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L'archéologie égyptienne

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Chaque partie de la tombe, comme elle avait sa décoration, avait son mobilier particulier. Il ne reste que peu de traces de celui de la chapelle : la table d’offrandes qui était en pierre est d’ordinaire tout ce qui en subsiste. Les objets déposés dans le serdab, dans les couloirs, dans le caveau, ont mieux résisté aux ravages du temps et des hommes. Sous l’ancien empire, les statues étaient toujours confinées dans le serdab. La chambre ne renfermait guère, en dehors du sarcophage, que des chevets en calcaire et en albâtre, des oies en pierre, rarement des palettes de scribe, très souvent des vases de formes diverses en terre cuite, en diorite, en granit, en albâtre, en calcaire compact, enfin des provisions de graines alimentaires, et les ossements des victimes sacrifiées le jour de l’enterrement. Sous les dynasties thébaines, le ménage du mort devint plus complet et plus riche. Les statues des domestiques et de la famille, qui jadis accompagnaient dans le serdab les statues du mort, sont reléguées au caveau et diminuent de taille. En revanche, bien des objets qui jadis étaient simplement représentés sur la muraille s’en sont détachés : ainsi les barques funéraires avec leur équipage, la momie, les pleureuses, les prêtres, les amis éplorés, les offrandes, pains en terre cuite estampés au nom du maître, et qu’on appelle improprement cônes funéraires, grappes de raisin et moules en calcaire avec lesquelles le mort était censé se fabriquer à lui-même des bœufs, des oiseaux, des poissons en pâte qui lui tenaient lieu des animaux en chair. Le mobilier, les ustensiles de toilette et de cuisine, les armes, les instruments de musique abondent, la plupart brisés au moment de la mise au tombeau ; on les tuait de la sorte afin que leur âme allât servir l’âme de l’homme dans l’autre monde. Les petites statuettes en pierre, en bois, en émail bleu, blanc ou vert, sont jetées par centaines et même par milliers au milieu de l’amas des meubles et des provisions. Ce sont d’abord à proprement parler des réductions des statues du serdab, destinées comme elles à servir de corps au double, puis à l’âme ; on les habille alors comme l’individu dont elles portent le nom s’habillait pendant la vie. Plus tard, leur rôle s’amoindrit, et leurs fonctions se bornèrent à répondre pour le maître, et à exécuter, en son lieu et place, les travaux et la corvée dans les champs célestes, quand il y était convoqué par les dieux. On les appelle alors répondants (Oushbîti), on leur met au poing les instruments de labourage, et on leur donne presque toujours la semblance d’un corps momifié, dont les mains et le visage seraient dégagés des bandelettes. Les canopes, avec leurs têtes d’épervier, de cynocéphale, de chacal et d’homme, étaient réservés, dès la XIe dynastie, aux viscères qu’on était obligé d’extraire de la poitrine et du ventre pendant l’embaumement. La momie elle-même se charge de plus en plus de cartonnages, de papyrus, d’amulettes qui lui font comme une armure magique, dont chaque pièce préserve les membres et l’âme qui les anime de la destruction.

En théorie, chaque Égyptien avait droit à une maison éternelle, édifiée sur le plan dont je viens d’indiquer les transformations ; mais les petites gens se passaient fort bien de tout ce qui était nécessaire aux morts de condition. On les enfouissait où la place coûtait le moins, dans de vieilles tombes violées et abandonnées, dans des fissures naturelles de la montagne, dans des puits ou dans des fosses communes. À Thèbes, au temps des Ramessides, de grandes tranchées creusées dans le sable attendaient les cadavres. Les rites accomplis, les fossoyeurs recouvraient légèrement les momies de la journée, parfois isolées, parfois associées par deux ou trois, parfois empilées, sans qu’on eût cherché à les disposer par couches régulières. Quelques-unes n’avaient de protection que leurs bandages, d’autres étaient enveloppées de branches de palmier liées en façon de bourriche. Les plus soignées ont une boîte en bois mal dégrossie, sans inscription ni peinture. Beaucoup sont affublées de vieux cercueils d’occasion, qu’on ne s’était pas donné la peine d’ajuster à la taille du nouveau propriétaire, ou sont jetées dans une caisse fabriquée avec les débris de deux ou trois caisses brisées. De mobilier funéraire, il n’en était point question pour des marauds pareils ; tout au plus ont-ils avec eux une paire de souliers en cuir, des sandales en carton peint ou en osier tressé, un bâton de voyage pour les chemins célestes, des bagues en terre émaillée, des bracelets ou des colliers d’un seul fil de petites perles bleues, des figurines de Phtah, d’Osiris, d’Anubis, d’Hathor, de Bastit, des yeux mystiques, des scarabées, surtout des cordes roulées autour du bras, du cou, de la jambe, de la taille, et destinées à préserver le cadavre des influences magiques.

Chapitre IV. La peinture et la sculpture

Les bas-reliefs et les statues qui décoraient les temples ou les tombeaux étaient peints pour la plupart. Le granit, le basalte, le diorite, la serpentine, l’albâtre, les pierres colorées naturellement, échappaient parfois à cette loi de polychromie : le grès, le calcaire, le bois y étaient soumis rigoureusement, et, si on rencontre quelques monuments de ces matières qui ne sont pas enluminés, la couleur a disparu par accident, ou la pièce est inachevée. Le peintre et le sculpteur étaient donc presque inséparables l’un de l’autre. Le premier avait à peine achevé son œuvre que le second s’en emparait, et souvent le même artisan s’entendait à manier le pinceau aussi bien que la pointe.

1. Le dessin et la composition

Nous ne connaissons pas les méthodes que les Égyptiens employaient à l’enseignement du dessin. La pratique leur avait appris à déterminer les proportions générales du corps et à établir des relations constantes entre les parties dont il est constitué, mais ils ne s’étaient jamais inquiétés de chiffrer ces proportions et de les ramener toutes à une commune mesure. Rien, dans ce qui nous reste de leurs œuvres, ne nous autorise à croire qu’ils aient jamais possédé un canon, réglé sur la longueur du doigt ou du pied humain. Leur enseignement était de routine et non de théorie. Ils avaient des modèles que le maître composait lui-même, et que les élèves copiaient sans relâche, jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus à les reproduire exactement. Ils étudiaient aussi d’après nature, comme le prouve la facilité avec laquelle ils saisissaient la ressemblance des personnages, et le caractère ou le mouvement propre à chaque espèce d’animaux. Ils jetaient leurs premiers essais sur des éclats de calcaire planés rudement, sur une planchette enduite de stuc rouge ou blanc, au revers de vieux manuscrits sans valeur : le papyrus neuf coûtait trop cher pour qu’on le gaspillât à recevoir des barbouillages d’écolier. Ils n’avaient ni crayons ni stylet, mais des joncs, dont le bout, trempé dans l’eau, se divisait en fibres ténues et formait un pinceau plus ou moins fin, selon la grosseur de la tige. La palette en bois mince, oblongue, rectangulaire, était pourvue à la partie inférieure d’une rainure verticale à serrer la calame, et creusée à la partie supérieure de deux ou plusieurs cavités renfermant chacune une pastille d’encre sèche : la noire et la rouge étaient le plus usités. Un petit mortier et un pilon pour broyer les couleurs, un godet plein d’eau pour humecter et laver les pinceaux, complétaient le trousseau de l’apprenti.

Accroupi devant son modèle, palette au poing, il s’exerçait à le reproduire en noir, à main levée et sans appui. Le maître revoyait son œuvre et en corrigeait les défauts à l’encre rouge.

Les rares dessins qui nous restent sont tracés sur des morceaux de calcaire, en assez mauvais état pour la plupart. Le British Museum en a deux ou trois au trait rouge, qui ont peut-être servi comme de cartons au décorateur d’un tombeau thébain de la XXe dynastie. Un fragment du musée de Boulaq porte des études d’oies ou de canards à l’encre noire. On montre à Turin l’esquisse d’une figure de femme, nue au caleçon près, et qui se renverse en arrière pour faire la culbute : le trait est souple, le mouvement gracieux, le modelé délicat. L’artiste n’était pas gêné, comme il l’est chez nous par la rigidité de l’instrument qu’il maniait. Le pinceau attaquait perpendiculairement la surface, écrasait la ligne ou l’atténuait à volonté, la prolongeait, l’arrêtait, la détournait en toute liberté. Un outil aussi souple se prêtait merveilleusement à rendre les côtés humoristiques ou risibles de la vie journalière. Les Égyptiens, qui avaient l’esprit gai et caustique par nature, pratiquèrent de bonne heure l’art de la caricature. Un papyrus de Turin raconte, en vignettes d’un dessin sûr et libertin, les exploits amoureux d’un prêtre chauve et d’une chanteuse d’Amon. Au revers, des animaux jouent, avec un sérieux comique, les scènes de la vie humaine. Un âne, un lion, un crocodile, un singe se donnent un concert de musique instrumentale et vocale. Un lion et une gazelle jouent aux échecs. Le Pharaon de tous les rats, monté sur un char traîné par des chiens, court à l’assaut d’un fort défendu par des chats. Une chatte du monde, coiffée d’une fleur, s’est prise de querelle avec une oie : on en est venu aux coups, et la volatile malheureuse, qui ne se sent pas de force à lutter, culbute d’effroi. Les chats étaient d’ailleurs les animaux favoris des caricaturistes égyptiens. Un ostracon du musée de New-York nous en montre deux, une chatte de race assise sur un fauteuil, en grande toilette, et un misérable matou qui lui sert à manger, d’un air piteux, la queue entre les jambes.

L’énumération des dessins connus est courte, comme on le voit : l’abondance de vignettes dont on avait coutume d’orner certains ouvrages compense notre pauvreté en ce genre. Ce sont presque toujours des exemplaires du Livre des morts et du Livre de savoir ce qu’il y a dans l’enfer. On les copiait par centaines, d’après des manuscrits-types, conservés dans les temples ou dans les familles consacrées héréditairement au culte des morts. Le dessinateur n’avait donc aucun effort d’imagination à faire. Sa tâche consistait uniquement à imiter le modèle qu’on lui donnait, avec toute l’habileté dont il était capable. Les rouleaux du Livre de savoir ce qu’il y a dans l’enfer, qui sont parvenus jusqu’à nous, ne sont pas antérieurs à la XXe dynastie.

 

Le faire en est toujours assez mauvais, et les figures ne sont le plus souvent que des bonshommes tracés rapidement et mal proportionnés. Le nombre des exemplaires du Livre des morts est tellement considérable qu’on pourrait, rien qu’avec eux, entreprendre une histoire de la miniature en Égypte : d’aucuns remontent en effet à la XVIIIe dynastie, d’autres sont contemporains des premiers Césars. Les plus anciens sont généralement d’une exécution remarquable. Chaque chapitre est accompagné d’une vignette qui représente un dieu, homme ou bête, un emblème divin, le mort en adoration devant la divinité. Ces petits motifs sont rangés quelquefois en une seule ligne au-dessus du texte courant, quelquefois dispersés à travers les pages, comme les majuscules ornées de nos manuscrits.

D’espace en espace, de grands tableaux occupent toute la hauteur du feuillet, l’enterrement au début, le jugement de l’âme vers le milieu, l’arrivée du mort aux champs d’Ialou vers la fin de l’ouvrage. L’artiste avait là beau jeu à déployer son talent et à nous donner la mesure de ses forces. La momie d’Hounofir est debout devant la stèle et le tombeau ; les femmes de la famille pleurent sur elle, tandis que les hommes et le prêtre lui présentent l’offrande.

Les papyrus des princes et princesses de la famille de Pinotmou, qui sont au musée de Boulaq, montrent que les bonnes traditions de l’école se maintinrent, chez les Thébains, jusqu’à la XXIe dynastie. La décadence vint rapidement sous les règnes suivants, et, pendant des siècles, nous ne trouvons plus que des dessins grossiers et sans valeur. La chute de la domination persane produisit une renaissance. Les tombeaux de l’époque grecque nous ont rendu des papyrus à vignettes soignées, d’un style sec et minutieux, qui contraste singulièrement avec la manière large et hardie des temps antérieurs. Le pinceau à pointe large avait été remplacé par le pinceau à pointe fine. Les scribes rivalisèrent à qui mènerait les lignes les plus déliées, et les traits dont ils se complurent à surcharger les accessoires de leurs figures, barbe, cheveux, plis du vêtement, sont quelquefois si ténus qu’on a peine à les distinguer sans loupe. Si précieux que soient ces documents, ils ne suffiraient pas à nous faire apprécier la valeur et les procédés de travail des artistes égyptiens ; c’est aux murailles des temples ou des tombeaux que nous devons nous adresser si nous désirons connaître leurs habitudes de composition.

Les conventions de leur dessin diffèrent sensiblement de celles du nôtre. Homme ou bête, le sujet n’était jamais qu’une silhouette à découper sur le fond environnant. On cherchait donc à démêler, parmi les formes, celles-là seules qui offrent un profil accentué, et que le simple trait pouvait saisir et amener sur une surface plane. Pour les animaux, le problème n’offrait rien de compliqué : l’échine et le ventre, la tête et le cou, allongés parallèlement au sol, se profilent d’une seule venue, les pattes sont bien détachées du corps. Aussi les animaux sont-ils pris sur le vif, avec l’allure, le geste, la flexion des membres, particulière à chaque espèce. La marche lente et mesurée du bœuf, le pas court, l’oreille méditative, la bouche ironique de l’âne, le trot menu et saccadé des chèvres, le coup de rein du lévrier en chasse, sont rendus avec un bonheur constant de ligne et d’expression. Et si des animaux domestiques on passe aux sauvages, la perfection n’est pas moindre. Jamais on n’a mieux exprimé qu’en Égypte la force calme du lion au repos, la démarche sournoise et endormie du léopard, la grimace des singes, la grâce un peu grêle de la gazelle et de l’antilope. Il n’était pas aussi facile de projeter l’homme entier sur un même plan, sans s’écarter de la nature. L’homme ne se laisse pas reproduire aisément par la ligne seule, et la silhouette supprime une part trop grande de sa personne. La chute du front et du nez, la coupe des lèvres, le galbe de l’oreille, disparaissent quand la tête est dessinée de face. Il faut, au contraire, que le buste soit posé de face pour que la ligne des épaules se développe en son entier, et pour que les deux bras soient visibles à droite et à gauche du corps. Les contours du ventre se modèlent mieux lorsqu’on les aperçoit de trois quarts et ceux des jambes lorsqu’on les prend de côté. Les Égyptiens ne se firent point scrupule de combiner, dans la même figure, les perspectives contradictoires que produisent l’aspect de face et l’aspect de profil. La tête, presque toujours munie d’un œil de face, est presque toujours plantée de profil sur un buste de face, le buste surmonte un tronc de trois quarts, et le tronc s’étaye sur des jambes de profil. Ce n’est pas qu’on ne rencontre assez souvent des figures établies, ou peu s’en faut, selon les règles de notre perspective. La plupart des personnages secondaires que renferme le tombeau de Khnoumhotpou ont essayé de se soustraire à la loi de malformation ; ils ont le buste de profil, comme la tête et les jambes, mais ils portent en avant tantôt l’une, tantôt l’autre des épaules, afin de bien montrer leurs deux bras.

L’effet n’est pas des plus heureux, mais examinez le paysan qui gave une oie, et surtout celui qui pèse sur le cou d’une gazelle pour l’obliger à s’accroupir : l’action des bras et des reins est rendue exactement, la fuite du dos est régulière, les épaules, entraînées en arrière par le déplacement des bras, font saillir la poitrine sans en exagérer l’ampleur, le haut du corps tourne bien sur les hanches. Les lutteurs de Béni-Hassan s’attaquent et s’enlacent, les danseuses et les servantes des hypogées thébains se meuvent avec une liberté parfaite.

Ce sont là des exceptions ; ailleurs, la tradition a été plus forte que la nature, et les maîtres égyptiens continuèrent jusqu’à la fin à déformer la figure humaine. Leurs hommes et leurs femmes sont donc de véritables monstres pour l’anatomiste, et cependant ils ne sont ni aussi laids ni aussi risibles qu’on est porté à le croire, en étudiant les copies malencontreuses que nos artistes en ont faites souvent. Les membres défectueux sont alliés aux corrects avec tant d’adresse, qu’ils paraissent être soudés comme naturellement. Les lignes exactes et les fictives se suivent et se complètent si ingénieusement qu’elles semblent se déduire nécessairement les unes des autres. La convention une fois reconnue et admise, on ne saurait trop admirer l’habileté technique dont témoignent beaucoup de monuments. Le trait est net, ferme, lancé résolument et longuement mené. Dix ou douze coups de pinceau suffisent à établir une figure de grandeur naturelle. Un seul trait enveloppait la tête de la nuque à la naissance du cou, un seul marquait le ressaut des épaules et la tombée des bras. Deux traits ondulés à propos cernaient le contour extérieur, du creux de l’aisselle à la pointe des pieds, deux arrêtaient les jambes, deux les bras. Les détails du costume et de la parure, d’abord indiqués sommairement, étaient repris un à un et achevés minutieusement : on peut compter presque les tresses de la chevelure, les plis du vêtement, les émaux de la ceinture ou des bracelets. Ce mélange de science naïve et de gaucherie voulue, d’exécution rapide et de retouche patiente, n’exclut ni l’élégance des formes, ni la grâce et la vérité des attitudes, ni la justesse des mouvements. Les personnages sont étranges, mais ils vivent, et, qui veut se donner la peine de les regarder sans préjugé, leur étrangeté même leur prête un charme, que n’ont pas des œuvres plus récentes et plus conformes à la vérité.

Les Égyptiens ont donc su dessiner. Ont-ils, comme on le dit souvent, ignoré l’art de composer un ensemble ? Prenez une scène au hasard dans un des hypogées thébains, celle qui représente le repas funéraire offert au prince Harmhabi par les gens de sa famille.

C’est un sujet moitié idéal, moitié réel. Le défunt et ceux des siens qui sont déjà de son monde y figurent à côté des vivants, visibles, mais non mêlés ; ils assistent plus qu’ils ne prennent part au banquet. Harmhabi siège donc sur un pliant, à la gauche du spectateur. Il a sur les genoux une petite princesse, une fille d’Amenhotpou III, dont il était le père nourricier et qui était morte avant lui. Sa mère, Sonit, trône à sa droite, en retraite, sur un grand fauteuil, et de la main gauche lui serre le bras, de l’autre lui tend une fleur de lotus ; une gazelle mignonne, peut-être enterrée auprès d’elle, comme la gazelle découverte à côté de la reine Isimkheb dans le puits de Déir-el-Baharî, est attachée à l’un des pieds du fauteuil. Ce groupe surnaturel est de taille héroïque. Assis, Harmhabi et sa mère ont le front de niveau avec celui des femmes qui se tiennent debout devant eux ; il fallait en effet que les dieux fussent toujours plus grands que les hommes, les rois plus grands que leurs sujets, les maîtres du tombeau plus grands que les vivants. Les parents et les amis sont rangés sur une seule ligne, la face aux ancêtres, et semblent causer entre eux. Le service est commencé. Les jarres de vin et de bière, posées à la file sur leurs selles en bois, sont déjà ouvertes. Deux jeunes esclaves, puisant à merci dans un vase d’albâtre, frottent les vivants d’essences odorantes. Deux femmes en toilette d’apparat présentent aux morts des coupes en métal remplies de fleurs, de grains et de parfums, qu’elles déposent au fur et à mesure sur une table carrée ; trois autres accompagnent de leur musique et de leur danse l’hommage des premières. Comme ici le tombeau est la salle du festin, il n’y a d’autre fond au tableau que la paroi couverte d’hiéroglyphes, à laquelle les invités étaient adossés pendant la cérémonie. Ailleurs, le théâtre de l’action est indiqué clairement par des touffes d’herbe ou par des arbres, si elle se passe en rase campagne, par du sable rouge, si elle se passe au désert, par des fourrés de joncs et de lotus, si elle se passe dans les marais. Une femme de qualité rentre chez elle.

Une de ses filles, pressée par la soif, boit un long trait d’eau à même une goullèh ; deux petits enfants nus, un garçon et une fillette à tête rase, sont accourus vers la mère jusqu’à la porte de la rue, et reçoivent, des mains d’une servante, des joujoux qu’on leur a rapportés du dehors. Une treille, habillée de vignes, des arbres chargés de fruits poussent au second plan : nous sommes dans un jardin, mais la maîtresse et ses deux filles aînées l’ont traversé sans s’y arrêter et sont entrées dans la maison. La façade, levée à moitié, laisse voir ce qu’elles font : trois servantes leur servent des rafraîchissements. Le tableau n’est pas mal composé et pourrait être transcrit sur la toile par un moderne sans exiger trop de changements ; seulement la même maladresse, ou le même parti pris, qui obligeait l’Égyptien à emmancher une tête de profil sur un buste de face, l’a empêché de disposer ses plans en fuite l’un derrière l’autre, et l’a réduit à inventer des procédés plus ou moins ingénieux pour remédier à l’absence presque complète de perspective.

Et d’abord, la plupart des personnages qui concourent à une même action étaient rabattus sur un même plan, isolés autant que possible, pour éviter que la silhouette de l’un recouvrît celle de l’autre ; sinon, on les superposait à plat, comme s’ils n’avaient eu que deux mais tous les pieds s’appuient sur une seule raie de sol, et la ligne qu’ils tracent ne suit pas, comme elle devrait, le mouvement des autres lignes.

Ce mode de représentation n’est pas rare à l’époque thébaine. On l’adoptait de préférence lorsqu’on voulait figurer des troupes d’hommes ou d’animaux placées sur un rang et entraînées au même acte d’une même impulsion ; mais il avait l’inconvénient, grave aux yeux des Égyptiens, de supprimer presque entièrement le corps des personnages, le premier excepté, et de n’en laisser subsister qu’un contour insuffisant. Lors donc qu’on ne pouvait ramener toutes les figures sur le devant du tableau, sans risquer d’en cacher une partie, on décomposait l’ensemble en plusieurs groupes, dont chacun représentait un épisode, et qu’on distribuait l’un au-dessus de l’autre dans le même plan vertical. La hauteur de chacun d’eux ne dépend en rien de la place qu’ils occupaient dans la perspective normale, mais du nombre d’étages superposés dont l’artiste pensait avoir besoin pour rendre complètement sa pensée. Elle équivaut d’ordinaire à la moitié du registre principal, s’il se contentait de deux étages, au tiers s’il en voulait trois, et ainsi de suite. Cependant, lorsqu’il s’agit de simples accessoires, le registre qui les contient peut être plus bas que les autres ; ainsi, au festin funèbre d’Harmhabi, les amphores sont entassées dans un moindre espace que celui où siègent les convives. Les scènes secondaires étaient séparées le plus souvent par une barre horizontale, mais le trait de division n’était pas indispensable, et, surtout quand on avait à figurer des masses profondes d’individus rangées régulièrement, les plans verticaux s’imbriquaient, pour ainsi dire, l’un sur l’autre, dans des proportions variables au caprice du dessinateur. À la bataille de Qodshou, les files de la phalange égyptienne se dominent successivement de toute la hauteur du buste, et celles des bataillons hittites se dépassent à peine de la tête.

 

Et les déformations que subissent les groupes d’hommes et d’animaux ne sont point parmi les plus fortes qu’on se soit permises en Égypte : les maisons, les terrains, les arbres, les eaux, ont été défigurés comme à plaisir. Un rectangle, posé de champ sur un des côtés longs et rayé de rubans ondulés, représente un canal ; si vous en doutez, des poissons et des crocodiles sont là comme enseigne, pour bien montrer que vous devez voir de l’eau et non autre chose. Des bateaux sont en équilibre sur le bord supérieur, des troupeaux plongés jusqu’au ventre passent à gué, un pêcheur à la ligne marque l’endroit où le Nil cesse et où la berge commence. Ailleurs, le rectangle est comme suspendu à mi-tronc de cinq ou six palmiers ; on comprend aussitôt que l’eau coule entre deux rangs d’arbres.

Ailleurs encore, au tombeau de Rekhmirî, les arbres sont couchés proprement le long des quatre rives, et le profil d’une barque et d’un mort, hâlés par des profils d’esclaves, se promènent naïvement sur l’étang vu de face.

Les hypogées thébains de l’époque des Ramessides fournissent aisément chacun plusieurs exemples d’artifices nouveaux et, quand on les a relevés, on finit par ne plus savoir ce qu’on doit admirer le plus, l’obstination des Égyptiens à ne pas trouver les lois naturelles de la perspective, ou la fécondité d’esprit dont ils ont fait preuve pour inventer tant de relations fausses entre les objets.

Appliqués à de vastes étendues, leurs procédés de composition choquent moins qu’ils ne font à des sujets de petites dimensions. On sent d’instinct que l’artiste le plus habile n’aurait pu se garder de tricher quelquefois avec la perspective, s’il avait eu à couvrir les surfaces immenses des pylônes, et cela rend l’œil plus indulgent. Aussi bien les motifs qu’on donnait à traiter dans d’aussi grands cadres n’offrent jamais une unité rigoureuse. Assujettis que les gens étaient à perpétuer le souvenir victorieux d’un Pharaon, Pharaon joue nécessairement chez eux le premier rôle ; mais, au lieu de choisir parmi ses hauts faits un épisode dominant, le plus propre à mettre sa grandeur en lumière, ils prenaient plaisir à juxtaposer tous les moments successifs de ses campagnes. Attaque de nuit du camp égyptien par une bande d’Asiatiques, envoi par le prince de Khiti d’espions destinés à donner le change sur ses intentions, la maison militaire du roi surprise et enfoncée par les chariots hittites, la bataille de Qodshou et ses péripéties, les pylônes de Louxor et du Ramesséum portent comme un bulletin illustré de la campagne de Ramsès II contre les Syriens en l’an V de son règne : ainsi les peintres des premières écoles italiennes déroulaient, dans le même milieu, d’une suite non interrompue, les épisodes d’une même histoire. Les scènes sont répandues irrégulièrement sur la muraille, sans séparation matérielle, et l’on est exposé parfois, comme pour les bas-reliefs de la colonne Trajane, à mal couper les groupes et à brouiller les personnages. Cette manière de procéder est réservée presque exclusivement à l’art officiel. À l’intérieur des temples et dans les tombeaux, les parties diverses d’un même tableau sont distribuées en registres, qui montent et s’étagent du soubassement à la corniche. C’est une difficulté de plus ajoutée à celles qui nous empêchent de comprendre les intentions et la manière des dessinateurs égyptiens ; nous nous imaginons souvent voir des sujets isolés, quand nous avons devant les yeux les membres disjoints de ce qui n’était pour eux qu’une même composition. Prenez une des parois du tombeau de Phtahhotpou à Saqqarah.

Si vous désirez saisir le lien qui en rattache les parties, comparez-la à un monument d’époque gréco-romaine, la mosaïque de Palestrine, qui représente à peu près les mêmes scènes, mais groupées d’une façon plus conforme à nos habitudes d’œil et d’esprit.

Le Nil baigne le bas du tableau et s’étale jusqu’au pied des montagnes. Des villes sortent de l’eau, des obélisques, des fermes, des tours de style gréco-italien, plus semblables aux fabriques des paysages pompéiens qu’aux monuments des Pharaons ; seul, le grand temple situé au second plan, sur la droite, et vers lequel se dirigent deux voyageurs, est précédé d’un pylône, auquel sont adossés quatre colosses osiriens, et rappelle l’ordonnance générale de l’architecture égyptienne. À gauche, des chasseurs, portés sur une grosse barque, poursuivent l’hippopotame et le crocodile à coups de harpon. À droite, une compagnie de légionnaires, massée devant un temple et précédée d’un prêtre, paraît saluer au passage une galère qui file à toutes rames le long du rivage. Au centre, des hommes et des femmes à moitié nues chantent et boivent, à l’abri d’un berceau sous lequel coule un bras du Nil. Des canots en papyrus montés d’un seul homme, des bateaux de formes diverses comblent les vides de la composition. Le désert commence derrière la ligne des édifices, et l’eau forme de larges flaques que surplombent des collines abruptes. Des animaux réels ou fantastiques, poursuivis par des bandes d’archers à tête rase, occupent la partie supérieure du tableau. De même que le mosaïste romain, le vieil artiste égyptien s’est placé sur le Nil et a reproduit tout ce qui se passait entre lui et l’extrême horizon. Au bas de la paroi, le fleuve coule à pleins bords, les bateaux vont et viennent, les matelots échangent des coups de gaffe. Au-dessus, la berge et les terrains qui avoisinent le fleuve : une bande d’esclaves, cachés dans les herbes, chassent à l’oiseau. Au-dessus encore, on fabrique des canots, on tresse la corde, on ouvre et on sale des poissons. Enfin, sous la corniche, les collines nues et les plaines ondulées du désert, où des lévriers forcent la gazelle, où des chasseurs court-vêtus lassent le gibier. Chaque registre répond à un des plans du paysage ; seulement l’artiste, au lieu de mettre les plans en perspective, les a séparés et superposés. Partout dans les tombeaux on retrouve la même disposition : des scènes d’inondation et de vie civile au bas des murailles, dans le haut, la montagne et la chasse. Parfois le dessinateur a intercalé entre deux des pâtres, des laboureurs, des gens de métier ; parfois il fait succéder brusquement la région des sables à la région des eaux et supprime l’intermédiaire. La mosaïque de Palestrine et les parois des tombeaux pharaoniques reproduisent donc un même ensemble de sujets, traités d’après les conventions et les procédés de deux arts différents. Comme la mosaïque, les parois des tombeaux forment, non pas une suite de scènes indépendantes, mais une composition réglée, dont ceux qui savent lire la langue artistique de l’époque démêlent aisément l’unité.

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