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Diderot et le Curé de Montchauvet

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On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach. Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau.

Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup. – Si je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon aise.

M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi… Enfin, je vois ce que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur Encyclopédie dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.»

II

C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie. Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: David et Bethsabée, tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols. – A Londres [Rouen], aux dépens de la Compagnie, 1754.

Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici quelques extraits:

«De Montchauvet.

«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns. Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas: ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a prodigué… On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à ces mots de vils mendiants, et ils ont mis le curé de Montchauvet à toutes sauces… Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu, sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en caractères bien nets10: elle se vendra trente-six sous… Voilà donc le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux. Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que rien ne sera capable de l'arrêter… J'ai déjà commencé une seconde pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique, ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une rime… Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et l'autre pour Mme son épouse, en pur don11; vous voyez que je fais les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous, lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.»

Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de pareilles lettres feraient un excellent recueil.

Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas, dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency, quelques jours après son départ pour la Normandie.

M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait, le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de Nabuchodonosor. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé, lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces deux bouffonneries:

Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet
 
Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,
Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.
Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,
Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire
Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit
Les chefs-d'œuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?
Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,
Tu te sers du rabot et jamais de la lime;
C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout
Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;
Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,
Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,
Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;
Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.
Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:
Bientôt tu les verras crever en hydropiques,
Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,
Ils moureront tués, occis et trépassés.
 

«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux Nabuchodonosor. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor entretient Isabelle avant de l'épouser.»

SCÈNE
Nabuchodonosor, Isabelle
NABUCHODONOSOR
 
Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,
Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;
Je n'allongerai pas, et je vous en répond,
Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long
 
ISABELLE
 
Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?
 
NABUCHODONOSOR
 
Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.
Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;
J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.
Vous ne l'auriez pas cru?
 
ISABELLE
 
Il est vrai, cher grand prince,
Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.
 
NABUCHODONOSOR
 
Pas tant… Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,
Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;
Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,
Réunissoit encor la joie et l'opulence;
Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,
Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;
Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,
Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.
Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.
Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;
Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère
Donna dans mon endroit un exemple à la terre;
Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;
Une nuit je me vis velu comme les chats;
Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,
De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,
Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter…
Madame, en cet état, il fallut décamper.
Enfin je descendis du trône à quatre pattes.
(Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)
Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,
Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.
 
ISABELLE
 
Prince, que dites-vous?.. Mais peut-être qu'encore…
 
NABUCHODONOSOR
 
Je crois que vous raillez, madame la pécore!
Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.
Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,
Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;
La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.
.......
 

(Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête.)

 
 
Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.
«Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;
Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:
Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;
Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.
Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;
Tournez-moi les talons…» Aussitôt, sans trompette,
Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.
Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.
Mon peuple me reçut et reconnut son roi.
Je fus un peu malade après cette aventure:
 
10Voir à l'Appendice.
11Voir à l'Appendice.