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Mémoires d'un Éléphant blanc

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Chapitre XXVII
MES DÉBUTS

Aussi, dès le lendemain, lisait-on sur l'affiche du Grand Cirque des deux Mondes:

LE FAMEUX DEVADATTA
FRÈRE DE GANÉÇA
ÉLÉPHANT JONGLEUR

Le soir, quand la représentation commença, j'étais peu ému, mais j'étais assez humilié.

– Que dirait Parvati, si elle me voyait? pensais-je. Je vais divertir la foule par de vils excercices, et, si j'ai le malheur de laisser échapper un anneau, peut-être serai-je battu. M. Oldham m'a l'air assez bienveillant; mais M. Greathorse me traiterait peut-être fort mal, ou tout au moins me menacerait, comme il menace les chevaux qui tournent en ce moment autour de la piste.

Pour ouvrir la représentation, en effet, il y avait un exercice équestre par MM. Crampton, Hampton et Mapton. Il s'agissait de faire sauter aux chevaux divers obstacles, et, près de la porte, je pouvais voir assez bien. M. Greathorse, debout au milieu du cirque, un fouet énorme à la main, cinglait l'air de grands coups, pour exciter les pauvres bêtes; et quand l'une d'elles, malgré le bruit du fouet, malgré les efforts de son cavalier, faisait mine de regimber devant un obstacle, il la menaçait avec le manche du fouet; et je voyais qu'il eût été joyeux de passer de la menace à l'acte.

Après MM. Crampton, Hampton et Mapton paraissaient les sœurs Ulverstone. Mais tandis qu'on préparait leur barre fixe, trois singuliers personnages se précipitèrent dans le cirque, l'un faisant la roue, l'autre marchant sur les mains, le troisième se désarticulant en une série de culbutes. Ils étaient vêtus d'un vêtement très ample, d'une seule pièce, bariolé de dessins bizarres; ainsi l'un avait un soleil au milieu du dos et sur la poitrine; sur l'autre s'étalait un crapaud fantastique; tous trois s'étaient enfariné le visage, et portaient une perruque de filasse blanche ou rouge, avec une longue mèche au sommet de la tête. Ils divertissaient le public par mille facéties extravagantes: ils échangeaient de grands soufflets, se jetaient par terre l'un l'autre, se relevaient brusquement; ils feignaient d'aider les serviteurs qui tendaient les cordes destinées à fixer la barre, et sans cesse tombaient dans les plus grotesques positions; et le public riait bien haut de leurs folies.

J'examinai avec soin ces trois personnages; et sous la farine, je finis par retrouver les traits de M. Oldham, et ceux de MM. Trick et Trock. J'en restai tout surpris; et je fus un peu choqué d'avoir pour précepteur un gentleman qui manquait à ce point de dignité.

Et entre chaque numéro du programme, M. Oldham et MM. Trick et Trock commençaient leurs plaisanteries.

La représentation se continuait fort bien. Les éloges que M. Harlwick avait décernés à ses compagnons en nous les présentant, me semblaient mérités. Les frères Smith étaient d'une agilité merveilleuse; si mistress Greathorse semblait désagréable à vivre, c'était une adroite équilibriste, et miss Alice Jewel était, sur la corde raide, d'une grande dextérité. Les écuyers, les écuyères montaient habilement, et je fus ravi par les gracieux mouvements qu'avait à cheval miss Clary Morley; elle ne frappait pas son cheval; elle ne l'excitait que par des paroles amicales. Seule, la pauvre Auntie Greathorse me fit souffrir; je la sentais si mal à l'aise sur son trapèze.

C'était après elle que devait paraître le «fameux Devadatta». Et je parus. Mon succès fut grand, on m'applaudit; quand je rentrai, on me caressa. Et pourtant je n'étais pas joyeux: la moindre caresse de Parvati m'eût été plus douce.

Dans la représentation la fin me charma plus que tout le reste: on terminait en effet par les oiseaux de miss Circé Nightingale, et par la danse lumineuse de miss Sarah Skipton.

On amenait au milieu du cirque une volière, pleine d'oiseaux divers, qui chantaient harmonieusement. Puis, parut miss Circé, charmante en une robe clair azur, et avec, autour de la taille, une ceinture d'argent; un peigne d'argent retenait ses fins cheveux blonds et les paraît d'un éclat atténué; à la main, elle tenait une flûte d'argent. Elle vint à la volière; elle en ouvrit la porte, et les oiseaux s'échappèrent, voltigeant gaiement autour d'elle, et, parfois, se posant sur son épaule. Elle leur souriait en amie; et, à un geste quelle fit, tous s'envolèrent vers le plafond du cirque. Alors, elle joua de la flûte, et les oiseaux lui répondaient, et l'on ne savait plus si son chant n'était pas le chant d'un oiseau. Elle pressa le rythme de l'air et les oiseaux redescendirent vers elle; et ils volaient autour de sa tête, et semblaient la couronner d'une vivante couronne. Sans cesse, elle changeait le rythme de la chanson, et les oiseaux familiers formaient de nouvelles figures, toutes gracieuses; et l'on eût pris la douce charmeuse d'oiseaux pour quelque reine du ciel. Et quand la flûte se tut, les gais amis de miss Circé rentrèrent dans la volière, et ravis, les spectateurs applaudirent, unanimes.

Où était la volière, on amena une assez grande estrade; là monta miss Sarah Skipton, vêtue d'une ample robe blanche, d'étoffe légère, aux plis nombreux, et ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules. Puis, on éteignit les lustres; seules quatre lampes, quatre lanternes plutôt, restèrent allumées, qui dardaient leurs rayons sur l'estrade, entourant miss Sarah d'une gloire lumineuse. Devant les lampes on faisait passer des verres de couleur, et, parmi les lumières, changeantes sans cesse, Sarah danse; elle dansait, légère et vive, ou lente et languissante; et sa robe, rouge, verte, jaune, violette alternativement, ou encore de plusieurs couleurs à la fois, tourbillonnait autour d'elle; et la femme devenait fleur, papillon, oiseau; elle était l'aurore, elle était le crépuscule; elle était l'orage aux mille éclairs, elle était la mer souriant au matin; elle était les pierres précieuses, elle était le soleil victorieux. Et, soudain, les lustres se rallumèrent, et tous acclamaient Sarah triomphante.

La représentation était finie; modestement, je rentrai à l'écurie, ébloui encore de la danse lumineuse.

Chapitre XXVIII
SALTIMBANQUE

Bientôt sur l'affiche du Grand Cirque des Deux Mondes on put lire:

LE FAMEUX DEVADATTA
L'ÉLÉPHANT UNIQUE
FRÈRE DU DIVIN GANÉÇA
DANS SES DIVERS EXERCICES

M. Oldham, en effet, s'était acquitté fort bien et fort vite de mon éducation, et je ne charmais plus seulement le public en jonglant avec des anneaux de fer. A chaque représentation, toujours dans le même ordre, se succédaient mes exercices; quand je fus tout à fait instruit, voici ce que je faisais:

D'abord, je jonglais avec des anneaux de fer; puis on dressait une cible, je me plaçais en face; j'avais à côté de moi une corbeille pleine de balles, avec ma trompe, je lançais les balles contre la cible; et je ne crois pas l'avoir jamais manquée.

La cible enlevée, on m'apportait une grosse boule de fer; je m'y tenais en équilibre, et la faisais marcher avec mes quatre pieds. Cet exercice me fatiguait fort; aussi, pour me reposer, me faisait-on jouer une scène dramatique.

Un jeune roi et une jeune reine erraient par la campagne gaiement; tout à coup l'on entendait des bruits de chasse, et je paraissais, poursuivi par quelques cavaliers; effrayés, le jeune roi et la jeune reine cherchaient à se cacher; je faisais, semblant être furieux, deux ou trois fois le tour du cirque. Puis j'avisais la reine, je me précipitais vers elle. Alors, dans la scène, telle que l'avait d'abord composée Moukounji, – car mon maître était, pour me faire briller, devenu auteur, – le roi devait la protéger de son corps, il dégainait son sabre, me l'enfonçait dans le poitrail, et je tombais, simulant la mort. Le sabre, bien entendu, était une arme en fer-blanc émoussé et dont la lame entrait dans la poignée.

Mais ce dénouement fut changé, et par moi, dès le premier soir où l'on donna la scène. C'était miss Nightingale qui jouait la jeune reine. Elle était charmante dans ce rôle, avec une robe de gaze blanche, sous laquelle transparaissait une tunique de soie mauve. Et, quand je la vis, si gracieuse, le souvenir de Parvati, qui ne me quittait guère, me revint plus vif et plus cher que jamais; alors, au lieu de courir violemment vers elle, je m'arrêtai; je m'avançai lentement, et, l'air humble et soumis, j'allai m'agenouiller devant elle. Le public applaudit longuement et l'on décida qu'on garderait ce dénouement à la scène désormais.

C'était après cela que je faisais cinq fois le tour du cirque en bicyclette, une bicyclette énorme construite à ma taille (on s'imagine avec quelle peine un éléphant peut se tenir sur un pareil instrument). Je faisais mouvoir les pédales avec mes pieds de devant et le guidon avec ma trompe. Je devais ensuite me tenir debout et danser une polka. Enfin, pour terminer mes exercices, je jouais une autre scène, – comique celle-là, – et qu'avait composée M. Oldham:

Au milieu du cirque, on m'apportait une table, avec une chaise à ma taille et, auprès, entre deux poteaux, une cloche à laquelle pendait une corde. J'entrais, je m'asseyais sur la chaise, et, de ma trompe, je tirais la corde de la cloche. M. Oldham, vêtu en garçon de restaurant, accourait, et je lui faisais comprendre que je voulais dîner.

– On vous sert, monsieur Éléphant, disait-il.

Il sortait. D'un sac qu'on m'avait attaché aux reins, je tirais, toujours avec ma trompe, une paire d'énormes lunettes, je les assurais devant mes yeux; puis je prenais un journal, et faisais comme si je lisais – alors, je ne savais pas encore vraiment lire. – Peu à peu, M. Oldham ne revenant pas, je simulais l'impatience; de nouveau je sonnais, et M. Oldham accourait:

– On vous sert, monsieur Éléphant.

Il disparaissait. Deux fois encore je sonnais, et deux fois M. Oldham me criait:

 

– On vous sert, monsieur Éléphant.

Sans jamais rien m'apporter.

La troisième fois enfin, il me servait un plat: c'étaient quelques pains et je les avais rapidement engloutis. Je sonnais. M. Oldham venait, et je lui marquais que je voulais un second plat. Au bout d'un long temps, il m'apportait des légumes qui étaient aussi vite mangés que les pains. Je demandais un troisième plat, et cette fois, j'avais des fruits, des gâteaux et une bouteille de champagne dont je faisais bruyamment sauter le bouchon.

Pour la dernière fois je sonnais, et je faisais signe que je voulais la note. Sans tarder, maintenant, M. Oldham m'apportait un long morceau de papier. Je remettais mes lunettes, – je les avais ôtées pour manger, je regardais le papier, et je poussais un sonore grognement d'indignation. M. Oldham tombait, comme de peur, et, par une culbute, se relevait et il criait:

– Qu'est-ce que vous avez, monsieur Éléphant?

Je témoignais de mon mécontentement en me levant et en piétinant la note.

– Vous la trouvez trop élevée?

Je taisais signe que oui.

– Vous allez pourtant me payer…

Je faisais signe que non.

– Ah! vous ne voulez pas me payer?

Toujours non de ma part.

– Eh bien! monsieur Éléphant, nous allons voir.

Eh, très haut, il appelait:

– Eh! eh! là-bas, messieurs-policemen!

Alors, entraient MM. Trick et Trock, vêtus en policemen.

– Messieurs-policemen, disait M. Oldham, voici M. Éléphant qui ne veut pas me payer.

– C'est bien, criait M. Trick, en prison, monsieur Éléphant.

– En prison! répétait M. Trock.

A cette menace, l'air confus, je tirais de mon sac des morceaux de papier simulant des bank-notes et je m'en allais, tandis que M. Oldham et MM. Trick et Trock se réjouissaient par une danse extravagante.

Cette scène amusait fort le public, qui, chaque soir, me rappelait au moins trois fois. Mais moi, je me sentais humilié de jouer un rôle comique, – de faire presque le clown.

Je vécus ainsi plusieurs années; quand dans une ville les recettes baissaient, M. Harlwick se transportait dans une autre. De Calcutta, nous allâmes à Chandernagor, de Chandernagor à Patna, puis je vis Bénarès, Allahabad, Delhi, que sais-je encore?

J'aurais pu ne pas être très malheureux; j'avais su me faire respecter de ceux qui tout d'abord avaient essayé de me taquiner. M. Oldham était fier de son élève, et l'aimait; Moukounji était toujours le brave homme qui m'avait recueilli, et mes quatre amies, Annie, que je protégeais souvent contre les brutalités de sa mère, Circé Nightingale, Sarah Skipton et Clary Morley étaient pleines de prévenances pour moi et me gâtaient sans cesse. Mais hélas! je songeais à ma belle vie d'autrefois, si calme et si joyeuse, et je songeais à Parvati, qui souffrait peut-être, et que j'aurais pu défendre. M'avait-elle oublié? Ou, si elle pensait à moi, ne m'accusait-elle pas d'ingratitude? Et n'avais-je pas, en effet, été un ingrat, de la quitter ainsi, bassement jaloux? Aussi, malgré les soins dont on m'entourait, j'étais toujours bien triste.

Chapitre XXIX
RETOUR AU PARADIS

Un jour, le Grand Cirque des Deux Mondes arriva à Bombay. J'étais ce jour-là à bout de courage, écrasé de honte. Moi, le Roi-Magnanime, devant qui tout un peuple s'était prosterné, moi le guerrier farouche qui avais versé tant de sang ennemi, rendu le trône à un prince, été le compagnon aimé de la plus belle des princesses, j'en étais réduit à me montrer dans de grotesques parades, pour étonner et divertir des foules!

Ah! combien la vie m'était lourde, comme je me sentais seul, au milieu de mes nouveaux compagnons, malgré leur bienveillance pour moi.

Puisque sans doute je ne devais jamais revoir Parvati, retrouver le paradis perdu, à quoi bon prolonger le supplice? J'étais décidé à m'enfuir de nouveau, à chercher dans les forêts solitaires le cimetière des éléphants et là, à me laisser mourir de faim, au milieu des ossements blanchis de mes pareils.

Oui, cette représentation serait la dernière.

Quand tous dormiraient je quitterais mon abri de planches, je traverserais à la nage l'étroit canal qui sépare l'île de Bombay du continent et j'irais chercher le lieu de repos où toutes mes peines mourraient avec moi.

J'étais si préoccupé par la détermination que je venais de prendre et par les réflexions que m'inspirait mon chagrin, que je fis à peine attention à l'agitation extraordinaire qui ce soir-là régnait parmi les artistes du Grand Cirque des Deux Mondes.

On rafraîchissait les costumes, on astiquait les accessoires, on répétait les tours, sus depuis longtemps, avec une ardeur peu commune, on cousait même, en toute hâte, une frange d'or à des draperies de velours rouge, pour un usage que je ne pus deviner.

La représentation commença beaucoup plus tard que de coutume. On la retarda autant que cela fut possible, malgré les trépignements d'impatience du public.

Lorsque je m'avançai sur la piste, je vis, juste en face de l'entrée, un grand espace séparé des places ordinaires par des cloisons peintes en rouge; le devant de cette loge improvisée était orné de draperies frangées d'or, d'écussons aux armes d'Angleterre et de guirlandes de fleurs; des fauteuils étaient disposés dans la loge.

Je compris que l'on attendait quelque personnage illustre, mais qu'il ne viendrait pas, sans doute, car la loge était vide encore et faisait un grand trou sombre au milieu des autres places qu'emplissait une foule compacte, aux toilettes claires et brillantes.

M. Oldham, en soupirant, me fit faire mes exercices et j'en étais au travail d'équilibre sur la sphère roulante, quand un mouvement général du public, qui ne me regardait plus, me fit comprendre que l'illustre personnage venait d'entrer.

Très attentif à ne pas perdre l'équilibre, je ne pouvais lever la tête pour regarder.

– C' est peut-être le président de Bombay, pensais-je, et je ne tiens guère à le voir.

Mais tout à coup la sphère s'échappa d'entre mes pieds; perdant l'équilibre, je tombai à genoux: une voix de femme venait de crier:

– Iravata!

Qui donc pouvait crier ainsi mon nom d'autrefois?.. mon nom de bonheur?.. et cette voix!.. Cette voix harmonieuse et claire qui était entrée en moi comme une épée m'avait jeté à genoux en précipitant tout mon sang au cœur!.. ce ne pouvait être que sa voix!.. sa voix à Elle!.. J'en étais certain et cependant je n'osais regarder. Il me semblait que je serais mort d'une déception.

Le public, surpris et respectueux, gardait un profond silence; la voix, un peu attristée cette fois, se fit entendre encore:

– M'as-tu donc oubliée tout à fait, Iravata?

D'un bond, je fus debout, devant la loge, qui était juste à ma hauteur, et, à travers mes larmes de joie, je voyais Parvati comme dans des flammes. Elle me caressait, m'embrassait, sans s'inquiéter de toute cette salle qui la regardait… Et moi! ce que j'éprouvais, un être humain ne pourrait pas l'exprimer… Et j'étais plus honteux que jamais des cris rauques, des piétinements sur place qui étaient mes seuls moyens de manifester un bonheur qui m'étouffait.

– Méchant! méchant! me disait-elle à demi-voix, tout près de mon oreille, tu as pu me fuir ainsi, m'abandonner dans un moment si grave de ma vie?.. J'ai bien vu que tu ne donnais pas ton consentement à ce mariage, tu lisais dans l'âme du prince sans doute et cette âme ne te plaisait pas. Certes, ta sagesse voyait juste, mais tu aurais dû, comme moi, te résigner et te soumettre au destin, au lieu de me quitter comme un ingrat, comme un jaloux… Car tu étais jaloux et j'ai lu la mort du prince dans tes yeux. Si c'est pour éviter un crime que tu t'es enfui de Golconde, je te pardonne, malgré le chagrin que tu m'as causé. Tu peux maintenant revenir avec moi, ajouta-t-elle: je suis veuve.

Certes, ce que je fis en entendant cette bienheureuse parole n'était pas convenable; on m'a appris qu'il ne faut se réjouir de la mort de personne, mais je ne pus me contenir: je poussai des coups de trompette tellement vigoureux que presque tous les assistants s'enfuirent épouvantés, et je fis trois fois le tour de la piste au grand trot.

Le prince Alemguir et Saphir-du-Ciel étaient aussi dans la loge. Je ne les avais pas vus tout d'abord, aveuglé que j'étais de larmes et d'émotion. Ils avaient appelé auprès d'eux le directeur du Grand Cirque des Deux Mondes et je compris tout de suite que l'on traitait avec lui de ma rançon.

Il se montra à la fois digne et humble, devant le roi et la reine de Golconde et, avec beaucoup de loyauté, il déclara que je ne lui appartenais pas, que j'étais seulement engagé dans la troupe, avec mon maître actuel, et que, d'ailleurs, j'avais fait affluer tant de roupies dans la caisse de l'association qu'il me devait de la reconnaissance, tandis que je ne lui devais rien.

Ce fut donc à titre de largesse qu'il accepta, après s'être beaucoup défendu, le magnifique diamant que le roi lui offrait, et la somme importante qui devait être distribuée à tous les acteurs de la troupe.

Moukounji s'était approché et je fis comprendre à Parvati que je désirais ne pas l'abandonner. Il se tenait le mieux qu'il pouvait, on ne s'aperçut pas qu'il était ivre, et il fut convenu qu'on l'emmènerait à Golconde.

Tous les artistes, dans leurs costumes de spectacle, étaient réunis sur la piste.

Je fis mes adieux, le plus affectueusement que je le pus, mais ils me semblaient déjà loin, loin de moi, comme oubliés, enveloppés de brouillard et de nuit.

J'avais retrouvé ma lumière, ma joie, ma vie; je ne voyais plus que cela et tandis que les bouchons de champagne sautaient et que les verres se choquaient en mon honneur, ce fut comme dans un rêve que je quittai pour toujours le Cirque des Deux Mondes, absorbé que j'étais dans l'immense bonheur de sentir de nouveau sur mon dos le poids léger de mon adorée princesse, enfin reconquise.

FIN