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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome II

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Le marquis de la Jonquière devait relever M. de Beauharnais dans le gouvernement de la Nouvelle-France; sa commission était datée de 1746, et il avait ordre après la campagne du duc d'Anville, de se rendre à Québec. Fait prisonnier à la bataille du Cap-Finistère, il eut pour remplaçant, durant sa captivité, le comte de la Galissonnière; et en 1748 le roi donna pour successeur à M. Hocquart, intendant, M. Bigot, l'ancien commissaire-ordonnateur de Louisbourg, étendant en même temps sa juridiction sur toute la Nouvelle-France et sur toute la Louisiane.

Cependant si la France était malheureuse sur mer, elle obtenait de grands triomphes sur le continent de l'Europe. Les victoires du maréchal de Saxe, qui venait encore de gagner la fameuse bataille de Laufeld sur le duc de Cumberland (1747), avaient enfin déterminé les alliés à faire la paix, désirée vivement par tous les peuples las de cette sanglante lutte. Dès le milieu de l'été (1747) le duc de New-Castle avait envoyé aux colonies anglaises les ordres du roi de licencier toutes leurs troupes, levées d'abord pour envahir le Canada, retenues ensuite pour s'opposer à l'invasion du duc d'Anville, et enfin renvoyées dans leurs cantons respectifs par la cessation des hostilités. En Canada néanmoins on ne croyait pas devoir sitôt poser les armes; et l'annonce de l'envoi d'un armement considérable sous le commandement de M. de la Jonquière, faisait croire que l'issue de la guerre était encore éloignée. L'on s'attendait même que l'ennemi allait renouveler cette année son projet d'invasion, et les habitans des côtes avaient reçu ordre, par précaution, de se retirer à son approche, et ceux de l'île d'Orléans d'évacuer cette île. En même temps, sur le bruit qui s'était répandu que le fort St. – Frédéric allait être attaqué, on avait levé plusieurs centaines d'hommes pour le secourir. Du reste les partis qui allaient en guerre se succédaient de manière à ce qu'il y en eût toujours sur les terres des ennemis. Mais sur la fin de l'été les nouvelles apportées d'Europe par le comte de la Galissonnière, qui arriva en septembre pour prendre les rènes de l'administration, et le désarmement des colonies américaines ne laissèrent guère de doute que la paix était prochaine. Elle fut en effet signée à Aix-la-Chapelle en 1748. Le marquis de St. – Sévérin, l'un des plénipotentiaires français, avait déclaré qu'il venait accomplir les paroles de son maître, «qui voulait faire la paix non en marchand mais en roi», paroles qui, dans la bouche de Louis XV, renfermaient moins de grandeur que d'imprévoyance et de légèreté. Il ne fit rien pour lui et fit tout pour ses alliés. Il laissa avec une indifférence regrettable la question des frontières entre les colonies des deux nations en Amérique sans solution, se contentant de stipuler qu'elle serait réglée par des commissaires. On avait fait une faute de ne pas préciser celles de l'Acadie en 1712 et 1713, on en fit une encore bien plus grande en 1748, en abandonnant cette question aux chances d'un litige dangereux, car les Anglais ne faisaient que gagner à cette temporisation. La destruction de la marine française dans la guerre qui venait de finir, augmentait leurs espérances, et leur désir de les voir se réaliser, c'est-à-dire de se voir bientôt maîtres de toute l'Amérique septentrionale. Aussi le traité d'Aix-la-Chapelle, l'un des plus déplorables, dit un auteur, que la diplomatie française ait jamais acceptés, n'inspira aucune confiance et ne procura qu'une paix armée. Le Cap-Breton fut rendu à la France en retour de Madras, pris aux Indes par M. de la Bourdonnaie, et des conquêtes des Français dans les pays bas. Ainsi tout se trouva placé en Amérique sur le même pied qu'avant la guerre, excepté que Louis XV n'avait plus de marine pour y protéger ses possessions.

En même temps que l'on recevait d'Europe la nouvelle de la suspension des hostilités entre les puissances belligérantes, laquelle s'étendait aux deux mondes, l'on apprenait aussi des grands lacs le rétablissement de la tranquillité qui avait été momentanément troublée par une conspiration des Miâmis.

Pendant longtemps les Sauvages accueillirent les Européens comme des amis et des protecteurs; ils recherchaient leur alliance avec empressement pour obtenir le puissant secours de leurs bras contre leurs ennemis. Mais le prodigieux développement de ces étrangers leur inspira ensuite des soupçons et même de l'épouvante. Dès lors ils cherchèrent à s'en isoler, à garder la neutralité, ou même à les détruire s'il était possible. Depuis quelques années il se disaient tout bas «la peau rouge ne doit pas se détruire entre elle, laissons faire la peau blanche l'une contre l'autre 110.» Cependant il y en avait parmi eux de plus impatiens, de plus vifs les uns que les autres. Les Miâmis étaient de ce nombre; ils formèrent en 1747 le complot de détruire tous les habitans du Détroit. L'on remarquait en même temps une agitation sourde dans toutes les nations des lacs, au point qu'il devint nécessaire de renforcer la garnison de Michilimackinac. Les Miâmis devaient courir aux armes une des fêtes de la Pentecôte. Heureusement une vieille femme fort attachée aux Français vint découvrir toute la trame au commandant du Détroit M. de Longueuil, qui prit immédiatement des mesures pour la faire avorter; elles suffirent pour en imposer aux barbares. Il ne fut tué que quelques Français isolés. L'on prit le fort des Miâmis dont ils avaient eux-mêmes brûlé une partie avant de fuir, et le secours qui arriva peu après du bas St. – Laurent, acheva de les intimider. Ils n'osèrent plus remuer et la Nouvelle-France se trouva ainsi en paix sur toutes ses frontières.

Note 110:(retour) Documens de Paris.

CHAPITRE III.
COMMISSION DES FRONTIÈRES.
1748-1755

La paix d'Aix-la-Chapelle n'est qu'une trève. – L'Angleterre profite de la ruine de la marine française pour étendre les frontières de ses possessions en Amérique. – M. de la Galissonnière, gouverneur du Canada. – Ses plans pour empêcher les Anglais de s'étendre, adoptés par la cour. – Prétentions de ces derniers. – Droit de découverte et de possession des Français. – Politique de M. de la Galissonnière, la meilleure quant aux limites. – Emigration des Acadiens; part qu'y prend ce gouverneur. – Il ordonne de bâtir ou relever plusieurs forts dans l'Ouest; garnison au Détroit, fondation d'Ogdensburgh (1749). – Le marquis de la Jonquière remplace M. de la Galissonnière. – Projet que ce dernier propose à la cour pour peupler le Canada. – Appréciation de la politique de son prédécesseur par M. de la Jonquière; le ministre lui enjoint de la suivre. – Le chevalier de la Corne et le major Lawrence s'avancent vers l'isthme de l'Acadie et s'y fortifient; forts Beauséjour et Gaspareaux; Lawrence et des Mines. – Lord Albemarle, ambassadeur britannique à Paris, se plaint des empiétemens des Français (1750); réponse de M. de. Puyzieulx. – La France se plaint à son tour des hostilités des Anglais sur mer. – Etablissement des Acadiens dans l'île St. – Jean; leur triste situation. – Fondation d'Halifax (1749). – Une commission est nommée pour régler la question des limites: MM. de la Galissonnière et de Silhouette pour la France; MM. Shirley et Mildmay pour la Grande-Bretagne. – Convention préliminaire: tout restera dans le Statu quo jusqu'au jugement définitif. – Conférences à Paris; l'Angleterre réclame toute la rive méridionale du St. – Laurent depuis le golfe jusqu'à Québec; la France maintient que l'Acadie suivant ses anciennes limites, se borne au territoire qui est à l'est d'une ligne tirée dans la péninsule de l'entrée de la baie de Fondy au cap Canseau. – Notes raisonnées à l'appui de ces prétentions diverses. – Les deux parties ne se cèdent rien. – Affaire de l'Ohio; intrigues des Anglais parmi les naturels de cette contrée et des Français dans les cinq cantons. – Traitans de la Virginie arrêtés et envoyés en France. – Les deux nations envoyent des troupes sur l'Ohio et s'y fortifient. – Le gouverneur fait défense aux Demoiselles Desauniers de faire la traite du castor au Sault-St. – Louis; difficulté que cela lui suscite avec les Jésuites, qui se plaignent de sa conduite à la cour, de la part qu'il prend lui et son secrétaire au commerce et de son népotisme. – Il dédaigne de se justifier. – Il tombe malade et meurt à Québec en 1752. – Son origine, sa vie, son caractère. – Le marquis Duquesne lui succède. – Affaire de l'Ohio continuée. – Le colonel Washington marche pour attaquer le fort Duquesne. – Mort de Jumonville. – Défaite de Washington par M. de Villiers au fort de la Nécessité (1754). – Plan des Anglais pour l'invasion du Canada; assemblée des gouverneurs coloniaux à Albany. – Le général Braddock est envoyé par la Grande-Bretagne en Amérique avec des troupes. – Le baron Dieskau débarque à Québec avec 4 bataillons (1755). – Négociations des deux cours aux sujet de l'Ohio. – Note du duc de Mirepoix du 15 janvier 1755; réponse du cabinet de Londres. – Nouvelles propositions des ministres français; l'Angleterre élève ses demandes. – Prise du Lys et de l'Alcide par l'amiral Boscawen. – La France déclare la guerre à l'Angleterre.

La paix d'Aix-la-Chapelle ne fut qu'une trève; à peine les hostilités cessèrent-elles un moment en Amérique. Les colonies anglaises avaient suivi avec le plus vif intérêt surtout la lutte sur l'Océan, et elles avaient vu détruire avec une joie indicible les derniers débris de la flotte française dans le combat de Belle-Isle, où elle brilla d'un dernier éclat. En effet la marine de la France détruite, qu'allaient devenir ses possessions d'outre-mer, ce grand, ce beau système colonial, oeuvre de génie, qui lui assurait une si vaste portion de l'Amérique, et qui lui coûtait moins peut-être que les caprices des maîtresses de ses souverains.

Profitant de cette circonstance heureuse pour elles, les colonies américaines voulurent reculer leurs frontières au loin. Il se forma une société composée d'hommes influens de la Grande-Bretagne et des colonies, pour occuper la vallée de l'Ohio, dans laquelle elle obtint en 1749 une concession de 600,000 âcres de terre. Ce n'était pas la première fois que l'on enviait cette fertile et délicieuse contrée. Dès 1716, M. Spotswood, gouverneur de la Virginie, avait proposé d'y acheter des Indigènes un territoire, et de former une association pour y faire la traite; mais le cabinet de Versailles s'y étant opposé, le projet avait été abandonné 111. Dans le même temps les journaux de Londres annonçaient de nouveaux établissemens, et il était question de porter jusqu'au fleuve St. – Laurent ceux que l'on devait former du côté de l'Acadie, et l'on ne donnait aucunes bornes à d'autres que l'on projetait du côté de la baie d'Hudson 112. L'agitation qui régnait à cet égard ne faisait que confirmer les Français dans leurs appréhensions d'un grand mouvement agresseur de la part de leurs voisins; elles étaient d'autant plus vives ces craintes qu'ils se voyaient moins de moyens pour résister.

 

Note 111:(retour) Universal History, vol. 40.

Note 112:(retour) Mémoire, &c. par M. de Choiseul.

M. de la Galissonnière les partageait entièrement. C'était un homme de mer distingué, et qui devait plus tard se rendre célèbre par sa victoire devant l'île de Minorque sur l'amiral Byng. Il était actif, éclairé, et il donnait à l'étude des sciences le temps que ne demandaient pas ses fonctions publiques. Il ne gouverna le Canada que deux ans, mais il donna une forte impulsion à l'administration et de bons conseils à la cour qui, s'ils avaient été suivis, eussent peut-être conservé à la France cette belle colonie. En prenant les rênes du gouvernement, il travailla à se procurer des renseignemens exacts sur les pays qu'il avait à administrer; il s'étudia à en connaître le sol, le climat, les productions, la population, le commerce et les ressources. Persuadé que la paix ne pourrait tarder à se faire, il avait dès la première année porté son attention sur la question des frontières qu'il n'était pas possible de laisser plus longtemps indécise. Il promena longtemps ses regards sur la vaste étendue des limites des possessions françaises; il en étudia minutieusement les points forts et faibles; il sonda les projets de ses voisins, et il finit par se convaincre que l'isthme qui joint la péninsule acadienne au continent, à l'est, et les Apalaches à l'ouest, étaient les deux seuls boulevards de l'Amérique française; que si l'on perdait l'un, les Anglais débordaient jusqu'au St. – Laurent et séparaient le Canada de la mer; que si l'on abandonnait l'autre, ils se répandaient jusqu'aux grands lacs et à la vallée du Mississipi, isolaient le Canada de ce fleuve, lui enlevaient l'alliance des Indiens et restreignaient les bornes de ce pays au pied du lac Ontario. Ce résultat était inévitable d'après le développement qu'avaient pris leurs établissemens, et d'après le génie ambitieux qu'on leur connaissait. Le passé était là pour donner sa sanction à la justesse de ce jugement.

On a beaucoup blâmé la France de la position qu'elle osa prendre dans cette circonstance; elle a été même accusée par les siens d'ambition et de vivacité. Voltaire va jusqu'à dire qu'une pareille dispute, élevée entre de simples commerçans, aurait été apaisée en deux heures par des arbitres; mais qu'entre des couronnes il suffit de l'ambition et de l'humeur d'un simple commissaire pour bouleverser vingt états, comme si la possession d'un territoire assez spacieux pour former trois ou quatre empires comme la France, comme si l'avenir de ces magnifiques contrées, couvertes aujourd'hui de millions d'habitans, avait à peine mérité l'attention du cabinet de Versailles. Par cela seul que la Grande-Bretagne montrait tant de persistance, ne devait-on pas être au moins sur ses gardes.

Le mouvement que l'on se donnait en Angleterre et dans ses colonies, l'éclat des préparatifs que l'on faisait, et l'importance des projets qu'ils annonçaient, tout cela était de nature à exciter l'attention du Canada et de la cour. Ce fut dans le premier pays comme le plus intéressé, où l'inquiétude était la plus sérieuse.

Jusqu'alors le cabinet de St. – James s'était abstenu de formuler ses prétentions d'une manière définie et précise; il ne les avait fait connaître que par son action négative pour ainsi parler, c'est-à-dire qu'il n'en avançait directement aucune lui-même, mais il contestait celles des Français comme on l'a vu lorsque ceux-ci voulurent s'établir à Niagara et à la Pointe à la Chevelure et continuer leur séjour au milieu des Abénaquis après le traité d'Utrecht; et encore, dans ce dernier cas, tandis qu'il déclarait à ces Sauvages que tout le pays appartenait à la Grande-Bretagne depuis la Nouvelle-Angleterre jusqu'au golfe St. – Laurent, il gardait le silence vis-à-vis de la France sur cette prétention qu'il devait cependant faire valoir plus tard 113. Du côté de l'ouest son silence avait été encore plus expressif, ou plutôt il avait reconnu la nullité de son droit en refusant de sanctionner la formation d'une compagnie de l'Ohio en 1716. Mais aujourd'hui les choses sont changées. Le traité d'Utrecht lui donne l'Acadie; il annonce que cette province s'étend d'une part depuis la rivière Kénébec jusqu'à la mer, et de l'autre depuis la baie de Fondy jusqu'au St. – Laurent 114. Il maintient que le territoire entre la rivière Kénébec et celle de Penobscot en se prolongeant en arrière jusqu'à Québec et au St. – Laurent, lui avait toujours appartenu, et que les véritables bornes de la Nouvelle-Ecosse ou de l'Acadie, suivant ses anciennes limites, sont l°. une ligne droite tirée de l'embouchure de la rivière Penobscot au fleuve St. – Laurent; 2°. ce fleuve et le golfe St. – Laurent jusqu'à l'Océan au sud-ouest du Cap Breton; 3°. l'Océan de ce point à l'embouchure du Penobscot. Il va plus loin; il dit même que le fleuve St. – Laurent est la borne la plus naturelle et la plus véritable entre les possessions des deux peuples.

Note 113:(retour) Il est singulier que le Conseil Privé recevait du Bureau des colonies et plantations en 1713 et par conséquent avant le traité précité, un rapport dans lequel on disait «que le Cap-Breton avait toujours fait partie de l'Acadie, et que la Nouvelle-Ecosse comprenait toute l'Acadie bornée par la rivière Ste. – Croix, le St. – Laurent et la mer». Régistres d'extraits des procès-verbaux du Board of colonies and plantations etc. déjà cités dans ce vol.

Note 114:(retour) Mémoire des Commissaires, &c., sur les limites de l'Acadie.

Le pays ainsi réclamé en dehors de la péninsule acadienne avait plus de trois fois l'étendue de la Nouvelle-Ecosse, et commandaient le golfe et l'embouchure du St. – Laurent. C'était la porte du Canada, et la seule par où l'on pouvait y entrer de l'Océan en hiver, c'est-à-dire pendant 5 mois de l'année.

Le territoire que l'Angleterre disputait aux Français au-delà des Apalaches était encore beaucoup plus précieux pour l'avenir. Le bassin de l'Ohio seul jusqu'à sa décharge dans le Mississipi, n'a pas moins de deux cents lieues de longueur; mais ce n'en était là qu'une faible partie; l'étendue réclamée n'était pas définie; elle n'avait et ne pouvait avoir à proprement dire aucune limite, c'était un droit occulte, qui devait entraîner avec lui la possession des immenses contrées représentées sur les cartes entre les lacs Ontario, Erié, Huron et Michigan, le haut Mississipi et les Alléghanys, et qui forment maintenant les Etats de la Nouvelle-York, de la Pennsylvanie, de l'Ohio, du Kentucky, de l'Indiana, de l'Illinois et les territoires qui sont de chaque côté du lac Michigan, et entre les lacs Erié et Huron et le fleuve Mississipi. Le Canada se serait trouvé séparé de la Louisiane par de longues distances, et complètement mutilé. Des murs de Québec et de Montréal on aurait pu voir flotter le drapeau britannique sur la rive droite du St. – Laurent. De pareils sacrifices équivalaient, dans notre opinion, à une cession tacite de la Nouvelle-France.

En présence de ces prétentions annoncées à la possession de pays découverts par les Français, et formant partie intégrante des territoires occupés par eux depuis un siècle et demi, qu'avait à faire M. de la Galissonnière, sinon de maintenir les droits de sa patrie? Certainement ce n'était pas à lui à les abandonner. Tous les mouvemens qu'il ordonna sur nos frontières lui auraient donc été dictés par la nécessité de sa situation, s'il n'avait pas été été convaincu d'ailleurs lui même de leur à propos. Mais il y a plus. L'article 9 du traité d'Aix-la-Chapelle stipulait positivement que toutes choses seraient remises dans le même état qu'elles étaient avant la guerre, et la Grande-Bretagne avait envoyé deux otages à Versailles pour répondre de la remise de Louisbourg dans l'île du Cap-Breton. Or la France avait toujours occupé le pays jusqu'à l'isthme de la péninsule acadienne. L'érection du fort St. – Jean et la possession du Cap-Breton immédiatement après le traité d'Utrecht étaient des actes publics, éclatans, de cette occupation dont la légitimité semblait avoir été reconnue par le silence que la cour de Londres avait gardé jusqu'après le traité qui venait de mettre fin à la guerre; car ce ne fut qu'alors que le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, le colonel Mascarène, voulût forcer les habitans de la rivière St. – Jean à prêter serment de fidélité à l'Angleterre et s'approprier leur pays 115.

Note 115:(retour) Mémoire du duc de Choiseul, ministre de France. – Mémoire anonyme sur les affaires du Canada.

Après ce que l'on vient de dire, M. de la Galissonnière n'ayant point de discrétion à exercer, devait prendre des mesures pour la conservation des droits de son pays, et c'est ce qu'il fit; il y envoya des troupes et il donna ses ordres pour repousser même par la force les Anglais s'ils tentaient de sortir de la péninsule et de s'étendre sur le continent; et il écrivit à M. Mascarène à la fois pour se plaindre de sa conduite à l'égard des habitans de St. – Jean, et pour l'engager à faire cesser les hostilités qui avaient continué contre les Abénaquis, quoique ceux-ci eussent mis bas les armes dès que le traité d'Aix-la-Chapelle avait été connu. Ces plaintes donnèrent lieu à une suite de lettres assez vives que s'écrivirent mutuellement le marquis de la Jonquière et M. Cornwallis, qui avaient remplacé, le premier le comte de la Galissonnière, et le second M. Mascarène, en 1749.

Cependant jusque là le gouvernement français était manifestement dans son droit. Mais M. de la Galissonnière avait formé un projet qu'il communiqua à la cour et qu'il réussit à lui faire adopter, qui ne pouvait être en aucune manière justifiable. Ce projet était d'engager les Acadiens à abandonner en masse la péninsule pour venir s'établir sur la rive septentrionale de la baie de Fondy. Le but en ceci était d'abord de couvrir la frontière du Canada de ce côté par une population dense et bien affectionnée, et ensuite de réunir toute la population française sous le même drapeau. L'exécution d'un semblable dessein en tout temps aurait été chose difficile, mais dans l'état actuel des relations entre la France et l'Angleterre, elle avait le caractère d'un acte déloyal; c'était prêcher la désertion aux sujets d'une puissance amie; car quoique pour des motifs religieux les Acadiens refusassent de prêter le serment du test, et se donnassent pour des neutres, ils n'en étaient pas moins aux yeux des signataires du traité d'Utrecht des sujets britanniques. Néanmoins la cour affecta à ce projet une somme assez considérable, et les missionnaires français répandus parmi les Acadiens, blessés dans leurs sentimens religieux par la soumission à un gouvernement protestant, et dans leur amour propre national par leur sujétion à un joug étranger, se prêtèrent volontiers aux voeux de leur ancienne patrie, en quoi ils furent aussi trop bien secondés par les Acadiens eux-mêmes, entre lesquels et leurs vainqueurs aucune sympathie ne pouvait s'établir. Les deux plus puissans motifs qui agissent sur les hommes, la religion et la nationalité, secondaient donc les vues de M. de la Galissonnière. Le P. Germain à Port-Royal et l'abbé de Laloutre à Beaubassin sont ceux qui entrèrent le plus avant dans ce projet, et qui firent les plus grands efforts pour engager les Acadiens à abandonner leur fortune qui consistait dans leurs fermes, et, ce qui devait être encore plus sensible pour eux, la terre qui les avait vu naître et où reposaient les cendres de leurs pères. Cette émigration commença en 1748.

 

Tandis que le gouverneur travaillait ainsi dans l'est à élever une barrière dans l'isthme de la Péninsule pour arrêter les Anglais, il ne mettait pas moins d'activité à leur fermer l'entrée de la vallée de l'Ohio dans l'ouest. Visitée par la Salle en 1679, cette vallée fut comprise dans les lettres patentes de 1712, pour l'établissement de la Louisiane, et elle avait toujours été fréquentée depuis pour passer de cette province en Canada. Les traitans anglais commençant à s'y montrer, M. de la Galissonnière y envoya en 1748 M. Céleron de Bienville avec 300 hommes pour en expulser tous les traitans de cette nation qui pourraient s'y trouver, et pour en prendre possession d'une manière solennelle en plantant des poteaux et en enterrant des plaques de plomb aux armes de France en différens endroits, après en avoir dressé procès verbal en présence des tribus du pays, lesquelles ne virent pas ces formalités s'accomplir sans inquiétude et sans mécontentement. Les plus hardies ne cachèrent même pas leurs sentimens à cet égard. M. Céleron 116 écrivit aussi au gouverneur de la Pennsylvanie pour l'informer de sa mission et le prier de donner des ordres pour qu'à l'avenir les habitans de la province n'allassent pas commercer au delà des monts Apalaches, où il avait l'expresse injonction de les arrêter et de confisquer leurs marchandises s'ils y faisaient la traite. En même temps M. de la Galissonnière était en correspondance active avec les gouverneurs de la Nouvelle-Ecosse, de Boston et de New-York, MM. Mascarène, Shirley et Clinton; il envoyait une garnison au Détroit, il faisait relever le fort de la baie des Puans, démantelé par M. de Ligneris lors de son expédition contre les Outagamis, il faisait bâtir un autre fort au milieu des Sioux, un en pierre à Toronto et celui de la Présentation, aujourd'hui Ogdensburgh, sur la rive droite du St. – Laurent entre Montréal et Frontenac, afin d'être plus à portée des Iroquois qu'il voulait gagner entièrement à la France. La milice n'avait pas échappé non plus à son attention, et dès son arrivée dans le pays, il avait envoyé le chevalier Péan pour en faire la revue paroisse par paroisse, et pour en lever des rôles exacts; elle pouvait former alors une force de 12,000 hommes.

Note 116:(retour) Documens de Londres.

C'est au milieu de ces importantes occupations, et des efforts qu'il faisait pour donner quelqu'espèce de solidité aux frontières du Canada, qu'il vit arriver à la fin du mois d'août 1749, le marquis de la Jonquière, qui venait pour le relever en vertu de sa première commission. Cet amiral avait été nommé gouverneur du Canada au temps de l'expédition du duc d'Anville, mais ayant ensuite été fait prisonnier au combat naval du Cap-Finistère, il n'avait recouvré la liberté qu'à la paix. M. de la Galissonnière lui communiqua tous les renseignemens qu'il avait pu recueillir sur le Canada; il lui dévoila ses plans et ses vues; il lui fit part enfin avec une noble et patriotique franchise de tout ce qu'il croyait nécessaire pour la sûreté et la conservation de ce pays, auquel, de retour en France, il ne cessa point de s'intéresser avec le même zèle et la même vigilance. Il proposa au ministère en arrivant à Paris d'y envoyer 10,000 paysans, pour peupler les bords des lacs et le haut du St. – Laurent et du Mississipi. A la fin de 1750, il lui adressa encore un long mémoire dans lequel il prédit que si le Canada ne prenait pas l'Acadie au commencement de la première guerre qui éclaterait, cette dernière province ferait tomber Louisbourg. Il recommandait de détruire Oswégo, d'empêcher les Anglais, dont il développa les desseins, de s'établir sur l'Ohio, même par la force; et déclara que tout devait être fait pour augmenter et fortifier le Canada et la Louisiane, surtout pour établir solidement les environs du fort St. – Frédéric et les postes de Niagara, du Détroit et des Illinois 117.

Note 117:(retour) Documens de Paris.

Ces plans de M. de la Galissonnière parurent très hardis à son successeur, qui attendait peut-être peu de chose de l'énergie du gouvernement, et qui en conséquence ne crut pas devoir les suivre tous, particulièrement ceux qui avaient rapport à l'Acadie, de peur de porter ombrage à l'Angleterre, vu surtout que des commissaires venaient d'être nommés pour régler les différends qui existaient entre les deux nations. Sa prudence fut taxée à Paris de timidité, et l'ordre lui fit transmis de garder les pays dont la France avait toujours été en possession. Le chevalier de la Corne qui commandait sur cette frontière, fut chargé de choisir un endroit en decà de la péninsule pour s'y fortifier et recevoir les Acadiens. Il choisit d'abord Chédiac sur le golfe St. – Laurent; mais il l'abandonna ensuite parcequ'il était trop éloigné, et il vint prendre position à Chipodi entre la baie Verte et la baie de Chignectou. M. Cornwallis, nouveau gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, prétendant que son gouvernement embrassait non seulement la péninsule, mais encore l'isthme et la côte septentrionale de la baie de Fondy avec St. – Jean, envoya le major Lawrence au printemps de 1750 avec 400 hommes pour en déloger les Français et les Sauvages. Il ordonna en même temps d'intercepter les vaisseaux qui leur apportaient des vivres de Québec, à eux et aux Acadiens réfugiés. A son approche les habitans de Beaubassin, encouragés par leur missionnaire, mirent eux-mêmes le feu à leur village et se retirèrent derrière la rivière qui se jette dans la baie de Chignectou, avec leurs femmes et leurs enfans et ce qu'ils purent emporter de leurs effets. 118 C'était un spectacle noble et cruel tout à la fois. Jamais on n'avait vu encore des colons montrer un pareil dévouement à une métropole regrettée. Le chevalier de la Corne s'avança avec des forces, et planta le drapeau français sur la rive droite de cette rivière, déclarant au major Lawrence qu'il avait ordre de lui en défendre le passage jusqu'à ce que la question des limites fût décidée. Alors le commandant anglais se retira à Beaubassin, sur les ruines fumantes duquel il éleva un fort qui reçut son nom; il en fit aussi bâtir un autre aux Mines. Les Français firent construire de leur côté le fort de Beauséjour sur la baie de Fondy, et celui de Gaspareaux dans la baie Verte sur le golfe St. – Laurent; on fortifia également la rivière St. – Jean, et l'on resta ainsi en position l'arme au bras en attendant le résultat des conférences des commissaires à Paris.

Note 118:(retour) Documens de Paris.

En ce temps là lord Albemarle était ambassadeur auprès de la cour de France. Par ordre du cabinet de Londres, il écrivit le 20 mars 1750 au marquis de Puyzieulx pour se plaindre des empiétemens des Français en Acadie. Ce dernier répondit le 31 du même mois, que Chipodi était sur le territoire du Canada comme St. – Jean, et que la France en avait toujours été en possession; que les habitans ayant été menacés par les Anglais, M. de la Jonquière, n'ayant encore reçu aucun ordre de sa cour, avait cru devoir envoyer des forces pour les protéger. Le 7 juillet, le même ambassadeur représenta encore au marquis de Puyzieulx, que les Français avaient pris possession de toute cette partie de la Nouvelle-Ecosse depuis la rivière Chignectou jusqu'à celle de St. – Jean; qu'ils avaient brûlé Beaubassin, en avaient organisé les habitans en compagnies après leur avoir donné des armes; que le chevalier de la Corne s'était ainsi formé un corps de 2,500 hommes y compris ses soldats, et que cet officier et le P. Laloutre avaient fait, tantôt des promesses, tantôt des menaces d'un massacre général, aux habitans de l'Acadie pour les persuader d'abandonner leur pays. Il protesta ensuite que le gouverneur Cornwallis n'avait jamais fait ni eu dessein de faire d'établissement hors des limites de la péninsule, et il terminait par demander que la conduite de M. de la Jonquière fut désavouée, que ses troupes se retirassent, et que les dommages qu'elles avaient faits fussent réparée. Sur ces accusations graves, l'ordre fut donné d'écrire sans délai pour demander au gouverneur du Canada, des informations précises sur ce qui s'y était passé. «S'il y avait des Français, écrivit M. Rouillé, qui se fussent rendus coupables des excès qui font l'objet de ces plaintes, ils mériteraient punition et le roi en ferait un exemple». Au mois de septembre un mémoire en réponse aux plaintes de l'Angleterre fut remis à lord Albemarle, dans lequel on donnait la relation des mouvemens du major Lawrence et du chevalier de la Corne et de leur entrevue, relation qui est en substance à peu près semblable à ce qu'on a rapporté plus haut. Le 5 janvier 1751, ce fut le tour du cabinet de Versailles de se plaindre; il représenta que les vaisseaux de guerre britanniques avaient pris jusque dans le fond du golfe St. – Laurent des navires français, surtout ceux qui portaient des vivres pour les troupes qui étaient stationnées le long de la baie de Fondy. La cour de Londres ne donna, dit le duc de Choiseul, aucune satisfaction. Alors le marquis de la Jonquière se crut en droit d'user de représailles, et il fit arrêter à l'Ile-Royale trois ou quatre bâtimens anglais qui furent confisqués.