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Diderot et le Curé de Montchauvet

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– Voilà, dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que Vive Dieu! est le serment des Hébreux.

Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la querelle du barbare Hanon…

A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient.

– Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de celui d'ânon, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres.

– Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque cessera.

– Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de ce personnage un Carthaginois?

Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes actions passées, elle dit:

 
Vous sûtes arracher Saül à ses furies,
Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,
Frémissait que David en eût dix mille occis.
 

– Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi occis? pourquoi pas tués?

– Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que tués ne rime pas à incirconcis; mais apparemment que vous imaginez que tué et occis sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas. On dit tous les jours: Cet homme me tue par ses discours, et l'on n'en est pas occis pour cela.

– J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être occis; mais je ne me soucierais pas même d'être tué.

Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots.

Arrivé à un passage où il faisait rimer angoisse et tristesse, Rousseau l'interrompit de nouveau:

– Angoisse et tristesse ne riment pas; vous êtes trop hardi, monsieur le curé.

– Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout.

– Dites étrange, monsieur le curé.

– Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la rime?

– J'ose le croire, monsieur le curé.

– On ne s'en douterait guère, et…

La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix.

– Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons.

Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente:

 
Le roi ne m'offre plus que d'innocentes charmes.
 

– Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, charme est du masculin.

– Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien, dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de contenter tout le monde.

Plus loin, il faisait rimer superflu et plus.

– Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.

– Ah! vraiment; et pourquoi cela?

– C'est que superflu, étant au singulier, n'a point d's, et par conséquent ne peut rimer avec plus.

Point d's, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le nez de Marmontel, point d's! Mais je vous prie de remarquer, monsieur, que j'en ai mis une8.

Et il continua intrépidement sa lecture.

On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se tournait de préférence.

Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit. C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains.

– Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait apostrophé un bambin au catéchisme?

– Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je n'ai ri de ma vie.

On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers.

Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous surpassez Racine, et vous égalez Corneille!»

Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup, J. – J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le jette à terre:

– Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs, – vous ne le voyez donc pas? – se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre village.

L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il veut l'occire. On sépare à grand'peine les deux combattants. Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante.

On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du poète.

– Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous y apportez quelques modifications que je crois indispensables… Me permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique?

– Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils judicieux d'un esprit aussi éminent.

– Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas sur la scène, je trouve, – excusez ma franchise, – la scène un peu trop muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en est pas moins un défaut, à mon humble avis.

Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien. Le curé répondit d'un air suffisant:

– Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement; d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut… Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse des récitatifs par une versification assez heureuse.

– Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a dit:

 
Segnius irritant animos demissa per aurem
Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ
Ipse sibi tradit spectator.
 

– Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas:

 
Non tamen intus
Digna geri promes in scenam; multaque tolles
Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens…
 

– Je suis battu, dit M. de Margency.

Puis, se tournant vers ses amis:

– Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée? Vive Dieu! comme Mlle Clairon…9

– Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens.

– Omnia sancta sanctis, monsieur le curé; je tiens à la baignoire. Et vous, messieurs?

– Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les convives de d'Holbach.

– Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie.

– Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait selon votre désir… Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant de nous séparer, d'ajouter un mot encore…

Le curé dressa l'oreille.

– Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur, dont l'auteur de Polyeucte et vous avez seuls le secret?

– Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme solennellement que mon style est à moi, et bien à moi… Je vois, monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès.

– Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur…

 

– Et de quoi, monsieur, je vous prie?

– D'être sifflé.

Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais!

– Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même. Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de Montchauvet.

– Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille!

– Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez actuellement à une tragédie de Nabuchodonosor, soumettez-la au jugement de M. le curé… Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions, monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos traces?

– Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous lirez, n'est-ce pas? la première scène de Nabuchodonosor; c'est un sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans votre tragédie de Bethsabée. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency, vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé!

Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation.

8Voir à l'Appendice.
9Voir à l'Appendice.