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Le mystère de la chambre jaune

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On entendit un gémissement. Cétait M. Darzac qui navait pu retenir sa douloureuse plainte…

«Vous comprenez, ajouta Rouletabille, que, couchant à côté de lui, je gênais particulièrement Larsan, cette nuit-là, car il savait ou du moins il pouvait se douter «que, cette nuit-là, je veillais»! Naturellement il ne pouvait pas croire une seconde que je le soupçonnais, lui! Mais je pouvais le découvrir au moment où il sortait de sa chambre pour se rendre dans celle de Mlle Stangerson. Il attendit, cette nuit-là, pour pénétrer chez Mlle Stangerson, que je fusse endormi et que mon ami Sainclair fût occupé dans ma propre chambre à me réveiller. Dix minutes plus tard Mlle Stangerson criait à la mort!

– Comment étiez-vous arrivé à soupçonner, alors, Frédéric Larsan? demanda le président.

– «Le bon bout de ma raison» me lavait indiqué, msieur le président; aussi javais loeil sur lui; mais cest un homme terriblement fort, et je navais pas prévu le coup du narcotique. Oui, oui, le bon bout de ma raison me lavait montré! Mais il me fallait une preuve palpable; comme qui dirait: «Le voir au bout de mes yeux après lavoir vu au bout de ma raison!»

– Quest-ce que vous entendez par «le bon bout de votre raison»?

– Eh! msieur le président, la raison a deux bouts: le bon et le mauvais. Il ny en a quun sur lequel vous puissiez vous appuyer avec solidité: cest le bon! On le reconnaît à ce que rien ne peut le faire craquer, ce bout-là, quoi que vous fassiez! quoi que vous disiez! Au lendemain de la «galerie inexplicable», alors que jétais comme le dernier des derniers des misérables hommes qui ne savent point se servir de leur raison parce quils ne savent par où la prendre, que jétais courbé sur la terre et sur les fallacieuses traces sensibles, je me suis relevé soudain, en mappuyant sur le bon bout de ma raison et je suis monté dans la galerie.

«Là, je me suis rendu compte que lassassin que nous avions poursuivi navait pu, cette fois, «ni normalement, ni anormalement» quitter la galerie. Alors, avec le bon bout de ma raison, jai tracé un cercle dans lequel jai enfermé le problème, et autour du cercle, jai déposé mentalement ces lettres flamboyantes: «Puisque lassassin ne peut être en dehors du cercle, il est dedans!» Qui vois-je donc, dans ce cercle? Le bon bout de ma raison me montre, outre lassassin qui doit nécessairement sy trouver: le père Jacques, M. Stangerson, Frédéric Larsan et moi! Cela devait donc faire, avec lassassin, cinq personnages. Or, quand je cherche dans le cercle, ou si vous préférez, dans la galerie, pour parler «matériellement», je ne trouve que quatre personnages. Et il est démontré que le cinquième na pu senfuir, na pu sortir du cercle! _Donc, jai, dans le cercle, un personnage qui est deux, cest-à-dire qui est, outre son personnage, le personnage de lassassin! … _Pourquoi ne men étais-je pas aperçu déjà? Tout simplement parce que le phénomène du doublement du personnage ne sétait pas passé sous mes yeux. Avec qui, des quatre personnes enfermées dans le cercle, lassassin a-t-il pu se doubler sans que je laperçoive? Certainement pas avec les personnes qui me sont apparues à un moment, dédoublées de lassassin. Ainsi ai-je vu, en même temps, dans la galerie, M. Stangerson et lassassin, le père Jacques et lassassin, moi et lassassin._ Lassassin ne saurait donc être ni M. Stangerson, ni le père Jacques, ni moi! Et puis, si cétait moi lassassin, je le saurais bien, nest-ce pas, msieur le président? … Avais-je vu, en même temps, Frédéric Larsan et lassassin? Non! … _Non! Il sétait passé deux secondes pendant lesquelles javais perdu de vue lassassin, car celui-ci était arrivé, comme je lai du reste noté dans mes papiers, deux secondes avant M. Stangerson, le père Jacques et moi, au carrefour des deux galeries. Cela avait suffi à Larsan pour enfiler la galerie tournante, enlever sa fausse barbe dun tour de main, se retourner et se heurter à nous, comme sil poursuivait lassassin! …_ _Ballmeyer en a fait bien dautres! et vous pensez bien que ce nétait quun jeu pour lui de se grimer de telle sorte quil apparût tantôt avec sa barbe rouge à Mlle Stangerson, tantôt à un employé de poste avec un collier de barbe châtain qui le faisait ressembler à M. Darzac, dont il avait juré la perte! Oui, le bon bout de ma raison me rapprochait ces deux personnages, ou plutôt ces deux moitiés de personnage que je navais pas vues en même temps: Frédéric Larsan et linconnu que je poursuivais… pour en faire lêtre mystérieux et formidable que je cherchais:_ «_lassassin».

«Cette révélation me bouleversa. Jessayai de me ressaisir en moccupant un peu des traces sensibles, des signes extérieurs qui mavaient, jusqualors, égaré, et quil fallait, normalement, «faire entrer dans le cercle tracé par le bon bout de ma raison!»

«Quels étaient, tout dabord, les principaux signes extérieurs, cette nuit-là, qui mavaient éloigné de lidée dun Frédéric Larsan assassin:

«1° Javais vu linconnu dans la chambre de Mlle Stangerson, et, courant à la chambre de Frédéric Larsan, jy avais trouvé Frédéric Larsan, bouffi de sommeil.

«2° Léchelle;

«3° Javais placé Frédéric Larsan au bout de la galerie tournante en lui disant que jallais sauter dans la chambre de Mlle Stangerson pour essayer de prendre lassassin. Or, jétais retourné dans la chambre de Mlle Stangerson où javais retrouvé mon inconnu.

«Le premier signe extérieur ne membarrassa guère. Il est probable que, lorsque je descendis de mon échelle, après avoir vu linconnu dans la chambre de Mlle Stangerson, celui-ci avait déjà fini ce quil avait à y faire. Alors, pendant que je rentrais dans le château, il rentrait, lui, dans la chambre de Frédéric Larsan, se déshabillait en deux temps, trois mouvements, et, quand je venais frapper à sa porte, montrait un visage de Frédéric Larsan ensommeillé à plaisir…

«Le second signe: léchelle, ne membarrassa pas davantage. Il était évident que, si lassassin était Larsan, il navait pas besoin déchelle pour sintroduire dans le château, puisque Larsan couchait à côté de moi; mais cette échelle devait faire croire à la venue de lassassin, «de lextérieur», chose nécessaire au système de Larsan puisque, cette nuit-là, M. Darzac nétait pas au château. Enfin, cette échelle, en tout état de cause, pouvait faciliter la fuite de Larsan.

«Mais le troisième signe extérieur me déroutait tout à fait. Ayant placé Larsan au bout de la galerie tournante, je ne pouvais expliquer quil eût profité du moment où jallais dans laile gauche du château trouver M. Stangerson et le père Jacques, pour retourner dans la chambre de Mlle Stangerson! Cétait là un geste bien dangereux! Il risquait de se faire prendre… Et il le savait! … Et il a failli se faire prendre… nayant pas eu le temps de regagner son poste, comme il lavait certainement espéré… Il fallait quil eût, pour retourner dans la chambre, une raison bien nécessairequi lui fût apparue tout à coup, après mon départ, car il naurait pas sans cela prêté son revolver! Quant à moi, quand «jenvoyai» le père Jacques au bout de la galerie droite, je croyais naturellement que Larsan était toujours à son poste au bout de la galerie tournante et le père Jacques lui-même, à qui, du reste, je navais point donné de détails, en se rendant à son poste, ne regarda pas, lorsquil passa à lintersection des deux galeries, si Larsan était au sien. Le père Jacques ne songeait alors quà exécuter mes ordres rapidement. Quelle était donc cette raison imprévue qui avait pu conduire Larsan une seconde fois dans la chambre? Quelle était-elle? … Je pensai que ce ne pouvait être quune marque sensible de son passage qui le dénonçait! Il avait oublié quelque chose de très important dans la chambre! Quoi? … Avait-il retrouvé cette chose? … Je me rappelai la bougie sur le parquet et lhomme courbé… Je priai MmeBernier, qui faisait la chambre, de chercher… et elle trouva un binocle… Ce binocle, msieur le président!»

Et Rouletabille sortit de son petit paquet le binocle que nous connaissons déjà…

«Quand je vis ce binocle, je fus épouvanté… Je navais jamais vu de binocle à Larsan… Sil nen mettait pas, cest donc quil nen avait pas besoin… Il en avait moins besoin encore alors dans un moment où la liberté de ses mouvements lui était chose si précieuse… Que signifiait ce binocle? … Il nentrait point dans mon cercle. À moins quil ne fût celui dun presbyte, mexclamai-je, tout à coup! … En effet, je navais jamais vu écrire Larsan, je ne lavais jamais vu lire. Il «pouvait» donc être presbyte! On savait certainement à la Sûreté quil était presbyte, «sil létait…» on connaissait sans doute son binocle… Le binocle du «presbyte Larsan» trouvé dans la chambre de Mlle Stangerson, après le mystère de la galerie inexplicable, cela devenait terrible pour Larsan! Ainsi sexpliquait le retour de Larsan dans la chambre! … Et, en effet, Larsan-Ballmeyer est bien presbyte, et ce binocle, que lon reconnaîtra «peut-être» à la Sûreté, est bien le sien…

«Vous voyez, monsieur, quel est mon système, continua Rouletabille; je ne demande pas aux signes extérieurs de mapprendre la vérité; je leur demande simplement de ne pas aller contre la vérité que ma désignée le bon bout de ma raison! …

«Pour être tout à fait sûr de la vérité sur Larsan, car Larsan assassin était une exception qui méritait que lon sentourât de quelque garantie, jeus le tort de vouloir voir sa «figure». Jen ai été bien puni! Je crois que cest le bon bout de ma raison qui sest vengé de ce que, depuis la galerie inexplicable, je ne me sois pas appuyé solidement, définitivement et en toute confiance, sur lui… négligeant magnifiquement de trouver dautres preuves de la culpabilité de Larsan que celle de ma raison! Alors, Mlle Stangerson a été frappée…»

Rouletabille sarrêta… se mouche… vivement ému.

*

«Mais quest-ce que Larsan, demanda le président, venait faire dans cette chambre? Pourquoi a-t-il tenté dassassiner à deux reprises Mlle Stangerson?

 

– Parce quil ladorait, msieur le président…

– Voilà évidemment une raison…

– Oui, msieur, une raison péremptoire. Il était amoureux fou… et à cause de cela, et de bien dautres choses aussi, capable de tous les crimes.

– Mlle Stangerson le savait?

– Oui, msieur, mais elle ignorait, naturellement, que lindividu qui la poursuivait ainsi fût Frédéric Larsan… sans quoi Frédéric Larsan ne serait pas venu sinstaller au château, et naurait pas, la nuit de la galerie inexplicable, pénétré avec nous auprès de Mlle Stangerson, «après laffaire». Jai remarqué du reste quil sétait tenu dans lombre et quil avait continuellement la face baissée… ses yeux devaient chercher le binocle perdu… Mlle Stangerson a eu à subir les poursuites et les attaques de Larsan sous un nom et sous un déguisement que nous ignorions mais quelle pouvait connaître déjà.

– Et vous, monsieur Darzac! demanda le président… vous avez peut-être, à ce propos, reçu les confidences de Mlle Stangerson… Comment se fait-il que Mlle Stangerson nait parlé de cela à personne? … Cela aurait pu mettre la justice sur les traces de lassassin… et si vous êtes innocent, vous aurait épargné la douleur dêtre accusé!

– Mlle Stangerson ne ma rien dit, fit M. Darzac.

– Ce que dit le jeune homme vous paraît-il possible?» demanda encore le président.

Imperturbablement, M. Robert Darzac répondit:

«Mlle Stangerson ne ma rien dit…

– Comment expliquez-vous que, la nuit de lassassinat du garde, reprit le président, en se tournant vers Rouletabille, lassassin ait rapporté les papiers volés à M. Stangerson? … Comment expliquez-vous que lassassin se soit introduit dans la chambre fermée de Mlle Stangerson?

– Oh! quant à cette dernière question, il est facile, je crois, dy répondre. Un homme comme Larsan-Ballmeyer devait se procurer ou faire faire facilement les clefs qui lui étaient nécessaires… Quant au vol des documents, «je crois» que Larsan ny avait pas dabord songé. Espionnant partout Mlle Stangerson, bien décidé à empêcher son mariage avec M. Robert Darzac, il suit un jour Mlle Stangerson et M. Robert Darzac dans les grands magasins de la Louve, sempare du réticule de Mlle Stangerson, que celle-ci perd ou se laisse prendre. Dans ce réticule, il y a une clef à tête de cuivre. Il ne sait pas limportance qua cette clef. Elle lui est révélée par la note que fait paraître Mlle Stangerson dans les journaux. Il écrit à Mlle Stangerson poste restante, comme la note len prie. Il demande sans doute un rendez-vous en faisant savoir que celui qui a le réticule et la clef est celui qui la poursuit, depuis quelque temps, de son amour. Il ne reçoit pas de réponse. Il va constater au bureau 40 que la lettre nest plus là. Il y va, ayant pris déjà lallure et autant que possible lhabit de M. Darzac, car, décidé à tout pour avoir Mlle Stangerson, il a tout préparé, pour que, quoi quil arrive, M. Darzac, aimé de Mlle Stangerson, M. Darzac quil déteste et dont il veut la perte, passe pour le coupable.

«Je dis: quoi quil arrive, mais je pense que Larsan ne pensait pas encore quil en serait réduit à lassassinat. Dans tous les cas, ses précautions sont prises pour compromettre Mlle Stangerson sous le déguisement Darzac. Larsan a, du reste, à peu près la taille de Darzac et quasi le même pied. Il ne lui serait pas difficile, sil est nécessaire, après avoir dessiné lempreinte du pied de M. Darzac, de se faire faire, sur ce dessin, des chaussures quil chaussera. Ce sont là trucs enfantins pour Larsan-Ballmeyer.

«Donc, pas de réponse à sa lettre, pas de rendez-vous, et il a toujours la petite clef précieuse dans sa poche. Eh bien, puisque Mlle Stangerson ne vient pas à lui, il ira à elle! Depuis longtemps son plan est fait. Il sest documenté sur le Glandier et sur le pavillon. Un après-midi, alors que M. et Mlle Stangerson viennent de sortir pour la promenade et que le père Jacques lui- même est parti, il sintroduit dans le pavillon par la fenêtre du vestibule. Il est seul, pour le moment, il a des loisirs… il regarde les meubles… lun deux, fort curieux, et ressemblant à un coffre-fort, a une toute petite serrure… Tiens! Tiens! Cela lintéresse… Comme il a sur lui la petite clef de cuivre… il y pense… liaison didées. Il essaye la clef dans la serrure; la porte souvre… Des papiers! Il faut que ces papiers soient bien précieux pour quon les ait enfermés dans un meuble aussi particulier… pour quon tienne tant à la clef qui ouvre ce meuble… Eh! Eh! cela peut toujours servir… à un petit chantage… cela laidera peut-être dans ses desseins amoureux… Vite, il fait un paquet de ces paperasses et va le déposer dans le lavatory du vestibule. Entre lexpédition du pavillon et la nuit de lassassinat du garde, Larsan a eu le temps de voir ce quétaient ces papiers. Quen ferait-il? Ils sont plutôt compromettants… Cette nuit-là, il les rapporta au château… Peut-être a-t-il espéré du retour de ces papiers, qui représentaient vingt ans de travaux, une reconnaissance quelconque de Mlle Stangerson… Tout est possible, dans un cerveau comme celui-là! … Enfin, quelle quen soit la raison, il a rapporté les papiers et il en était bien débarrassé!

Rouletabille toussa et je compris ce que signifiait cette toux. Il était évidemment embarrassé, à ce point de ses explications, par la volonté quil avait de ne point donner le véritable motif de lattitude effroyable de Larsan vis-à-vis de Mlle Stangerson. Son raisonnement était trop incomplet pour satisfaire tout le monde, et le président lui en eut certainement fait lobservation, si, malin comme un singe, Rouletabille ne sétait écrié: «Maintenant, nous arrivons à lexplication du mystère de la Chambre Jaune!»

*

Il y eut, dans la salle, des remuements de chaises, de légères bousculades, des «chut!» énergiques. La curiosité était poussée à son comble.

«Mais, fit le président, il me semble, daprès votre hypothèse, monsieur Rouletabille, que le mystère de la «Chambre Jaune» est tout expliqué. Et cest Frédéric Larsan qui nous la expliqué lui- même en se contentant de tromper sur le personnage, en mettant M. Robert Darzac à sa propre place. Il est évident que la porte de la «Chambre Jaune» sest ouverte quand M. Stangerson était seul, et que le professeur a laissé passer lhomme qui sortait de la chambre de sa fille, sans larrêter, peut-être même sur la prière de sa fille, pour éviter tout scandale! …

– Non, msieur le président, protesta avec force le jeune homme. Vous oubliez que Mlle Stangerson, assommée, ne pouvait plus faire de prière, quelle ne pouvait plus refermer sur elle ni le verrou ni la serrure… Vous oubliez aussi que M. Stangerson a juré sur la tête de sa fille à lagonie que la porte ne sétait pas ouverte!

– Cest pourtant, monsieur, la seule façon dexpliquer les choses! _La Chambre Jaune__ était close comme un coffre-fort._ Pour me servir de vos expressions, il était impossible à lassassin de sen échapper «normalement ou anormalement». Quand on pénètre dans la chambre, on ne le trouve pas! Il faut bien pourtant quil séchappe! …

– Cest tout à fait inutile, msieur le président…

– Comment cela?

– Il navait pas besoin de séchapper, sil ny était pas!»

Rumeurs dans la salle…

«Comment, il ny était pas?

– Évidemment non! Puisquil ne pouvait pas y être, cest quil ny était pas! Il faut toujours, msieur lprésident, sappuyer sur le bon bout de sa raison!

– Mais toutes les traces de son passage! protesta le président.

– Ça, msieur le président, cest le mauvais bout de la raison! … Le bon bout nous indique ceci: depuis le moment où Mlle Stangerson sest enfermée dans sa chambre jusquau moment où lon a défoncé la porte, il est impossible que lassassin se soit échappé de cette chambre; et, comme on ne ly trouve pas, cest que, depuis le moment de la fermeture de la porte jusquau moment où on la défonce, lassassin nétait pas dans la chambre!

– Mais les traces?

– Eh! msieur le président… Ça, cest les marques sensibles, encore une fois… les marques sensibles avec lesquelles on commet tant derreurs judiciaires parce quelles vous font dire ce quelles veulent! Il ne faut point, je vous le répète, sen servir pour raisonner! Il faut raisonner dabord! Et voir ensuite si les marques sensibles peuvent entrer dans le cercle de votre raisonnement… Jai un tout petit cercle de vérité incontestable: lassassin nétait point dans la Chambre Jaune! Pourquoi a-t-on cru quil y était? À cause des marques de son passage! Mais il peut être passé avant! Que dis-je: il «doit» être passé avant. La raison me dit quil faut quil soit passé là, avant! Examinons les marques et ce que nous savons de laffaire, et voyons si ces marques vont à lencontre de ce passage avant… avant que Mlle Stangerson senferme dans sa chambre, devant son père et le père Jacques!

«Après la publication de larticle du Matin et une conversation que jeus dans le trajet de Paris à Épinay-sur-Orge avec le juge dinstruction, la preuve me parut faite que la «Chambre Jaune» était mathématiquement close et que, par conséquent, lassassin en avait disparu avant lentrée de Mlle Stangerson dans sa chambre, à minuit.

«Les marques extérieures se trouvaient alors être terriblement «contre ma raison». Mlle Stangerson ne sétait pas assassinée toute seule, et ces marques attestaient quil ny avait pas eu suicide. Lassassin était donc venu avant! Mais comment Mlle Stangerson navait-elle été assassinée quaprès? ou plutôt «ne paraissait-elle» avoir été assassinée quaprès? Il me fallait naturellement reconstituer laffaire en deux phases, deux phases bien distinctes lune de lautre de quelques heures: la première phase pendant laquelle on avait réellement tenté dassassiner Mlle Stangerson, tentative quelle avait dissimulée; la seconde phase pendant laquelle, à la suite dun cauchemar quelle avait eu, ceux qui étaient dans le laboratoire avaient cru quon lassassinait!

«Je navais pas encore, alors, pénétré dans la «Chambre Jaune». Quelles étaient les blessures de Mlle Stangerson? Des marques de strangulation et un coup formidable à la tempe… Les marques de strangulation ne me gênaient pas. Elles pouvaient avoir été faites «avant» et Mlle Stangerson les avait dissimulées sous une collerette, un boa, nimporte quoi! Car, du moment que je créais, que jétais obligé de diviser laffaire en deux phases, jétais acculé à la nécessité de me dire que Mlle Stangerson avait caché tous les événements de la première phase; elle avait des raisons, sans doute, assez puissantes pour cela, puisquelle navait rien dit à son père et quelle dut raconter naturellement au juge dinstruction lagression de lassassin dont elle ne pouvait nier le passage, comme si cette agression avait eu lieu la nuit, pendant la seconde phase! Elle y était forcée, sans quoi son père lui eût dit: «Que nous as-tu caché là? Que signifie «ton silence après une pareille agression»?»

«Elle avait donc dissimulé les marques de la main de lhomme à son cou. Mais il y avait le coup formidable de la tempe! Ça, je ne le comprenais pas! Surtout quand jappris que lon avait trouvé dans la chambre un os de mouton, arme du crime… Elle ne pouvait avoir dissimulé quon lavait assommée, et cependant cette blessure apparaissait évidemment comme ayant dû être faite pendant la première phase puisquelle nécessitait la présence de lassassin! Jimaginai que cette blessure était beaucoup moins forte quon ne le disait – en quoi javais tort – et je pensai que Mlle Stangerson avait caché la blessure de la tempe sous une coiffure en bandeaux!

«Quant à la marque, sur le mur, de la main de lassassin blessée par le revolver de Mlle Stangerson, cette marque avait été faite évidemment «avant» et lassassin avait été nécessairement blessé pendant la première phase, cest-à-dire pendant quil était là! Toutes les traces du passage de lassassin avaient été naturellement laissées pendant la première phase: Los de mouton, les pas noirs, le béret, le mouchoir, le sang sur le mur, sur la porte et par terre… De toute évidence, si ces traces étaient encore là, cest que Mlle Stangerson, qui désirait quon ne sût rien et qui agissait pour quon ne sût rien de cette affaire, navait pas encore eu le temps de les faire disparaître! Ce qui me conduisait à chercher la première phase de laffaire dans un temps très rapproché de la seconde. Si, après la première phase, cest-à-dire après que lassassin se fût échappé, après quelle-même eût en hâte regagné le laboratoire où son père la retrouvait, travaillant, – si elle avait pu pénétrer à nouveau un instant dans la chambre, elle aurait au moins fait disparaître, tout de suite, los de mouton, le béret et le mouchoir qui traînaient par terre. Mais elle ne le tenta pas, son père ne layant pas quittée. Après, donc, cette première phase, elle nest entrée dans sa chambre quà minuit. Quelquun y était entré à dix heures: le père Jacques, qui fit sa besogne de tous les soirs, ferma les volets et alluma la veilleuse. Dans son anéantissement sur le bureau du laboratoire où elle feignait de travailler, Mlle Stangerson avait sans doute oublié que le père Jacques allait entrer dans sa chambre! Aussi elle a un mouvement: elle prie le père Jacques de ne pas se déranger! De ne pas pénétrer dans la chambre! Ceci est en toutes lettres dans larticle du Matin. Le père Jacques entre tout de même et ne saperçoit de rien, tant la «Chambre Jaune» est obscure! … Mlle Stangerson a dû vivre là deux minutes affreuses! Cependant, je crois quelle ignorait quil y avait tant de marques du passage de lassassin dans sa chambre! Elle navait sans doute, après la première phase, eu le temps que de dissimuler les traces des doigts de lhomme à son cou et de sortir de sa chambre! … Si elle avait su que los, le béret et le mouchoir fussent sur le parquet, elle les aurait également ramassés quand elle est rentrée à minuit dans sa chambre… Elle ne les a pas vus, elle sest déshabillée à la clarté douteuse de la veilleuse… Elle sest couchée, brisée par tant démotions, et par la terreur, la terreur qui ne lavait fait regagner cette chambre que le plus tard possible…

 

«Ainsi étais-je obligé darriver de la sorte à la seconde phase du drame, avec Mlle Stangerson seule dans la chambre, du moment quon navait pas trouvé lassassin dans la chambre… Ainsi devais-je naturellement faire entrer dans le cercle de mon raisonnement les marques extérieures.

«Mais il y avait dautres marques extérieures à expliquer. Des coups de revolver avaient été tirés, pendant la seconde phase. Des cris: «Au secours! À lassassin!» avaient été proférés! … Que pouvait me désigner, en une telle occurrence, le bon bout de ma raison? Quant aux cris, dabord: du moment où il ny a pas dassassin dans la chambre, il y avait forcément cauchemar dans la chambre!

«On entend un grand bruit de meubles renversés. Jimagine… je suis obligé dimaginer ceci: Mlle Stangerson sest endormie, hantée par labominable scène de laprès-midi… elle rêve… le cauchemar précise ses images rouges… elle revoit lassassin qui se précipite sur elle, elle crie: «À lassassin! Au secours!» et son geste désordonné va chercher le revolver quelle a posé, avant de se coucher, sur sa table de nuit. Mais cette main heurte la table de nuit avec une telle force quelle la renverse. Le revolver roule par terre, un coup part et va se loger dans le plafond… Cette balle dans le plafond me parut, dès labord, devoir être la balle de laccident… Elle révélait la possibilité de laccident et arrivait si bien avec mon hypothèse de cauchemar quelle fut une des raisons pour lesquelles je commençai à ne plus douter que le crime avait eu lieu avant, et que Mlle Stangerson, douée dun caractère dune énergie peu commune, lavait caché… Cauchemar, coup de revolver… Mlle Stangerson, dans un état moral affreux, est réveillée; elle essaye de se lever; elle roule par terre, sans force, renversant les meubles, râlant même…«À lassassin! Au secours!» et sévanouit…

«Cependant, on parlait de deux coups de revolver, la nuit, lors de la seconde phase. À moi aussi, pour ma thèse – ce nétait plus, déjà, une hypothèse – il en fallait deux; mais «un» dans chacune des phases et non pas deux dans la dernière… un coup pour blesser lassassin, avant, et un coup lors du cauchemar, après! Or, était-il bien sûr que, la nuit, deux coups de revolver eussent été tirés? Le revolver sétait fait entendre au milieu du fracas de meubles renversés. Dans un interrogatoire, M. Stangerson parle dun coup sourd dabord, dun coup éclatant ensuite! Si le coup sourd avait été produit par la chute de la table de nuit en marbre sur le plancher? Il est nécessaire que cette explication soit la bonne. Je fus certain quelle était la bonne, quand je sus que les concierges, Bernier et sa femme, navaient entendu, eux qui étaient tout près du pavillon, quun seul coup de revolver. Ils lont déclaré au juge dinstruction.

«Ainsi, javais presque reconstitué les deux phases du drame quand je pénétrai, pour la première fois, dans la «Chambre Jaune». Cependant la gravité de la blessure à la tempe nentrait pas dans le cercle de mon raisonnement. Cette blessure navait donc pas été faite par lassassin avec los de mouton, lors de la première phase, parce quelle était trop grave, que Mlle Stangerson naurait pu la dissimuler et quelle ne lavait pas dissimulée sous une coiffure en bandeaux! Alors, cette blessure avait été «nécessairement» faite lors de la seconde phase, au moment du cauchemar? Cest ce que je suis allé demander à la «Chambre Jaune» et la «Chambre Jaune» ma répondu!»

Rouletabille tira, toujours de son petit paquet, un morceau de papier blanc plié en quatre, et, de ce morceau de papier blanc, sortit un objet invisible, quil tint entre le pouce et lindex et quil porta au président:

«Ceci, monsieur le président, est un cheveu, un cheveu blond maculé de sang, un cheveu de Mlle Stangerson… Je lai trouvé collé à lun des coins de marbre de la table de nuit renversée… Ce coin de marbre était lui-même maculé de sang. Oh! un petit carré rouge de rien du tout! mais fort important! car il mapprenait, ce petit carré de sang, quen se levant, affolée, de son lit, Mlle Stangerson était tombée de tout son haut et fort brutalement sur ce coin de marbre qui lavait blessée à la tempe, et qui avait retenu ce cheveu, ce cheveu que Mlle Stangerson devait avoir sur le front, bien quelle ne portât pas la coiffure en bandeaux! Les médecins avaient déclaré que Mlle Stangerson avait été assommée avec un objet contondant et, comme los de mouton était là, le juge dinstruction avait immédiatement accusé los de mouton mais le coin dune table de nuit en marbre est aussi un objet contondant auquel ni les médecins ni le juge dinstruction navaient songé, et que je neusse peut-être point découvert moi -même si le bon bout de ma raison ne me lavait indiqué, ne me lavait fait pressentir.»

La salle faillit partir, une fois de plus, en applaudissements; mais, comme Rouletabille reprenait tout de suite sa déposition, le silence se rétablit sur-le-champ.

«Il me restait à savoir, en dehors du nom de lassassin que je ne devais connaître que quelques jours plus tard, à quel moment avait eu lieu la première phase du drame. Linterrogatoire de Mlle Stangerson, bien quarrangé pour tromper le juge dinstruction, et celui de M. Stangerson, devaient me le révéler. Mlle Stangerson a donné exactement lemploi de son temps, ce jour-là. Nous avons établi que lassassin sest introduit entre cinq et six dans le pavillon; mettons quil fût six heures et quart quand le professeur et sa fille se sont remis au travail. Cest donc entre cinq heures et six heures et quart quil faut chercher. Que dis- je, cinq heures! mais le professeur est alors avec sa fille… Le drame ne pourra sêtre passé que loin du professeur! Il me faut donc, dans ce court espace de temps, chercher le moment où le professeur et sa fille seront séparés! … Eh bien, ce moment, je le trouve dans linterrogatoire qui eut lieu dans la chambre de Mlle Stangerson, en présence de M. Stangerson. Il y est marqué que le professeur et sa fille rentrent vers six heures au laboratoire. M. Stangerson dit: «À ce moment, je fus abordé par mon garde qui me retint un instant.» il y a donc conversation avec le garde. Le garde parle à M. Stangerson de coupe de bois ou de braconnage; Mlle Stangerson nest plus là; elle a déjà regagné le laboratoire puisque le professeur dit encore: «Je quittai le garde et je rejoignis ma fille qui était déjà au travail!»