CHAPITRE XXII

On était à la veille du jour de l'an, de ce jour où tout se fait par étiquette, même une visite à son ami. On voyait les boutiques de Paris remplies de gens qui, par économie ou par avarice, marchandaient avec acharnement des objets de fantaisie, achetés à regret, pour être quelquefois offerts et reçus sans plaisir. Chacun se tourmentait pour deviner comment il pourrait satisfaire à bon marché le caprice d'une parente ou d'une amie; après avoir rêvé aussi sérieusement à ce grand intérêt, que s'il s'agissait de tous ceux de l'Europe, le jour solennel arrivait et rien n'était décidé; alors on se détermine à payer, deux fois sa valeur, la première chose venue, pour s'acquitter à temps d'un impôt d'autant plus exactement perçu, qu'il est mis sur l'amour-propre.



Madame de Nangis, placée auprès d'une table couverte de bonbons, de joujoux, recevait de l'air le plus gracieux la foule de courtisans qui venaient lui apporter leurs offrandes. Le plus ingénieux dans le choix de ses étrennes avait l'honneur de les voir passer à la ronde, et d'entendre toutes les femmes se récrier sur son bon goût; l'objet de cette admiration n'était souvent que de la moindre valeur: car, en ce genre, le

génie

 de la nouveauté est tout, et l'on remarquait de vieux parents fort déconcertés de voir leurs solides cadeaux reçus avec indifférence, tandis qu'un almanach ou un pantin excitait la reconnaissance la plus vive. Le comte de Nangis éprouva ce désagrément dans toute sa rigueur; il avait imaginé de donner à sa femme une boîte à ouvrage la plus riche et la plus complète; c'était à-peu-près le seul bijou qu'elle n'eut pas, et le comte était ravi d'en avoir fait la découverte; mais madame de Nangis l'eut à peine remercié de son présent, qu'elle dit à ses amies: – Que vais-je faire de cette boîte à ouvrage, moi qui ne travaille jamais! – Vous me la donnerez, dit la petite Isaure, qui entrait dans ce moment suivie de sa gouvernante anglaise, dont l'air capable et sévère annonçait quelque chose de solennel. En effet, elle réclama quelques instants de silence pour qu'Isaure pût faire entendre le compliment qu'elle devait adresser à sa mère. La pauvre enfant, plus tremblante qu'un criminel que l'on va juger, se plaça au milieu d'un grand cercle, et les yeux fixés à terre, elle balbutia quelques mots d'anglais qu'elle avait appris sans les comprendre, et qui furent applaudis sans être entendus. On s'extasia sur la facilité des enfants à apprendre les langues étrangères; et la petite Isaure fut bien récompensée de l'effort qu'elle venait de faire, en parlant pour la première fois en public, par la quantité d'étrennes qu'elle reçut de toutes parts.

 



Celles de sa tante furent les mieux accueillies, et l'on doit ajouter à la gloire d'Isaure, qu'elle les avait bien méritées. On se rappelle qu'elles devaient être le prix de sa discrétion. Pour l'éprouver davantage, la marquise avait commandé au peintre qui venait d'achever son portrait, de commencer celui d'Isaure. Elle se proposait de l'offrir à la comtesse, mais, pour que la surprise fût complète, il fallait obtenir d'Isaure qu'elle en gardât le secret. C'était beaucoup pour une petite fille accoutumée à raconter tout ce qu'elle voyait ou entendait dans la journée. Cependant le desir de plaire à sa tante, de mériter ce qu'elle lui avait promis, et cette petite vanité qui porte les enfants de tout âge à chercher les moyens de triompher d'une difficulté que l'on paraît croire au-dessus de leurs forces, donnèrent à Isaure le courage de tenir sa parole, elle se trouva bien heureuse de ce premier avantage remporté sur son caractère, quand elle vit la joie de sa mère, en reconnaissant les traits de son enfant sur les simples tablettes que lui offrait Valentine. Crainte, soupçons, chagrins, ressentiment, tout disparut devant cette douce image; le cœur ému triompha de l'amour-propre égaré; et la comtesse, les yeux remplis de larmes, vint se jeter dans les bras de sa belle-sœur. Elles ne se dirent pas un mot; mais l'expression de leurs visages ne laissa pas le moindre doute sur la sincérité de leur réconciliation. Un petit nombre de personnes en fut attendri, les autres s'en consolèrent, en disant: Cela ne durera pas long-temps: et le ciel, qui exauce parfois le vœu des méchants, accomplit cette prédiction.



Après avoir vanté la ressemblance du portrait d'Isaure, on discuta celle du portrait de la marquise; les femmes le trouvaient trop flatté, et les hommes, beaucoup moins joli qu'elle. Le chevalier d'Émerange en paraissait plus mécontent qu'un autre; il y voyait mille défauts: et le plus grand, c'était, disait-il en confidence à Valentine, cet air sensible, ce regard presque tendre, et ce sourire enchanteur que l'artiste a pris sur lui de vous donner. Non, ajoutait-il, plus je le regarde, et moins je vois de rapport entre cette femme et vous. Ce visage offre l'image parfaite d'une personne qui ne saurait vivre sans aimer, et vous savez qu'avec le vôtre on se contente de plaire. A cette première injure le chevalier en ajouta d'autres sur la froideur, l'insensibilité de Valentine: il finit par conclure que le bonheur d'être admirée remplirait tous les instants de sa vie, et qu'elle était condamnée à ignorer toujours les plaisirs de la tendresse. Il prononça cette sentence avec l'accent de pitié que l'on prend ordinairement en parlant d'une maladie incurable, qui ne permet plus de rien attendre du malheureux qui en est atteint.



Cette manière de la juger déplut à Valentine; elle n'avait nulle envie de détromper le chevalier, en lui témoignant plus d'affection, mais elle était blessée de l'idée qu'il n'attribuât son indifférence qu'à la sécheresse de son cœur; et cela, dans le moment même où ce cœur était si douloureusement affecté d'un sentiment tendre! Cette réflexion la rendit à toutes les pensées tristes dont la réconciliation sincère de sa belle-sœur l'avait distraite un instant. Elle en parut absorbée. Le chevalier et madame de Réthel le remarquèrent, l'un s'en réjouit; l'autre tâcha de dissiper la tristesse dont elle ignorait la cause. Dans cette espérance, madame de Réthel proposa à la marquise de profiter de l'heure qui leur restait encore avant le souper, pour aller voir le ballet nouveau. Mais Valentine refusa obstinément. La crainte de revoir Anatole sans pouvoir lui témoigner le ressentiment quelle éprouvait; la crainte, mieux fondée encore, de trahir sa faiblesse par quelque regard trop indulgent; et puis cette petite férocité amoureuse qui fait jouir de l'idée que le coupable se désole peut-être en nous attendant vainement; tout se réunit pour décider Valentine à fuir Anatole. Elle se promit de ne pas répondre à sa dernière lettre, de n'en plus recevoir de lui, et de rassembler toutes les forces de sa raison et de son esprit pour détruire l'impression qu'il avait faite sur son cœur: elle alla jusqu'à s'accuser de folie, en pensant qu'elle avait pu se flatter un instant de trouver quelque bonheur à captiver les sentiments d'un homme qui devait lui rester éternellement inconnu. Elle se reprocha de lui avoir donné le droit de la croire une femme légère, et finit par le justifier à ses dépens. Que résulta-t-il de tant de beaux raisonnements, de tant de sages résolutions? vous l'avez déja deviné, vous dont l'amour a tourmenté ou embelli la vie.



CHAPITRE XXIII

Valentine ne pouvant surmonter la tristesse qui l'accablait, prit le parti de se retirer d'assez bonne heure, malgré les instances que firent le commandeur et sa nièce pour l'engager à entendre deux scènes d'une tragédie nouvelle que l'auteur avait promis de lire après souper. Mais, pour être digne d'une semblable confidence, il faut avoir l'esprit libre et paraître tout occupé de ce grand intérêt. En pareil cas, la moindre distraction est un crime; et la marquise se méfiait trop de son attention pour s'exposer au ressentiment d'un auteur tragique.



Elle venait de rentrer dans son appartement, et mademoiselle Cécile commençait déja à la déshabiller, lorsqu'un joli petit chien, de race anglaise, vint sauter après elle, et lui faire mille caresses. Elle demanda comment il se trouvait là. Mademoiselle Cécile répondit d'un air fort naturel, qu'ayant entendu aboyer près de la petite porte du jardin, la curiosité l'y avait conduite. «C'est-là, ajouta-t-elle, que j'ai trouvé ce joli chien, qui a probablement perdu son maître en entrant dans le jardin, pendant que le jardinier en avait laissé la porte ouverte. J'ai d'abord regardé dans la rue si quelqu'un le cherchait; mais n'ayant vu personne, et la nuit commençant à venir, je n'ai pas voulu exposer un si joli petit animal à être volé par quelques passants qui le maltraiteraient peut-être. J'ai pensé que madame voudrait bien le garder jusqu'au moment où son maître le réclamerait». – La marquise approuva l'action charitable de mademoiselle Cécile, et témoigna le desir de garder le chien, qu'elle trouvait charmant, et qui semblait déja s'attacher à elle. Mais sa conscience ne lui permettait pas de se l'approprier avant d'avoir fait toutes les démarches qui devaient le rendre à son véritable maître. Un collier d'or qu'elle aperçut à son cou lui parut devoir être un indice certain pour apprendre à qui il appartenait; elle dit à mademoiselle Cécile d'approcher un flambeau, et prenant le chien sur ses genoux: Je ne me trompe point, dit-elle, il y a quelque chose de gravé sur son collier, c'est sûrement l'adresse de son maître. – Je ne le crois pas, reprit mademoiselle Cécile, en s'efforçant de cacher un sourire malin. – Cependant voici bien… Ici la marquise se tut… et la plus vive surprise éclata dans ses yeux. Mademoiselle Cécile n'eut pas l'air d'y faire attention, et se contenta de dire: «Puisque le collier ne dit rien, nous pouvons garder le chien sans scrupule.» Cette réflexion tira Valentine de la rêverie où elle était tombée. Elle se leva pour achever de se déshabiller; et lorsque mademoiselle Cécile voulut emmener le chien avec elle, la marquise lui donna l'ordre de le laisser coucher sur un des coussins de son cabinet.



On veut savoir quels sont les caractères magiques qui ont causé l'étonnement de Valentine et la douce émotion qui lui avait succédé. On s'attend peut-être à quelques-unes de ces devises ingénieuses qui sont les talismans ordinaires de l'amour, ou bien à ces emblèmes de fidélité qu'on ne manque jamais de trouver sur le collier du chien d'une coquette; mais rien d'aussi spirituel n'avait frappé les yeux de Valentine; et ce simple mot

pardon

, avait causé tout le trouble de son ame. Que de choses ce mot disait à Valentine! Pouvait-elle méconnaître la main qui l'avait tracé, et ne pas deviner que la crainte de voir renvoyer sa lettre n'eût engagé le coupable à se servir d'un autre interprète! Ce seul mot lui apprenait que le commandeur l'avait trahie, que son ressentiment était connu, et qu'on voulait l'appaiser. En fallait-il davantage pour livrer son cœur aux plus douces conjectures?



Dès ce moment

Love

 devint le favori de Valentine et le meilleur ami d'Isaure, qui s'étonna beaucoup de lui voir caresser M. de Saint-Albert la première fois qu'il vint chez sa tante, comme s'il avait revu une ancienne connaissance. Ce nom de

Love

 avait remplacé le mot gravé sur le collier, et semblait y répondre. Cependant Valentine persistait dans la résolution de laisser ignorer sa clémence; elle craignait qu'un premier tort aussi facilement pardonné ne fût suivi d'un tort moins excusable, et quelque chose l'avertissait que, sa faiblesse une fois connue, elle perdrait pour toujours son indépendance. Ce raisonnement soutint quelque temps son courage; mais il succomba bientôt à l'ennui d'une existence que rien n'animait plus à ses yeux. Le plus grand des inconvénients de l'amour n'est pas dans les peines qu'il cause, mais dans l'habitude de ces mêmes agitations dont le cœur ne peut plus se passer. Ces longues journées, passées sans l'espérance de recevoir une lettre ou de rencontrer un regard d'Anatole, paraissaient à Valentine une éternité à franchir. Elle essayait en vain d'accélérer les heures, en les consacrant aux occupations qui l'amusaient autrefois; une distraction vague, une tristesse sans objet, la rendaient incapable d'aucune application. Elle s'étonnait de voir tant de gens s'agiter pour des intérêts médiocres, quand les plus importants n'excitaient que son indifférence; enfin, son ame était livrée à cette morne langueur qui succède aux agitations de l'amour, et qui les fait regretter. Dans cet état pénible, on voit souvent la femme la plus sage desirer d'en sortir, même au prix d'un malheur; et l'on peut mettre les fautes qui en résultent au nombre de celles que le besoin de vivre fait commettre.



Un matin que Valentine ne se trouvait point disposée à recevoir des visites, elle forma le projet de mener Isaure à l'abbaye de Saint-Denis, qu'elle n'avait jamais vue. Isaure crut que c'était pour la récompenser de son application à apprendre l'histoire de France, et elle se promit d'étonner sa tante par son érudition. Alors il se fit dans sa petite tête un bouleversement de noms et de dates que le plus savant n'aurait pu démêler. Comme on ne lui avait pas demandé le secret sur cette visite, elle alla dire à toute la maison combien elle se réjouissait de passer la matinée à voir des tombeaux; et c'est en sautant de joie, qu'elle monta dans la voiture qui devait la conduire à cet asyle de la mort.



L'aspect d'un lieu aussi imposant modéra bientôt cette vive gaîté, qui fit place au respect religieux qu'imprime à tous les âges la vue d'un temple révéré. Le silence, habitant de ces voûtes gothiques, semble inviter l'enfant qui les parcourt, comme le vieillard qui vient y prier, à n'en point troubler le repos. Une sainte terreur s'empara de l'ame de Valentine, lorsqu'elle se vit, pour ainsi dire, seule entre ces trois puissances, la divinité, les grandeurs, et la mort. C'est donc ici, pensa-t-elle, que viennent se briser les sceptres de nos rois! Celui dont l'ambition ensanglanta la terre repose à côté du héros qui mourut pour son pays, et le même caveau renferme l'auteur de la Saint-Barthelemi, et la victime du fanatisme. Ici pour le crime et pour la vertu les honneurs sont égaux; le rang seul les assigne; mais toute la pompe des monuments élevés à la tyrannie ne diffère pas de l'horreur qu'inspire le souvenir de ses cruautés. On s'éloigne en frémissant du superbe tombeau de Catherine de Médicis, pour venir tomber aux pieds de celui de Henri IV, et l'arroser des larmes du regret et de la reconnaissance.

 



Le suisse de l'abbaye vint interrompre les méditations de Valentine, en lui débitant du ton le plus emphatique et le plus monotone, les noms et les titres des princes qui étaient inhumés dans les différentes chapelles. Après lui avoir fait passer en revue les tombeaux de nos Rois, depuis la première jusqu'à la dernière race, il la conduisit dans la chapelle particulière où se trouvait le beau mausolée de cet infortuné duc d'Orléans, assassiné par le duc de Bourgogne, et si vivement regretté par cette femme adorable dont il avait souvent trahi l'amour. En considérant les traits nobles et doux d'une statue en marbre, aux pieds de laquelle on voyait un arrosoir penché et versant de l'eau en forme de larmes, la marquise reconnut bientôt l'intéressant auteur de cette devise: «

Rien ne m'est plus; plus ne m'est rien.

» Émue par le souvenir des malheurs de Valentine de Milan, elle ne put supporter l'idée d'en entendre le récit de la bouche de l'homme qui l'accompagnait, et elle se mit à raconter elle-même à sa nièce, comment cette vertueuse princesse avait succombé à la douleur de n'avoir pu venger la mort de son époux. Isaure demanda alors ingénuement, si elle n'aurait pas mieux fait de pardonner. – En effet, reprit la marquise, c'eût été plus digne d'elle et plus heureux pour ses enfants, qui l'auraient peut-être perdue moins jeune; car le plaisir de faire grace doit faire vivre plus long-temps que celui de se venger; mais on n'a pas le droit de lui reprocher un tort qui lui coûta la vie, et que tant de bonnes actions rachetèrent.



En cet instant, le démonstrateur un peu piqué de voir madame de Saverny empiéter sur ses droits, se retira vers la grille de la chapelle; et la marquise profita de ce moment de liberté pour examiner à son aise le monument érigé à la mémoire des vertus et du malheur. On ne peut réfléchir sur la destinée d'un être innocent et constamment malheureux, sans éprouver le besoin d'espérer en cette justice céleste, qui doit un jour tout punir et tout récompenser. De cette consolante idée, découlent tous les sentiments religieux, et cette noble résignation de l'ame qui fait regarder les tourments de la vie comme autant de gages d'une éternelle félicité. L'aspect d'une victime de l'amour et du sort ranima ces pensées dans l'esprit de Valentine; animée d'une piété touchante, elle se prosterna sur les marches d'un autel qui se trouvait en face du tombeau, et là, pénétrée d'un saint respect, elle pria le Ciel de lui épargner les tourments d'un amour malheureux, ou de lui inspirer la vertu qui les surmonte.



En implorant la bonté divine sur sa destinée, Valentine éprouva l'attendrissement qui naît du souvenir de ses peines, et de l'espérance de les voir calmées. Son visage, embelli par la prière, se couvrit de douces larmes. Elle voulut les cacher à Isaure, et se servit, pour les essuyer, d'un voile de mousseline qui flottait sur ses épaules; puis se retournant, elle aperçut Isaure, agenouillée à ses côtés, et redisant sa prière du matin; ne voulant pas la troubler dans cet acte de piété, la marquise ne fit aucun mouvement, et fixa seulement les yeux sur le piédestal qui supportait la statue de Valentine de Milan. Mais elle crut s'abuser, lorsqu'elle vit au bas de la devise incrustée dans le marbre, ces mots tracés au crayon: «

Elle aussi n'a jamais pardonné.

» Persuadée qu'elle était frappée d'une vision, Valentine se lève brusquement pour s'en convaincre; ce mouvement précipité fait tomber son voile; une main s'avance pour le ramasser, et c'est à travers les colonnes et les ornements gothiques du monument funèbre, que Valentine aperçoit Anatole. Il serre sur son cœur le voile encore humide des larmes qu'elle vient de verser en pensant à lui. L'expression de son visage, son attitude suppliante, semblent la conjure

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