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Le Fantôme de l'opéra

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Le petit vicomte m’avait demandé, en apercevant mes pistolets, si nous allions nous battre en duel? Certes! et je dis: Quel duel! Mais je n’eus le temps, bien entendu, de rien lui expliquer. Le petit vicomte est brave, mais tout de même il ignorait à peu près tout de son adversaire! Et c’était tant mieux!

Qu’est-ce qu’un duel avec le plus terrible des bretteurs à côté d’un combat avec le plus génial des prestidigitateurs? Moi-même, je me faisais difficilement à cette pensée que j’allais entrer en lutte avec un homme qui n’est visible au fond que lorsqu’il le veut et qui, en revanche, voit tout autour de lui, quand toute chose pour vous reste obscure!… Avec un homme dont la science bizarre, la subtilité, l’imagination et l’adresse lui permettent de disposer de toutes les forces naturelles, combinées pour créer à vos yeux ou à vos oreilles l’illusion qui vous perd!… Et cela, dans les dessous de l’Opéra, c’est-à-dire au pays même de la fantasmagorie! Peut-on imaginer cela sans frémir? Peut-on seulement avoir une idée de ce qui pourrait arriver aux yeux ou aux oreilles d’un habitant de l’Opéra, si on avait enfermé dans l’Opéra – dans ses cinq dessous et ses vingt-cinq dessus – un Robert Houdin féroce et «rigolo», tantôt qui se moque et tantôt qui hait! tantôt qui vide les poches et tantôt qui tue!… Pensez-vous à cela: «Combattre l’amateur de trappes?» – Mon Dieu! en a-t-il fabriqué chez nous, dans tous nos palais, de ces étonnantes trappes pivotantes qui sont les meilleures des trappes! – Combattre l’amateur de trappes au pays des trappes!…

Si mon espoir était qu’il n’avait point quitté Christine Daaé dans cette demeure du Lac où il avait dû la transporter, une fois encore, évanouie, ma terreur était qu’il fût déjà quelque part autour de nous, préparant le lacet du Pendjab.

Nul mieux que lui ne sait lancer le lacet du Pendjab et il est le prince des étrangleurs comme il est le roi des prestidigitateurs. Quand il avait fini de faire rire la petite sultane, au temps des heures roses de Mazenderan, celle-ci demandait elle-même à ce qu’il s’amusât à la faire frissonner. Et il n’avait rien trouvé de mieux que le jeu du lacet du Pendjab. Érik qui avait séjourné dans l’Inde, en était revenu avec une adresse incroyable à étrangler. Il se faisait enfermer dans une cour où l’on amenait un guerrier, – le plus souvent un condamné à mort – armé d’une longue pique et d’une large épée. Érik, lui, n’avait que son lacet, et c’était toujours dans le moment que le guerrier croyait abattre Érik d’un coup formidable, que l’on entendait le lacet siffler. D’un coup de poignet, Érik avait serré le mince lasso au col de son ennemi, et il le traînait aussitôt devant la petite sultane et ses femmes qui regardaient à une fenêtre et applaudissaient. La petite sultane apprit, elle aussi, à lancer le lacet du Pendjab et tua ainsi plusieurs de ses femmes et même de ses amies en visite. Mais je préfère quitter ce sujet terrible des heures roses de Mazenderan. Si j’en ai parlé, c’est que je dus, étant arrivé avec le vicomte de Chagny dans les dessous de l’Opéra, mettre en garde mon compagnon contre une possibilité toujours menaçante autour de nous, d’étranglement. Certes! une fois dans les dessous, mes pistolets ne pouvaient plus nous servir à rien, car j’étais bien sûr que du moment qu’il ne s’était point opposé du premier coup à notre entrée dans le chemin des communards, Érik ne se laisserait plus voir. Mais il pouvait toujours nous étrangler. Je n’eus point le temps d’expliquer tout cela au vicomte et même je ne sais si, ayant disposé de ce temps, j’en aurais usé pour lui raconter qu’il y avait quelque part, dans l’ombre, un lacet du Pendjab prêt à siffler. C’était bien inutile de compliquer la situation et je me bornai à conseiller à M. de Chagny de tenir toujours sa main à hauteur de l’œil, le bras replié dans la position du tireur au pistolet qui attend le commandement de «feu». Dans cette position, il est impossible, même au plus adroit étrangleur, de lancer utilement le lacet du Pendjab. En même temps que le cou, il vous prend le bras ou la main et ainsi ce lacet, que l’on peut facilement délacer, devient inoffensif.

Après avoir évité le commissaire de police et quelques fermeurs de portes, puis les pompiers, et rencontré pour la première fois le tueur de rats et passé inaperçu aux yeux de l’homme au chapeau de feutre, le vicomte et moi nous parvînmes sans encombre dans le troisième dessous, entre le portant et le décor du Roi de Lahore. Je fis jouer la pierre et nous sautâmes dans la demeure qu’Érik s’était construite dans la double enveloppe des murs de fondation de l’Opéra (et cela, le plus tranquillement du monde, puisque Érik a été un des premiers entrepreneurs de maçonnerie de Philippe Garnier, l’architecte de l’Opéra, et qu’il avait continué à travailler, mystérieusement, tout seul, quand les travaux étaient officiellement suspendus, pendant la guerre, le siège de Paris et la Commune).

Je connaissais assez mon Érik pour caresser la présomption d’arriver à découvrir tous les trucs qu’il avait pu se fabriquer pendant tout ce temps-là: aussi n’étais-je nullement rassuré en sautant dans sa maison. Je savais ce qu’il avait fait de certain palais de Mazenderan. De la plus honnête construction du monde, il avait bientôt fait la maison du diable, où l’on ne pouvait plus prononcer une parole sans qu’elle fût espionnée ou rapportée par l’écho. Que de drames de famille! que de tragédies sanglantes le monstre traînait derrière lui avec ses trappes! Sans compter que l’on ne pouvait jamais, dans les palais qu’il avait «truqués», savoir exactement où l’on se trouvait. Il avait des inventions étonnantes. Certainement, la plus curieuse, la plus horrible et la plus dangereuse de toutes était la chambre des supplices. À moins des cas exceptionnels où la petite sultane s’amusait à faire souffrir le bourgeois, on n’y laissait guère entrer que les condamnés à mort. C’était, à mon avis, la plus atroce imagination des heures roses de Mazenderan. Aussi, quand le visiteur qui était entré dans la chambre des supplices en «avait assez», il lui était toujours permis d’en finir avec un lacet du Pendjab qu’on laissait à sa disposition au pied de l’arbre de fer!

Or, quel ne fut pas mon émoi, aussitôt après avoir pénétré dans la demeure du monstre, en m’apercevant que la pièce dans laquelle nous venions de sauter, M. le vicomte de Chagny et moi, était justement la reconstitution exacte de la chambre des supplices des heures roses de Mazenderan.

À nos pieds, je trouvai le lacet du Pendjab que j’avais tant redouté toute la soirée. J’étais convaincu que ce fil avait déjà servi pour Joseph Buquet. Le chef machiniste avait dû, comme moi, surprendre certain soir Érik au moment où il faisait jouer la pierre du troisième dessous. Curieux, il avait à son tour tenté le passage avant que la pierre ne se refermât et il était tombé dans la chambre des supplices, et il n’en était sorti que pendu. J’imaginai très bien Érik traînant le corps dont il voulait se débarrasser jusqu’au décor du Roi de Lahore et l’y suspendant, pour faire un exemple ou pour grossir la terreur superstitieuse qui devait l’aider à garder les abords de la caverne!

Mais, après réflexion, Érik revenait chercher le lacet du Pendjab, qui est très singulièrement fait de boyaux de chat et qui aurait pu exciter la curiosité d’un juge d’instruction. Ainsi s’expliquait la disparition de la corde de pendu.

Et voilà que je le découvrais à nos pieds, le lacet, dans la chambre des supplices!… Je ne suis point pusillanime, mais une sueur froide m’inonda le visage.

La lanterne dont je promenais le petit disque rouge sur les parois de la trop fameuse chambre, tremblait dans ma main.

M. de Chagny s’en aperçut et me dit: «Que se passe-t-il donc, monsieur?»

Je lui fis signe violemment de se taire, car je pouvais avoir encore cette suprême espérance que nous étions dans la chambre des supplices, sans que le monstre en sût rien!

Et même, cette espérance-là n’était point le salut car je pouvais encore très bien m’imaginer que, du côté du troisième dessous, la chambre des supplices était chargée de garder la demeure du Lac, et, cela peut-être, automatiquement.

Oui, les supplices allaient peut-être commencer automatiquement.

Qui aurait pu dire quels gestes de nous ils attendaient pour cela?

Je recommandai l’immobilité la plus absolue à mon compagnon.

Un écrasant silence pesait sur nous.

Et ma lanterne rouge continuait à faire le tour de la chambre des supplices… je la reconnaissais… je la reconnaissais…

XXIII. Dans la chambre des supplices
Suite du récit du Persan…

Dans la chambre des supplices
Suite du récit du Persan

Nous étions au centre d’une petite salle de forme parfaitement hexagonale… dont les six pans de murs étaient intérieurement garnis de glaces… du haut en bas… Dans les coins, on distinguait très bien les «rajoutis» de glace… les petits secteurs destinés à tourner sur les tambours… oui, oui, je les reconnais… et je reconnais l’arbre de fer dans un coin, au fond de l’un de ces petits secteurs… l’arbre de fer, avec sa branche de fer… pour les pendus.

J’avais saisi le bras de mon compagnon. Le vicomte de Chagny était tout frémissant, tout prêt à crier à sa fiancée le secours qu’il lui apportait… Je redoutais qu’il ne pût se contenir.

Tout à coup, nous entendîmes du bruit à notre gauche.

Ce fut d’abord comme une porte qui s’ouvrait et se refermait, dans la pièce à côté, puis il y eut un sourd gémissement. Je retins plus fortement encore le bras de M. de Chagny, puis nous entendîmes distinctement ces mots:

«C’est à prendre ou à laisser! La messe de mariage ou la messe des morts

Je reconnus la voix du monstre.

 

Il y eut encore un gémissement.

À la suite de quoi, un long silence.

J’étais persuadé, maintenant, que le monstre ignorait notre présence dans sa demeure, car s’il en eût été autrement, il se serait bien arrangé pour que nous ne l’entendions point. Il lui eût suffi pour cela de fermer hermétiquement la petite fenêtre invisible par laquelle les amateurs de supplices regardent dans la chambre des supplices.

Et puis, j’étais sûr que s’il avait connu notre présence, les supplices eussent commencé tout de suite.

Nous avions donc, dès lors, un gros avantage sur Érik: nous étions à ses côtés et il n’en savait rien.

L’important était de ne le lui point faire savoir, et je ne redoutais rien tant que l’impulsion du vicomte de Chagny qui voulait se ruer à travers les murs pour rejoindre Christine Daaé, dont nous croyions entendre, par intervalles, le gémissement.

«La messe des morts, ce n’est point gai! reprit la voix d’Érik, tandis que la messe de mariage, parlez-moi de cela! c’est magnifique! Il faut prendre une résolution et savoir ce que l’on veut! Moi, il m’est impossible de continuer à vivre comme ça, au fond de la terre, dans un trou, comme une taupe! Don Juan triomphant est terminé, maintenant je veux vivre comme tout le monde. Je veux avoir une femme comme tout le monde et nous irons nous promener le dimanche. J’ai inventé un masque qui me fait la figure de n’importe qui. On ne se retournera même pas. Tu seras la plus heureuse des femmes. Et nous chanterons pour nous tout seuls, à en mourir. Tu pleures! Tu as peur de moi! Je ne suis pourtant pas méchant au fond! Aime-moi et tu verras! Il ne m’a manqué que d’être aimé pour être bon! Si tu m’aimais, je serais doux comme un agneau et tu ferais de moi ce que tu voudrais.»

Bientôt le gémissement qui accompagnait cette sorte de litanie d’amour, grandit, grandit. Je n’ai jamais rien entendu de plus désespéré et M. de Chagny et moi reconnûmes que cette effrayante lamentation appartenait à Érik lui-même. Quant à Christine, elle devait, quelque part, peut-être de l’autre côté du mur que nous avions devant nous, se tenir, muette d’horreur, n’ayant plus la force de crier, avec le monstre à ses genoux.

Cette lamentation était sonore et grondante et râlante comme la plainte d’un océan. Par trois fois Érik sortit cette plainte du rocher de sa gorge.

«Tu ne m’aimes pas! Tu ne m’aimes pas! Tu ne m’aimes pas!»

Et puis, il s’adoucit:

«Pourquoi pleures-tu? Tu sais bien que tu me fais de la peine.»

Un silence.

Chaque silence pour nous était un espoir. Nous nous disions: «Il a peut-être quitté Christine derrière le mur.»

Nous ne pensions qu’à la possibilité d’avertir Christine Daaé de notre présence, sans que le monstre se doutât de rien.

Nous ne pouvions sortir maintenant de la chambre des supplices que si Christine nous en ouvrait la porte; et c’est à cette condition première que nous pouvions lui porter secours, car nous ignorions même où la porte pouvait se trouver autour de nous.

Tout à coup, le silence d’à côté fut troublé par le bruit d’une sonnerie électrique.

Il y eut un bondissement de l’autre côté du mur et la voix de tonnerre d’Érik:

«On sonne! donnez-vous donc la peine d’entrer!» Un ricanement lugubre.

«Qui est-ce qui vient encore nous déranger? Attends-moi un peu ici… je m’en vais aller dire à la sirène d’ouvrir

Et des pas s’éloignèrent, une porte se ferma. Je n’eus point le temps de songer à l’horreur nouvelle qui se préparait; j’oubliai que le monstre ne sortait que pour un crime nouveau peut-être; je ne compris qu’une chose: Christine seule était derrière le mur!

Le vicomte de Chagny l’appelait déjà. «Christine! Christine!»

Du moment que nous entendions ce qui se disait dans la pièce à côté, il n’y avait aucune raison pour que mon compagnon ne fût pas entendu à son tour. Et, cependant, le vicomte dut répéter plusieurs fois son appel.

Enfin une faible voix parvint jusqu’à nous.

«Je rêve, disait-elle.

– Christine! Christine! c’est moi, Raoul.» Silence.

«Mais répondez-moi, Christine!… si vous êtes seule, au nom du Ciel, répondez-moi.»

Alors la voix de Christine murmura le nom de Raoul.

«Oui! Oui! C’est moi! Ce n’est pas un rêve!… Christine, ayez confiance!… Nous sommes là pour vous sauver… mais pas une imprudence!… Quand vous entendrez le monstre, avertissez-nous.

– Raoul!… Raoul!»

Elle se fit répéter plusieurs fois qu’elle ne rêvait pas et que Raoul de Chagny avait pu venir jusqu’à elle, conduit par un compagnon dévoué qui connaissait le secret de la demeure d’Érik.

Mais aussitôt à la trop rapide joie que nous lui apportions succéda une terreur plus grande. Elle voulait que Raoul s’éloignât sur-le-champ. Elle tremblait qu’Érik ne découvrît sa cachette, car, en ce cas, il n’eût pas hésité à tuer le jeune homme. Elle nous apprit en quelques mots précipités qu’Érik était devenu tout à fait fou d’amour et qu’il était décidé à tuer tout le monde et lui-même avec le monde, si elle ne consentait pas à devenir sa femme devant le maire et le curé, le curé de la Madeleine. Il lui avait donné jusqu’au lendemain soir onze heures pour réfléchir. C’était le dernier délai. Il lui faudrait alors choisir, comme il disait, entre la messe de mariage et la messe des morts!

Et Érik avait prononcé cette phrase que Christine n’avait pas tout à fait comprise: «Oui ou non; si c’est non, tout le monde est mort et enterré!»

Mais, moi, je comprenais tout à fait cette phrase, car elle répondit d’une façon terrible à ma pensée redoutable.

«Pourriez-vous nous dire où est Érik?» demandai-je. Elle répondit qu’il devait être sorti de la demeure. «Pourriez-vous vous en assurer?

– Non!… Je suis attachée… je ne puis faire un mouvement.»

En apprenant cela, M. de Chagny et moi ne pûmes retenir un cri de rage. Notre salut, à tous les trois, dépendait de la liberté de mouvements de la jeune fille.

Oh! la délivrer! Arriver jusqu’à elle!

«Mais où êtes-vous donc? demandait encore Christine… Il n’y a que deux portes dans ma chambre: la chambre Louis-Philippe, dont je vous ai parlé, Raoul!… une porte par où entre et sort Érik, et une autre qu’il n’a jamais ouverte devant moi et qu’il m’a défendu de franchir jamais, parce qu’elle est, dit-il, la plus dangereuse des portes… la porte des supplices!…

– Christine, nous sommes derrière cette porte-là!…

– Vous êtes dans la chambre des supplices?

– Oui, mais nous ne voyons pas la porte.

– Ah! si je pouvais seulement me traîner jusque-là!… Je frapperais contre la porte et vous verriez bien l’endroit où est la porte.

– C’est une porte avec une serrure? demandai-je.

– Oui, avec une serrure.»

Je pensai: Elle s’ouvre de l’autre côté avec une clef, comme toutes les portes, mais de notre côté à nous, elle s’ouvre avec le ressort et le contrepoids, et cela ne va pas être facile à découvrir.

«Mademoiselle! fis-je, il faut absolument que vous nous ouvriez cette porte.

– Mais comment?» répondit la voix éplorée de la malheureuse… Nous entendîmes un corps qui se froissait, qui essayait de toute évidence de se libérer des liens qui l’emprisonnaient…

«Nous ne nous en tirerons qu’avec la ruse, dis-je. Il faut avoir la clef de cette porte…

– Je sais où elle est, répondit Christine qui paraissait épuisée par l’effort qu’elle venait de faire… Mais je suis bien attachée!… Le misérable!…»

Et il y eut un sanglot.

«Où est la clef? demandai-je, en ordonnant à M. de Chagny de se taire et de me laisser conduire l’affaire, car nous n’avions pas un moment à perdre.

– Dans la chambre, à côté de l’orgue, avec une autre petite clef en bronze à laquelle il m’a défendu de toucher également. Elles sont toutes deux dans un petit sac en cuir qu’il appelle: Le petit sac de la vie et de la mort… Raoul! Raoul!… fuyez!… tout ici est mystérieux et terrible… et Érik va devenir tout à fait fou… Et vous êtes dans la chambre des supplices!… Allez-vous-en par où vous êtes venus! Cette chambre-là doit avoir des raisons pour s’appeler d’un nom pareil!

– Christine! fit le jeune homme, nous sortirons d’ici ensemble ou nous mourrons ensemble!

– Il ne tient qu’à nous de sortir d’ici tous sains et saufs, soufflai-je, mais il faut garder notre sang-froid. Pourquoi vous a-t-il attachée, mademoiselle? Vous ne pouvez pourtant pas vous sauver de chez lui! Il le sait bien!

– J’ai voulu me tuer! Le monstre, ce soir, après m’avoir transportée ici évanouie, à demi chloroformée, s’était absenté. Il était, paraît-il, – c’est lui qui me l’a dit, – allé chez son banquier!… Quand il est revenu, il m’a trouvée la figure en sang… j’avais voulu me tuer! je m’étais heurté le front contre les murs.

– Christine! gémit Raoul, et il se prit à sangloter.

– Alors, il m’a attachée… je n’ai le droit de mourir que demain soir à onze heures!…»

Toute cette conversation à travers le mur était beaucoup plus «hachée» et beaucoup plus prudente que je ne pourrais en donner l’impression en la transcrivant ici. Souvent nous nous arrêtions au milieu d’une phrase, parce qu’il nous avait semblé entendre un craquement, un pas, un remuement insolite… Elle nous disait: «Non! Non! ce n’est pas lui!… Il est sorti! Il est bien sorti! J’ai reconnu le bruit que fait, en se refermant, le mur du lac.

– Mademoiselle! déclarai-je, c’est le monstre lui-même qui vous a attachée… c’est lui qui vous détachera… Il ne s’agit que de jouer la comédie qu’il faut pour cela!… N’oubliez pas qu’il vous aime!

– Malheureuse, entendîmes-nous, comment ferais-je pour l’oublier jamais!

– Souvenez-vous-en pour lui sourire… suppliez-le… dites-lui que ces liens vous blessent.»

Mais Christine Daaé nous fit:

«Chut!… J’entends quelque chose dans le mur du Lac!… C’est lui!… Allez-vous-en!… Allez-vous-en!… Allez-vous-en!

– Nous ne nous en irions pas, même si nous le voulions! affirmai-je de façon à impressionner la jeune fille. Nous ne pouvons plus partir! Et nous sommes dans la chambre des supplices!

– Silence!» souffla encore Christine. Nous nous tûmes tous les trois.

Des pas lourds se traînaient lentement derrière le mur, puis s’arrêtaient et refaisaient à nouveau gémir le parquet.

Puis il y eut un soupir formidable suivi d’un cri d’horreur de Christine et nous entendîmes la voix d’Érik.

«Je te demande pardon de te montrer un visage pareil! je suis dans un bel état, n’est-ce pas? C’est de la faute de l’autre! Pourquoi a-t-il sonné? Est-ce que je demande à ceux qui passent l’heure qu’il est? Il ne demandera plus l’heure à personne. C’est de la faute de la sirène…»

Encore un soupir, plus profond, plus formidable, venant du fin fond de l’abîme d’une âme.

«Pourquoi as-tu crié, Christine?

– Parce que je souffre, Érik.

– J’ai cru que je t’avais fait peur…

– Érik, desserrez mes liens… ne suis-je pas votre prisonnière?

– Tu voudras encore mourir…

– Vous m’avez donné jusqu’à demain soir, onze heures, Érik…»

Les pas se traînent encore sur le plancher.

«Après tout, puisque nous devons mourir ensemble… et que je suis aussi pressé que toi… oui, moi aussi, j’en ai assez de cette vie-là, tu comprends!… Attends, ne bouge pas, je vais te délivrer… Tu n’as qu’un mot à dire: non! et ce sera fini tout de suite, pour tout le monde… Tu as raison… tu as raison! Pourquoi attendre jusqu’à demain soir onze heures? Ah! oui, parce que ça aurait été plus beau!… j’ai toujours eu la maladie du décorum… du grandiose… c’est enfantin!… Il ne faut songer qu’à soi dans la vie!… à sa propre mort… le reste est du superflu… Tu regardes comme je suis mouillé?… Ah! ma chérie, c’est que j’ai eu tort de sortir… Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors!… À part ça, Christine, je crois bien que j’ai des hallucinations… Tu sais, celui qui sonnait tout à l’heure chez la sirène, – va-t’en voir au fond du lac s’il sonne – eh bien, il ressemblait… Là, tourne-toi… es-tu contente? Te voilà délivrée… Mon Dieu! tes poignets, Christine! je leur ai fait mal, dis?… Cela seul mérite la mort… À propos de mort, il faut que je lui chante sa messe!»

En entendant ces terribles propos, je ne pus m’empêcher d’avoir un affreux pressentiment… Moi aussi, j’avais sonné une fois à la porte du monstre… et sans le savoir, certes!… j’avais dû mettre en marche quelque courant avertisseur… Et je me souvenais des deux bras sortis des eaux noires comme de l’encre… Quel était encore le malheureux égaré sur ces rives?

La pensée de ce malheureux-là m’empêchait presque de me réjouir du stratagème de Christine, et, cependant, le vicomte de Chagny murmurait à mon oreille ce mot magique: délivrée!… Qui donc? Qui donc était l’autre? Celui pour qui nous entendions en ce moment la messe des morts?

 

Ah! le chant sublime et furieux! Toute la maison du Lac en grondait… toutes les entrailles de la terre en frissonnaient… Nous avions mis nos oreilles contre le mur de glace pour mieux entendre le jeu de Christine Daaé, le jeu qu’elle jouait pour notre délivrance mais nous n’entendions plus rien que le jeu de la messe des morts. Cela était plutôt une messe de damnés… Cela faisait, au fond de la terre, une ronde de démons.

Je me rappelle que le Dies irae qu’il chanta nous enveloppa comme d’un orage. Oui, nous avions de la foudre autour de nous et des éclairs… Certes! je l’avais entendu chanter autrefois… Il allait même jusqu’à faire chanter les gueules de pierre de mes taureaux androcéphales, sur les murs du palais de Mazenderan… Mais chanter comme ça, jamais! jamais! Il chantait comme le dieu du tonnerre…

Tout à coup, la voix et l’orgue s’arrêtèrent si brusquement que M. de Chagny et moi reculâmes derrière le mur, tant nous fûmes saisis… Et la voix subitement changée, transformée, grinça distinctement toutes ces syllabes métalliques:

«Qu’est-ce que tu as fait de mon sac?»