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Anatole, Vol. 1

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CHAPITRE XIV

Le commandeur, qui savait seul le secret de l'embarras de Valentine, voulut y mettre fin en proposant de se lever de table; mais elle était à peine remise de cette première émotion, qu'il en fallut dissimuler une plus vive encore. Madame de Nangis avait desiré voir la bibliothèque de M. de Saint-Albert; c'était une des plus complètes de Paris. Il fesait remarquer sa plus belle édition à madame de Saverny, lorsqu'on entendit la comtesse s'écrier en éclatant de rire: «C'est lui, c'est lui-même: Valentine, ajouta-t-elle en montrant un des bustes qui décoraient ce cabinet, ma chère amie, dites-moi un peu à qui vous trouvez que ce buste ressemble? – Vraiment, interrompit avec empressement le commandeur, il doit ressembler au troyen Hector; c'est du moins ce qu'assure le Romain qui me l'a vendu. – Il s'agit bien de votre guerrier troyen, reprit la comtesse, moi je vous dis que c'est le portrait frappant de notre inconnu, et qu'il est bien aussi beau, aussi brave, que tous vos héros d'Homère. Mais, répondez donc, Valentine, n'êtes-vous pas d'avis de cette ressemblance?» Madame de Saverny en était trop frappée pour oser en convenir. L'affectation du commandeur à détourner l'attention de la comtesse sur cette ressemblance, et plus encore le souvenir de ces traits si bien empreints dans la mémoire de Valentine, lui firent soupçonner que l'artiste chargé d'exécuter ce buste, n'avait eu pour modèle qu'Anatole. Elle s'étonna du trouble que cette idée fesait naître en son ame, et s'efforça d'en triompher, en répondant avec gaîté aux plaisanteries de sa belle-sœur; mais Valentine était loin de posséder cet art de dissimuler les émotions du cœur sous les apparences d'un esprit léger. Son regard, sa rougeur, combattaient avec son sourire. Elle sentit bientôt l'impossibilité de continuer une conversation qui lui coûtait tant d'efforts, et tâcha de porter l'attention de madame de Nangis sur un nouvel objet; n'y pouvant réussir, elle se décida à profiter de sa position pour satisfaire une partie de sa curiosité. Elle conduisit Lavater auprès de ce buste, et lui témoigna le desir de savoir, d'après son systême, le caractère qu'il supposait au modèle de cette belle tête. Entraîné par le plaisir d'intéresser Valentine, Lavater surmonte la timidité qui l'empêchait ordinairement de s'exprimer en français, et rassuré par l'idée de n'avoir à dénoncer que les défauts de quelque héros antique, il fait l'analyse la plus détaillée de ce portrait moral, en donnant à chaque mot une nouvelle preuve de sa profonde observation. Il démontre par tous les principes de sa science, qu'un homme doué de cette physionomie, doit posséder un esprit élevé, indépendant, mais trop prompt à s'exalter; un cœur généreux et passionné, sensible jusqu'à la faiblesse, jaloux jusqu'à l'emportement, timide et courageux, modeste et fier, docile dans ses habitudes, inébranlable dans ses résolutions; on peut l'occuper vivement, mais jamais le distraire; il ajoute enfin que son imagination ardente, modérée par un sentiment profond de mélancolie, lui promet de brillants succès en poésie et en peinture, et de vifs chagrins en amour.

Jamais oracle ne fit plus d'impression sur les Grecs, que le jugement de Lavater n'en produisit sur l'esprit de Valentine. A mesure qu'il le prononçait, les yeux fixés sur le commandeur, madame de Saverny cherchait à en vérifier l'exactitude, et voyait avec plaisir le sourire d'approbation qui se répandait sur le visage de M. de Saint-Albert, à chaque détail que Lavater se plaisait à donner du caractère de son jeune ami. Convaincue de la fidélité de ce portrait, elle dit au commandeur de manière à n'être entendue que de lui: – Vous le voyez, tout le monde n'est pas aussi discret que vous. Il ne me reste plus qu'un nom à savoir; je le saurai bientôt, et j'aurai regret de ne rien devoir à votre confiance. – Vous devez déja trop à mon indiscrétion, reprit-il; mais comment un intérêt de ce genre peut-il vous occuper à travers tous ceux qui vous captivent? – C'est qu'il est peut-être le plus vif, répondit ingénûment Valentine.» Ce mot parut surprendre le commandeur; il prit un air méfiant, se mit à rêver, et son regard semblait dire: Serait-il vrai?

Pendant que Valentine se reprochait l'excès de sa franchise, le chevalier riait de sa crédulité, et profitait du départ de Lavater pour dire: – Je crois, en vérité, que vous ajoutez foi à cette nouvelle magie! et que l'esprit éloquent de Lavater vous a subjuguée au point de… – Elle ne saurait mieux faire que de le croire, interrompit madame de Nangis, puisqu'il donne à son héros toutes les qualités de Grandisson, sans compter les défauts charmants qu'il lui accorde. – Quoi! toujours ce personnage mystérieux, reprit le chevalier, en témoignant de l'humeur. Ah! par grace, mesdames, respectez son secret; il le garde si bien! – Il le garderait cent fois mieux encore, reprit la comtesse, que je le saurais demain s'il m'intéressait autant que vous le supposez.» Valentine fut frappée de cette réflexion, et n'en entendit pas davantage de la petite querelle qui s'engagea entre sa belle-sœur et le chevalier. Accoutumée à les voir souvent d'un avis contraire, elle s'inquiétait peu de leurs différends. Cependant elle aurait pu remarquer qu'ils étaient plus fréquents, et qu'il régnait dans tous les discours de la comtesse une sorte d'aigreur qui devenait chaque jour moins supportable. L'innocence de Valentine l'empêcha long-temps d'en soupçonner la cause; mais elle ne pouvait se dissimuler que madame de Nangis paraissait souvent importunée de sa présence; et, sans oser interpréter ce changement, elle en profitait pour se livrer quelquefois à son goût pour la retraite. Ces jours-là elle ne permettait qu'à la petite Isaure de venir la troubler, et c'est en prodiguant les plus tendres soins à la fille qu'elle se vengeait des caprices de la mère.

CHAPITRE XV

La réflexion de madame de Nangis sur le secret d'Anatole, revint si souvent à l'esprit de Valentine, qu'elle finit par la trouver toute simple, et s'étonna d'avoir cessé aussi vîte les démarches qui pouvaient lui offrir des renseignements certains sur ce qu'il lui restait à savoir d'Anatole. Après avoir rejeté celles qui ne lui paraissent pas convenables, elle se fit conduire un matin à l'opéra, et sous prétexte de louer une loge à l'année, elle demande celle où elle a vu pour la première fois Anatole. On lui répond que la loge qu'elle désigne n'est pas libre, mais qu'on ne doute pas que l'ambassadeur d'Espagne n'ait la complaisance de la lui céder dès que Son Excellence apprendra que c'est madame la marquise de Saverny qui le desire. Valentine insiste pour que l'on n'adresse point à l'ambassadeur une demande aussi indiscrète, et défend positivement qu'on la fasse en son nom. Le commis chargé de la location des loges, ne voyant que l'intérêt de son administration, promet bien à la marquise de se conformer à ses ordres, mais c'est en formant le projet de lui désobéir. A peine l'a-t-elle quitté, qu'il écrit à l'intendant de l'ambassadeur tout ce qu'il avait promis de ne pas dire; il y ajouta quelques-unes des questions échappées à la curiosité de Valentine, et finit par offrir à Son Excellence le choix de deux autres loges en face de la sienne, qu'il assura être meilleures.

La réponse du duc de Moras ne se fit pas attendre, et Valentine l'ayant rencontré quelques jours après chez la princesse de L***, resta interdite quand il vint la remercier de lui avoir offert l'occasion de faire une chose qui lui fût agréable, en lui cédant sa loge à l'opéra. «Elle sera bien mieux occupée, ajouta-t-il, et je m'assure la reconnaissance de mes anciens voisins. Quelle agréable surprise pour eux de voir arriver une aussi belle personne à la place de leur vieux diplomate!» Valentine, révoltée de l'indiscrétion commise en son nom, s'en défendit avec tant de chaleur, qu'elle s'en justifia mal. Son trouble, en écoutant le duc de Moras, son indignation contre ce commis qu'elle menaçait de faire punir de son impertinence, enfin, ce dépit qu'on éprouve toujours à la suite d'une démarche imprudente, et mal interprétée, lui donna l'air d'une personne qui craint d'être devinée. On avait trouvé tout simple le caprice qui l'avait engagée à desirer la loge du duc de Moras, on s'étonna de lui voir mettre tant d'importance à s'en défendre; et chacun y prêta le motif qui lui parut le plus probable. C'est ainsi qu'on juge souvent dans le monde de l'étendue d'une inconséquence par le plus ou moins de soin qu'on porte à s'en disculper.

Fort heureusement pour Valentine, la princesse interrompit les excuses et les remerciements qu'elle adressait au duc de Moras, en disant: «Regardez, madame, le joli présent que je viens de recevoir!» Et elle conduisit la marquise auprès d'une table sur laquelle se trouvait un jasmin d'Espagne d'une rare beauté. Il avait la forme d'un oranger: sa tige élancée était recouverte d'un buisson de fleurs, et tout attestait qu'il avait déja bravé bien des hivers. Valentine convint qu'elle n'en avait jamais vu de pareil, et cependant son goût pour les fleurs lui avait fait souvent rechercher les plus belles; et les serres du château de Saverny étaient citées parmi les plus complètes en ce genre. Aux airs modestes que le duc de Moras prit en voyant chacun admirer cet arbuste, Valentine devina que c'était lui qui l'avait offert, et lui en fit compliment. Il y répondit en avouant qu'il le tenait d'un de ses amis qui l'avait fait venir d'Espagne, et qu'il ne croyait pas qu'il y en eût d'aussi grand en France.

En sortant de chez la princesse, madame de Saverny se rendit chez la présidente de C… où devait se trouver madame de Nangis. Elles y passèrent toutes deux le reste de la journée; et lorsque Valentine rentra chez elle, le premier objet qui frappa sa vue fut un jasmin semblable à celui qu'elle avait admiré le matin même chez la princesse de L…: elle reconnut jusqu'au vase qui le contenait, et ne douta pas un instant que la princesse ne lui en eût voulu faire le sacrifice. Pour mieux s'en assurer, elle demanda à sa femme de chambre de quelle part on l'avait apporté; mais mademoiselle Cécile, qui avait toujours le talent d'ignorer ce qu'elle ne voulait pas dire, répondit que deux hommes qu'elle avait pris pour des jardiniers l'avaient déposé dans l'antichambre, en recommandant de le placer auprès du lit de Madame. Cette réponse affermit Valentine dans l'idée que la princesse, ayant remarqué son admiration pour cet arbuste, avait voulu s'en priver pour elle. C'était à ses yeux une indiscrétion de plus que de l'accepter, et cependant comment refuser un sacrifice offert avec tant de délicatesse? Après s'être vivement reproché tout ce qu'elle croyait avoir dit et fait d'inconvenant depuis plusieurs jours, Valentine décida qu'elle irait le lendemain au lever de la princesse, la remercier de son aimable attention, et la conjurer au nom de l'ambassadeur, qu'elle privait déja de sa loge, de conserver les fleurs qu'il lui avait offertes avec tant de plaisir.

 

La princesse était encore au lit quand la marquise arriva. Un valet-de-chambre alla s'informer si elle était visible, et madame de Saverny entra dans le salon pour y attendre sa réponse. On peut se figurer sa surprise lorsqu'elle aperçut sur la table de la princesse le même jasmin qu'elle y avait vu la veille. Sans pouvoir expliquer ce nouveau mystère, elle chercha un autre motif à donner à sa visite. Car, sans se rendre compte du sentiment qui la retenait, elle ne voulait point parler du présent qu'elle avait reçu, avant d'avoir découvert celui qu'elle en devait remercier. Elle était encore dans l'embarras de choisir un prétexte raisonnable, quand on vint l'avertir que la princesse l'attendait. Elle arriva près d'elle avec toute la confusion d'une personne qui ne sait ce qu'elle va dire. La princesse ne s'en aperçut point, et termina son embarras en lui disant: «Je devine ce qui m'attire le plaisir de vous voir d'aussi bonne heure, ma chère Valentine, vous savez ce qui s'est dit hier soir chez moi, et combien je me suis plainte de votre silence. Me laisser apprendre la nouvelle de votre prochain mariage par le bruit qu'il fait dans le monde, vous conviendrez que c'est me traiter avec bien peu de confiance, et que mon amitié méritait mieux de vous.» La princesse ajouta tant d'autres reproches obligeants à ceux-ci, qu'elle donna à Valentine le temps de se remettre un peu de son étonnement, et de chercher à profiter de la méprise. – Avant de me justifier, lui dit-elle, d'un tort que je n'ai point, permettez-moi, madame, de me plaindre aussi de votre facilité à m'accuser. – Quoi! interrompit la princesse, ce mariage n'est point vrai? – Je ne sais même pas à qui l'on me fait l'honneur de m'accorder. – Ah! vous savez au moins que le chevalier d'Émerange brûle de vous obtenir. – Moi… madame… répondit Valentine avec embarras. – Pourquoi vous troubler, ma chère Valentine? je ne veux pas arracher votre secret; croyez plutôt que si vous me réduisiez à le deviner, je saurais le respecter. Votre situation m'est connue; je sens tous les égards que vous devez à votre belle-sœur; mais quand vous aurez beaucoup sacrifié à sa sensibilité, il faudra toujours finir par lui porter le coup fatal, et je vous prédis que son caractère emporté ne vous tiendra pas compte de vos ménagements. – Ah! madame, pouvez-vous faire une semblable supposition? – Je ne suppose rien, je vous jure, et ne fais que vous répéter ce qui se dit dans le monde. – Oserait-on y calomnier la conduite de madame de Nangis? Ce serait une indignité! – Je le pense ainsi; mais ni vous ni moi n'avons la puissance de l'empêcher. Tant qu'on voit une femme recevoir les soins d'un homme aimable, on dit qu'elle les encourage; s'attriste-t-elle de ses assiduités auprès d'une autre, on la dit jalouse. C'est une vieille routine adoptée par la malignité, et que rien ne saurait changer: mais remarquez que ces mêmes gens si prompts à supposer les torts qu'on leur cache, n'en sont pas moins indulgents pour tous ceux qu'on leur montre, et que souvent, pour les désarmer, il suffit de paraître ne les pas craindre. – Et comment ne craindrait-on pas une méchanceté dont les suites peuvent devenir si funestes? Le caractère de mon frère est assez connu, je pense, pour ne pas laisser supposer qu'il endurât patiemment de tels propos. – Soyez tranquille, le bruit n'en parviendra jamais à ses oreilles; sur ce point, la discrétion française l'emporte sur le plaisir de nuire: on verrait avec horreur celui qui troublerait par une lâche trahison la paix conjugale d'un mari; et la société en ferait bientôt justice.»

Ce ne fut pas sans peine que la princesse parvint à faire comprendre à Valentine les subtilités de ce code des lois mondaines, qui condamne la délation sans punir la calomnie. Les idées que madame de Saverny s'était faites du véritable honneur s'accordaient mal avec cet honneur de convention, parfois sévère et parfois complaisant, qu'on lui assurait avoir un si grand empire dans le monde. Si toute autre personne lui en eût ainsi parlé, elle l'aurait accusée d'une légèreté blâmable; mais les vertus, la conduite de la princesse de L… ne laissaient aucun doute sur la pureté de ses principes. Elle parlait des travers de la société comme de ces infirmités incurables qu'il faut bien tolérer chez les autres, mais dont on ne saurait trop se garantir pour son propre compte; et ce fut d'elle que Valentine reçut la première leçon de cette aimable indulgence, qui est le sceau de la supériorité en tous genres.

CHAPITRE XVI

De tous les sentiments qui tourmentent l'esprit, l'impatience étant bien certainement le plus difficile à dissimuler, on aime à s'y livrer sans témoin; aussi madame de Saverny forma-t-elle le projet de s'enfermer chez elle pendant quelques jours, pour calmer l'agitation que fesaient naître en son ame tant d'incidents étranges, et méditer sur la conduite qu'elle devait tenir.

Elle s'occupa d'abord des moyens de détruire les espérances du chevalier d'Émerange sur son prétendu mariage, et de faire cesser un bruit dont elle se plaisait à exagérer les conséquences dangereuses, sans oser s'avouer celle qu'elle redoutait le plus. La difficulté était de faire connaître ses intentions au chevalier; comment imposer silence à un homme qui ne s'explique point, et l'obliger à nier un projet qui n'a peut-être jamais été le sien? Ces réflexions arrêtaient Valentine, et plus encore, l'idée de partager le ridicule attaché aux femmes qui se croient adorées au premier mot galant qu'on leur adresse, et qui se vantent de leurs rigueurs avant qu'on ait songé à leur plaire. Après s'être long-temps consultée sur le parti qu'elle devait prendre à ce sujet, Valentine résolut d'avoir recours aux conseils de son frère: elle était sûre de trouver en lui un défenseur des usages du monde, qui ne lui permettrait pas de les blesser en cette circonstance, et pleine de confiance dans la manière dont il la guiderait, elle ne chercha plus qu'à se distraire d'une pensée qui l'agitait péniblement, pour se livrer à des conjectures plus agréables.

L'envoi de ce beau jasmin, et le mystère qui l'accompagnait, étaient bien dignes d'exercer l'imagination d'une femme déja tourmentée par un sentiment de curiosité qui s'augmentait de jour en jour. Mais pour cette fois Valentine se crut au moment de voir cesser l'obscurité qui lui causait tant d'impatience. Elle ne pensa pas qu'il lui fût permis d'accepter ce présent sans savoir de qui elle le tenait, et il lui parut fort simple de questionner le duc de Moras sur un fait qu'il ne pouvait ignorer. Dans cette résolution elle ne chercha plus qu'une occasion prochaine de rencontrer l'ambassadeur d'Espagne; mais mademoiselle Cécile entra, remit une lettre à sa maîtresse, et la marquise changea de projet.

A la seule vue de l'adresse, Valentine reconnut l'écriture, et rougit; elle hésita quelque temps à rompre le cachet; et voyant que mademoiselle Cécile ne se disposait point à sortir, elle demanda si l'on attendait la réponse. Non, madame, répondit Cécile, cette lettre est venue par la poste, mais j'attends, pour savoir les ordres de Madame, et quelle robe je dois lui apprêter. – Je m'habillerai plus tard, reprit avec impatience la marquise. – Madame ne dînera donc pas aujourd'hui chez madame la comtesse, car le maître d'hôtel vient de me dire que l'on était au moment de servir. – Non, je resterai chez moi: faites dire à ma belle-sœur qu'une légère indisposition m'y retient. – Si Madame est malade, je puis en prévenir le docteur Petit; je viens de le voir entrer, il n'y a qu'un instant, chez madame de Nangis. – Elles Gardez-vous en bien; je n'ai besoin que de repos et ne veux être troublée par personne.» Ces derniers mots furent dits d'un ton à prouver à mademoiselle Cécile qu'on ne fesait point d'exception pour elle. Aussi s'empressa-t-elle d'aller remplir sa commission, tout en méditant sur l'émotion qu'elle avait remarquée dans les yeux de sa maîtresse en lui remettant cette lettre, et sur le desir qu'elle avait si franchement manifesté de la lire sans témoin.

Voici ce qu'elle contenait:

«S'il est vrai, Madame, qu'un heureux hasard m'ait donné quelques droits à votre reconnaissance, permettez que je les réclame, en vous suppliant de me sacrifier le faible intérêt de curiosité que je vous inspire; encore un mot de vous, et le mystère qui me dérobe à vos yeux cesserait bientôt; mais alors tout serait anéanti pour moi. Réduit à fuir l'objet d'un sentiment divin qui remplit mon ame, mon existence ne serait plus qu'un long deuil. Ah! par pitié, laissez-moi l'unique bonheur auquel je puisse prétendre! Si vous saviez combien l'idée d'occuper quelquefois sa pensée fait tressaillir mon cœur! avec quels soins je m'informe de ses projets, de ses desirs! à quels transports me livre la seule espérance de l'apercevoir! non, jamais vous ne consentiriez à me ravir une si douce félicité.

«Je n'en doute point, Madame, vous accueillerez ma prière; le ciel n'a pas réuni tant de charmes, sans y joindre la sensibilité qui sait respecter et plaindre le malheur; et je vous devrai encore le seul bien qui puisse m'attacher à la vie.

«Je suis, etc.

«Anatole.»

«Oui, s'écria Valentine, après avoir lu; sa prière est sacrée, et la reconnaissance me fait une loi de la respecter; je renonce dès ce moment à tout espoir de le connaître: il aime, il est malheureux, son sort paraît dépendre du mystère qui l'entoure. Ah! que je meure plutôt que de troubler la vie de celui à qui je dois la mienne! Mais comment le rassurer? comment lui faire savoir le serment que je fais de ne plus chercher à pénétrer le secret qu'il exige?» En disant ces mots, les yeux de Valentine retombèrent sur la lettre d'Anatole, et y virent, auprès de la signature, l'adresse du ministre des affaires étrangères. Elle présuma que c'était là qu'Anatole attendait sa réponse, et qu'il avait probablement chargé un des secrétaires du ministre de recevoir pour lui les lettres dont l'adresse ne portait que son nom de baptême. Persuadée qu'elle remplissait un devoir indispensable, elle s'empressa d'écrire un billet dont les expressions nobles et simples attestaient la franchise du sentiment qui les avait dictées. Pas un trait piquant, pas un mot dont la coquetterie eût pu tirer parti. C'était la promesse positive d'observer religieusement le silence imposé par Anatole, et dont la reconnaissance lui fesait un devoir.

Lorsque l'ame est émue d'un sentiment généreux, les petites considérations disparaissent; aussi Valentine ne fut-elle point troublée dans cette démarche par l'idée de répondre à un inconnu, dont le but était peut-être de s'amuser de sa crédulité, et de profiter de la lettre qu'il avait si facilement obtenue d'elle, pour divertir ses confidents; une telle supposition n'entra pas dans son esprit, malgré sa disposition naturelle à un peu de méfiance. Cependant la conduite mystérieuse d'Anatole en pouvait inspirer à de plus confiants. Mais, sait-on jamais bien par quel motif on doute, ou l'on croit? N'a-t-on pas vu des illusions durer toute la vie, malgré l'évidence attachée à les détruire! Et la vérité qui prouve n'est-elle pas souvent sacrifiée à l'erreur qui persuade?

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