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Le mystère de la chambre jaune

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XIII
«Le presbytère na rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat»

Huit jours après les événements que je viens de raconter, exactement le 2 novembre, je recevais à mon domicile, à Paris, un télégramme ainsi libellé: «Venez au Glandier, par premier train. Apportez revolvers. Amitiés. Rouletabille.» Je vous ai déjà dit, je crois, quà cette époque, jeune avocat stagiaire et à peu près dépourvu de causes, je fréquentais le Palais, plutôt pour me familiariser avec mes devoirs professionnels, que pour défendre la veuve et lorphelin. Je ne pouvais donc métonner que Rouletabille disposât ainsi de mon temps; et il savait du reste combien je mintéressais à ses aventures journalistiques en général et surtout à laffaire du Glandier. Je navais eu de nouvelles de celle-ci, depuis huit jours, que par les innombrables racontars des journaux et par quelques notes très brèves, de Rouletabille dans LÉpoque. Ces notes avaient divulgué le coup de «los de mouton» et nous avaient appris quà lanalyse les marques laissées sur los de mouton sétaient révélées «de sang humain»; il y avait là les traces fraîches «du sang de Mlle Stangerson»; les traces anciennes provenaient dautres crimes pouvant remonter à plusieurs années…

Vous pensez si laffaire défrayait la presse du monde entier. Jamais illustre crime navait intrigué davantage les esprits. Il me semblait bien cependant que linstruction navançait guère; aussi eussé-je été très heureux de linvitation que me faisait mon ami de le venir rejoindre au Glandier, si la dépêche navait contenu ces mots: «Apportez revolvers.»

Voilà qui mintriguait fort. Si Rouletabille me télégraphiait dapporter des revolvers, cest quil prévoyait quon aurait loccasion de sen servir. Or, je lavoue sans honte: je ne suis point un héros. Mais quoi! il sagissait, ce jour-là, dun ami sûrement dans lembarras qui mappelait, sans doute, à son aide; je nhésitai guère; et, après avoir constaté que le seul revolver que je possédais était bien armé, je me dirigeai vers la gare dOrléans. En route, je pensai quun revolver ne faisait quune arme et que la dépêche de Rouletabille réclamait revolvers au pluriel; jentrai chez un armurier et achetai une petite arme excellente, que je me faisais une joie doffrir à mon ami.

Jespérais trouver Rouletabille à la gare dÉpinay, mais il ny était point. Cependant un cabriolet mattendait et je fus bientôt au Glandier. Personne à la grille. Ce nest que sur le seuil même du château que japerçus le jeune homme. Il me saluait dun geste amical et me recevait aussitôt dans ses bras en me demandant, avec effusion, des nouvelles de ma santé.

Quand nous fûmes dans le petit vieux salon dont jai parlé, Rouletabille me fit asseoir et me dit tout de suite:

– Ça va mal!

– Quest-ce qui va mal?

– Tout!»

Il se rapprocha de moi, et me confia à loreille:

«Frédéric Larsan marche à fond contre M. Robert Darzac.»

Ceci nétait point pour métonner, depuis que javais vu le fiancé de Mlle Stangerson pâlir devant la trace de ses pas.

Cependant, jobservai tout de suite:

«Eh bien! Et la canne?

– La canne! Elle est toujours entre les mains de Frédéric Larsan qui ne la quitte pas…

– Mais… ne fournit-elle pas un alibi à M. Robert Darzac?

– Pas le moins du monde. M. Darzac, interrogé par moi en douceur, nie avoir acheté ce soir-là, ni aucun autre soir, une canne chez Cassette… Quoi quil en soit, fit Rouletabille, «je ne jurerais de rien», car M. Darzac a de si étranges silences quon ne sait exactement ce quil faut penser de ce quil dit! …

– Dans lesprit de Frédéric Larsan, cette canne doit être une bien précieuse canne, une canne à conviction… Mais de quelle façon? Car, toujours à cause de lheure de lachat, elle ne pouvait se trouver entre les mains de lassassin…

– Lheure ne gênera pas Larsan… Il nest pas forcé dadopter mon système qui commence par introduire lassassin dans la «Chambre Jaune», entre cinq et six; quest-ce qui lempêche, lui, de ly faire pénétrer entre dix heures et onze heures du soir? À ce moment, justement, M. et Mlle Stangerson, aidés du père Jacques, ont procédé à une intéressante expérience de chimie dans cette partie du laboratoire occupée par les fourneaux. Larsan dira que lassassin sest glissé derrière eux, tout invraisemblable que cela paraisse… Il la déjà fait entendre au juge dinstruction… Quand on le considère de près, ce raisonnement est absurde, attendu que le familier – si familier il y a – devait savoir que le professeur allait bientôt quitter le pavillon; et il y allait de sa sécurité, à lui familier, de remettre ses opérations après ce départ… Pourquoi aurait-il risqué de traverser le laboratoire pendant que le professeur sy trouvait? Et puis, quand le familier se serait-il introduit dans le pavillon? … Autant de points à élucider avant dadmettre limagination de Larsan. Je ny perdrai pas mon temps, quant à moi, car jai un système irréfutable qui ne me permet point de me préoccuper de cette imagination-là! Seulement, comme je suis obligé momentanément de me taire et que Larsan, quelquefois, parle… il se pourrait que tout finît par sexpliquer contre M. Darzac… si je nétais pas là! ajouta le jeune homme avec orgueil. Car il y a contre ce M. Darzac dautres «signes extérieurs» autrement terribles que cette histoire de canne, qui reste pour moi incompréhensible, dautant plus incompréhensible que Larsan ne se gêne pas pour se montrer devant M. Darzac avec cette canne qui aurait appartenu à M. Darzac lui-même! Je comprends beaucoup de choses dans le système de Larsan, mais je ne comprends pas encore la canne.

– Frédéric Larsan est toujours au château?

– Oui; il ne la guère quitté! Il y couche, comme moi, sur la prière de M. Stangerson. M. Stangerson a fait pour lui ce que M. Robert Darzac a fait pour moi. Accusé par Frédéric Larsan de connaître lassassin et davoir permis sa fuite, M. Stangerson a tenu à faciliter à son accusateur tous les moyens darriver à la découverte de la vérité. Ainsi M. Robert Darzac agit-il envers moi.

– Mais vous êtes, vous, persuadé de linnocence de M. Robert Darzac?

– Jai cru un instant à la possibilité de sa culpabilité. Ce fut à lheure même où nous arrivions ici pour la première fois. Le moment est venu de vous raconter ce qui sest passé entre M. Darzac et moi.»

Ici, Rouletabille sinterrompit et me demanda si javais apporté les armes. Je lui montrai les deux revolvers. Il les examina, dit: «Cest parfait!» et me les rendit.

«En aurons-nous besoin? demandai-je.

– Sans doute ce soir; nous passons la nuit ici; cela ne vous ennuie pas?

– Au contraire, fis-je avec une grimace qui entraîna le rire de Rouletabille.

– Allons! allons! reprit-il, ce nest pas le moment de rire. Parlons sérieusement. Vous vous rappelez cette phrase qui a été le: «Sésame, ouvre-toi!» de ce château plein de mystère?

– Oui, fis-je, parfaitement: le presbytère na rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. Cest encore cette phrase-là, à moitié roussie, que vous avez retrouvée sur un papier dans les charbons du laboratoire.

– Oui, et, en bas de ce papier, la flamme avait respecté cette date: «23 octobre.» Souvenez-vous de cette date qui est très importante. Je vais vous dire maintenant ce quil en est de cette phrase saugrenue. Je ne sais si vous savez que, lavant-veille du crime, cest-à-dire le 23, M. et Mlle Stangerson sont allés à une réception à lÉlysée. Ils ont même assisté au dîner, je crois bien. Toujours est-il quils sont restés à la réception, «puisque je les y ai vus». Jy étais, moi, par devoir professionnel. Je devais interviewer un de ces savants de lAcadémie de Philadelphie que lon fêtait ce jour-là. Jusquà ce jour, je navais jamais vu ni M. ni Mlle Stangerson. Jétais assis dans le salon qui précède le salon des Ambassadeurs, et, las davoir été bousculé par tant de nobles personnages, je me laissais aller à une vague rêverie, quand je sentis passer le parfum de la dame en noir. Vous me demanderez: «quest-ce que le parfum de la dame en noir?» Quil vous suffise de savoir que cest un parfum que jai beaucoup aimé, parce quil était celui dune dame, toujours habillée de noir, qui ma marqué quelque maternelle bonté dans ma première jeunesse. La dame qui, ce jour-là, était discrètement imprégnée du «parfum de la dame en noir» était habillée de blanc. Elle était merveilleusement belle. Je ne pus mempêcher de me lever et de la suivre, elle et son parfum. Un homme, un vieillard, donnait le bras à cette beauté. Chacun se détournait sur leur passage, et jentendis que lon murmurait: «Cest le professeur Stangerson et sa fille!» Cest ainsi que jappris qui je suivais. Ils rencontrèrent M. Robert Darzac que je connaissais de vue. Le professeur Stangerson, abordé par lun des savants américains, Arthur-William Rance, sassit dans un fauteuil de la grande galerie, et M. Robert Darzac entraîna Mlle Stangerson dans les serres. Je suivais toujours. Il faisait, ce soir-là, un temps très doux; les portes sur le jardin étaient ouvertes. Mlle Stangerson jeta un fichu léger sur ses épaules et je vis bien que cétait elle qui priait M. Darzac de pénétrer avec elle dans la quasi- solitude du jardin. Je suivis encore, intéressé par lagitation que marquait alors M. Robert Darzac. Ils se glissaient maintenant, à pas lents, le long du mur qui longe lavenue Marigny. Je pris par lallée centrale. Je marchais parallèlement à mes deux personnages. Et puis, je «coupai»à travers la pelouse pour les croiser. La nuit était obscure, lherbe étouffait mes pas. Ils étaient arrêtés dans la clarté vacillante dun bec de gaz et semblaient, penchés tous les deux sur un papier que tenait Mlle Stangerson, lire quelque chose qui les intéressait fort. Je marrêtai, moi aussi. Jétais entouré dombre et de silence. Ils ne maperçurent point, et jentendis distinctement Mlle Stangerson qui répétait, en repliant le papier: «le presbytère na rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat! Et ce fut dit sur un ton à la fois si railleur et si désespéré, et fut suivi dun éclat de rire si nerveux, que je crois bien que cette phrase me restera toujours dans loreille. Mais une autre phrase encore fut prononcée, celle-ci par M. Robert Darzac: _Me faudra-t-il donc, pour vous avoir, commettre un crime?_M. Robert Darzac était dans une agitation extraordinaire; il prit la main de Mlle Stangerson, la porta longuement à ses lèvres et je pensai, au mouvement de ses épaules, quil pleurait. Puis, ils séloignèrent.

 

– Quand jarrivai dans la grande galerie, continua Rouletabille, je ne vis plus M. Robert Darzac, et je ne devais plus le revoir quau Glandier, après le crime, mais japerçus Mlle Stangerson, M. Stangerson et les délégués de Philadelphie. Mlle Stangerson était près dArthur Rance. Celui-ci lui parlait avec animation et les yeux de lAméricain, pendant cette conversation, brillaient dun singulier éclat. Je crois bien que Mlle Stangerson nécoutait même pas ce que lui disait Arthur Rance, et son visage exprimait une indifférence parfaite. Arthur-William Rance est un homme sanguin, au visage couperosé; il doit aimer le gin. Quand M. et Mlle Stangerson furent partis, il se dirigea vers le buffet et ne le quitta plus. Je ly rejoignis et lui rendis quelques services, dans cette cohue. Il me remercia et mapprit quil repartait pour lAmérique, trois jours plus tard, cest-à-dire le 26 (le lendemain du crime). Je lui parlai de Philadelphie; il me dit quil habitait cette ville depuis vingt-cinq ans, et que cest là quil avait connu lillustre professeur Stangerson et sa fille. Là-dessus, il reprit du champagne et je crus quil ne sarrêterait jamais de boire. Je le quittai quand il fut à peu près ivre.

«Telle a été ma soirée, mon cher ami. Je ne sais par quelle sorte de précision la double image de M. Robert Darzac et de Mlle Stangerson ne me quitta point de la nuit, et je vous laisse à penser leffet que me produisit la nouvelle de lassassinat de Mlle Stangerson. Comment ne pas me souvenir de ces mots: «Me faudra-t-il, pour vous avoir, commettre un crime?» Ce nest cependant point cette phrase que je dis à M. Robert Darzac quand nous le rencontrâmes au Glandier. Celle où il est question du presbytère et du jardin éclatant, que Mlle Stangerson semblait avoir lue sur le papier quelle tenait à la main, suffit pour nous faire ouvrir toutes grandes les portes du château. Croyais-je, à ce moment, que M. Robert Darzac était lassassin? Non! Je ne pense pas lavoir tout à fait cru. À ce moment-là, je ne pensais sérieusement «rien». Jétais si peu documenté. «Mais javais besoin» quil me prouvât tout de suite quil nétait pas blessé à la main. Quand nous fûmes seuls, tous les deux, je lui contai ce que le hasard mavait fait surprendre de sa conversation dans les jardins de lÉlysée avec Mlle Stangerson; et, quand je lui eus dit que javais entendu ces mots: «Me faudra-t-il, pour vous avoir, commettre un crime?» il fut tout à fait troublé, mais beaucoup moins, certainement, quil ne lavait été par la phrase du «presbytère». Ce qui le jeta dans une véritable consternation, ce fut dapprendre, de ma bouche, que, le jour où il allait se rencontrer à lÉlysée avec Mlle Stangerson, celle-ci était allée, dans laprès-midi, au bureau de poste 40, chercher une lettre qui était peut-être celle quils avaient lue tous les deux dans les jardins de lÉlysée et qui se terminait par ces mots: «Le presbytère na rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat!» cette hypothèse me fut confirmée du reste, depuis, par la découverte que je fis, vous vous en souvenez, dans les charbons du laboratoire, dun morceau de cette lettre qui portait la date du 23 octobre. La lettre avait été écrite et retirée du bureau le même jour. Il ne fait point de doute quen rentrant de lÉlysée, la nuit même, Mlle Stangerson a voulu brûler ce papier compromettant. Cest en vain que M. Robert Darzac nia que cette lettre eût un rapport quelconque avec le crime. Je lui dis que, dans une affaire aussi mystérieuse, il navait pas le droit de cacher à la justice lincident de la lettre; que jétais persuadé, moi, que celle-ci avait une importance considérable; que le ton désespéré avec lequel Mlle Stangerson avait prononcé la phrase fatidique, que ses pleurs, à lui, Robert Darzac, et que cette menace dun crime quil avait proférée à la suite de la lecture de la lettre, ne me permettaient pas den douter. Robert Darzac était de plus en plus agité. Je résolus de profiter de mon avantage.

«– Vous deviez vous marier, monsieur», fis-je négligemment, sans plus regarder mon interlocuteur, et tout dun coup ce mariage devient impossible à cause de lauteur de cette lettre, puisque, aussitôt la lecture de la lettre, vous parlez dun crime nécessaire pour avoir Mlle Stangerson. IL Y A DONC QUELQUUN ENTRE VOUS ET MLLE STANGERSON, QUELQUUN QUI LUI DÈFEND DE SE MARIER, QUELQUUN QUI LA TUE AVANT QUELLE NE SE MARIE!»

«Et je terminai ce petit discours par ces mots:

«– Maintenant, monsieur, vous navez plus quà me confier le nom de lassassin!»

«Javais dû, sans men douter, dire des choses formidables. Quand je relevai les yeux sur Robert Darzac, je vis un visage décomposé, un front en sueur, des yeux deffroi.

«– Monsieur, me dit-il, je vais vous demander une chose, qui va peut-être vous paraître insensée, mais en échange de quoi je donnerais ma vie: il ne faut pas parler devant les magistrats de ce que vous avez vu et entendu dans les jardins de lÉlysée, … ni devant les magistrats, ni devant personne au monde. Je vous jure que je suis innocent et je sais, et je sens, que vous me croyez, mais jaimerais mieux passer pour coupable que de voir les soupçons de la justice ségarer sur cette phrase: «le presbytère na rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat.» Il faut que la justice ignore cette phrase. Toute cette affaire vous appartient, monsieur, je vous la donne, mais oubliez la soirée de lÉlysée. Il y aura pour vous cent autres chemins que celui-là qui vous conduiront à la découverte du criminel; je vous les ouvrirai, je vous aiderai. Voulez-vous vous installer ici? Parler ici en maître? Manger, dormir ici? Surveiller mes actes et les actes de tous? Vous serez au Glandier comme si vous en étiez le maître, monsieur, mais oubliez la soirée de lÉlysée.»

Rouletabille, ici, sarrêta pour souffler un peu. Je comprenais maintenant lattitude inexplicable de M. Robert Darzac vis-à-vis de mon ami, et la facilité avec laquelle celui-ci avait pu sinstaller sur les lieux du crime. Tout ce que je venais dapprendre ne pouvait quexciter ma curiosité. Je demandai à Rouletabille de la satisfaire encore. Que sétait-il passé au Glandier depuis huit jours? Mon ami ne mavait-il pas dit quil y avait maintenant contre M. Darzac des signes extérieurs autrement terribles que celui de la canne trouvée par Larsan?

«Tout semble se tourner contre lui, me répondit mon ami, et la situation devient extrêmement grave. M. Robert Darzac semble ne point sen préoccuper outre mesure; il a tort; mais rien ne lintéresse que la santé de Mlle Stangerson qui allait saméliorant tous les jours quand est survenu un événement plus mystérieux encore que le mystère de la «Chambre Jaune»!

– Ça nest pas possible! mécriai-je, et quel événement peut être plus mystérieux que le mystère de la «Chambre Jaune»?

– Revenons dabord à M. Robert Darzac, fit Rouletabille en me calmant. Je vous disais que tout se tourne contre lui. «Les pas élégants» relevés par Frédéric Larsan paraissent bien être «les pas du fiancé de Mlle Stangerson». Lempreinte de la bicyclette peut être lempreinte de «sa» bicyclette; la chose a été contrôlée. Depuis quil avait cette bicyclette, il la laissait toujours au château. Pourquoi lavoir emportée à Paris justement à ce moment-là? Est-ce quil ne devait plus revenir au château? Est- ce que la rupture de son mariage devait entraîner la rupture de ses relations avec les Stangerson? Chacun des intéressés affirme que ces relations devaient continuer. Alors? Frédéric Larsan, lui, croit que «tout était rompu». Depuis le jour où Robert Darzac a accompagné Mlle Stangerson aux grands magasins de la Louve, jusquau lendemain du crime, lex-fiancé nest point revenu au Glandier. Se souvenir que Mlle Stangerson a perdu son réticule et la clef à tête de cuivre quand elle était en compagnie de M. Robert Darzac. Depuis ce jour jusquà la soirée de lÉlysée, le professeur en Sorbonne et Mlle Stangerson ne se sont point vus. Mais ils se sont peut-être écrit. Mlle Stangerson est allée chercher une lettre poste restante au bureau 40, lettre que Frédéric Larsan croit de Robert Darzac, car Frédéric Larsan, qui ne sait rien naturellement de ce qui sest passé à lÉlysée, est amené à penser que cest Robert Darzac lui-même qui a volé le réticule et la clef, dans le dessein de forcer la volonté de Mlle Stangerson en sappropriant les papiers les plus précieux du père, papiers quil aurait restitués sous condition de mariage. Tout cela serait dune hypothèse bien douteuse et presque absurde, comme me le disait le grand Fred lui-même, sil ny avait pas encore autre chose, et autre chose de beaucoup plus grave. Dabord, chose bizarre, et que je ne parviens pas à mexpliquer: ce serait M. Darzac en personne qui, le 24, serait allé demander la lettre au bureau de poste, lettre qui avait été déjà retirée la veille par Mlle Stangerson; _la description de lhomme qui sest présenté au guichet répond point par point au signalement de M. Robert Darzac. _Celui-ci, aux questions qui lui furent posées, à titre de simple renseignement, par le juge dinstruction, nie quil soit allé au bureau de poste; et moi, je crois M. Robert Darzac, car, en admettant même que la lettre ait été écrite par lui – ce que je ne pense pas – il savait que Mlle Stangerson lavait retirée, puisquil la lui avait vue, cette lettre, entre les mains, dans les jardins de lÉlysée. Ce nest donc pas lui qui sest présenté, le lendemain 24, au bureau 40, pour demander une lettre quil savait nêtre plus là. Pour moi, cest quelquun qui lui ressemblait étrangement, et cest bien le voleur du réticule qui dans cette lettre devait demander quelque chose à la propriétaire du réticule, à Mlle Stangerson, – «quelque chose quil ne vit pas venir». Il dut en être stupéfait, et fut amené à se demander si la lettre quil avait expédiée avec cette inscription sur lenveloppe: M.A.T.H.S.N. avait été retirée. Doù sa démarche au bureau de poste et linsistance avec laquelle il réclame la lettre. Puis il sen va, furieux. La lettre a été retirée, et pourtant ce quil demandait ne lui a pas été accordé! Que demandait-il? Nul ne le sait que Mlle Stangerson. Toujours est-il que, le lendemain, on apprenait que Mlle Stangerson avait été quasi assassinée dans la nuit, et que je découvrais, le surlendemain, moi, que le professeur avait été volé du même coup, grâce à cette clef, objet de la lettre poste restante. Ainsi, il semble bien que lhomme qui est venu au bureau de poste doive être lassassin; et tout ce raisonnement, des plus logiques en somme, sur les raisons de la démarche de lhomme au bureau de poste, Frédéric Larsan se lest tenu, mais, en lappliquant à Robert Darzac. Vous pensez bien que le juge dinstruction, et que Larsan, et que moi-même nous avons tout fait pour avoir, au bureau de poste, des détails précis sur le singulier personnage du 24 octobre. Mais on na pu savoir doù il venait ni où il sen est allé! En dehors de cette description qui le fait ressembler à M. Robert Darzac, rien! Jai fait annoncer dans les plus grands journaux: «Une forte récompense est promise au cocher qui a conduit un client au bureau de poste 40, dans la matinée du 24 octobre, vers les dix heures. Sadresser à la rédaction de LÉpoque, et demander M. R.» Ça na rien donné._ _En somme, cet homme est peut-être venu à pied; mais, puisquil était pressé, cétait une chance à courir quil fût venu en voiture. Je nai pas, dans ma note aux journaux, donné la description de lhomme pour que tous les cochers qui pouvaient avoir, vers cette heure- là, conduit un client au bureau 40, vinssent à moi. Il nen est pas venu un seul. Et je me suis demandé nuit et jour: «Quel est donc cet homme qui ressemble aussi étrangement à M. Robert Darzac et que je retrouve achetant la canne tombée entre les mains de Frédéric Larsan? Le plus grave de tout est que M. Darzac, qui avait à faire, à la même heure, à lheure où son sosie se présentait au bureau de poste, un cours à la Sorbonne, ne la pas fait. Un de ses amis le remplaçait. Et, quand on linterroge sur lemploi de son temps, il répond quil est allé se promener au bois de Boulogne._ _Quest-ce que vous pensez de ce professeur qui se fait remplacer à son cours pour aller se promener au bois de Boulogne? Enfin, il faut que vous sachiez que, si M. Robert Darzac avoue sêtre allé promener au bois de Boulogne dans la matinée du 24, il ne peut plus donner du tout lemploi de son temps dans la nuit du 24 au 25! … Il a répondu fort paisiblement à Frédéric Larsan qui lui demandait ce renseignement que ce quil faisait de son temps, à Paris, ne regardait que lui… Sur quoi, Frédéric Larsan a juré tout haut quil découvrirait bien, lui, sans laide de personne, lemploi de ce temps. Tout cela semble donner quelque corps aux hypothèses du grand Fred; dautant plus que le fait de Robert Darzac se trouvant dans la «Chambre Jaune» pourrait venir corroborer lexplication du policier sur la façon dont lassassin se serait enfui: M. Stangerson laurait laissé passer pour éviter un effroyable scandale! Cest, du reste, cette hypothèse, que je crois fausse, qui égarera Frédéric Larsan, et ceci ne serait point pour me déplaire, sil ny avait pas un innocent en cause! Maintenant, cette hypothèse égare-t-elle réellement Frédéric Larsan? Voilà! Voilà! Voilà!

 

– Eh! Frédéric Larsan a peut-être raison! mécriai-je, interrompant Rouletabille… Êtes-vous sûr que M. Darzac soit innocent? Il me semble que voilà bien des fâcheuses coïncidences…

– Les coïncidences, me répondit mon ami, sont les pires ennemies de la vérité.

– Quen pense aujourdhui le juge dinstruction?

– M. de Marquet, le juge dinstruction, hésite à découvrir M. Robert Darzac sans aucune preuve certaine. Non seulement, il aurait contre lui toute lopinion publique, sans compter la Sorbonne, mais encore M. Stangerson et Mlle Stangerson. Celle-ci adore M. Robert Darzac. Si peu quelle ait vu lassassin, on ferait croire difficilement au public quelle neût point reconnu M. Robert Darzac, si M. Robert Darzac avait été lagresseur. La «Chambre Jaune» était obscure, sans doute, mais une petite veilleuse tout de même léclairait, ne loubliez pas. Voici, mon ami, où en étaient les choses quand, il y a trois jours, ou plutôt trois nuits, survint cet événement inouï dont je vous parlais tout à lheure.»