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Anatole, Vol. 1

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CHAPITRE XVII

Mademoiselle Cécile avait si bien exagéré l'indisposition de sa maîtresse, qu'aussitôt après le dîner, madame de Nangis, suivie de tous ses convives, arriva chez la marquise, pour s'informer des nouvelles de la malade, et lui tenir compagnie. Ce projet dérangeait beaucoup celui que Valentine avait formé de passer la soirée toute seule; mais elle n'en témoigna point d'humeur. En entrant, le docteur s'écria: «Vraiment, je ne m'étonne pas qu'on ait la migraine dans une chambre ainsi parfumée de fleurs!» Et sans attendre de réponse, il donna l'ordre à un laquais de sortir tous les vases de fleurs qui se trouvaient dans l'appartement; madame de Nangis, accoutumée à ce despotisme doctoral, ne s'y opposa point. Mais Valentine demanda grace pour son jasmin d'Espagne, dont le parfum était trop doux, à ce qu'elle assurait, pour l'incommoder. Cette exception lui valut bien des commentaires sur l'envoi du jasmin, jusqu'au moment où chacun s'accorda pour le mettre sur le compte de l'ambassadeur d'Espagne. Pendant que l'on s'occupait de ce grand intérêt, le chevalier d'Émerange s'apercevant qu'il tenait encore à la main une branche d'héliotrope, qu'il avait cueillie chez madame de Nangis, la jeta dans le feu, en s'excusant auprès de la marquise, de n'avoir pas pensé plutôt que cette fleur pouvait l'incommoder. La comtesse s'aperçut de ce mouvement, et le trouva tout simple; mais quand elle vit le chevalier remplacer le bouquet qu'il venait de jeter, par une branche du jasmin de madame de Saverny, elle prit un air boudeur qui ne la quitta plus. Cette familiarité déplut aussi à Valentine; elle avait toujours présente à l'esprit la conversation de la princesse, et convenait que les manières du chevalier pouvaient bien avoir donné lieu au bruit qui circulait; pour en détruire l'effet, elle prit avec lui un ton de réserve qu'il remarqua avec étonnement; il crut d'abord que c'était un caprice, et voulut en triompher, en redoublant de soins et de gaîté; mais s'apercevant de l'inutilité des frais de son esprit, il joua le dépit, et devint silencieux. Le docteur profita de l'auditoire qu'on lui cédait, pour raconter un certain nombre d'anecdotes burlesques, dont il connaissait pour le moins aussi bien l'effet que celui de ses recettes. Il dut en être content, car l'on rit aux éclats; et ce fut au milieu du bruit qu'il avait provoqué, que le docteur sortit enchanté de son succès, et persuadé que lui seul s'entendait à guérir de la migraine.

Le dépit du chevalier ne le servant pas mieux que sa coquetterie, il résolut de demander franchement à madame de Saverny en quoi il avait eu le malheur de lui déplaire? Chez beaucoup de gens la franchise est encore une ruse, et souvent celle qui leur réussit le mieux. Le chevalier en fit une heureuse épreuve. Valentine n'avait pas prévu qu'il dût lui demander l'explication de sa nouvelle manière de le traiter, et l'embarras qu'elle mit à lui répondre quelques mots insignifiants, fut interprété par le chevalier en faveur de son amour-propre. Il supposa que l'humeur jalouse de madame de Nangis avait inspiré à Valentine le désir généreux de calmer les inquiétudes de sa belle-sœur, en affectant plus de froideur pour lui; et, sans laisser apercevoir le plaisir qu'il ressentait de cette prétendue découverte, il dit à voix basse à la marquise, que si elle persistait à le traiter avec tant de sévérité, il regarderait ce changement de manière, comme un ordre de ne la plus revoir, et qu'il s'y résignerait malgré toute l'étendue du sacrifice. En écoutant le chevalier, Valentine, qui n'osait lever les yeux sur lui, les jeta sur madame de Nangis; elle la vit pâlir et se trouver mal; son premier mouvement fut d'aller la secourir, mais la comtesse revenant bientôt à elle, la remercia sèchement de l'intention qu'elle avait de la ramener dans son appartement pour lui donner ses soins; elle prétendit n'avoir besoin de ceux de personne, et prit le bras de M. d'Émerange, qui lui offrit de la reconduire. Les amis qu'avait amenés madame de Nangis, troublés par cet événement, prirent congé de Valentine, sans qu'elle y fît attention. L'oreille encore frappée des derniers mots de sa belle-sœur, et le cœur oppressé du refus qu'elle avait fait de ses soins, elle sentit ses yeux se remplir de larmes, et s'affligea d'un procédé dont elle craignit de deviner la cause. L'arrivée d'Isaure la tira de sa triste rêverie. «Eh mon dieu! qu'est-ce donc qui se passe, s'écria la petite, en embrassant Valentine. Quoi! vous pleurez! Est-ce que maman vous a grondée aussi? – Non, mon enfant, mais je l'ai vue souffrir, et cela m'a fait de la peine. – Elle a été malade, n'est-il pas vrai? Mademoiselle Cécile nous l'avait bien dit. – Cela n'est pas inquiétant, elle est beaucoup mieux maintenant. – Ah! je le sais bien, puisque j'ai été la voir tout-à-l'heure. Mais elle était si en colère contre M. d'Émerange, qu'elle m'a renvoyée en disant à ma bonne de me coucher tout de suite; cependant il n'est pas encore neuf heures. Aussi j'ai demandé à venir passer un petit moment avec vous. Savez-vous qu'il faut que ce M. d'Émerange ait bien désobéi à maman, pour qu'elle se fâche ainsi? – Que cela te fait-il? Je t'ai cent fois répété qu'à ton âge on comprenait tout de travers ce que les grandes personnes se disent entre elles, et que le mieux était de ne jamais le répéter. – Eh bien! je ne répéterai plus rien, je vous le promets, ma tante. – Si tu tiens parole, je te récompenserai. – Ah! que je suis contente, que me donnerez-vous? – Choisis ce que tu voudras. – Voici bientôt le temps des étrennes, je sais que mon papa doit me donner une montre, maman une grande poupée, il ne me manque plus qu'un collier avec un joli médaillon; ah! si vous vouliez m'en donner un avec votre portrait dessus, je serais aussi belle que la petite fille de la princesse de L… qui porte à son cou le portrait de la Reine. – Puisque tu le desires, tu auras le collier et le portrait, mais tu connais nos conditions. – Ah! je n'ai pas envie de les oublier. – En disant ces mots, Isaure souhaita le bonsoir à sa tante, et se promit bien de lui obéir.

CHAPITRE XVIII

Plusieurs jours se passèrent sans que Valentine pût rejoindre sa belle-sœur. Elle était toujours sortie, ou n'était point visible. Justement offensée de cette affectation à ne la pas recevoir, madame de Saverny n'insista plus, et se refusa même le plaisir de voir son frère, dans la crainte d'être obligée de répondre aux questions qu'il lui ferait probablement sur le motif qui l'éloignait de sa femme. Cependant l'ayant rencontré un soir chez la princesse de L… et s'étant approchée de lui pour lui témoigner ses regrets d'être restée si long-temps sans le voir, elle fut très-étonnée d'en être accueillie d'un air sévère, et de lui entendre dire qu'il était tout naturel de sacrifier ses amis à ses adorateurs. Elle se serait justifiée sans peine d'une aussi injuste accusation, si les témoins qui les entouraient le lui avaient permis. Mais les réunions du grand monde ont cela de particulier, qu'on y peut toujours lancer une injure, et jamais entrer en explication; de là vient l'habitude que tant de gens d'esprit ont contractée, de se justifier d'un tort par une épigramme.

Tourmentée par de pénibles réflexions, Valentine pria la princesse de la dispenser de faire une partie, et se plaça auprès de sa table de jeu. Le commandeur de Saint-Albert vint bientôt l'y rejoindre, et voyant l'expression de mécontentement répandue sur son visage, il lui dit: «Comment se fait-il qu'on ait le regard aussi triste quand on vient de causer tant de joie? – Je ne sais, répondit madame de Saverny, sans avoir l'air de comprendre la fin de cette phrase, mais il est vrai qu'aujourd'hui je suis assez maussade. – C'est une manière de répondre que vous ne vous souciez pas de me dire ce qui vous importune; tranquillisez-vous, je suis discret, et ne demande jamais ce que je sais. – Puisque vous êtes si bien instruit, faites-moi, je vous en prie, la confidence de ce que j'éprouve? – Non, vraiment; je n'aime point à me mêler des affaires de famille; d'ailleurs vous savez si l'on perd son temps à m'interroger? – Aussi n'ai-je plus envie de rien savoir de vous. – C'est dommage, car je me sens ce soir une certaine disposition au bavardage, dont votre curiosité aurait pu profiter. – Je ne suis plus curieuse. – Je l'avais bien prévu que ce caprice ne durerait pas plus qu'un autre. – En vérité, vous jugez de tout admirablement, reprit Valentine avec dépit; au reste, quand on prend la reconnaissance pour du caprice, on peut bien prendre le silence pour de l'oubli. – Que la colère vous sied bien! et que de gens aimables m'envieraient le bonheur de vous animer ainsi? – Ah! par grace, épargnez-moi votre ironie, je ne saurais la supporter aujourd'hui; c'est de votre amitié seule que j'ai besoin. – Vous y pouvez compter, reprit le commandeur d'un ton plus affectueux, et le moment approche où cette amitié déconcertera, j'espère, plus d'un projet.» Ces derniers mots auraient laissé une impression profonde dans l'esprit de madame de Saverny, si une lettre qu'on lui remit en rentrant chez elle n'eût changé le cours de ses idées. Cette lettre contenait les remerciements d'Anatole; et comme une prière exaucée en autorise nécessairement une autre, il suppliait Valentine, dans les termes les plus humbles de lui accorder la permission de lui écrire quelquefois. «Puisque le ciel me condamne, ajoutait-il, à ne jamais goûter le bonheur de ceux qui vous entourent, ne me privez pas du plaisir de vous peindre des sentiments dignes de vous. Ils sont sans danger pour votre repos; et votre cœur fût-il libre, vous n'y sauriez répondre. Je vous la répète, madame, un obstacle invincible me sépare à jamais de vous; mais la fatalité qui s'oppose à mes vœux ne me rend point indigne de votre confiance ni de votre intérêt, et vous pouvez recevoir en toute assurance l'hommage d'un culte qui n'est dû qu'à la divinité.» Plus bas on lisait que le renvoi de cette lettre serait regardé comme l'ordre de n'en plus adresser.

 

Il serait trop long d'analyser tous les sentiments que fit naître cette lecture; le plus vif était bien certainement celui dont Valentine n'osait convenir avec elle-même. C'était ce plaisir qui ravit l'ame au premier aveu d'un amour qu'on désire; c'était cette ivresse du cœur qui trouble la raison au point d'ôter tout souvenir du passé, pour se livrer uniquement à l'espoir d'un avenir enchanteur. Les chagrins, les obstacles, tout disparaît devant l'idée d'être aimée; on croit sincèrement que l'amour a borné son ambition à cet excès de félicité, et l'on défie le malheur. Heureuse illusion, dont rien ne remplace la perte!

Absorbée dans sa douce rêverie, Valentine se demandait comment Anatole pouvait avoir conçu pour elle un sentiment aussi vif, sans la connaître. A cette question fort raisonnable, son cœur répondait par un retour sur lui-même qui lui expliquait mieux ce mystère que n'auraient pu le faire tous les calculs de son esprit. D'ailleurs M. de Saint-Albert avait probablement instruit son ami de ce qui l'intéressait, peut-être même s'était-il plu à parer Valentine de toutes les qualités aimables, pour mieux séduire l'imagination exaltée d'Anatole. Ce projet n'avait d'abord été que l'effet d'une plaisanterie fondée sur l'aventure romanesque de l'Opéra; mais il arrive parfois que le même événement qui fait rire un vieillard, fait rêver un jeune homme; et tout prouvait que celui-là avait laissé des traces profondes dans le souvenir d'Anatole; il est si naturel de s'attacher aux objets de son dévouement, et de vouloir aimer une femme déja captivée par la reconnaissance! Voilà les suppositions qui occupèrent long-temps l'esprit de Valentine, avant de s'arrêter sur la pensée de cet obstacle invincible, qui aurait été le premier sujet des réflexions de toute autre personne. Son imagination n'en fut pas vivement tourmentée: elle se peignit Anatole soumis aux volontés d'un père ambitieux, et peut-être lié par des promesses qu'il n'osait ni accomplir, ni enfreindre, réduit à attendre sa liberté d'un malheur: elle ne voyait dans sa conduite mystérieuse qu'une preuve de la délicatesse qui doit interdire à un homme d'honneur le desir de faire partager un sentiment malheureux. Enfin, à travers cette obscurité profonde, elle voyait clairement tout ce qui expliquait à son gré la situation d'Anatole. C'est ainsi que tout l'esprit imaginable ne sauve pas des absurdités du cœur.

CHAPITRE XIX

Le jour de la semaine où madame de Nangis recevait du monde étant arrivé, Valentine pensa qu'à moins de se dire malade, elle ne pouvait se dispenser de paraître chez sa belle-sœur; mais, pour éviter l'effet de quelque nouveau caprice, elle lui fit demander si elle serait visible. Tant de cérémonial rappella à madame de Nangis ses impolitesses envers madame de Saverny, et lui inspira quelque desir de les réparer. Elle fit répondre qu'elle la verrait avec le plus grand plaisir. Mais quand Valentine entra chez elle, brillante de fraîcheur et d'élégance, la comtesse sentit expirer sa bonne volonté, et quelques mots plus froidement polis qu'affectueux remplacèrent l'accueil qu'elle s'était promis de lui faire.

La curiosité avait attiré beaucoup de monde chez madame de Nangis. La jalousie que lui inspirait sa belle-sœur n'était plus un secret pour personne; il est vrai que M. d'Émerange, en la niant partout, ne manquait pas une occasion de la provoquer; chaque jour amenait, entre lui et la comtesse, de ces petites scènes qui font ordinairement le désespoir des acteurs et l'amusement du public; on s'attendait à tous moments à quelque bon scandale dont les détails piquants alimenteraient pendant trois jours au moins la conversation générale; et chacun desirait pouvoir les raconter avec toute l'autorité d'un témoin.

M. de Nangis était, comme c'est assez l'ordinaire, le seul qui ne s'aperçût pas du trouble qui régnait dans sa maison; il allait se plaignant à tous ses amis de la mauvaise santé de sa femme, dont les maux de nerfs augmentaient d'une manière inquiétante. Les plus charitables l'engageaient à faire faire un voyage à la comtesse, soit à Plombières ou à Barège; mais la saison ne permettait pas de prendre les eaux, et ce conseil restait au nombre de ceux qu'on donne sans y penser, bien sûr qu'ils seront écoutés de même. Après avoir longuement fait remarquer que sa femme maigrissait et changeait beaucoup, M. de Nangis s'approcha de sa sœur, et par l'effet d'un de ces à-propos dont la malignité est si reconnaissante, il s'écria: «Vous voilà donc enfin? J'ai cru que c'était un parti pris de nous abandonner. Savez-vous bien que depuis près de quinze jours on n'a pas eu le plaisir de vous voir ici. – Ce n'est pas ma faute, répondit Valentine, en cachant mal l'embarras que lui causait la position ridicule de son frère aux yeux des gens qui l'écoutaient en souriant. – Ah! je m'en doute bien, reprit le comte, en s'efforçant de prendre un ton léger, c'est peut-être une plume, un chapeau, ou quelques grands intérêts de ce genre qui nous ont valu cette longue absence. Il faut si peu de chose pour brouiller deux jeunes femmes!» Fort heureusement pour tous deux, la visite d'un grand personnage vint interrompre cette conversation. Valentine tenta de se rapprocher de quelques femmes avec lesquelles elle causait habituellement, mais elle ne vit pas sans surprise que toutes semblaient l'éviter, et affecter de lui répondre avec une sorte de dédain qui tenait de l'indignation. La plupart se levaient à chaque instant pour aller demander à la comtesse comment elle se trouvait, et cela d'un ton de pitié qui semblait dire: Pauvre femme! comme elle vous rend malheureuse. L'une d'elles, moins discrète que les autres, se mit à dire, de manière à être entendue de madame de Saverny: «C'est une véritable indignité; jouer un pareil tour à une amie qui vous accueille ainsi!» Fatiguée de toutes ces impertinences, Valentine se serait retirée chez elle, si madame de Nangis n'était venue la prier de faire le whist de trois graves personnes de qui l'âge et le rang réclamaient des attentions particulières, et dont la comtesse était bien aise de s'acquitter, par les soins complaisants de sa belle-sœur. Reléguée, pour ainsi dire, dans un autre siècle, madame de Saverny passa la soirée dans l'ignorance de ce qui occupa le reste de la société; elle entendit seulement quelques éclats de rire de madame de Nangis, qui lui firent présumer que le chevalier d'Émerange racontait une histoire dont le récit plaisant avait triomphé de la langueur de la comtesse. Lorsque ce long whist fut terminé, le chevalier s'approcha de Valentine, dans l'intention de reprendre la conversation que madame de Nangis avait si tragiquement interrompue; mais le souvenir de cette scène ridicule inspira à Valentine une si vive frayeur de la voir recommencer, qu'elle s'éloigna du chevalier sans presque se donner le temps de lui répondre. Cet empressement à le quitter parut d'autant plus affecté, que Valentine resta seule quelques moments au milieu du salon sans savoir à qui adresser la parole; madame de Nangis, qu'un plus long entretien entre le chevalier et sa belle-sœur aurait sans doute portée à quelque nouvelle extravagance, se blessa du motif qui avait déterminé Valentine à s'éloigner si brusquement de lui; tant il est vrai que rien ne peut calmer les agitations d'un amour-propre jaloux! Tout l'offense ou l'humilie, et, pour l'orgueil irrité, les égards mêmes sont encore des outrages.

La situation de madame de Saverny au milieu de ce cercle de curieux, d'envieux ou d'ennemis, lui devint bientôt insupportable, et elle profita de la première occasion qui s'offrit, pour s'y soustraire. Quand elle se vit heureusement délivrée des ennuis qui l'avaient accablée dans cette soirée, elle réfléchit aux moyens de s'en épargner de semblables. Cette manière de vivre lui présageait des chagrins de famille qu'il fallait éviter à tout prix; mais comment y parvenir? Elle ne pouvait réclamer les conseils de son frère dans cette circonstance, sans trahir la comtesse; et son cœur en était incapable. Cependant elle sentait la nécessité de s'éloigner d'une maison où sa présence jetait autant de trouble; et si la saison l'avait permis, elle serait retournée au château de Saverny. Mais quitter ainsi Paris au milieu de l'hiver, et sans pouvoir donner à son voyage un motif raisonnable, c'était presque constater une rupture dont le public aurait tiré de grandes conséquences; et puis s'éloigner de l'objet de sa reconnaissance pour aller vivre seule et livrée à de tristes souvenirs, c'était renoncer à tout espoir de bonheur. Ces inconvénients se représentant sans cesse à l'esprit de Valentine, la décidèrent à se résigner encore quelque temps à supporter ceux de sa situation présente. Elle se flatta de l'idée que, touchée de ses soins à détruire toute apparence de rivalité entre elles, sa belle-sœur reviendrait bientôt à la raison, et par conséquent à ses devoirs. Ce n'est pas que Valentine supposât qu'elle y eût jamais complètement manqué; elle pensait avec justice qu'une femme dominée par la vanité peut se donner bien des torts avant d'être tout-à-fait coupable. Mais elle sentait bien aussi que le monde ne jugeait pas avec la même indulgence, et elle redoutait pour la comtesse les arrêts de ce tribunal sévère qui condamne sans entendre. Elle en eût été moins effrayée, si l'expérience lui avait appris que ces funestes arrêts ne tombent jamais sur les gens heureux.

CHAPITRE XX

Une de ces matinées où les rayons du soleil semblent engager les élégantes de Paris à braver le froid pour venir se promener en foule sur la terrasse des Tuileries, Isaure vint proposer à sa tante de l'y conduire. Valentine, après s'être assurée que madame de Nangis y consentait, fit monter Isaure dans sa voiture, et toutes deux arrivèrent bientôt dans ce beau jardin, qui était alors le rendez-vous de la meilleure compagnie. Valentine n'y resta pas long-temps sans rencontrer un grand nombre de personnes de sa connaissance; mais la seule dont elle voulut accepter le bras fut M. de Saint-Albert, qui dit, en la remerciant du choix: Voilà les profits de mon âge. En achevant ces mots, il sentit tressaillir le bras de Valentine. Surpris de ce mouvement, il regarde ce qui peut l'avoir occasionné, et ses yeux rencontrent ceux d'Anatole. Il le voit saluer respectueusement madame de Saverny; puis s'approchant de lui, Anatole lui serre la main en levant les yeux au ciel, comme pour lui dire: Que vous êtes heureux!

Sans faire la moindre réflexion sur l'émotion qu'il avait remarquée, le commandeur proposa à Valentine de s'asseoir dans un endroit échauffé par le soleil; elle y consentit d'autant mieux, qu'elle avait assez de peine à se soutenir. L'aspect inattendu d'Anatole avait produit sur tous ses sens une impression nouvelle qui la dominait au point de ne plus être en état de parler que de lui; mais comme elle voulait avant tout respecter son secret, elle chercha ce qu'elle en pourrait dire sans risquer de violer la promesse qu'elle lui avait faite, et ne trouva rien de mieux que de vanter l'extrême ressemblance du buste qui se trouvait dans la bibliothèque du commandeur. – En effet, reprit ce dernier, j'en ai été frappé comme vous lorsque je le vis pour la première fois dans l'atelier du fameux G… Il revenait alors d'Italie, d'où il rapportait des objets d'art précieux, que se disputèrent bientôt les amateurs. Ravi de retrouver les traits d'un de mes amis dans cette belle tête, j'en fis l'acquisition; l'artiste crut en rehausser le prix à mes yeux, en m'assurant qu'elle était copiée d'après l'Hector antique; mais lorsque je lui dis franchement le motif qui me déterminait à l'acheter, il m'avoua de même qu'ayant eu le bonheur de rencontrer à Rome un jeune homme d'une figure admirable, il s'était permis de faire plusieurs copies du portrait qui lui en avait été demandé. Après diverses questions, j'acquis la certitude que ce bel Hector n'était autre qu'Anatole, et la ressemblance fut expliquée. – Il dut être fort étonné, je pense, reprit Valentine, de se retrouver ainsi chez vous. – Comment donc! il m'a fait une véritable querelle pour avoir encouragé la mauvaise foi du sculpteur, qui se permettait de le vendre ainsi déguisé en grec; il prétendait que le ridicule en retombait sur lui; j'ai eu toutes les peines du monde à l'empêcher de briser ce malheureux buste, et je ne l'ai conservé qu'à la condition de nier qu'il eût le moindre rapport avec ses traits. – Madame de Nangis peut attester que vous lui tenez votre parole. – Et madame de Saverny, que j'y manque: n'est-ce pas ce que vous voulez dire? – Non vraiment, vous savez bien qu'on ne se croit jamais indigne d'une confidence; d'ailleurs, votre ami a des droits à ma discrétion, et je crois déjà lui avoir prouvé qu'il y pouvait compter. – En effet, j'admire la vôtre, et je m'accuse même d'avoir voulu l'éprouver. Dans la joie qui l'enivrait, Anatole m'a confié la promesse qu'il a reçue de vous; je n'ai douté ni de votre sincérité en la donnant, ni de votre résolution d'y rester fidèle; mais entre la volonté de remplir un vœu, et la puissance de l'accomplir, la distance est fort grande, et j'ai été bien aise de me convaincre que, pour vous, prendre et tenir un engagement était une même chose. – Puisque vous savez la parole qui me lie, je ne crains pas d'y manquer avec vous. Mais, pour concilier ma religion sur ce point avec le plaisir de m'entretenir d'une personne à laquelle j'ai tant d'obligations, convenons d'un point qui tranquillisera ma conscience et la vôtre. Le motif du mystère qu'il exige vous est connu; eh bien! ne me répondez jamais sur ce qu'il faut que j'ignore; par ce moyen, je vous parlerai sans crainte, et je vous écouterai sans scrupule. – Rien ne s'oppose à cette condition, et je vous promets de l'observer; mais à quoi vous mènera-t-elle? Qui sait? peut-être aurai-je besoin de vos avis. – Pour l'aimer, interrompit en souriant le commandeur; ah! je ne donne jamais de conseils dans ces grands intérêts. Que voulez-vous que fasse la raison où règne la fantaisie? – Mais, qui vous parle d'aimer? Ne saurait-on réclamer vos conseils que pour une fantaisie? En vérité vous découragez la confiance. – J'ai cela de commun avec ceux qui la méritent; mais je ne veux pas perdre la vôtre pour une mauvaise plaisanterie, qu'Anatole ne me pardonnerait pas. – Ah! c'est uniquement par égard pour lui que vous me ménagez? Je me croyais plus de droits à votre complaisance. – Vous en avez sur tous mes sentiments; mais je dois l'avouer, les droits d'Anatole l'emportent dans mon cœur, et je ne puis vous cacher que s'il arrivait que je fusse obligé de sacrifier votre intérêt au sien, je n'hésiterais pas. – Voilà de la bonne foi; et, malgré ce que cette déclaration a de peu flatteur pour moi, je ne puis m'empêcher d'estimer beaucoup celui qui vous inspire une telle amitié. Je crois vous connaître assez pour être sûre que vous ne pouvez aimer autant, qu'un homme fort distingué. – Et vous avez raison, reprit le commandeur en se levant pour rejoindre madame de Réthel, qui l'attendait.

 

Dans ce moment le chevalier d'Émerange vint à passer, et fut arrêté par un jeune homme qui lui dit: «Ah, mon ami, dites-moi quelle est cette belle femme, qui parle tout près d'ici à une petite fille aussi fort jolie? J'arrive d'Allemagne, où mon père m'a laissé impitoyablement pendant un an, et je ne connais plus une de vos beautés à la mode.» A cette exclamation, le chevalier reconnut l'effet que produisait ordinairement la première vue de madame de Saverny. Il la nomma à son admirateur, qui s'empressa de lui demander s'il ne pourrait pas le présenter chez elle. – Non, certes, répondit le chevalier, d'un air qu'il s'efforçait de rendre modeste; je suis bien loin d'avoir assez d'intimité dans sa maison pour oser y présenter personne. En disant cela, il s'approchait de Valentine, qui venait de se lever dans l'intention de rejoindre sa voiture; il lui offrit de l'y conduire, et n'ayant point de bonnes raisons pour le refuser, elle fut contrainte de l'accepter. Le regret qu'elle en ressentait redoubla, lors qu'elle rencontra pour la seconde fois Anatole. Le desir d'éviter les plaisanteries du chevalier sur cette rencontre, lui fit tourner la tête de son côté, et lui adresser la parole pour fixer son attention, et l'empêcher de remarquer Anatole. Cette petite ruse réussit. Le chevalier enchanté de se montrer à tout Paris, presqu'en tête-à-tête avec madame de Saverny, et plus heureux encore de la bonne grace qu'elle mettait à lui parler, n'aperçut point Anatole; Valentine aussi s'efforça de ne le pas voir, et cependant la pâleur qu'elle remarqua sur son visage, vint attrister la fin d'une journée qui promettait d'assez doux souvenirs.

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