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Anatole, Vol. 1

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Anatole, Vol. 1
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AU LECTEUR

Le fond de ce Roman est vrai; puissé-je l'avoir rendu vraisemblable par les détails, et assez intéressant dans l'ensemble pour mériter à ce dernier Ouvrage l'accueil indulgent dont le public a bien voulu honorer Léonie de Montbreuse!

CHAPITRE I

«Eh bien, disait Richard, en brossant son habit de livrée, c'est donc après-demain que cette belle provinciale arrive? – Vraiment oui, répondit mademoiselle Julie, madame vient de m'ordonner d'aller visiter l'appartement qu'elle lui destine, pour savoir s'il n'y manque rien de ce qui peut être commode à sa belle-sœur; je crois qu'on aurait bien pu se dispenser de faire meubler à neuf tout ce corps-de-logis; madame de Saverny, accoutumée aux grands fauteuils de son vieux château, ne s'apercevra peut-être pas de tous les frais que madame a faits pour décorer son appartement à la dernière mode. – C'est donc une vieille femme? – Point du tout, elle a tout au plus vingt-deux ans; M. le comte est son aîné de plus de dix années, et madame la comtesse a bien au moins sept ou huit ans de plus que sa belle-sœur, puisqu'elle en avoue quatre. – Et cette parente a-t-elle un mari, des enfants, une gouvernante? Faudra-t-il servir tout ce monde-là? – Grace au ciel, elle est veuve; et je pense qu'elle est riche, car son mari était, je crois, aussi vieux que son château; et l'on n'épouse guère un vieillard que pour sa fortune. – Qui nous amène-t-elle ici? – Tout ce qu'il faut pour s'y établir, des gens, des chevaux; enfin, jusqu'à sa nourrice. – Ah! c'est un peu trop fort. Je sais ce que c'est que ces grosses campagnardes, qui se croient le droit de commander à toute la maison, parce qu'elles ont nourri leur maîtresse; ce sont de vieilles rapporteuses qui, sous prétexte de prendre les intérêts de leur cher nourrisson, vont leur raconter tout ce qui se dit ou se fait dans les antichambres; Lapierre est bien libre de se mettre au service de celle-là; quant à moi, je ne compte pas lui donner un verre d'eau. – Ah! tout cet embarras ne sera pas éternel, Madame s'en lassera bientôt, surtout s'il est vrai que madame de Saverny soit aussi belle qu'on l'assure; ne savez-vous pas, Richard, que deux jolies femmes n'ont jamais demeuré bien long-temps ensemble?» Les remarques philosophiques de mademoiselle Julie furent interrompues par le retour du carrosse de madame de Nangis. Son entrée dans la cour de l'hôtel fut un signal qui remit chacun à son poste. Mademoiselle Julie s'enfuit dans le cabinet de toilette; Richard prit un paquet de lettres arrivées de la veille, et qu'un peu de négligence lui fesait remettre le lendemain à sa maîtresse. Et madame de Nangis les décacheta, en embrassant la petite Isaure, qui venait au-devant de sa mère avec tout le plaisir d'un enfant qui interrompt une leçon ennuyeuse, pour aller remplir un devoir amusant.

«Ah! dit madame de Nangis, en s'adressant au chevalier d'Émerange, voici des nouvelles de Nevers. Ma belle-sœur arrive décidément jeudi. Je vous en préviens, chevalier, c'est une personne charmante. – A Nevers, peut-être? – Oui, monsieur, à Nevers, et par-tout; un joli visage, une belle taille, et beaucoup d'esprit, sont appréciés dans tous les pays. – Et c'est auprès de vous que madame de Saverny compte faire valoir tous ces avantages? Je la plains. – Vous me flattez aujourd'hui à ses dépens, reprit en souriant madame de Nangis, bientôt vous la louerez aux miens. Je vous connais; la beauté a sur vous un empire absolu; votre admiration pour elle va jusqu'au délire. C'est avec cet amour du beau en général, que vous avez trompé tant de jolies femmes qui se croyaient tendrement aimées, lorsqu'elles n'étaient que passionnément admirées. – En vérité, madame, je ne puis accepter l'honneur que vous me faites; car, non-seulement j'ai fort peu trompé, mais j'ai passé ma vie à l'être. Quant à l'admiration dont vous me faites un reproche, ce n'est pas ma faute si l'on m'y réduit.» Ces derniers mots furent accompagnés d'un regard que la comtesse ne voulut pas avoir l'air de comprendre; elle reporta ses yeux sur la lettre qu'elle tenait, en acheva la lecture, et dit: Elle écrit à ravir. Jugez-en vous-même, ajouta-t-elle, en donnant la lettre au chevalier, et convenez que vos Sévigné de Paris ne s'expriment pas mieux. – Cela n'est pas mal pour un style de province, répondit M. d'Émerange, après avoir lu; mais il n'y a pas grand mérite à écrire naturellement qu'on se promet beaucoup de bonheur à vivre auprès de vous. Que veut-elle dire en parlant de ses regrets, de son deuil, et de ce goût pour la retraite, qui nous annonce sûrement quelque grande passion? – Ses regrets sont pour ses vassaux et quelques amies d'enfance. Son deuil est celui qu'elle a pris à la mort de son mari. Et son goût pour la retraite n'est autre chose que l'ignorance des plaisirs du grand monde. Élevée au couvent, où son père desirait la voir cloîtrée pour toujours, elle n'en est sortie que pour épouser, sans dot, le marquis de Saverny. C'était un vieillard aimable quoiqu'infirme. Un jour, mon beau-père lui fit part du projet qu'il avait de sacrifier l'existence de sa fille à la fortune de son fils. Cet usage, très-commun alors dans les familles, rendait le fils aîné possesseur de tous les revenus, et le mettait en état de soutenir dignement son rang à la Cour. M. de Saverny, après avoir vainement combattu la résolution de son ami, pour en détruire l'effet, demanda la main de la pauvre Valentine; et tout s'est arrangé pour le mieux. Après deux ans de soins et de résignation, elle est devenue la riche héritière d'un mari trop vieux pour être long-temps regretté; et M. de Nangis profite sans scrupule de l'injustice de son père. – Je vois que tout le monde s'est fort bien conduit dans cette affaire-là, le défunt sur-tout: son dernier procédé met le comble à mon estime. – Si vous saviez tout ce que sa mort a coûté de larmes aux beaux yeux de madame de Saverny, vous n'en parleriez pas si légèrement; elle en était encore bien affligée lorsque je la quittai l'été dernier, et cependant elle avait déjà porté plus de huit mois le deuil; je voulais alors l'emmener à Paris, elle s'y refusa, et je n'en pus obtenir que la promesse de venir s'établir ici à la fin de son deuil. Je vois avec plaisir qu'elle me tient parole. Sa présence me sera d'une grande ressource cet hiver, car je n'aime point à aller seule dans le monde, et encore moins à y suivre M. de Nangis, dont la gravité se croirait compromise, si l'on pouvait le soupçonner d'être quelque part pour son plaisir. – En effet, reprit le chevalier, je me suis souvent demandé quel avantage il trouvait à passer ainsi sa vie en dîners d'apparat et en visites de cérémonie. – Je n'ai pas le droit de médire de ses goûts, puisqu'il ne gêne pas les miens. Peut-être, s'il en avait d'autres, serions-nous moins heureux. Aussi n'ai-je jamais exigé qu'il me les sacrifiât. Il reçoit mes amis avec politesse, je m'ennuie des siens avec complaisance, et rien ne trouble la paix qu'établit cette douce réciprocité.» L'arrivée de M. de Nangis mit fin à cette conversation, que rien n'empêchait de continuer devant lui, mais qui aurait perdu ce charme de confiance, qui n'appartient qu'au tête-à-tête. Le chevalier, persuadé qu'un tiers est toujours importun, se retira en promettant de revenir le lendemain soir au concert, où madame de Nangis avait invité la moitié de Paris à venir entendre une virtuose nouvellement arrivée d'Italie.

CHAPITRE II

Déja cinquante femmes richement parées décoraient les salons de madame de Nangis, tandis qu'un plus grand nombre d'hommes circulait autour d'elles, en leur adressant des compliments plus ou moins sincères sur leur parure ou leur beauté. Les artistes, qui devaient faire les délices de la soirée, paraissaient n'attendre qu'un mot de la maîtresse de la maison pour commencer le concert. Elle allait en donner le signal, lorsque la prima donna s'avançant respectueusement vers elle, lui déclara, le plus poliment possible, que rien dans le monde ne lui ferait chanter une note, si son accompagnateur ordinaire n'était pas au piano. Madame de Nangis lui représenta vainement que plusieurs compositeurs d'un grand talent et fort habitués à tenir le piano, offraient de l'accompagner, si l'artiste appelé pour avoir cet honneur, et que sa réputation au concert de la reine semblait en rendre digne, ne lui inspirait pas de confiance. La célèbre cantatrice resta immuable dans sa volonté; et madame de Nangis fut réduite à donner l'ordre d'atteler ses chevaux pour faire courir après cet indispensable confident des intentions musicales de la signora de B… Cette petite discussion jeta l'alarme dans la brillante assemblée. A l'air d'humeur qui s'était peint sur le visage de madame de Nangis, et aux gestes multipliés de la Signora, qui semblaient tous dire: «Cela m'est impossible», on avait jugé qu'elle refusait de chanter. La désolation était générale; et les gens qui par goût attachaient le moins de prix à un grand air italien, paraissaient les plus inconsolables.

Le chevalier d'Émerange fut député auprès de madame de Nangis, pour savoir s'il restait encore quelque espérance; il profita de cette occasion pour demander à la comtesse si sa belle-sœur était au nombre de toutes les jolies femmes qu'elle avait réunies. – Non, lui répondit-elle; si madame de Saverny était ici, vous l'auriez déja reconnue. – J'en ai peur, reprit le chevalier, car un chapeau de Nevers doit être assez reconnaissable dans ce salon-ci. – Vraiment, il ne serait pas plus ridicule que celui de madame de R… Il faut que cette femme-là soit bien sûre de son esprit pour affubler ainsi son visage; voyez un peu que de gens s'empressent autour d'elle; et dites ensuite, que sans le bon goût et l'élégance, on ne saurait plaire! – Je le dirai toujours en vous voyant, dussé-je me battre avec tous les champions de la laideur de madame de R… – Madame de Nangis ne voulant pas répondre à cette flatterie, rappela au chevalier qu'il était attendu. Il l'avait oublié, et revint auprès des personnes qui l'avaient chargé de questionner la comtesse, en leur disant: «Soyez sans inquiétude, un léger incident retarde votre plaisir, mais vous allez l'entendre. – De qui parlez-vous? reprit, d'un air étonné, un de ceux à qui s'était adressé le chevalier. – Mais ne m'avez-vous pas dit de savoir si la signora B… se déciderait à chanter ce soir? – Ah! mille pardons, s'écria tout le monde, nous avions oublié votre extrême complaisance. – Et la cantatrice aussi, repartit le chevalier; cela ne m'étonne pas, on est toujours puni du tort de se faire attendre. – En effet, ces mêmes gens qui, un moment auparavant, semblaient désespérés de la crainte de ne pas entendre la voix de cette célèbre virtuose, étaient presqu'aussi contrariés de voir interrompre une conversation qui les amusait. C'est ainsi qu'en France les plaisirs de l'esprit passent avant tout.

 

Madame de Nangis, bien convaincue de cette vérité, prévint toutes les causeries qui allaient s'établir, en réclamant l'attention générale en faveur d'un beau quatuor d'Haydn, qui fut aussi bien exécuté que mal écouté. Au quatuor l'on fit succéder la sévère sonate d'un pianiste allemand, qui commençait à assoupir l'assemblée, lorsque madame de Nangis s'écria, sans aucun égard pour le pauvre professeur; – Ah! voici M. Augustini. – C'était le nom de l'accompagnateur tant désiré; chacun le répéta tout haut, en félicitant madame de Nangis du bonheur d'avoir pu le rejoindre; et c'est au bruit de toutes ces félicitations, qu'expira le dernier accord de la sonate allemande, sans que personne songeât à en applaudir l'auteur. Madame de Nangis lui adressa seulement un de ces discours de maîtresse de maison, qui ne signifient rien, sinon qu'on veut se faire la réputation de dire un mot obligeant à toutes les personnes que l'on reçoit. Enfin, le moment de rendre justice au talent de la signora B… était arrivé, et madame de Nangis jouissait du plaisir de voir le but de sa soirée rempli. Elle n'était plus tourmentée de cette crainte si naturelle, d'avoir réuni tant de personnes pour les ennuyer. M. de Nangis aurait dû partager cette douce satisfaction; mais une inquiétude d'un autre genre l'agitait. La princesse de L… pour laquelle il avait long-temps réservé la meilleure place, venait d'arriver, et s'était assise sur la seule chaise qui se trouvait libre derrière plusieurs autres femmes. M. de Nangis souffrait le martyre, en voyant la princesse aussi mal placée, et maudissait l'impossibilité de lui offrir le siége d'une autre personne. Heureusement pour lui, madame de Nangis, encore plus touchée de la position penible où paraissait être son mari, que de celle de la princesse, interrompit la longue ritournelle du grand air italien, pour faire passer un fauteuil auprès d'elle, et y conduire la princesse de L…

Tous ces dérangements importunaient au dernier point la signora B… et l'expression de sa physionomie n'en fesait pas mystère; mais l'enthousiasme qu'inspirèrent les premiers accents de sa belle voix, la rendirent plus patiente à souffrir les nouvelles contrariétés qui l'attendaient. Une des plus vives fut celle d'entendre sonner toutes les pendules des salons, au milieu du point d'orgue le mieux étudié; car pour les bravo mal placés, et tous les signes d'une admiration souvent trop bruyante, son indulgence était extrême: on s'aperçoit si peu des inconvénients de ce qui flatte!

Le bruit des applaudissements étant parvenu jusqu'aux antichambres, un domestique crut pouvoir profiter du moment où l'on ne chantait plus, pour aller prévenir la comtesse de l'arrivée de sa belle-sœur. Madame de Nangis l'attendait avec impatience depuis une semaine; et, dans tout autre instant, elle eût été charmée de courir au-devant d'elle pour l'embrasser; mais interrompre ainsi un grand concert par une scène de famille, lui paraissait une chose fort ridicule. Pour l'éviter, elle donna l'ordre que l'on conduisît madame de Saverny dans son appartement, et lui fit dire qu'elle irait la rejoindre, dès qu'elle pourrait s'échapper un moment.

Au nom de la marquise de Saverny, la princesse de L… s'écria, «Quoi, c'est madame de Saverny qui vient d'arriver? Cette jolie femme qui était aux eaux de Vichy, l'année dernière, et qui m'a si bien reçue, lorsque ma voiture s'est brisée auprès de son château? Ah! rien ne saurait m'empêcher d'aller l'embrasser; où est-elle?» – Le domestique ayant répondu qu'en attendant les ordres de madame on avait fait entrer la marquise dans le petit boudoir, la princesse voulut s'y rendre à l'instant même, et madame de Nangis se trouva forcée de l'accompagner.

Elles trouvèrent madame de Saverny un peu déconcertée de sa réception. Le bruit de sa voiture n'avait attiré personne. Parvenue dans les vestibules, il lui avait fallu traverser une haie de laquais avant d'arriver à l'appartement de la comtesse, et se disputer avec l'un d'eux, pour l'empêcher de l'annoncer à haute voix dans le sallon. Un autre, plus connaisseur, ayant remarqué avec dédain la simplicité de sa parure, et reconnu qu'elle n'était pas digne des honneurs du concert, l'avait fait passer mystérieusement dans le boudoir, en lui recommandant de ne pas faire le moindre bruit. Elle y était depuis un quart d'heure à méditer sur la différence de cette réception avec celle dont l'espérance l'avait occupée pendant toute sa route, lorsque la princesse vint se jeter dans ses bras, en lui prodiguant toutes les expressions de la plus tendre amitié. Madame de Nangis y joignit les témoignages de la sienne; mais tous ses soins à prouver combien elle était ravie du plaisir de revoir sa chère Valentine, dissimulaient faiblement l'impatience qu'elle éprouvait de retourner dans son salon. Madame de Saverny la devina bientôt, et supplia sa sœur de ne pas interrompre plus long-temps le concert; elle lui demanda la permission d'en attendre la fin dans son appartement; mais la princesse n'y voulut jamais consentir. «Madame la comtesse, dit-elle, ne souffrez pas qu'elle nous quitte ainsi. Il faut absolument qu'elle entende chanter madame B… C'est un plaisir qu'on ne peut remettre à un autre jour, puisqu'elle retourne incessamment en Italie. – Ah! madame, excusez-moi, reprit Valentine, je suis en habit de voyage. – Eh! que vous manque-t-il, interrompit la princesse, vous avez une robe de taffetas noir qui vous sied à merveille; avec cette collerette de blonde et ce chapeau de paille, vous êtes jolie comme un ange; allons, venez avec nous, ou bien restez, et je ne vous quitte pas.»

Madame de Saverny résistait vainement aux instances de la princesse, un message de M. de Nangis, que l'absence de ces dames contrariait beaucoup, détermina Valentine à ne pas la prolonger plus long-temps. Elle sacrifia de bonne grace les intérêts de sa vanité au desir de ses deux amies, et se résigna à se montrer la moins parée de toutes les femmes brillantes de cette assemblée, sans se douter qu'elle en fût la plus belle.

CHAPITRE III

«Quelle est cette Artemise? demanda une de ces personnes bienveillantes, que le mérite frappe rarement, mais que le ridicule choque toujours. – Je ne la connais pas, répondit une autre, mais à son costume économique, je présume que c'est une dame de compagnie de la princesse. – En effet, je lui trouve assez l'air de ces jeunes femmes qu'on élève pour être toujours de l'avis de leur princesse, pour finir un meuble de tapisserie, et jouer au besoin une sonate à quatre mains. – Vous en direz, mesdames, tout ce qu'il vous plaira, dit un troisième, mais cette femme-là a des traits admirables. – Des traits? Vraiment, vous êtes bien heureux de les découvrir à travers cet énorme chapeau; moi, je ne crois pas à la beauté des visages que l'on prend tant de soin de cacher.» – C'est ainsi que chacun donna son avis sur madame de Saverny, lorsqu'elle parut. Elle était pâle et fatiguée de son voyage; on la trouva sans fraîcheur. Sa robe n'était pas nouvelle, et il fut décidé qu'elle avait l'air provincial; du reste, on était sûr qu'elle manquait d'esprit et d'usage, car elle avait l'air étonné de tout, et ne parlait de rien. Dix minutes suffirent pour asseoir ce jugement, et le rendre irrévocable.

M. d'Émerange lui-même, malgré toutes ses connaissances positives sur la beauté, ne fut pas exempt d'injustice envers celle de madame de Saverny. Les plus savants dans ce genre sont souvent dupes de la mode, et il en est peu d'assez courageux pour défendre les agréments d'une femme mal mise. Le chevalier reprocha à madame de Nangis de l'avoir trompé sur le compte de sa belle-sœur. « – Pour cette fois, lui dit-il, vous ne vous plaindrez pas de mon admiration, madame de Saverny ne me donnera jamais le tort de la partager entre vous deux. – N'en faites pas serment, reprit en souriant la comtesse.» – En ce moment M. de Nangis vint prendre le chevalier pour le présenter à sa sœur, comme un de ses amis les plus aimables. Valentine répondit avec grace aux choses froidement polies que lui adressa le chevalier; il fut d'abord séduit par le son de sa voix, et, sans trop écouter ce qu'elle disait, il remarqua les plus belles dents et le plus gracieux sourire. Mais il garda le secret de cette découverte, et n'osa pas démentir son premier jugement.

Cependant un sentiment de curiosité le rapprocha de madame de Saverny. Placé entre elle et la princesse de L… il observa que Valentine écoutait la musique en personne de goût; et, dans ce qu'il put entendre de ses réponses à la princesse, il reconnut un choix d'expressions élégantes et simples, qu'on rapporte assez rarement de la province. Le collier de madame de Nangis s'étant dénoué, Valentine ôta ses gants pour le rattacher, et laissa voir un bras charmant. Le chevalier n'en fut pas moins de l'avis de tous ceux qui se refusaient à la trouver belle. Cependant lorsque le concert finit, et que madame de Nangis vint accompagnée de plusieurs jolies femmes, le supplier de chanter quelques-unes des romances qu'il avait mises à la mode, il parut ne céder qu'à leurs instances; mais le fait est que madame de Saverny fut la seule qui n'osât le prier, et qu'il ne chanta que pour elle.

Un long séjour en Italie avait rendu M. d'Émerange fort bon musicien; il avait une voix agréable, et chantait avec goût. Sa prétention était de ne paraître attacher aucune importance à ses talents; mais, tout en ayant l'air de se croire fort indigne des applaudissements qu'on lui prodiguait, il ne pardonnait pas la critique. Malheur aux femmes qui trouvaient ses romances mauvaises, ou ses couplets mal rimés! on savait bientôt le nombre de tous leurs ridicules.

Aucune des personnes qu'avait réunies madame de Nangis n'eut à craindre cette vengeance de la part du chevalier. L'enchantement fut général: chaque couplet offrait une application que ces dames interprétaient à leur gré. Celles que la flatterie du chevalier avait souvent honorées de ses éloges, croyaient se reconnaître dans tous les portraits de ses bergères, le reste se lisait dans ses yeux, et tous les amours-propres étaient satisfaits. Madame de Saverny, qui n'entendait rien à toutes ces finesses, trouva simplement que M. d'Émerange chantait bien; mais elle n'osa le lui dire, tant la simplicité de ce compliment aurait paru froide, en comparaison de l'exagération des éloges dont on se plaisait à l'accabler.

Madame de Saverny ne savait pas encore combien le silence d'une seule personne peut gâter un succès. Elle aurait pu s'en apercevoir, si elle avait remarqué de quel air le chevalier répondait aux choses flatteuses que lui adressait madame de Nangis. Sa distraction et son mécontentement étaient visibles; il ne pardonnait point à une femme de province de ne pas être transportée du plaisir de l'entendre, et se disait: Il n'est pas douteux que cette belle veuve ait pour adorateur quelque petit gentilhomme des environs de son château, à qui elle a promis en partant de ne s'amuser de rien dans son absence; je suis sûr qu'elle va lui écrire demain que je l'ai ennuyée à périr, et s'en faire un mérite!» Cette réflexion inspira plus de dépit au chevalier que de dédain. Il décida bien que madame de Saverny devait être sotte et maussade; il ne lui en aurait même rien coûté pour le dire, mais il s'efforçait en vain de le penser; car l'amour-propre rend plus souvent injurieux qu'injuste.

Cette soirée se termina pour Valentine, au moment où l'on vint annoncer le souper. Elle se retira dans l'appartement qui lui était destiné. Mademoiselle Julie l'y attendait pour lui offrir ses services, et donner, d'un ton protecteur, ses avis à la petite Antoinette, qui lui paraissait une femme-de-chambre bien peu au fait des grands intérêts de la toilette d'une jolie femme. Il est vrai qu'Antoinette coiffait mal, et laçait de travers, mais c'était bien la plus honnête et la plus jolie de toutes les jeunes filles de Saverny. Sa mère avait élevé Valentine, et Antoinette pouvait impunément mal habiller sa maîtresse, sans lui donner l'envie de la renvoyer. Cependant le séjour de Paris exigeait plus de soins; et mademoiselle Julie fut chargée par la marquise du choix d'une seconde femme-de-chambre, dont le premier devoir serait de bien traiter Antoinette.

 

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