Za darmo

Anatole, Vol. 1

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

CHAPITRE IV

Il était neuf heures du matin, lorsque Valentine s'entendit réveiller par une petite voix qui lui disait assez bas: «Ma tante, dormez-vous?» – Ah! c'est toi, ma chère Isaure! viens, que je t'embrasse. – Je n'y vois pas, je vais appeler Antoinette pour ouvrir les volets.» A peine Antoinette est entrée, qu'Isaure est sur le lit de sa tante qui la serre dans ses bras. – Comme tu es grandie depuis six mois, chère enfant; regarde-moi un peu! Tu as les mêmes yeux que ton père! – Oh! cela n'est pas possible, ma tante, car M. d'Émerange me dit tous les jours que je suis jolie, parce que je ressemble à maman. – Ce monsieur peut avoir raison, mais il ne saurait empêcher que tu n'aies les yeux bleus de ton père; au reste, peu m'importe qu'ils soient noirs ou bleus. Si l'on te trouve déja quelque ressemblance avec ta mère, c'est que tu es probablement aussi bonne qu'aimable. – Je le crois bien; mon maître de piano est fort content; et mon papa dit que si je travaille toujours aussi bien, il me fera jouer l'année prochaine devant le monde. – L'année prochaine! mais tu seras bien jeune encore. – Pas si jeune, j'aurai sept ans. Miss Birton dit qu'à cet âge-là on n'est plus un enfant. – Qu'est-ce que c'est que miss Birton? – C'est une nouvelle gouvernante que maman m'a donnée pour m'apprendre l'anglais; mais je ne crois pas qu'elle reste long-temps ici; elle se plaint toujours. – Tu ne lui obéis peut-être pas assez? – Ce n'est pas cela qui la fâche; mais elle dit qu'on n'a point assez d'égards pour elle: par exemple, hier on ne l'a pas invitée au concert; et elle m'a grondée toute la soirée. Je pourrais bien la faire gronder aussi, moi, si j'allais répéter tout ce qu'elle disait hier de maman. – Ce serait une méchanceté dont j'espère qu'Isaure est incapable; c'est déja trop de me le dire.



Tout en écoutant le bavardage de sa nièce, madame de Saverny s'habillait, et se disposait à se rendre chez sa belle-sœur pour s'informer de ses nouvelles; mais Isaure lui apprit que l'on n'entrait jamais chez sa mère avant midi, elle ajouta: Je vais voir si mon papa est dans son cabinet. Je le préviendrai de votre réveil, et nous viendrons déjeûner avec vous.



Elle revint bientôt accompagnée de M. de Nangis, qui se livra tout entier au plaisir de revoir sa sœur. Il s'excusa de n'avoir pu le lui témoigner la veille. Mais elle devait savoir qu'un jour de réunion les étrangers passent avant tout. Il lui parla dans le plus grand détail des avantages qu'elle pourrait retirer de son séjour à Paris. Le premier de tous, à ses yeux, était de faire faire à sa sœur un grand mariage. Dans les idées de M. de Nangis, le bonheur n'était autre chose qu'un état brillant dans le monde; et c'est dans la franchise de son amitié, qu'il conseillait à sa sœur de tout sacrifier au projet d'un second établissement, digne de sa fortune. Valentine avait un sincère desir de se laisser diriger dans sa conduite par son frère. Elle rendait justice à ses bonnes qualités, à l'esprit d'ordre qui le caractérisait; mais elle se sentait incapable d'être heureuse d'un bonheur qu'il lui aurait choisi; leurs goûts étaient trop différents.



Madame de Saverny, docile sur tous les petits intérêts de la vie, avait cependant une volonté immuable. On la voyait sans cesse soumettre ses projets, ses plaisirs, aux caprices de ses amis; mais aucun deux n'eût obtenu le sacrifice d'un de ses sentiments. Élevée dans la retraite la plus austère, elle avait appris à mépriser les joies et les tourments de la vanité. Les religieuses, chargées de son éducation, sachant que la volonté de son père la condamnait à vivre loin du monde, lui en avaient fait un tableau effrayant; à force de lui répéter que l'égoïsme et la perfidie dirigeaient toutes les actions des hommes, Valentine en avait conçu tout naturellement une sorte de défiance qui nuisait à son bonheur. L'assurance d'une sincère amitié lui semblait une politesse, l'éloge une flatterie, et le serment un mensonge. Cependant son ame tendre ne pouvait se passer d'affections vives. Mais la dévotion la plus exaltée les avait toutes concentrées, jusqu'au moment où M. de Saverny vint mériter son attachement et sa reconnaissance, et lui prouva qu'un homme, élevé dans de bons principes, peut se conserver vertueux au milieu du grand monde; mais soit faiblesse, ou prudence, il ne chercha point à détruire les préventions qui la rendaient souvent injuste envers les autres hommes. Peut-être avait-il prévu qu'en mettant son esprit à l'abri des dangers de la séduction, elle n'en aurait encore que trop à vaincre pour son cœur. Une longue habitude du monde avait démontré à M. de Saverny que le plus grand malheur d'une femme n'est pas de succomber au sentiment qu'elle éprouve, mais au caprice qu'elle inspire; et sa tendresse vraiment paternelle pour Valentine, avait voulu la préserver du malheur si commun d'être dupe de la vanité d'un fat ou de la légèreté d'un étourdi.



CHAPITRE V

Les premiers jours qui suivirent l'arrivée de madame de Saverny à Paris, furent entièrement consacrés à des visites de famille que son frère avait exigées avant tout, et aux différentes emplettes des chiffons que madame de Nangis regardait comme l'absolu nécessaire d'une femme élégante. En personne qui n'a rien à redouter des succès d'une autre, elle se réjouissait de celui qu'obtiendrait Valentine, lorsqu'elle paraîtrait pour la première fois dans une grande assemblée, revêtue d'une parure brillante et recherchée, dont le bon goût attesterait les soins qu'y aurait apportés madame de Nangis, et le généreux plaisir qu'elle trouvait à montrer dans tout son éclat la beauté de sa sœur. On se tromperait, si l'on concluait d'après ce noble procédé, que madame de Nangis fût incapable d'envie: mais on est rarement jaloux de son ouvrage; et l'idée que Valentine lui devrait son triomphe, lui en fesait partager d'avance la gloire.



Le moment d'en jouir fut fixé au jour que choisit la princesse de L… pour donner un grand bal. L'effet qu'y produisit la beauté de madame de Saverny alla fort au-delà de ce que s'en était promis sa belle-sœur. C'était, disait-on, la taille la plus svelte, le regard le plus séduisant, la tournure la plus gracieuse et la plus imposante. Les personnes dont l'esprit malin s'était épuisé en bons mots sur l'Artemise du concert de Madame de Nangis, restaient confondues, et ne pouvaient concevoir que le seul talisman d'une parure nouvelle eût eu le pouvoir d'opérer une semblable métamorphose. Leur malignité en était réduite à la triste ressource d'avouer que la marquise de Saverny était assez belle, mais d'une beauté insignifiante. Ceux qui ne l'avaient jamais vue, combattaient avec raison cet avis injurieux; et Valentine ne fut pas long-temps à s'apercevoir qu'elle était l'objet de l'attention générale. Sa modestie en souffrit d'abord un peu, mais son amour-propre jouit bientôt du plaisir d'être admirée; elle en devint plus agréable encore, car rien n'embellit comme la certitude de plaire. Tant d'hommages l'auraient peut-être un peu trop enivrée, si elle n'avait entendu dire à un homme qui passait auprès d'elle: – Je me méfie de ces Beautés si régulières; elles naissent ordinairement sans esprit, et la flatterie les rend stupides. – Cette phrase, et le ton de mépris qui l'accompagne, excitent la curiosité de Valentine; elle veut connaître la figure d'un censeur aussi sévère, se retourne, et voit un homme dont l'âge lui rappelle M. de Saverny, mais dont les yeux brillants et les traits marqués donnent à sa physionomie une expression dure qui inspire plutôt la crainte que la confiance. Pour se venger de la sentence qu'il vient de prononcer un peu trop haut contre elle, madame de Saverny se penche vers sa sœur, et lui demande comment on nomme ce monsieur si peu indulgent; c'est le commandeur de Saint-Albert, répond madame de Nangis, un original qui se croit le droit de tout fronder, parce qu'il est trop vieux pour s'amuser de rien. C'est par égard pour l'ambassadeur d'Espagne, dont il est l'intime ami, qu'on l'invite par-tout. Votre frère prétend que c'est un homme de beaucoup de mérite, il appelle son humeur de la fermeté, et sa rudesse de la franchise; moi qui ne fais aucun cas de ces vertus désagréables, je le reçois le moins possible. C'est dommage, reprit Valentine, vous l'auriez sûrement guéri de ses préventions. – Ces derniers mots parvinrent aux oreilles du commandeur, et lui firent soupçonner qu'il avait été entendu de madame de Saverny. Il en conclut qu'elle allait le prendre en horreur, et fut très-étonné de la voir empressée de causer avec lui, lorsque M. de Nangis vint lui en offrir l'occasion. Il fit la réflexion toute simple, que la marquise était bien aise de lui prouver la rigueur de son jugement contre les belles femmes. Il la trouva digne d'une exception, mais il se garda bien de lui en faire la confidence; son éloignement pour toute espèce de galanterie le rendait avare des éloges les plus mérités. Sous prétexte de ne point gâter les femmes, il parlait de leurs défauts avec une ironie dédaigneuse, qui le rendait redoutable; et quand on lui en faisait le reproche, il répondait que cette sévérité lui avait plus rapporté depuis qu'il était vieux, que tous les beaux sentiments de sa jeunesse. En effet, l'envie de se mettre à l'abri de ses épigrammes rendait beaucoup de femmes soigneuses envers lui, et lui donnait le droit de croire qu'on les captive plus par la crainte que par la soumission.



Il était déja tard lorsque le chevalier d'Émerange, après avoir donné l'inquiétude de ne le pas voir, arriva enfin. Le plaisir de se faire attendre avait pour lui tant de charmes, qu'il manquait souvent à ses engagements, dans l'unique espérance de s'entendre raconter le lendemain avec quelle impatience on l'avait attendu. Pour cette fois, la présence de madame de Saverny avait occupé tout le monde, et l'absence du chevalier n'avait été remarquée que d'un petit nombre de personnes. En entrant dans le premier salon, il fut étourdi par les discours emphatiques des admirateurs de Valentine. Pour leur prouver qu'il ne partageait pas leur enthousiasme, et qu'il l'avait assez vue pour la bien juger, il affecta de rester fort long-temps avant d'entrer dans le salon où elle était, et ne parut s'y décider que dans l'intention d'aller saluer madame de Nangis; mais madame de Saverny eut son premier regard, et l'impression qu'elle produisit sur lui fut d'autant plus vive, qu'il s'efforça de la cacher. A peine eut-il l'air de l'apercevoir. Madame de Nangis qui commençait à être importunée des hommages que l'on prodiguait à sa sœur, sut bon gré au chevalier de cette négligence, et l'en récompensa en ne s'occupant que de lui. Il parut quelque temps ravi de cette préférence, mais quand il s'aperçut que madame de Saverny n'y prenait pas garde, et qu'elle semblait écouter avec intérêt la conversation du commandeur et de quelques autres personnes qui l'entouraient, il se fatigua de la gaîté de madame de Nangis, et s'éloigna d'elle.

 



Un attrait irrésistible le ramena bientôt auprès de Valentine. Malgré toutes ses résolutions, il sentit le besoin de lui plaire, en forma le projet, et s'appliqua à étudier les moyens d'y parvenir. L'embarras n'était pas de se conformer à ses goûts, mais de les connaître; et le chevalier résolut de se servir de l'esprit de madame de Nangis, pour apprendre à captiver celui de Valentine; bien décidé à se faire les opinions et le caractère qui devaient le mieux séduire la femme auprès de laquelle il desirait le plus de réussir.



CHAPITRE VI

Malgré les profits qu'y trouvait son amour-propre, Valentine ne pouvait se soumettre long-temps aux agitations d'une vie aussi dissipée. Elle pria sa sœur de la laisser disposer de ses matinées, qu'elle consacrait ordinairement à l'étude, et de la dispenser quelquefois de la suivre le soir dans ces grandes assemblées où l'ennui règne assez souvent; mais lorsque madame de Nangis se décidait à rester chez elle, Valentine se fesait un devoir de lui tenir compagnie, et de partager avec elle le soin de faire les honneurs de sa maison. M. d'Émerange, qui s'était aperçu de cette résolution, ne manquait pas de trouver quelques prétextes pour engager madame de Nangis à ne pas sortir. Tantôt il fesait trop froid, les spectacles étaient détestables, et d'ailleurs causait-on quelque part aussi bien que chez elle! Bonnes ou mauvaises, ces raisons étaient toutes accueillies; madame de Nangis les interprétait d'autant plus en sa faveur, que le chevalier redoublait de flatterie pour elle.



Un soir que ces dames étaient presque seules, il les surprit à rire d'une visite fort ridicule qu'elles venaient de recevoir. «Je crois que c'est par égard pour moi, disait Valentine à sa sœur, que vous attirez chez vous ces sortes de caricatures. Vous pensez me rendre mes plaisirs de Nevers; eh bien! vous vous trompez: nous n'avons en province rien d'aussi parfait que cela. – Je ne sais pas, dit M. d'Émerange, quels sont les originaux qui ont le bonheur d'exciter ainsi votre gaîté, mais je défie bien Nevers d'en avoir d'aussi ridicules que ceux qu'on rencontre tous les jours à Paris. – Eh bien! je gage, dit madame de Nangis, que vous allez reconnaître les nôtres! – Ah! je les devine, reprit le chevalier, n'est-ce pas ce grand niais de baron, qui traduit l'allemand sans l'avoir appris, et fait des vers sur le

oui

, le

non

, le

si

, le

car

, enfin sur tous les monosyllabes de la langue française. Sa petite femme a des yeux rouges, et des mains noires, dignes d'exercer la muse de son mari. C'est lui qui imagina un jour de s'habiller en sauvage pour jouer un proverbe qu'il avait composé en l'honneur de la fête de la jolie duchesse de R***. Il avait emprunté, pour ajouter à la vérité de son costume, une perruque de bête féroce, qui produisait un effet si bizarre sur sa figure moutonne, qu'il fut impossible de modérer les éclats de rire, et d'entendre un seul mot de sa pièce. Ah! c'est un homme précieux que je me ferai toujours un vrai plaisir de rencontrer! – N'ayez pas de regret, ce n'est pas lui que nous avons vu.» Alors le chevalier passa en revue tous les gens auxquels il trouvait ou donnait des ridicules. Madame de Saverny, sans reconnaître ses portraits, ne pouvait s'empêcher d'en rire. Il en conclut que sa malice l'amusait, et en devint plus piquant. Cependant un mot de madame de Nangis le fit changer de ton. – «Ne vous l'avais-je pas bien dit, Valentine, que la gaîté de M. d'Émerange triompherait de tous les genres de tristesse? Vous qui vantez si bien les charmes de la mélancolie, avouez que le plaisir de rêver ne vaut pas celui de rire.» Il n'en fallut pas davantage pour faire changer de rôle au chevalier: il amena avec adresse la conversation sur des sujets plus graves, raconta, sans affectation, quelques traits d'une sensibilité touchante, et jouit du plaisir de se voir écouté avec intérêt par Valentine. Madame de Nangis, que le chevalier n'avait pas accoutumée à des entretiens de ce genre, lui en témoigna son étonnement, en disant: «Serait-il bien indiscret de vous demander où vous avez lu tout cela? en vérité, le chevalier de Florian ne nous dirait rien d'aussi pathétique, et je ne vous aurais jamais soupçonné de sentiments si doux. – Voilà bien de vos jugements, répartit le chevalier avec impatience; parce qu'il est reçu dans le monde qu'on ne doit parler qu'avec son esprit, vous en concluez qu'on a le cœur sec. Ne savez-vous pas que l'on passe sa vie à afficher ses défauts qu'on n'a point. Vous, qui me raillez, je vous ai vue cent fois vous parer d'une légèreté factice, et tourner en plaisanterie le trait qui provoquait le mieux votre attendrissement. Sur ce point nous sommes tous plus ou moins hypocrites.» Madame de Nangis se trouva blessée de cette réponse, et plus encore du mouvement d'humeur qui semblait l'avoir dictée. Elle s'en vengea par des épigrammes, dont Valentine essaya d'adoucir l'amertume par des mots conciliants. Tout en conservant les formes de la plus stricte politesse, la querelle devint très-vive, et laissa des impressions fâcheuses dans l'esprit de la comtesse; elle soupçonna pour la première fois au chevalier le desir de plaire à sa belle-sœur, et l'accusa, intérieurement, d'avoir la fatuité de paraître la sacrifier à sa passion naissante. Elle en conçut d'abord une juste indignation; car la comtesse se croyait exempté de tous reproches, par la seule raison que sa conscience était en repos sur les droits du chevalier. Comme toutes les coquettes, elle comptait pour rien le malheur de se compromettre, et s'indignait qu'on pût la soupçonner d'un tort dont elle se donnait toutes les apparences.



Le retour de M. de Nangis termina toute discussion; il avait dîné chez l'ambassadeur d'Espagne, où l'on avait beaucoup parlé de madame de Saverny: son frère la félicita d'avoir fait la conquête la plus difficile; celle du vieux commandeur de Saint-Albert. – C'est un homme bizarre, dit le chevalier, mais qui n'a jamais manqué de goût. – Il ne l'use pas, repartit la comtesse, car il n'aime personne. – Si vous l'aviez entendu parler de Valentine, reprit M. de Nangis, vous auriez meilleure idée de son cœur. – Il me semble, ajouta le chevalier, qu'il ne devait pas moins à Madame, pour la complaisance qu'elle a eue de l'écouter toute une soirée. – Ce n'était point par complaisance, répondit Valentine, je puis vous l'assurer, sa conversation a je ne sais quel attrait de franchise qui la rend très-attachante. – Il est certain, interrompit la comtesse, que si vous mettiez du blanc, il n'aurait pas manqué de vous le dire, car il n'a jamais gardé le secret d'une chose désagréable. – Il paraît, reprit M. de Nangis, que Valentine l'a corrigé du défaut de médire, car, après en avoir fait l'éloge, il a ajouté que c'était la première femme qu'il eût jugée digne de tourner la tête d'un honnête homme, et que rien ne lui semblait aussi raisonnable que de beaucoup l'aimer. – Je ne me croyais pas si sage, dit le chevalier, de manière à n'être entendu que de Valentine.



CHAPITRE VII

Monsieur d'Émerange se retira convaincu de l'impression que son dernier mot avait dû produire sur Valentine, mais il se reprocha de lui avoir trop tôt laissé connaître celle qu'elle avait faite sur lui; et, pour réparer autant qu'il était en son pouvoir une faute aussi grave, il résolut de passer deux jours entiers sans voir ces dames. Par ce moyen il croyait prouver à madame de Saverny, qu'il n'en était pas au point de n'être heureux qu'en sa présence, et à madame de Nangis, qu'il ne lui donnerait jamais le droit de l'offenser impunément. Ce calcul ne réussit qu'auprès de la dernière, car Valentine n'avait pas eu l'idée de prendre au sérieux la furtive déclaration du chevalier; elle la mit au nombre de ces mots galants qu'il savait dire avec tant de grace, et n'en conserva aucun souvenir.



Madame de Nangis était loin de partager cette indifférence; le moindre mot du chevalier avait la puissance de déranger son humeur; tout de sa part la flattait ou la blessait, et dans cette occasion son absence lui parut une insulte. Il devait bien présumer que le lendemain de cette petite scène, elle aurait la migraine, et il n'envoya même point savoir de ses nouvelles. Ce procédé faillit la rendre vraiment malade, et quand M. de Nangis vint la conjurer, le surlendemain, de ne pas manquer à l'engagement qu'elle avait pris de dîner le même jour chez une de leurs vieilles parentes, elle eut besoin de tout son courage pour se résigner à remplir un devoir aussi ennuyeux.



Valentine la voyant un peu souffrante, lui donna tous les soins de la plus tendre amitié, et s'offrit de l'accompagner. On partit de bonne heure, pour se conformer à l'ancienne habitude qu'avait la présidente de C… de dîner à l'heure du marais; et l'on arriva bientôt dans la cour de l'hôtel le plus gothique et le plus triste de Paris. Un vieux laquais, posté au haut d'un grand escalier, donna le signal de l'arrivée de la comtesse, et l'on vit aussitôt un grand nombre de serviteurs invalides s'empresser d'ouvrir avec peine les battants d'une longue enfilade de portes. Les convives, déja réunis autour du fauteuil de la présidente, offraient l'image la plus imposante d'une assemblée de famille dont on aurait exclu les jeunes héritiers. Valentine fut accueillie par ce cercle vénérable avec tout le cérémonial d'une présentation. La présidente la traitait avec la considération que méritait à ses yeux la veuve d'un vieux gentilhomme, et se contentait de parler à Madame de Nangis, avec l'air protecteur qu'on a pour un enfant. Il faut convenir qu'elle en avait alors toute la maussaderie. Comme elle ne fesait aucun effort pour dissimuler son ennui, chacun pouvait deviner qu'il ne devait l'avantage de la voir qu'à sa déférence aux volontés de son mari; et personne ne lui savait gré d'un sacrifice fait d'aussi mauvaise grace.



Valentine, douée d'un meilleur esprit, savait tirer parti de celui de tout le monde. S'amusant de la gaîté, de la folie même, qui animent souvent la conversation des jeunes gens, elle s'intéressait à celle des savants et s'instruisait à celle des vieillards.



En achevant son éducation, M. de Saverny lui avait appris cette politesse, qui consiste encore plus à écouter avec intérêt, qu'à répondre avec bienveillance. Il n'avait rien oublié de ce qui pouvait ajouter au charme des qualités précieuses de Valentine; et son plus grand regret en mourant, fut d'ignorer à quel heureux mortel il léguait une femme aussi aimable.



Le mérite de madame de Saverny fut apprécié des amis de la présidente, et quand le dîner fut fini, on se disputa l'honneur de faire sa partie. Madame de Nangis avait grande envie de se soustraire aux lenteurs d'un boston, qui menaçait de remplir la soirée, mais elle y fut condamnée par un regard de son mari, dont la sévérité, pour tous ces petits devoirs de société, ne pouvait se comparer qu'à son indulgence pour de plus grands travers. La comtesse se promit bien de n'obéir qu'à moitié à cet ordre; elle savait que M. de Nangis devait se trouver le même soir à un rendez-vous chez le ministre des affaires étrangères, et dès qu'il fut parti, elle prétexta une subite indisposition, fit des excuses sur la nécessité de se retirer, et demanda sa voiture. Valentine, la croyant vraiment indisposée, la suit avec inquiétude, et l'engage à se mettre au lit aussitôt qu'elles seront de retour; mais elle est interrompue dans ses avis charitables par un grand éclat de rire de la comtesse, qui tire le cordon de sa voiture, et dit à ses gens: – A l'opéra. – Comment à l'opéra? s'écria Valentine: mais vous n'êtes donc pas malade? – Bonne raison! C'est surtout quand on est malade que l'on a besoin de se distraire. – Mais si vous alliez y souffrir davantage. – Je ne saurais être nulle part aussi mal qu'au milieu de tous ces vieux contemporains de ma tante. Mais en vérité je vous admire: comment trouviez-vous quelque chose à dire à ces gens-là; moi, je ne sais pas assez bien mon histoire de France pour causer avec eux, car je suis sûre que le plus jeune était page de Louis XIV. – Je n'ai pas le droit d'être aussi difficile que vous, reprit Valentine, et je supporte assez patiemment un moment d'ennui. Cependant, je sens que la gravité du Marais me para�

Inne książki tego autora