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Mémoires d'un Éléphant blanc

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Chapitre IV
ROYAL ÉLÉPHANT DE SIAM

Prince-Formidable – ainsi était nommé le vieil éléphant, mon compagnon – couché non loin de moi sur la litière odorante, me contait un peu de sa vie, et m'enseignait mes devoirs de royal éléphant de Siam.

– Il y a plus de cent ans que je suis ici, disait-il; je suis très vieux et malade, malgré les singes blancs que vous voyez gambader là-haut dans les poutres. Ils sont là pour nous préserver des mauvaises influences et des maladies; cependant tous ceux qui étaient avec moi dans ce palais sont morts à quelques jours de distance d'un mal qu'ils prenaient l'un de l'autre, et moi, le plus vieux, je survis.

Voilà plusieurs années que je suis seul, et le désespoir était grand à la cour de ne plus posséder qu'un éléphant blanc et de ne pas en découvrir d'autres, malgré les battues continuelles que l'on faisait dans les forêts. On disait que de grands malheurs menaçaient le royaume et votre arrivée a dû être une fête pour tout le pays.

– Pourquoi donc nous considère-t-on avec tant de respect? demandai-je, qu'avons-nous d'extraordinaire? Parmi les éléphants, au contraire, on semble nous mépriser.

– J'ai cru comprendre que les hommes, lorsqu'ils meurent, se transforment en animaux; les plus nobles, en éléphants, et les rois, en éléphants blancs. Nous sommes donc d'anciens rois humains… Cependant, je ne me souviens pas d'avoir été ni roi, ni homme.

– Moi non plus, dis-je, je ne me souviens de rien. Mais alors, ce serait donc par jalousie que les éléphants gris nous ont en aversion?

– Pas du tout, dit Prince-Formidable, ceux qui n'ont pas approché les hommes sont de vraies bêtes et ne savent rien. Ils croient que la couleur de notre peau vient d'une maladie et ils nous tiennent pour inférieurs à eux, tandis que cette particularité est au contraire un signe de royauté; vous voyez que ce sont de vraies brutes.

J'admirais la sagesse et le savoir de mon nouvel ami, qui avait tant vécu. Je ne pouvais me lasser de l'interroger et il me répondait avec une complaisance inépuisable.

Je traduis aujourd'hui en paroles ce qu'il tâchait de me faire comprendre alors en le traduisant lui-même dans le langage très borné des éléphants; il lui fallait recommencer maintes fois les explications et il ne s'impatientait nullement de mon ignorance, lui qui depuis longtemps comprenait la langue des hommes.

– Attention! me dit-il tout à coup, en entendant une lointaine musique, voici les Talapoins qui viennent vous bénir.

Il s'efforça de me faire entendre ce que c'était que les Talapoins; j'eus l'air de comprendre, par politesse, mais en réalité je n'avais rien compris, sinon qu'il s'agissait d'un honneur nouveau qu'on allait me rendre.

Précédés de nos officiers et de nos esclaves, trois hommes, très différents des autres s'avancèrent au son de la musique.

Ils avaient la tête rasée, les oreilles saillantes et portaient de longues robes jaunes à larges manches. En entrant, ils ne se prosternèrent pas, ce qui, je l'avoue, me choqua un peu.

Le plus vieux marchait au milieu; il s'arrêta devant moi et commença à parler d'une voix singulière, haute et monotone; puis, sans se taire, il prit de la main d'un de ses compagnons une houppe à manche d'ivoire, tandis que l'autre lui tendait un bassin plein d'eau. Il trempa la houppe dans l'eau et se mit à m'asperger d'une façon qui m'agaça beaucoup; je recevais des gouttes d'eau dans les yeux, sur les oreilles, et comme cela durait un peu trop, à mon idée, j'arrachai vivement cette houppe de la main du Talapoin et, l'imbibant bien d'eau, je la secouai sur eux trois, leur rendant ainsi ce qu'ils m'avaient fait. Ils se sauvèrent en riant et en s'essuyant la figure avec leurs manches, et moi je poussai un long cri pour proclamer ma victoire et mon contentement. Cependant, Prince-Formidable n'approuva pas ma conduite. Il trouva que j'avais manqué de dignité.

Peu après, on vint nous chercher pour nous conduire au bain. Un esclave marchait devant nous en frappant des cymbales pour nous faire faire place, et d'autres élevaient au-dessus de nos têtes de magnifiques parasols.

Dans notre parc même, s'étendait un beau lac et on m'y laissa plonger, nager, barboter cette fois autant que je voulus. La journée, terminée par un repas aussi copieux que délicat, me parut extrêmement agréable.

Il en fut ainsi chaque jour, moins les Talapoins qui ne revinrent pas. Une seule heure était un peu pénible, celle où je prenais ma leçon. C'était le soir avant le coucher. L'homme qui s'était le premier assis sur mon cou, restait mon gardien principal, mon mahout, et il devait m'instruire, m'apprendre à connaître les ordres indispensables, à comprendre certains mots: en avant, en arrière, à genoux, relève-toi, à droite, à gauche, halte, plus vite, doucement, c'est bien, c'est mal, assez, encore, saluez le roi, etc..

Prince-Formidable m'aidait beaucoup en me traduisant les ordres en langage d'éléphant et je sus bientôt tout ce qu'il fallait savoir.

Plusieurs années s'ecoulèrent ainsi, fort agréables, mais assez monotones et je n'ai pas grand'chose à en dire.

Prince-Formidable mourut la seconde année après mon arrivée. On lui fit des funérailles royales et toute la cour prit le deuil. Je restai seul quelque temps, puis d'autres éléphants blancs furent amenés. Mais les nouveaux venus, qui ne savaient rien et avaient un caractère ombrageux et rebelle, m'inspirèrent peu d'intérêt.

Chapitre V
LA DOT DE SAPPHIR DU CIEL

Un jour mon mahout qui, comme tous les mahouts d'ailleurs, avait l'habitude de me faire journellement de longs discours, que j'avais fini par comprendre, se posa devant moi, les bras croisés comme il le faisait quand il voulait être écouté. Je fus tout de suite attentif, car je voyais à son air ému et agité qu'il s'agissait cette fois de quelque chose de grave.

– Roi-Magnanime, me dit-il, devons-nous nous réjouir, ou devons-nous pleurer? Une vie nouvelle est-elle un bien, ou est-elle un mal? Faut-il désirer le changement ou faut-il le redouter? Voilà les questions qui se balancent dans ma tête comme les deux plateaux d'une bascule. Toi qui fus un roi et qui es maintenant un éléphant, si tu pouvais parler, tu me répondrais; tu saurais me dire si, dans tes nombreuses transformations, le changement ta cause de la joie ou du regret. Ta sagesse mettrait fin à mon anxiété, peut-être; car, peut-être aussi, tu n'en sais pas plus long que moi et tu me dirais seulement: Résignons-nous à ce que nous ne pouvons empêcher et attendons pour pleurer ou pour nous réjouir que les événements nous aient été bons ou mauvais. Eh bien! faisons ainsi, Roi Magnanime, résignons-nous et attendons ce que nous devons attendre, voilà ce que tu ne sais pas et ce que je vais te dire.

Notre grand roi, Phra, Putie, Chucka, Ka, Rap, Si, Klan, Si, Kla, Mom, Ka, Phra, Putie, Chow (car je ne peux nommer le roi sans lui donner tous ses titres, moi, un simple mahout, quand le premier ministre lui-même ne le pourrait pas); notre grand roi, donc, est père de plusieurs princes et aussi d'une princesse, une jolie princesse déjà grande et en âge de se marier. Eh bien! voilà, justement on la marie. Le roi, Phra, Putie, Chucka,… a accordé la princesse Saphir-du-Ciel, à un prince hindou, le prince de Golconde, et ce mariage, qui semble ne nous intéresser que de bien loin, va complètement bouleverser notre vie. Sache, Roi-Magnanime, que ta glorieuse personne fait partie de la dot de la princesse. Oui, c'est ainsi; sans t'avoir demandé si cela te plaisait on fait cadeau de toi à un prince inconnu qui, peut-être, n'aura pas pour Ta Majesté les égards qu'elle mérite. Et moi, moi le pauvre mahout, que suis-je sans le noble éléphant que je conduis? Et qu'est Sa Majesté sans moi? Aussi on me donne avec toi; je suis un fragment de la dot royale; nous sommes liés jusqu'à la mort; nous ne faisons qu'un; tu iras donc où je te conduirai et où tu iras j'irai. O Roi-Magnanime! devons-nous nous réjouir ou pleurer?

Je ne le savais vraiment pas, et j'étais très troublé de ce que je venais d'apprendre. Quitter cette vie si douce et si tranquille, qui m'ennuyait cependant quelquefois par son inaction et sa monotonie; abandonner ce beau palais si abondamment pourvu de toutes les bonnes choses! de cela on pouvait pleurer; mais aussi, voir de nouveaux pays, de nouvelles villes, connaître d'autres aventures, de cela, peut-être, fallait-il se réjouir. Comme mon mahout, je conclus que le meilleur était d'attendre, et, pour le moment, de se résigner.

Chapitre VI
LE DÉPART

Le jour du départ arriva et, de grand matin, les esclaves vinrent faire ma toilette. On me frotta tout le corps, à plusieurs reprises, avec une pommade parfumée de magnolia et de santal; on posa sur mon dos une housse pourpre et or, sur ma tête un réseau de perles, puis le diadème royal. On me mit de gros anneaux d'or aux quatre pieds, et à mes défenses des cercles ornés de pierreries; à chacune de mes oreilles pendait une longue queue de crin, blanche et soyeuse. Ainsi arrangé j'avais le sentiment de ma splendeur et il me tardait de me montrer au peuple. Cependant, je jetai un dernier regard au palais que j'allais quitter et je poussai quelques cris pour dire adieu aux éléphants qui restaient et avec lesquels je commençais à me lier d'amitié. Ils me répondirent par d'éclatants coups de trompe que j'entendis encore longtemps en m'éloignant.

Tous les habitants de Bangok étaient dehors, comme le jour de mon triomphe; en habits de fête ils se dirigeaient vers le palais du roi. Là, un magnifique cortège se forma et se mit en marche, précédé par cent musiciens, habillés de costumes rouges et verts. Le roi était monté dans un houdah d'or ajouré sur un colossal éléphant noir, un géant parmi les éléphants; à droite et à gauche marchaient le prince et la princesse sur des montures de taille encore plus qu'ordinaire. Le houdah de la fiancée était fermé par des franges de pierreries qui la rendaient invisible, le prince, jeune et beau, avait une physionomie des plus agréables qui m'inspira tout de suite de la sympathie.

 

Je venais après le roi, conduit par mon mahout qui marchait à pied et, derrière moi, les mandarins, les ministres, les hauts fonctionnaires se groupaient selon leurs grades, sur des éléphants ou sur des chevaux, suivis de leurs serviteurs, portant derrière chaque seigneur la théière d'honneur, qui à Siam est l'insigne le plus noble, et dont le plus ou moins de richesse fait connaître l'importance du rang de celui qui la possède; puis, c'étaient les bagages de la princesse: d'innombrables caisses en bois de tek, merveilleusement sculpté.

Les cérémonies du mariage étaient déjà accomplies, elles duraient depuis huit jours. C'était maintenant l'adieu du roi et du peuple à sa princesse, la conduite au quai du départ.

On fit une station à la pagode la plus riche de la ville, celle où l'on vénère un Bouddha taillé dans une émeraude qui n'a pas sa pareille au monde, car elle est haute de près d'un mètre et épaisse comme le corps d'un homme.

On descendit alors par les rues étroites, traversées de ponts et de canaux, sur la rive du fleuve, le large et beau Meï-Nam. Au loin, on voyait les montagnes d'un bleu foncé sur le ciel lumineux: la chaîne aux Trois-Cents-Pics, le Rameau de Sabab, la colline des Pierres-Précieuses. Mais le spectacle qu'offrait le fleuve, tout couvert d'embarcations pavoisées et ornées de fleurs, était incomparable. Il y avait de grandes jonques dorées et pourpres, avec leur voile, en paille de bambou, déployée comme un éventail, leurs mats portant des banderoles, et leur avant bombé, figurant une tête géante de poisson, ouvrant de gros yeux fixes; toutes sortes de barques, des sampans, des radeaux supportant des tentes de soie et qui semblaient des kiosques flottants, tous chargés à sombrer d'une foule joyeuse et bruyante, d'orchestres et de chanteurs qui jouaient et chantaient alternativement.

Des salves d'artillerie, dont le tonnerre n'eût pas égalé le bruit, éclatèrent quand le roi parut, et le peuple poussa une acclamation tellement formidable que je serais mort de peur, si je n'avais pas été déjà habitué à ne m'étonner de rien.

La canonnière qui devait nous emmener dans l'Inde fumait devant un embarcadère magnifiquement décoré. C'était là qu'il fallait se séparer. Le roi et les fiancés descendirent de leurs éléphants. Les Mandarins firent la haie et tout le peuple se tut pour écouter.

Alors le roi, maître sacré des Têtes, Maître sacré des Existences. Possesseur de Tout, Seigneur des Éléphants Blancs, Souverain Très Haut, Infaillible et Infiniment Puissant, fit un discours, tout en mâchant du bétel, qui lui ensanglantait la bouche et l'obligeait à cracher dans un bassin d'argent que tenait un esclave.

Le prince, à genoux devant son royal beau-père, fit un autre discours, moins, long que le premier, et en ne mâchant rien. La fiancée pleurait dans ses voiles.

Il fallut s'embarquer, et il y eut un peu de confusion, à cause des nombreuses caisses en bois de tek, et des chevaux que l'on emmenait et que ma présence effrayait beaucoup.

Un long sifflement se fit entendre, les musiques jouèrent, le canon tonna, une oscillation me donna le vertige et le rivage s'éloigna.

Toutes les embarcations nous suivirent d'abord à force de rames et de voiles, mais elles furent bientôt distancées; le roi se tint debout sur l'embarcadère aussi longtemps qu'il put nous apercevoir.

Très ému, je regardais s'éloigner cette ville où j'avais souffert d'abord, puis où j'avais été heureux et glorieux. Mon mahout, adossé contre moi, regardait aussi. A un tournant du fleuve, tout disparut; alors nos yeux se rencontrèrent; les siens comme les miens étaient pleins de larmes.

– Roi-Magnanime, dit-il après un instant de silence, attendons pour pleurer ou pour nous réjouir, de savoir ce que nous réserve la destinée.

Bientôt, le fleuve devint si large, qu'on perdit de vue ses rivages; l'eau se mouvait d'une façon singulière et le navire avec elle, ce qui me causait la plus désagréable des sensations. Peu à peu on entra en mer.

Alors ce fut horrible. La tête me tourna, les jambes me manquèrent, une souffrance atroce me tordit l'estomac; je fus honteusement malade et crus mille fois mourir. Aussi, il m'est impossible de rien dire de ce voyage qui est le plus affreux souvenir de ma vie.

Jamais, jamais je ne retournerai en mer, à moins que cela ne lui fit utile, à Elle, … mais, pour toute autre raison, je massacrerais quiconque voudrait me forcer à mettre le pied sur un bateau.

Chapitre VII
LA LUMIÈRE DU MONDE

Le rajah de Golconde, mon nouveau maître, s'appelait Alemguir, ce qui signifie la Lumière du Monde. Il n'avait certes pas pour moi les égards auxquels j'étais accoutumé: il ne se prosternait pas, ne me saluait même pas; mais il faisait mieux que tout cela: il m'aimait. Le premier, il me flatta de la main, me dit de douces paroles, me témoigna de l'affection et non pas pour ma qualité d'éléphant blanc, beaucoup moins appréciée dans l'Inde qu'à Siam, mais parce qu'il me trouvait intelligent, affable et soumis plus qu'aucun autre de ses éléphants. Il s'occupait de moi, venait me voir chaque jour, veillait à ce qu'on ne me laissât manquer de rien. Il avait changé mon nom de Roi-Magnanime en celui de Iravata, qui est le nom de la monture du dieu Indra. C'était encore assez honorable et je fus vite consolé de ne plus être traité en idole par le plaisir d'être traité en ami.

Alemguir aurait voulu que sa femme, la princesse Saphir-du-Ciel, ne se servît que de moi comme monture; mais jamais elle ne voulut consentir à s'installer sur mon dos.

– Ce serait un sacrilège, disait-elle, une grave offense à l'un de mes aïeux.

Elle était persuadée que j'étais un de ses arrière-grands-pères, subissant une métamorphose. Son mari eut beau la railler doucement, il ne parvint pas à la faire céder. Alors, il lui donna un éléphant noir et me garda pour son service.

J'étais fier de porter mon prince aux promenades, aux fêtes, à la chasse au tigre qu'il m'avait enseignée. Ma vie était moins paresseuse qu'à Siam, mais beaucoup plus variée et amusante. Mon mahout, malgré la peine que lui procurait cette existence mouvementée, la trouvait meilleure et plus joyeuse que la vie nonchalante de jadis, et comme d'habitude, il me faisait part de ses sentiments.

On m'enseigna aussi la guerre, car, dans l'année qui suivit celle du mariage d'Alemguir avec Saphir-du-Ciel, de graves inquiétudes vinrent assombrir le bonheur des jeunes époux. Un puissant voisin, le maharajah de Mysore, ne cessait de chercher querelle au prince de Golconde pour des questions de frontières. Alemguir faisait tout le possible pour éviter de rompre la paix, mais le mauvais vouloir de son adversaire était évident et, malgré les efforts conciliants des ambassadeurs, une guerre était imminente.

La princesse avait écrit à son père, le roi de Siam, qui envoya des canons et un petit nombre de soldats, mais l'ennemi était fort et l'angoisse de tous augmentait à chaque heure.

Un jour, les ambassadeurs revinrent, consternés; les pourparlers étaient rompus, le maharajah de Mysore déclarait la guerre au prince de Golconde.

En grande hâte on termina les préparatifs et, un matin, on me revêtit de mon appareil de combat. Une carapace de corne me couvrait jusqu'au-dessous des genoux; sur la tête j'avais une calotte de métal et ma face était protégée par une visière de fer avec des trous pour les yeux et me pointe au milieu du front; ma trompe et ma croupe furent revêtues d'une demi-curasse articulée, ayant au milieu une arrête saillante, armée de dents, et l'on mit à mes défenses des fourreaux d'aciers aigus et tranchants qui les allongeaient et en faisaient des armes terribles.

Ainsi harnaché, mon mahout qui, lui aussi, avait une cuirasse et pesait sur mon cou plus qu'à l'ordinaire, me conduisit au pied de la varangue du palais, du côté de la grande cour d'honneur, dans laquelle tous les chefs de l'armée étaient réunis.

Le prince Alemguir parut sous la varangue, et ses officiers l'acclamèrent en choquant leurs armes.

Il était magnifique dans sa parure guerrière: une tunique de mailles d'or sous une légère cuirasse constellée de pierreries, un bouclier rond qui éblouissait, et un casque damasquiné avec un diamant pour cimier.

Debout, sur la plus haute marche, il harangua les guerriers, mais je ne savais pas encore l'hindoustani et je ne compris pas ce qu'il disait.

Au moment où il descendait pour se mettre en selle, la princesse Saphir-du-Ciel, suivie de toutes ses femmes, s'élança hors du palais et se jeta dans les bras de son mari en sanglotant.

– Hélas! criait-elle à travers ses larmes, que vais-je devenir séparée de toi? Comment supporterai-je les angoisses continuelles de te savoir exposé aux blessures et à la mort? L'héritier que nous attendions, dans la joie et dans les fêtes, viendra au milieu des pleurs et du désespoir, il naîtra orphelin, peut-être, car, si le père est tué, la mère ne survivra pas!

J'écoutais cela le cœur serré, sous ma carapace, et le prince, très ému, retenait ses larmes. Il fit un effort cependant pour se maîtriser et répondit avec calme:

– Chaque homme se doit à son pays et le prince plus que tout homme. Notre honneur et le salut du peuple sont plus précieux pour nous que notre félicité même. Il nous faut donner l'exemple du courage et de l'abnégation, au lieu de nous laisser amollir par les larmes. Si la guerre m'est cruelle, et si je meurs, tu vivras, ma femme bien-aimée, pour élever notre enfant. Plus tard, nous nous retrouverons et nous serons éternellement heureux dans l'autre vie.

Il s'efforçait doucement de dénouer l'étreinte de ces bras délicats.

Le voile léger de Saphir-du-Ciel s'accrochait aux ornements de la cuirasse, il s'y déchira, y laissa un lambeau que le prince recueillit et garda comme un talisman.

Maintenant Alemguir était en selle et c'est moi que, d'une voix haletante de sanglots, la princesse suppliait.

– Iravata, toi qui es fort, toi qui aimes ton maître et qui dois m'aimer, puisque tu as l'âme d'un de mes aïeux, protège le prince, défends-le, ramène-le-moi vivant, car s'il ne revient pas, je mourrai…

En disant ces mots, la princesse devint pâle comme de la neige et tomba évanouie dans les bras de ses suivantes. Je fis le serment dans mon cœur, de défendre mon maître de tous mes efforts, et de ne pas ménager ma vie pour sauver la sienne.

Profitant de l'évanouissement de Saphir-du-Ciel qui la rendait insensible, Alemguir avait donné le signal du départ. On quitta le palais, puis on sortit de Golconde pour rejoindre le gros de l'armée qui campait dans la plaine.

L'artillerie et les éléphants furent placés au centre des bataillons; les cavaliers à droite et à gauche, et les fantassins devant et derrière.

Les trompettes sonnèrent une marche guerrière, les timbales grondèrent sourdement, l'armée tout entière poussa une longue clameur et l'on marcha vers l'ennemi.