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Anatole, Vol. 1

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CHAPITRE VIII

La princesse était ce soir-là à Versailles, et sa loge resta à la disposition de madame de Nangis, qui eut le chagrin de n'y recevoir personne. On donnait Armide, et Valentine se livrait au plaisir d'entendre ce chef-d'œuvre, qui réunit tous les genres de perfection, lorsque la comtesse lui dit de contempler le plus beau visage qu'elle ait vu de sa vie. Imaginant que sa sœur lui désigne une femme, elle regarde dans la loge qu'elle lui indique, et ses yeux rencontrent ceux d'un jeune homme dont la figure était en effet remarquable. Honteuse d'avoir été surprise dans ce mouvement de curiosité par celui qui l'excitait, elle rougit, baisse les yeux, et, sans oser le considérer davantage, elle répond à sa sœur qu'elle est de son avis. «C'est probablement quelque étranger, dit la comtesse, car un homme de cette tournure-là serait déja connu de tout Paris, s'il y était seulement depuis deux mois. Vous, qui dessinez si bien, vous devez trouver que c'est un beau portrait à faire.» Valentine essaya une seconde fois de vérifier si l'admiration de madame de Nangis était fondée; mais le même regard qui l'avait déja troublée l'empêcha d'en voir davantage. Elle se décida à croire sa belle-sœur sur parole. La comtesse ne se lassait point de comparer les traits de cet étranger à ceux des plus belles têtes grecques, mais elle en perdit bientôt le souvenir, tandis que Valentine, qui les avait à peine entrevus, se les rappelait encore.

Au commencement du quatrième acte, madame de Nangis, n'ayant pas aperçu le chevalier, et présumant qu'il pourrait peut-être venir chez elle, proposa à Valentine de s'en aller pour éviter les embarras de la sortie de l'opéra, et l'inconvénient d'être obligée d'accepter la main de quelque ennuyeux. Valentine émue par le bonheur d'Armide, regretta vivement de ne point entendre ses touchantes plaintes, et se promit de revenir à la prochaine représentation de ce bel ouvrage.

Pendant que ces dames attendaient sous le vestibule, elles virent descendre du grand escalier deux hommes, dont le plus jeune fut bientôt reconnu; l'autre paraissait âgé de cinquante ans, c'était l'ancien gouverneur ou plutôt l'ami d'Anatole, de ce jeune étranger qu'avait remarqué la comtesse. Un hasard heureux, si l'on peut appeler ainsi ce desir vague qui entraîne à suivre les pas d'une jolie personne, avait heureusement amené ces messieurs au moment où l'on vint avertir madame de Nangis que son carrosse l'attendait. Valentine exige qu'elle y monte la première, et s'élance pour la suivre, lorsque les chevaux qui n'étaient retenus que par un cocher ivre, partent comme un éclair, entraînent le laquais qui tenait la portière; et Valentine tombe sous les pieds des chevaux d'une voiture qui se trouvait derrière celle de la comtesse. Elle allait en être atteinte, quand un homme se précipite sur le timon de cette voiture, en reçoit un coup violent, repousse avec effort les chevaux que les cris animaient, et relevant Valentine, il la porte évanouie sous le vestibule. Au même instant, les gens de madame de Nangis reviennent suivis du carrosse, pour la chercher. On l'y transporte, après s'être assuré que la frayeur est seule cause de l'état où elle est, sans s'inquiéter de celui où on laisse l'homme qui l'a sauvée.

Un flacon de sels que portait toujours la comtesse, ranima bientôt les esprits de Valentine: elle s'efforça de tranquilliser sa belle-sœur, dont les inquiétudes étaient d'autant plus vives, qu'elle se reprochait le caprice qui l'avait conduite à l'opéra en dépit de tout, et s'accusait du malheur de Valentine. C'est en pareille occasion que l'on pouvait juger de la bonté du cœur de madame de Nangis, et lui pardonner tous les travers de son esprit. Rien n'égalait sa touchante sollicitude pour un ami souffrant, ni sa générosité pour un ami malheureux. Alors tous les intérêts d'amour-propre qui la gouvernaient dans le monde, étaient sacrifiés au desir d'obliger. Souvent envieuse du bonheur des autres, le malheur la trouvait toujours noble et courageuse. Et l'on peut dire que le tort d'abandonner ses amis dans la disgrace, était la seule mode qu'elle ne suivit pas.

De retour à l'hôtel, madame de Nangis raconta franchement à son mari ce qui lui était arrivé à l'opéra, en lui disant que ses reproches ne sauraient aller au-delà de ceux qu'elle se fesait à elle-même. Aussi ne lui en adressa-t-il aucun, dans la crainte d'ajouter au chagrin dont elle était pénétrée en pensant au danger qu'avait couru sa sœur. Elle desirait passer la nuit auprès de son lit, mais Valentine n'y voulut pas consentir. Elle assurait n'éprouver d'autre effet de sa chûte qu'un peu de courbature et un tremblement dans les nerfs causé par la frayeur. Comme il ne lui restait qu'un souvenir confus de cet événement, elle ne put satisfaire aux questions que son frère lui fit à ce sujet; et l'on sonna Richard, qui en avait été témoin, pour lui en demander les détails. Il raconta d'abord simplement le fait, mais quand il vint à dépeindre celui qui s'était si courageusement précipité au secours de la marquise, madame de Nangis s'écria: «Il n'en faut pas douter, ma chère, c'est notre bel étranger, et voilà un commencement de roman dans les formes. Vous êtes charmante, il est beau comme Apollon, vous ne l'avez jamais vu, il vous sauve la vie; c'est la perfection du genre. Mais ne faudra-t-il pas connaître un peu votre héros? Qu'est-il devenu, Richard, après notre départ? – Comme il me fallait suivre madame, je n'ai guère eu le temps de le savoir. J'ai seulement vu deux domestiques avec une livrée que je ne connais pas, transporter dans une belle voiture le jeune homme qui avait relevé madame la marquise. Ils étaient suivis d'un vieux monsieur qui se désespérait, en disant: «Le malheureux a l'épaule cassée.» Et je crois que cela se pourrait bien, car à la manière dont il s'est jeté sur les chevaux, il doit avoir reçu un violent coup de timon.» Valentine fut saisie d'effroi en apprenant l'affreux accident dont le sien était cause; elle donna l'ordre qu'on s'informât à qui elle avait tant d'obligation, et se promit de ne rien négliger pour lui en témoigner sa reconnaissance. M. de Nangis qui partageait ce sentiment, s'engagea à faire des démarches pour apprendre le nom de cet étranger, et l'aller remercier d'une action aussi généreuse.

L'esprit trop agité de cet événement, Valentine passa la nuit sans dormir. Elle médita sur le hasard qui avait conduit ce jeune homme à sortir de l'Opéra en même temps qu'elle, et sur le mouvement d'humanité qui l'avait porté à tout risquer pour la sauver. Une grande ame pouvait seule être susceptible d'un si noble désintéressement; et Valentine se plaisait à faire l'énumération de toutes les qualités qui dérivent de celle-là. Son imagination, exaltée par la reconnaissance, se peignait toutes les vertus réunies dans celui qui venait de lui offrir la preuve d'un cœur aussi compatissant; elle aurait voulu trouver quelque ingénieux moyen de l'en remercier, sans être obligée d'avoir recours à ces phrases vulgaires qu'on adresse également à l'homme qui vous sauve la vie, et à celui qui ramasse votre éventail. Mais l'idée de se trouver en présence de cet étranger l'embarrassait; elle sentait que sa jeunesse et les agréments qui le distinguaient, intimideraient sa reconnaissance, et le trouble qui naissait de ces diverses réflexions la jetait dans des pensées vagues, que rien ne pouvait ni fixer ni distraire.

CHAPITRE IX

Le malheureux cocher dont l'imprudence avait causé tout ce désastre, fut impitoyablement chassé. Valentine tenta vainement de demander sa grace; M. de Nangis ne se laissa point fléchir; mais le pauvre Saint-Jean, en quittant la maison, reçut de madame de Saverny, pour consolation, quelques louis, et l'assurance de sa protection. Mademoiselle Cécile, la nouvelle femme de chambre de la marquise, qui avait été chargée de remplir cette commission auprès de lui, y joignit la promesse de rappeler à sa maîtresse les recommandations qu'elle lui avait fait espérer dès qu'il trouverait à se placer.

L'accident arrivé à Valentine fit bientôt assez de bruit pour que l'on envoyât de toutes parts s'informer de ses nouvelles. Elle fut accablée de visites, et en supporta patiemment l'importunité, dans l'espérance d'apprendre le nom de celui qu'elle desirait tant connaître. Mais personne ne se trouvait avoir d'ami à qui il fût arrivé une semblable aventure; et les questions de Valentine n'eurent pas plus de succès que les démarches de son frère. Pour expliquer ce mystère, on décida que Richard s'était trompé en croyant ce jeune homme grièvement blessé, et que c'était probablement un étranger qui ne devait pas séjourner à Paris, et que les suites de cet événement n'y avaient pas retenu. Cette explication suffit à tout le monde, excepté à Valentine, qui ne la trouva pas assez positive pour la dispenser de toutes recherches. On lui dit que le commandeur de Saint-Albert avait envoyé son valet de chambre s'informer de l'état où elle se trouvait, quelques moments après qu'on l'eut ramenée de l'opéra. Cette circonstance la frappa, elle était sûre de n'avoir point vu le commandeur au spectacle; et il n'y avait à la sortie que les deux personnes dont elle desirait tant savoir le nom: elle pensa donc que le commandeur n'avait pu être aussitôt instruit de sa chûte que par le récit de l'une de ces deux personnes, et conçut l'espérance d'apprendre de lui tout ce qui pouvait satisfaire sa curiosité. Le motif en était trop noble pour le cacher; et Valentine écrivit un billet au commandeur, pour l'inviter à venir la voir un instant. Mais on fit répondre qu'il était à la campagne, et n'en reviendrait que dans huit jours. Il fallut se résigner à attendre, et peut-être à paraître ingrate, lorsqu'on était pénétrée d'une si vive reconnaissance.

Le chevalier d'Émerange n'avait pas manqué cette occasion de donner des preuves d'intérêt à madame de Saverny; mais ne voulant plus se compromettre avant de savoir l'effet que produiraient ses soins, il se renferma dans les expressions d'une politesse affectueuse. La préoccupation de Valentine lui parut d'un bon augure, il ne supposa point qu'un autre pût en être l'objet, et répondit sans méfiance aux questions de madame de Nangis, quand elle lui demanda s'il n'avait pas rencontré dans le monde celui qu'elle appelait en riant, le bel Étranger. Le chevalier dit qu'il était poursuivi par ce personnage mystérieux qu'il n'avait jamais vu, et dont tout le monde lui demandait le nom. Il ajouta qu'étant arrivé quelques jours avant aux Tuileries, il avait été accosté par une foule de gens qui avaient tous compté sur lui pour leur apprendre ce qu'était un homme fort remarquable par la noblesse de sa taille et de ses traits, et qui venait de monter à cheval, après s'être promené quelque temps avec un de ses amis. «Je vous avoue, poursuivit le chevalier, que cette curiosité me parut trop ridicule pour la partager: je m'en fais le reproche, actuellement que je soupçonne ce beau monsieur d'être votre héros. Cependant, calmez vos regrets par le souvenir de madame de V… qui fut sauvée du feu dans une auberge, par le plus bel homme de France, dont elle devint folle, et qui aurait peut-être fait la passion de sa vie, si elle n'avait pas eu l'idée d'aller un jour acheter une robe de satin dans je ne sais quelle boutique à Lyon, où son libérateur déroulait des étoffes au public avec une grace toute particulière. – Ah! quelle chûte horrible, s'écria la comtesse, quelle affreuse découverte! – Pour l'amour peut-être, dit Valentine, mais pour la reconnaissance, je ne vois pas ce qui rendrait honteuse d'en témoigner à un marchand d'étoffes? – Certainement, reprit le chevalier, il n'y a là rien de honteux, mais il est toujours gênant d'avoir des obligations à des gens trop fiers pour recevoir de l'argent, et trop pauvres pour être vos amis. On ne sait comment s'acquitter, et l'on devrait exiger d'un garçon de boutique, qui vous rend un pareil service, d'ajouter au bas de son mémoire; Tant pour avoir sauvé la vie de madame.» On rit de cette idée folle, et le chevalier parvint à jeter tant de ridicule sur ces prétendus héros mystérieux, toujours prêts à braver quelque danger, que personne n'osa dire un mot en faveur de celui qui s'était exposé pour Valentine.

 

La société de madame de Nangis était en général dominée par l'esprit de M. d'Émerange. Les jeunes gens le prenaient pour modèle, et croyaient imiter son élégance en singeant ses manières. Comme tous les imitateurs, ils fesaient rarement un juste emploi des défauts ou des agréments qu'ils lui empruntaient; l'un, séduit par l'ironie piquante qui égayait sa conversation, sans choquer les convenances, se moquait lourdement des choses les plus sacrées, croyant imiter la grace avec laquelle le chevalier semblait se sacrifier en fesant l'aveu de ses défauts. Un autre se vantait de vices abominables. Tous exagéraient son affectation à plaire sans aimer; ils traduisaient son naturel en familiarité, son indifférence en impolitesse, et son enthousiasme en fureur. C'était enfin le chef le plus séduisant d'une école détestable. Les vieux parents de ces jeunes étourdis, accusant le chevalier de leurs travers, essayaient vainement de les éloigner d'un modèle aussi dangereux. Dans le dépit de voir leurs conseils méprisés, ils formaient un parti d'opposition contre le chevalier, que celui-ci s'amusait quelquefois à gagner par des prévenances flatteuses et des témoignages d'une estime particulière. Personne ne savait mieux que lui, pour ainsi dire, jouer de l'amour-propre des autres; son talent allait jusqu'à s'attirer la protection de la présidente de C… qui arrivait toujours chez sa nièce avec l'intention de l'engager à recevoir moins souvent un homme dont les assiduités finiraient par la compromettre, et qu'un éloge adroitement indirect, ou l'apologie de quelque orateur du parlement, rendait aussi indulgente pour le chevalier, qu'elle s'était promise d'être sévère. Quant aux autres femmes de la société de madame de Nangis, elles en pensaient du bien ou du mal, en raison du plus ou moins de soins qu'elles en recevaient. Madame de Réthel était la seule qui se piquât sur ce point d'une noble indépendance; elle écoutait sans impatience comme sans intérêt, et s'amusait parfois des moyens qu'elle lui voyait employer pour parvenir à son but. Aussi le chevalier avait-il pour elle autant de haine que d'égards. C'est ainsi que les gens habitués à dominer pardonnent plutôt au censeur qui les fronde, qu'au sage qui les observe.

CHAPITRE X

Au bout de huit jours le commandeur de Saint-Albert revint de la campagne, et son premier soin, en arrivant, fut de se rendre à l'invitation de madame de Saverny. Elle était seule quand il se fit annoncer chez elle; l'entretien tomba naturellement sur le danger qu'elle avait couru. «J'ai bien regretté, dit le commandeur, de ne pouvoir vous témoigner, madame, à quel point je partageais les inquiétudes de vos amis, mais un devoir impérieux me retenait à dix lieues d'ici, auprès d'un malade; cela ne m'a point empêché d'avoir tous les jours de vos nouvelles. – Je ne méritais pas tant de sollicitude, dit Valentine; ce n'est pas moi qui ai souffert des suites de cet événement, mais on assure que la personne à qui j'ai tant d'obligation, est dangereusement blessée. A ces mots la physionomie de M. de Saint-Albert prit un air si triste, que Valentine ajouta, avec émotion: Ah! mon Dieu! serait-ce un de vos amis? – Que je le connaisse ou non, reprit-il, en s'efforçant de paraître calme, il a fait une action très-simple, et quand il lui en coûterait quelque chose pour vous avoir secourue, il ne serait pas fort à plaindre. – Certainement il ne le serait pas plus que moi, car l'idée de savoir que je puis être cause d'un semblable malheur, ne me laisse aucun repos. Encore si je pouvais découvrir à qui j'en dois témoigner ma reconnaissance. – Il serait trop récompensé vraiment, s'il était témoin de votre inquiétude; mais ce n'est peut-être, de votre part, qu'un peu de curiosité. Ne vous blessez pas de cette supposition, ajouta-t-il, en remarquant l'air offensé de Valentine; il est aussi naturel de vouloir connaître son bienfaiteur, que de l'oublier; passez-moi de grace ces petites vérités-là; j'aime à penser qu'elles n'en sont pas pour vous, mais l'habitude m'emporte: j'ai tant vu le monde, qu'il me reste bien peu d'illusion sur les motifs qui le font agir; j'ai surtout le tort de les dire aussitôt que je les devine, même au risque de me tromper; et je vous demande, pour ma franchise, la même indulgence que l'on accorde ordinairement à la dissimulation. – Ce ne serait pas beaucoup exiger de moi, car je hais tout ce qui trompe; mais si je réclame toute la sévérité de votre franchise, je ne veux pas qu'elle me calomnie. – Vous me croyez donc injuste? – En ce moment, par exemple. – Eh bien! tant mieux, vous vous défendrez et vous me verrez bientôt persuadé de mon injustice. – Je suis fort honorée de cette preuve de confiance, et… – Il n'est pas besoin de confiance pour entendre la vérité. – Et si je ne la disais pas? reprit en souriant Valentine. – Je le verrais. – Vous êtes bien heureux de savoir distinguer ainsi la vérité. – C'est un talent bien commun, je vous jure; et les dupes sont plus rares qu'on ne pense. Les discours sont devenus une monnaie de convention dont chacun sait la valeur réelle. Quand un ministre promet une place au solliciteur qui le comble de remerciements, ils savent parfaitement ce qu'ils doivent attendre l'un de l'autre. Un amant jure de se donner la mort, sans causer le moindre effroi à sa maîtresse, et lorsqu'elle paraît s'évanouir, en entendant sa menace, il sait que c'est un procédé reçu, et qu'elle n'en est pas moins bien décidée à lui survivre. Les souverains mêmes ne sont plus dupes des flatteries de leurs courtisans, et n'ignorent pas qu'en langage de cour: Vous êtes le plus grand des rois: veut dire tout simplement, accordez-moi une faveur. Enfin, depuis que l'on s'écoute des yeux, personne ne s'abuse; car rien n'est aussi franc que la physionomie; et je puis vous assurer que, si dans le monde on ment beaucoup, on trompe fort peu. – Alors pourquoi se donner une peine inutile? – Je pense comme vous, qu'on pourrait se l'épargner avec beaucoup de gens, mais on en rencontre toujours un petit nombre dont l'inexpérience peut servir d'amusement. – Ceci n'est pas fort rassurant pour une femme qui débute dans le monde. – Ne croyez pas cela, le danger est tout entier pour celle que la vanité aveugle: la femme qui ne cède qu'aux impulsions de son cœur est rarement trompée; pour l'attendrir il faut l'aimer; et la plus ignorante sait si bien apprécier la sincérité des sentiments qu'elle inspire! – Vous m'étonnez; j'avais toujours entendu dire que sur ce point les plus spirituelles étaient souvent dupes des hommes les moins fins. – Elles le disent, parce que c'est une manière d'excuser leurs faiblesses, et d'exciter l'intérêt qu'on a pour la victime d'une perfidie; mais le fait est que rien ne s'imitant aussi mal que le véritable amour, il faut bien se prêter aux ruses d'un trompeur pour en être séduite. Vous avez peut-être déja remarqué des preuves de cette vérité, car je vous crois l'esprit assez juste pour apprécier la valeur des hommages que l'on vous prodigue. On a dû vous répéter souvent que vous étiez belle, qu'on vous adorait; et vous avez sagement jugé que de ces deux choses, l'une était vraie et l'autre fort douteuse.» En disant ces mots, le commandeur regarda Valentine attentivement. Il semblait vouloir deviner si son cœur ignorait encore le bonheur d'être aimée. La naïveté qu'elle mit à lui répondre, ne lui laissa aucun doute à ce sujet: elle ne lui cacha point l'espèce d'effroi que lui causait ce tourbillon du monde où elle se trouvait lancée malgré elle, et lui fit entendre qu'elle attacherait un grand prix aux conseils d'un homme assez éclairé pour la bien guider. C'était réclamer ceux de M. de Saint-Albert. Touché de tant de confiance et de modestie, il lui promit tout le zèle d'un ami dévoué, et finit par lui dire: – Savez-vous qu'il faut bien vous aimer pour consentir ainsi à vous déplaire; car le rôle d'un vieil ami est parfois celui d'un censeur. – Rappelez-vous le premier mot que j'ai entendu de vous, et vous conviendrez qu'on peut me censurer sans me déplaire. – Ah! je ne doute pas de votre indulgence pour les sots jugements, je ne crains que pour ceux qui sont justes et sévères; ce sont les seuls qu'on ne pardonne pas. – Qu'avez-vous à craindre, je supporte bien vos injurieux soupçons, quand il vous plaît de mettre sur le compte d'une curiosité frivole, le desir si naturel de connaître une personne qui s'est blessée pour moi. – Ah! vous y revenez: cela vous inquiète donc véritablement? – Plus que je ne saurais vous le dire. – Aimable personne! ajouta le commandeur, en voyant l'émotion de Valentine. Votre bon cœur ne peut supporter l'idée du malheur d'un autre! même de l'être le plus indifférent pour vous! Peut-être n'avez-vous pas même aperçu celui qui excite votre reconnaissance? – Je crois… l'avoir… vu, répondit-elle, en hésitant, et madame de Nangis assure qu'il est remarquable par la tournure la plus distinguée. – Il l'est bien davantage par son esprit et son cœur, dit en soupirant M. de Saint-Albert. – Vous le connaissez, s'écria Valentine, en laissant tomber son ouvrage; ah! de grace nommez-le moi! – Je ne le puis. – Quelle raison peut vous en empêcher? – Ma parole. – On vous aura demandé le secret pour se soustraire à des remerciements souvent importuns, et vous aurez promis de seconder cet excès de délicatesse; mais on peut trahir sans inconvénient une promesse de ce genre. – S'il fallait calculer l'importance d'un engagement pour le tenir, on risquerait souvent d'être infidèle: il est si commun de regarder comme une chose indifférente celle qui ne touche que nos amis. – Ah! vous êtes incapable de tant d'égoïsme; et votre raison vous éclaire assez pour distinguer le serment qu'on doit tenir de la promesse qu'on peut enfreindre. – Je n'entends rien à ces distinctions-là. Sans examiner si le secret en vaut la peine, je le garderai; mais je ne serai pas si discret sur votre sensibilité, et je vous demande la permission d'en répéter les expressions touchantes.» En finissant ces mots, le commandeur salua Valentine, et partit sans attendre sa réponse.

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