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Le mystère de la chambre jaune

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«Cest donc dans ces courtes minutes que le drame se déroula. Cest nécessaire! Je vois très bien Mlle Stangerson rentrer dans le pavillon, pénétrer dans sa chambre pour poser son chapeau et se trouver en face du bandit qui la poursuit. Le bandit était là, dans le pavillon, depuis un certain temps. Il devait avoir arrangé son affaire pour que tout se passât la nuit. Il avait alors déchaussé les chaussures du père Jacques qui le gênaient, dans les conditions que jai dites au juge dinstruction, il avait opéré la rafle des papiers, comme je vous lai dit tout à lheure, et il sétait ensuite glissé sous le lit quand le père Jacques était revenu laver le vestibule et le laboratoire… Le temps lui avait paru long… il sétait relevé, après le départ du père Jacques, avait à nouveau erré dans le laboratoire, était venu dans le vestibule, avait regardé dans le jardin, et avait vu venir, vers le pavillon – car, à ce moment-là, la nuit qui commençait était très claire – _Mlle Stangerson, toute seule! _Jamais il neût osé lattaquer à cette heure-là sil navait cru être certain que Mlle Stangerson était seule! Et, pour quelle lui apparût seule, il fallait que la conversation entre M. Stangerson et le garde qui le retenait eût lieu à un coin détourné du sentier, _coin où se trouve un bouquet darbres qui les cachait aux yeux du misérable. _Alors, son plan est fait. Il va être plus tranquille, seul avec Mlle Stangerson dans ce pavillon, quil ne laurait été, en pleine nuit, avec le père Jacques dormant dans son grenier. Et il dut fermer la fenêtre du vestibule! ce qui explique aussi que ni M. Stangerson, ni le garde, du reste assez éloignés encore du pavillon, nont entendu le coup de revolver.

«Puis il regagna la «Chambre Jaune». Mlle Stangerson arrive. Ce qui sest passé a dû être rapide comme léclair! … Mlle Stangerson a dû crier… ou plutôt a voulu crier son effroi; lhomme la saisie à la gorge… Peut-être va-t-il létouffer, létrangler… Mais la main tâtonnante de Mlle Stangerson a saisi, dans le tiroir de la table de nuit, le revolver quelle y a caché depuis quelle redoute les menaces de lhomme. Lassassin brandit déjà, sur la tête de la malheureuse, cette arme terrible dans les mains de Larsan-Ballmeyer, un os de mouton… Mais elle tire… le coup part, blesse la main qui abandonne larme. Los de mouton roule par terre, ensanglanté par la blessure de lassassin… lassassin chancelle, va sappuyer à la muraille, y imprime ses doigts rouges, craint une autre balle et senfuit…

«Elle le voit traverser le laboratoire… Elle écoute… Que fait- il dans le vestibule? … Il est bien long à sauter par cette fenêtre… Enfin, il saute! Elle court à la fenêtre et la referme! … Et maintenant, est-ce que son père a vu? a entendu? Maintenant que le danger a disparu, toute sa pensée va à son père… douée dune énergie surhumaine, elle lui cachera tout, sil en est temps encore! … Et, quand M. Stangerson reviendra, il trouvera la porte de la «Chambre Jaune» fermée, et sa fille, dans le laboratoire, penchée sur son bureau, attentive, au travail, déjà!»

Rouletabille se tourne alors vers M. Darzac:

«Vous savez la vérité, sécria-t-il, dites-nous donc si la chose ne sest pas passée ainsi?

– Je ne sais rien, répond M. Darzac.

– Vous êtes un héros! fait Rouletabille, en se croisant les bras… Mais si Mlle Stangerson était, hélas! en état de savoir que vous êtes accusé, elle vous relèverait de votre parole… elle vous prierait de dire tout ce quelle vous a confié… que dis-je, elle viendrait vous défendre elle-même! …»

M. Darzac ne fit pas un mouvement, ne prononça pas un mot. Il regarda tristement Rouletabille.

«Enfin, fit celui-ci, puisque Mlle Stangerson nest pas là, il faut bien que jy sois, moi! Mais, croyez-moi, monsieur Darzac, le meilleur moyen, le seul, de sauver Mlle Stangerson et de lui rendre la raison, cest encore de vous faire acquitter!»

Un tonnerre dapplaudissements accueillit cette dernière phrase. Le président nessaya même pas de réfréner lenthousiasme de la salle. Robert Darzac était sauvé. Il ny avait quà regarder les jurés pour en être certain! Leur attitude manifestait hautement leur conviction.

Le président sécria alors:

«Mais enfin, quel est ce mystère qui fait que Mlle Stangerson, que lon tente dassassiner, dissimule un pareil crime à son père?

– Ça, msieur, fit Rouletabille, jsais pas! … Ça ne me regarde pas! …»

Le président fit un nouvel effort auprès de M. Robert Darzac.

«Vous refusez toujours de nous dire, monsieur, quel a été lemploi de votre temps pendant qu«on» attentait à la vie de Mlle Stangerson?

– Je ne peux rien vous dire, monsieur…»

Le président implora du regard une explication de Rouletabille:

«On a le droit de penser, msieur le président, que les absences de M. Robert Darzac étaient étroitement liées au secret de Mlle Stangerson… Aussi M. Darzac se croit-il tenu à garder le silence! … Imaginez que Larsan, qui a, lors de ses trois tentatives, tout mis en train pour détourner les soupçons sur M. Darzac, ait fixé, justement, ces trois fois-là, des rendez-vous à M. Darzac dans un endroit compromettant, rendez-vous où il devait être traité du mystère… M. Darzac se fera plutôt condamner que davouer quoi que ce soit, que dexpliquer quoi que ce soit qui touche au mystère de Mlle Stangerson. Larsan est assez malin pour avoir fait encore cette «combinaise-là! …»

Le président, ébranlé, mais curieux, répartit encore:

«Mais quel peut bien être ce mystère-là?

– Ah! msieur, jpourrais pas vous dire! fit Rouletabille en saluant le président; seulement, je crois que vous en savez assez maintenant pour acquitter M. Robert Darzac! … À moins que Larsan ne revienne! mais jcrois pas!» fit-il en riant dun gros rire heureux.

Tout le monde rit avec lui.

«Encore une question, monsieur, fit le président. Nous comprenons, toujours en admettant votre thèse, que Larsan ait voulu détourner les soupçons sur M. Robert Darzac, mais quel intérêt avait-il à les détourner aussi sur le père Jacques? …

– «Lintérêt du policier!» msieur! Lintérêt de se montrer débrouillard en annihilant lui-même ces preuves quil avait accumulées. Cest très fort, ça! Cest un truc qui lui a souvent servi à détourner les soupçons qui eussent pu sarrêter sur lui- même! Il prouvait linnocence de lun, avant daccuser lautre. Songez, monsieur le président, quune affaire comme celle-là devait avoir été longuement «mijotée «à lavance par Larsan. Je vous dis quil avait tout étudié et quil connaissait les êtres et tout. Si vous avez la curiosité de savoir comment il sétait documenté, vous apprendrez quil sétait fait un moment le commissionnaire entre «le laboratoire de la Sûreté»et M. Stangerson, à qui on demandait des «expériences». Ainsi, il a pu, avant le crime, pénétrer deux fois dans le pavillon. Il était grimé de telle sorte que le père Jacques, depuis, ne la pas reconnu; mais il a trouvé, lui, Larsan, loccasion de chiper au père Jacques une vieille paire de godillots et un béret hors dusage, que le vieux serviteur de M. Stangerson avait noués dans un mouchoir pour les porter sans doute à un de ses amis, charbonnier sur la route dÉpinay! Quand le crime fut découvert, le père Jacques, reconnaissant les objets à part lui, neut garde de les reconnaître immédiatement! Ils étaient trop compromettants, et cest ce qui vous explique son trouble, à cette époque, quand nous lui en parlions. Tout cela est simple comme bonjour et jai acculé Larsan à me lavouer. Il la du reste fait avec plaisir, car, si cest un bandit – ce qui ne fait plus, jose lespérer, de doute pour personne – cest aussi un artiste! … Cest sa manière de faire, à cet homme, sa manière à lui… Il a agi de même lors de laffaire du «Crédit universel» et des «Lingots de la Monnaie!» Des affaires quil faudra réviser, msieur le président, car il y a quelques innocents dans les prisons depuis que Ballmeyer-Larsan appartient à la Sûreté!»

XXVIII
Où il est prouvé quon ne pense pas toujours à tout

Gros émoi, murmures, bravos! Maître Henri-Robert déposa des conclusions tendant à ce que laffaire fût renvoyée à une autre session pour supplément dinstruction; le ministère public lui- même sy associa. Laffaire fut renvoyée. Le lendemain, M. Robert Darzac était remis en liberté provisoire, et le père Mathieu bénéficiait «dunnon-lieu»immédiat. On chercha vainement Frédéric Larsan. La preuve de linnocence était faite. M. Darzac échappa enfin à laffreuse calamité qui lavait, un instant, menacé, et il put espérer, après une visite à Mlle Stangerson, que celle-ci recouvrerait un jour, à force de soins assidus, la raison.

Quant à ce gamin de Rouletabille, il fut, naturellement, «lhomme du jour»! À sa sortie du palais de Versailles, la foule lavait porté en triomphe. Les journaux du monde entier publièrent ses exploits et sa photographie; et lui, qui avait tant interviewé dillustres personnages, fut illustre et interviewé à son tour! Je dois dire quil ne sen montra pas plus fier pour ça!

Nous revînmes de Versailles ensemble, après avoir dîné fort gaiement au «Chien qui fume». Dans le train, je commençai à lui poser un tas de questions qui, pendant le repas, sétaient pressées déjà sur mes lèvres et que javais tues toutefois parce que je savais que Rouletabille naimait pas travailler en mangeant.

«Mon ami, fis-je, cette affaire de Larsan est tout à fait sublime et digne de votre cerveau héroïque.»

Ici il marrêta, minvitant à parler plus simplement et prétendant quil ne se consolerait jamais de voir quune aussi belle intelligence que la mienne était prête à tomber dans le gouffre hideux de la stupidité, et cela simplement à cause de ladmiration que javais pour lui…

«Je viens au fait, fis-je, un peu vexé. Tout ce qui vient de se passer ne mapprend point du tout ce que vous êtes allé faire en Amérique. Si je vous ai bien compris: quand vous êtes parti la dernière fois du Glandier, vous aviez tout deviné de Frédéric Larsan? … Vous saviez que Larsan était lassassin et vous nignoriez plus rien de la façon dont il avait tenté dassassiner?

 

– Parfaitement. Et vous, fit-il, en détournant la conversation, vous ne vous doutiez de rien?

– De rien!

– Cest incroyable.

– Mais, mon ami… vous avez eu bien soin de me dissimuler votre pensée et je ne vois point comment je laurais pénétrée… Quand je suis arrivé au Glandier avec les revolvers, «à ce moment précis», vous soupçonniez déjà Larsan?

– Oui! Je venais de tenir le raisonnement de la «galerie inexplicable!» mais le retour de Larsan dans la chambre de Mlle Stangerson ne mavait pas encore été expliqué par la découverte du binocle de presbyte… Enfin, mon soupçon nétait que mathématique, et lidée de Larsan assassin mapparaissait si formidable que jétais résolu à attendre des «traces sensibles» avant doser my arrêter davantage. Tout de même cette idée me tracassait, et javais parfois une façon de vous parler du policier qui eût dû vous mettre en éveil. Dabord je ne mettais plus du tout en avant «sa bonne foi» et je ne vous disais plus «quil se trompait». Je vous entretenais de son système comme dun misérable système, et le mépris que jen marquais, qui sadressait dans votre esprit au policier, sadressait en réalité, dans le mien, moins au policier quau bandit que je le soupçonnais dêtre!… Rappelez-vous… quand je vous énumérais toutes les preuves qui saccumulaient contre M. Darzac, je vous disais: «Tout cela semble donner quelque corps à lhypothèse du grand Fred. Cest, du reste, cette hypothèse, que je crois fausse, qui légarera…» et jajoutais sur un ton qui eût dû vous stupéfier: «Maintenant, cette hypothèse égare-t-elle réellement Frédéric Larsan? Voilà! Voilà! Voilà! …»

Ces «voilà!» eussent dû vous donner à réfléchir; il y avait tout mon soupçon dans ces «Voilà!» Et que signifiait: «égare-t-elle réellement?» sinon quelle pouvait ne pas légarer, lui, mais quelle était destinée à nous égarer, nous! Je vous regardais à ce moment et vous navez pas tressailli, vous navez pas compris… Jen ai été enchanté, car, jusquà la découverte du binocle, je ne pouvais considérer le crime de Larsan que comme une absurde hypothèse… Mais, après la découverte du binocle qui mexpliquait le retour de Larsan dans la chambre de Mlle Stangerson… voyez ma joie, mes transports… Oh! Je me souviens très bien! Je courais comme un fou dans ma chambre et je vous criais: «Je roulerai le grand Fred! je le roulerai dune façon retentissante!» Ces paroles sadressaient alors au bandit. Et, le soir même, quand, chargé par M. Darzac de surveiller la chambre de Mlle Stangerson, je me bornai jusquà dix heures du soir à dîner avec Larsan sans prendre aucune mesure autre, tranquille parce quil était là, en face de moi! à ce moment encore, cher ami, vous auriez pu soupçonner que cétait seulement cet homme-là que je redoutais… Et quand je vous disais, au moment où nous parlions de larrivée prochaine de lassassin: «Oh! je suis bien sûr que Frédéric Larsan sera là cette nuit! …»

«Mais il y a une chose capitale qui eût pu, qui eût dû nous éclairer tout à fait et tout de suite sur le criminel, une chose qui nous dénonçait Frédéric Larsan et que nous avons laissée échapper, vous et moi! …

«Auriez-vous donc oublié lhistoire de la canne?

«Oui, en dehors du raisonnement qui, pour tout «esprit logique», dénonçait Larsan, il y avait l«histoire de la canne»qui le dénonçait à tout «esprit observateur».

«Jai été tout à fait étonné – apprenez-le donc – quà linstruction, Larsan ne se fût pas servi de la canne contre M. Darzac. Est-ce que cette canne navait pas été achetée le soir du crime par un homme dont le signalement répondait à celui de M. Darzac? Eh bien, tout à lheure, jai demandé à Larsan lui-même, avant quil prît le train pour disparaître, je lui ai demandé pourquoi il navait pas usé de la canne. Il ma répondu quil nen avait jamais eu lintention; que, dans sa pensée, il navait jamais rien imaginé contre M. Darzac avec cette canne et que nous lavions fort embarrassé, le soir du cabaret dÉpinay, en lui prouvant quil nous mentait! Vous savez quil disait quil avait eu cette canne à Londres; or, la marque attestait quelle était de Paris! Pourquoi, à ce moment, au lieu de penser: «Fred ment; il était à Londres; il na pas pu avoir cette canne de Paris, à Londres?»; Pourquoi ne nous sommes-nous pas dit: «Fred ment. Il nétait pas à Londres, puisquil a acheté cette canne à Paris!» Fred menteur, Fred à Paris, au moment du crime! Cest un point de départ de soupçon, cela! Et quand, après votre enquête chez Cassette, vous nous apprenez que cette canne a été achetée par un homme qui est habillé comme M. Darzac, alors que nous sommes sûrs, daprès la parole de M. Darzac lui-même, que ce nest pas lui qui a acheté cette canne, alors que nous sommes sûrs, grâce à lhistoire du bureau de poste 40, quil y a à Paris un homme qui prend la silhouette Darzac, alors que nous nous demandons quel est donc cet homme qui, déguisé en Darzac, se présente le soir du crime chez Cassette pour acheter une canne que nous retrouvons entre les mains de Fred, comment? comment? comment ne nous sommes-nous pas dit un instant: «Mais… mais… mais… cet inconnu déguisé en Darzac qui achète une canne que Fred a entre les mains, … si cétait… si cétait… Fred lui-même? …» Certes, sa qualité dagent de la Sûreté nétait point propice à une pareille hypothèse; mais, quand nous avions constaté lacharnement avec lequel Fred accumulait les preuves contre Darzac, la rage avec laquelle il poursuivait le malheureux… nous aurions pu être frappés par un mensonge de Fred aussi important que celui qui le faisait entrer en possession, à Paris, dune canne quil ne pouvait avoir eue à Londres. Même, sil lavait trouvée à Paris, le mensonge de Londres nen existait pas moins. Tout le monde le croyait à Londres, même ses chefs et il achetait une canne à Paris! Maintenant, comment se faisait-il que, pas une seconde, il nen usa comme dune canne trouvée _autour de M. Darzac! _Cest bien simple! Cest tellement simple que nous ny avons pas pensé… Larsan lavait achetée, après avoir été blessé légèrement à la main par la balle de Mlle Stangerson, _uniquement pour avoir un maintien, pour avoir toujours la main refermée, pour nêtre point tenté douvrir la main et de montrer sa blessure intérieure? _Comprenez-vous? … Voilà ce quil ma dit, Larsan, et je me rappelle vous avoir répété souvent combien je trouvais bizarre «que sa main ne quittât pas cette canne». À table, quand je dînais avec lui, il navait pas plutôt quitté cette canne quil semparait dun couteau dont sa main droite ne se séparait plus. Tous ces détails me sont revenus quand mon idée se fût arrêtée sur Larsan, cest-à-dire trop tard pour quils me fussent dun quelconque secours. Cest ainsi que, le soir où Larsan a simulé devant nous le sommeil, je me suis penché sur lui et, très habilement, jai pu voir, sans quil sen doutât, dans sa main. Il ne sy trouvait plus quune bande légère de taffetas qui dissimulait ce qui restait dune blessure légère. Je constatai quil eût pu prétendre à ce moment que cette blessure lui avait été faite par toute autre chose quune balle de revolver. Tout de même, pour moi, à cette heure-là, cétait un nouveau signe extérieur qui entrait dans le cercle de mon raisonnement. La balle, ma dit tout à lheure Larsan, navait fait que lui effleurer la paume et avait déterminé une assez abondante hémorragie.

«Si nous avions été plus perspicaces, au moment du mensonge de Larsan, et plus… dangereux… il est certain que celui-ci eût sorti, pour détourner les soupçons, lhistoire que nous avions imaginée pour lui, lhistoire de la découverte de la canne autour de Darzac; mais les événements se sont tellement précipités que nous navons plus pensé à la canne! Tout de même nous lavons fort ennuyé, Larsan-Ballmeyer, sans que nous nous en doutions!

– Mais, interrompis-je, sil navait aucune intention, en achetant la canne, contre Darzac, pourquoi avait-il alors la silhouette Darzac? Le pardessus mastic? Le melon? Etc.

– Parce quil arrivait du crime et quaussitôt le crime commis, il avait repris le déguisement Darzac qui la toujours accompagné dans son oeuvre criminelle dans lintention que vous savez!

«Mais déjà, vous pensez bien, sa main blessée lennuyait et il eut, en passant avenue de lOpéra, lidée dacheter une canne, idée quil réalisa sur-le-champ! … Il était huit heures! Un homme, avec la silhouette Darzac, qui achète une canne que je trouve dans les mains de Larsan! … Et moi, moi qui avais deviné que le drame avait déjà eu lieu à cette heure-là, quil venait davoir lieu, qui étais à peu près persuadé de linnocence de Darzac je ne soupçonne pas Larsan! … il y a des moments…

– Il y a des moments, fis-je, où les plus vastes intelligences…»

Rouletabille me ferma la bouche… Et comme je linterrogeais encore, je maperçus quil ne mécoutait plus… Rouletabille dormait. Jeus toutes les peines du monde à le tirer de son sommeil quand nous arrivâmes à Paris.

XXIX
Le mystère de Mlle Stangerson

Les jours suivants, jeus loccasion de lui demander encore ce quil était allé faire en Amérique. Il ne me répondit guère dune façon plus précise quil ne lavait fait dans le train de Versailles, et il détourna la conversation sur dautres points de laffaire.

Il finit, un jour, par me dire:

«Mais comprenez donc que javais besoin de connaître la véritable personnalité de Larsan!

– Sans doute, fis-je, mais pourquoi alliez-vous la chercher en Amérique? …»

Il fuma sa pipe et me tourna le dos. Évidemment, je touchais au «mystère de Mlle Stangerson». Rouletabille avait pensé que ce mystère, qui liait dune façon si terrible Larsan à Mlle Stangerson, mystère dont il ne trouvait, lui, Rouletabille, aucune explication dans la vie de Mlle Stangerson, «en France», il avait pensé, dis-je, que ce mystère «devait avoir son origine dans la vie de Mlle Stangerson, en Amérique». Et il avait pris le bateau! Là-bas, il apprendrait qui était ce Larsan, il acquerrait les matériaux nécessaires à lui fermer la bouche… Et il était parti pour Philadelphie!

Et maintenant, quel était ce mystère qui avait «commandé le silence» à Mlle Stangerson et à M. Robert Darzac? Au bout de tant dannées, après certaines publications de la presse à scandale, maintenant que M. Stangerson sait tout et a tout pardonné, on peut tout dire. Cest, du reste, très court, et cela remettra les choses au point, car il sest trouvé de tristes esprits pour accuser Mlle Stangerson qui, en toute cette sinistre affaire, fut toujours victime, «depuis le commencement».

Le commencement remontait à une époque lointaine où, jeune fille, elle habitait avec son père à Philadelphie. Là, elle fit la connaissance, dans une soirée, chez un ami de son père, dun compatriote, un Français qui sut la séduire par ses manières, son esprit, sa douceur et son amour. On le disait riche. Il demanda la main de Mlle Stangerson au célèbre professeur. Celui-ci prit des renseignements sur M. Jean Roussel, et, dès labord, il vit quil avait affaire à un chevalier dindustrie. Or, M. Jean Roussel, vous lavez deviné, nétait autre quune des nombreuses transformations du fameux Ballmeyer, poursuivi en France, réfugié en Amérique. Mais M. Stangerson nen savait rien; sa fille non plus. Celle-ci ne devait lapprendre que dans les circonstances suivantes: M. Stangerson avait, non seulement refusé la main de sa fille à M. Roussel, mais encore il lui avait interdit laccès de sa demeure. La jeune Mathilde, dont le coeur souvrait à lamour, et qui ne voyait rien au monde de plus beau ni de meilleur que son Jean, en fut outrée. Elle ne cacha point son mécontentement à son père qui lenvoya se calmer sur les bords de lOhio, chez une vieille tante qui habitait Cincinnati. Jean rejoignit Mathilde là- bas et, malgré la grande vénération quelle avait pour son père, Mlle Stangerson résolut de tromper la surveillance de la vieille tante, et de senfuir avec Jean Roussel, bien décidés quils étaient tous les deux à profiter des facilités des lois américaines pour se marier au plus tôt. Ainsi fut fait. Ils fuirent donc, pas loin, jusquà Louisville. Là, un matin, on vint frapper à leur porte. Cétait la police qui désirait arrêter M. Jean Roussel, ce quelle fit, malgré ses protestations et les cris de la fille du professeur Stangerson. En même temps, la police apprenait à Mathilde que «son mari» nétait autre que le trop fameux Ballmeyer! …

Désespérée, après une vaine tentative de suicide, Mathilde rejoignit sa tante à Cincinnati. Celle-ci faillit mourir de joie de la revoir. Elle navait cessé, depuis huit jours, de faire rechercher Mathilde partout, et navait pas encore osé avertir le père. Mathilde fit jurer à sa tante que M. Stangerson ne saurait jamais rien! Cest bien ainsi que lentendait la tante, qui se trouvait coupable de légèreté dans cette si grave circonstance. Mlle Mathilde Stangerson, un mois plus tard, revenait auprès de son père, repentante, le coeur mort à lamour, et ne demandant quune chose: ne plus jamais entendre parler de son mari, le terrible Ballmeyer – arriver à se pardonner sa faute à elle-même, et se relever devant sa propre conscience par une vie de travail sans borne et de dévouement à son père!

 

Elle sest tenue parole. Cependant, dans le moment où, après avoir tout avoué à M. Robert Darzac, alors quelle croyait Ballmeyer défunt, car le bruit de sa mort avait courut, elle sétait accordée la joie suprême, après avoir tant expié, de sunir à un ami sûr, le destin lui avait ressuscité Jean Roussel, le Ballmeyer de sa jeunesse! Celui-ci lui avait fait savoir quil ne permettrait jamais son mariage avec M. Robert Darzac et qu«il laimait toujours!» ce qui, hélas! était vrai.

Mlle Stangerson nhésita pas à se confier à M. Robert Darzac; elle lui montra cette lettre où Jean Roussel-Frédéric Larsan-Ballmeyer lui rappelait les premières heures de leur union dans ce petit et charmant presbytère quils avaient loué à Louisville: «… Le presbytère na rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat.» Le misérable se disait riche et émettait la prétention «de la ramener là-bas»! Mlle Stangerson avait déclaré à M. Darzac que, si son père arrivait à soupçonner un pareil déshonneur, «elle se tuerait»! M. Darzac sétait juré quil ferait taire cet Américain, soit par la terreur, soit par la force, dût-il commettre un crime! Mais M. Darzac nétait pas de force, et il aurait succombé sans ce brave petit bonhomme de Rouletabille.

Quant à Mlle Stangerson, que vouliez-vous quelle fît, en face du monstre? Une première fois, quand, après des menaces préalables qui lavaient mise sur ses gardes, il se dressa devant elle, dans la «Chambre Jaune», elle essaya de le tuer. Pour son malheur, elle ny réussit pas. Dès lors, elle était la victime assurée de cet être invisible «qui pouvait la faire chanter jusquà la mort», qui habitait chez elle, à ses côtés, sans quelle le sût, qui exigeait des rendez-vous «au nom de leur amour». La première fois, elle lui avait «refusé» ce rendez-vous, «réclamé dans la lettre du bureau 40»; il en était résulté le drame de la «Chambre Jaune». La seconde fois, avertie par une nouvelle lettre de lui, lettre arrivée par la poste, et qui était venue la trouver normalement dans sa chambre de convalescente, «elle avait fui le rendez-vous», en senfermant dans son boudoir avec ses femmes. Dans cette lettre, le misérable lavait prévenue, que, puisquelle ne pouvait se déranger, «vu son état», il irait chez elle, et serait dans sa chambre telle nuit, à telle heure… quelle eût à prendre toute disposition pour éviter le scandale… Mathilde Stangerson, sachant quelle avait tout à redouter de laudace de Ballmeyer, «lui avait abandonné sa chambre»… Ce fut lépisode de la «galerie inexplicable». La troisième fois, elle avait «préparé le rendez-vous». Cest quavant de quitter la chambre vide de Mlle Stangerson, la nuit de la «galerie inexplicable», Larsan lui avait écrit, comme nous devons nous le rappeler, une dernière lettre, dans sa chambre même, et lavait laissée sur le bureau de sa victime; cette lettre exigeait un rendez-vous «effectif» dont il fixa ensuite la date et lheure, «lui promettant de lui rapporter les papiers de son père, et la menaçant de les brûler si elle se dérobait encore». Elle ne doutait point que le misérable neût en sa possession ces papiers précieux; il ne faisait là sans doute que renouveler un célèbre larcin, car elle le soupçonnait depuis longtemps davoir, «avec sa complicité inconsciente», volé lui- même, autrefois, les fameux papiers de Philadelphie, dans les tiroirs de son père! … Et elle le connaissait assez pour imaginer que si elle ne se pliait point à sa volonté, tant de travaux, tant defforts, et tant de scientifiques espoirs ne seraient bientôt plus que de la cendre! … Elle résolut de le revoir une fois encore, face à face, cet homme qui avait été son époux… et de tenter de le fléchir… puisquelle ne pouvait léviter! … On devine ce qui sy passa… Les supplications de Mathilde, la brutalité de Larsan… Il exige quelle renonce à Darzac… Elle proclame son amour… Et il la frappe… «avec la pensée arrêtée de faire monter lautre sur léchafaud!» car il est habile, lui, et le masque Larsan quil va se reposer sur la figure, le sauvera… pense-t-il… tandis que lautre… lautre ne pourra pas, cette fois encore, donner lemploi de son temps… De ce côté, les précautions de Ballmeyer sont bien prises… et linspiration en a été des plus simples, ainsi que lavait deviné le jeune Rouletabille…

Larsan fait chanter Darzac comme il fait chanter Mathilde… avec les mêmes armes, avec le même mystère… Dans des lettres, pressantes comme des ordres, il se déclare prêt à traiter, à livrer toute la correspondance amoureuse dautrefois et surtout «à disparaître…» si on veut y mettre le prix… Darzac doit aller aux rendez-vous quil lui fixe, sous menace de divulgation dès le lendemain, comme Mathilde doit subir les rendez-vous quil lui donne… Et, dans lheure même que Ballmeyer agit en assassin auprès de Mathilde, Robert débarque à Épinay, où un complice de Larsan, un être bizarre, «une créature dun autre monde», que nous retrouverons un jour, le retient de force, et «lui fait perdre son temps, en attendant que cette coïncidence, dont laccusé de demain ne pourra se résoudre à donner la raison, lui fasse perdre la tête…»

Seulement, Ballmeyer avait compté sans notre Joseph Rouletabille!

*

Ce nest pas à cette heure que voilà expliqué «le mystère de la Chambre Jaune, que nous suivrons pas à pas Rouletabille en Amérique. Nous connaissons le jeune reporter, nous savons de quels moyens puissants dinformation, logés dans les deux bosses de son front, il disposait «pour remonter toute laventure de Mlle Stangerson et de Jean Roussel». À Philadelphie, il fut renseigné tout de suite en ce qui concernait Arthur-William Rance; il apprit son acte de dévouement, mais aussi le prix dont il avait gardé la prétention de se le faire payer. Le bruit de son mariage avec Mlle Stangerson avait couru autrefois les salons de Philadelphie… Le peu de discrétion du jeune savant, la poursuite inlassable dont il navait cessé de fatiguer Mlle Stangerson, même en Europe, la vie désordonnée quil menait sous prétexte de «noyer ses chagrins», tout cela nétait point fait pour rendre Arthur Rance sympathique à Rouletabille, et ainsi sexplique la froideur avec laquelle il laccueillit dans la salle des témoins. Tout de suite il avait du reste jugé que laffaire Rance nentrait point dans laffaire Larsan-Stangerson. Et il avait découvert le flirt formidable Roussel-Mlle Stangerson. Qui était ce Jean Roussel? Il alla de Philadelphie à Cincinnati, refaisant le voyage de Mathilde. À Cincinnati, il trouva la vieille tante et sut la faire parler: lhistoire de larrestation de Ballmeyer lui fut une lueur qui éclaira tout. Il put visiter, à Louisville, le «presbytère»– une modeste et jolie demeure dans le vieux style colonial – qui navait en effet «rien perdu de son charme». Puis, abandonnant la piste de Mlle Stangerson, il remonta la piste Ballmeyer, de prison en prison, de bagne en bagne, de crime en crime; enfin, quand il reprenait le bateau pour lEurope sur les quais de New-York, Rouletabille savait que, sur ces quais mêmes, Ballmeyer sétait embarqué cinq ans auparavant, ayant en poche les papiers dun certain Larsan, honorable commerçant de la Nouvelle-Orléans, quil venait dassassiner…