Za darmo

Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires

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XV
OU LE HASARD SE MET ENCORE UNE FOIS DE LA PARTIE

Vous n'attendez point, n'est-ce pas, que je vous décrive par le menu les diverses phases de cette nouvelle lune de miel…

Elle fut ce qu'elle est ordinairement dans ces rabibochages amoureux: ardente, enivrante, affolante…

Edith repentante sut racheter ses torts et se les faire pardonner… Elle arriva même, pendant quelques jours, à me faire oublier le Régent.

Hélas!.. il fallut vite déchanter!

Un beau matin, en fouillant dans mon portefeuille, je m'aperçus qu'il n'y restait plus qu'une pauvre petite bank-note de cinq livres…

Nous avions vécu, ma maîtresse et moi, sur ce qu'elle avait conservé de mes deux mille francs et aussi sur la bourse du Révérend Patterson. Il fallait absolument que je trouvasse de l'argent. Un cambriolage seul pouvait me tirer d'affaire, mais je dois dire que le souvenir de ma dernière expédition me rendait très circonspect.

Je n'osais pas avouer ma gêne à Edith, car les femmes, si aimantes soient-elles, acceptent assez mal ces confidences.

Je résolus, encore une fois, de m'en remettre au hasard. J'annonçai à ma maîtresse que je serais absent toute la journée…

Edith me regarda d'un air tout étonné:

– Eh quoi, dit-elle, voilà que vous m'abandonnez déjà?

– Pour jusqu'à ce soir seulement, chérie… il faut absolument que j'aille chez un de mes oncles qui habite Richmond…

– Et cela vous a pris tout d'un coup… vous ne pouvez pas remettre cette visite?

– Non, Edith… c'est très sérieux… il s'agit d'une question d'argent…

– Oh! alors, allez… Il ne faut jamais, Edgar, remettre ces visites-là… Mais, au fait, j'y songe, je pourrais bien vous accompagner?.. il y a longtemps que j'ai envie d'aller à la campagne… Pendant que vous vous rendriez chez votre oncle je vous attendrais quelque part.

– Non, Edith… cela est impossible… mon oncle est très formaliste… S'il apprenait que l'on m'a vu à Richmond, en compagnie d'une femme, il ne me recevrait plus.

– C'est donc un clergyman, votre oncle?..

– Non… c'est un magistrat… un coroner.

Edith n'insista plus.

Je l'embrassai et partis.

Où allais-je? Je n'en savais rien.

Je venais d'atteindre Fleet Street, rue très fréquentée, comme on sait, et je m'étais engagé sur la chaussée pour changer de trottoir, quand une grosse dame, qui marchait devant moi, glissa soudain sur l'asphalte humide et, avec un bruit mat, s'étala sur le sol.

Galamment, je l'aidai à se relever, mais elle avait dû se blesser en tombant, car elle était incapable de mettre un pied devant l'autre.

Aidé de deux aimables citoyens, je la transportai chez un pharmacien et disparus prestement. J'étais, en effet, très pressé de voir ce que contenait le petit sac à main que j'avais, sans qu'elle s'en aperçût, subtilisé à la dame, et enfoui dans la poche de côté de mon pardessus.

Ce ne fut qu'au bout d'un quart d'heure, dans l'allée déserte d'un square, que je pus enfin satisfaire ma curiosité.

Pour une fois, j'avais eu la main heureuse. Le sac contenait exactement quatre billets de cinquante livres et deux de dix… au total deux cent vingt livres… La grosse dame était une propriétaire du nom de Dorothy Coxcomb. Une petite note épinglée à l'un des billets indiquait l'usage qu'elle voulait faire de son argent… et je dois reconnaître que ce placement était absolument ridicule, car les valeurs qu'elle se proposait d'acheter sombrèrent deux mois après, lors du fameux krach de la Banque Tymson and Co. De toute façon, la grosse dame eût été refaite et il valait encore mieux que ce fût Edgar Pipe qui profitât de son argent, plutôt que des banquiers sans scrupules qui sont la honte du Royaume-Uni et dont les victimes se comptent par milliers.

Je jetai le sac dans un massif et plaçai soigneusement les bank-notes dans mon portefeuille qui n'était plus habitué à recevoir pareils locataires.

Ce que c'est que l'argent, tout de même, et quelle heureuse influence il exerce sur notre esprit! Il n'y a qu'un instant, tout me paraissait gris et triste, maintenant, je voyais tout en rose et j'avais une envie folle de sauter, de gambader, de me jeter au cou des gens dans la rue.

Bien entendu, au lieu de continuer à marcher à l'aventure, je rentrai chez moi – ou plutôt chez Edith.

Elle s'apprêtait à sortir.

– Comment? dit-elle, vous voilà déjà?

– Vous voyez… j'ai eu la chance de rencontrer mon oncle dans Fleet Street et cela m'a épargné la peine d'aller à Richmond.

– Vous paraissez tout joyeux…

– Le plaisir de vous revoir, Edith…

– Vraiment?

– Pouvez-vous en douter?

Je ne sais si Edith crut à la sincérité de mes sentiments; en tout cas, si elle pouvait avoir des doutes à ce sujet, elle n'en laissa rien paraître.

Je l'emmenai à Regent's Park, puis de là chez Monico, dans Piccadilly.

Nous allions mener la grande vie pendant quelques jours, puis, je partirais pour la Hollande.

Je m'étais bien gardé de dire à Edith que j'avais sur moi un diamant de plusieurs millions; cependant, un jour ou plutôt une nuit, elle avait failli le découvrir. J'avais placé le Régent dans la petite poche de côté de ma chemise de flanelle et ma maîtresse l'avait, par hasard, senti sous sa main.

– Tiens! demanda-t-elle, qu'est-ce que vous avez là, Edgar?

– Oh! rien… répondis-je…

– On dirait une petite pierre.

– C'en est une, en effet…

– Un souvenir?

– Non… un fétiche…

Edith éclata de rire.

– Eh quoi? dit-elle, vous êtes comme les nègres… vous avez sur vous un gris-gris.

– Vous le voyez.

– C'est curieux… Je ne vous aurais pas cru si superstitieux.

– Que voulez-vous, Edith, on ne se refait pas.

– Et sérieusement… vous croyez au pouvoir de cette amulette?.. Vous a-t-elle déjà porté bonheur, au moins?

– Mais oui, Edith, puisque après vous avoir perdue, j'ai eu la joie de vous retrouver.

– Grâce à votre gris-gris?

– Grâce à mon gris-gris.

– Et comment est-ce fait, cet objet-là?

– Je vous l'ai déjà dit, c'est une simple pierre, mais une pierre qui ne vient pas des régions terrestres…

– Je crois, Edgar, que vous vous moquez de moi, fit Edith en me donnant une petite tape sur la joue.

– Mais non… je vous assure… Vous avez bien entendu parler des aérolithes?..

– Non… qu'est-ce que c'est que ça?

– Ce sont des pierres… des pierres qui tombent du ciel…

Edith n'était pas très convaincue. Elle me regardait avec méfiance, mais n'osait mettre en doute ma parole…

– En effet, conclut-elle. Si ces pierres tombent du ciel, comme vous dites, elles doivent évidemment porter bonheur… Montrez-moi donc un peu comment c'est fait ces pierres-là?

– Une autre fois, Edith… Mon gris-gris est cousu dans une double enveloppe très dure… c'est toute une affaire que de le développer… Je vous promets de vous le montrer demain…

– Vous m'en donnerez bien un petit morceau?

– Si vous y tenez…

– Bien sûr que j'y tiens… une pierre qui vient du ciel!

Edith était tenace et je savais bien qu'elle ne me laisserait point de répit que je ne lui eusse donné un morceau de mon amulette.

Je me procurai donc un caillou quelconque que je lui présentai le lendemain.

– Oh! ce n'est que cela, s'écria-t-elle. Ce n'est pas bien beau… Enfin, puisque ça porte chance.

Je cassai le caillou au moyen d'un marteau et j'obtins ainsi deux éclats. J'en donnai un à ma maîtresse et serrai l'autre précieusement dans le petit sachet d'où j'avais préalablement enlevé le diamant.

J'avais mis le Régent dans mon porte-monnaie, mais il était indispensable que je trouvasse une cachette plus sûre, car Edith, curieuse comme toutes les femmes, ne manquerait certainement pas de le découvrir…

Où le mettre, grand Dieu!

J'eus l'idée de le coudre dans la doublure de mon gilet ou dans la ceinture de mon pantalon, mais j'y renonçai… la doublure pouvait se déchirer, s'user au frottement, et je risquais de perdre mon trésor.

Je songeai aussi à le dissimuler, dans notre chambre, sous une lame de parquet, à l'introduire entre deux briques de la cheminée ou à le loger tout en haut de l'armoire à glace, mais je reconnus que ces cachettes n'offraient aucune sécurité. Une bonne de l'hôtel pouvait le découvrir, et il était à présumer qu'elle ne m'aviserait point de sa trouvaille.

Et pourtant, il fallait le dissimuler, coûte que coûte.

Le lecteur s'étonnera sans doute de ce surcroît de précautions et se demandera probablement pourquoi je n'avais point jugé à propos de tout révéler à Edith.

Hélas! l'expérience m'a appris que les femmes sont incapables de garder un secret. De plus, je ne pouvais avouer à ma maîtresse, qui me croyait un gentleman, que je n'étais qu'un vulgaire cambrioleur.

Edith avait des principes. Elle se disait la nièce d'un pasteur, et bien qu'elle eût suivi une voie que la morale réprouve, elle n'en demeurait pas moins très «honnête» – au sens large du mot. Elle n'admettait point que l'homme qui doit, en toute chose, donner l'exemple à la femme, pût se laisser aller à commettre une mauvaise action, même pour conquérir la fortune.

Je suis certain que si à cette époque Edith avait su quel genre d'individu j'étais, elle m'eût immédiatement dénoncé à la police.

Plus tard, elle en arriva heureusement à changer d'avis, mais n'anticipons pas!.. Il y avait là, n'est-il pas vrai? un curieux cas psychologique, une mauvaise interprétation des conventions sociales, mais le rigorisme ridicule de cette petite perruche est commun à nombre d'Anglaises.

En France, j'en ai fait la remarque, les femmes sont beaucoup plus indulgentes, et aussi plus justes. Si elles aiment un cambrioleur, elles arrivent assez facilement à se laisser endoctriner par leur amant et se gardent bien de le dénoncer, surtout s'il leur procure, grâce à sa petite industrie, une vie facile, exempte de soucis, des toilettes et des bijoux.

 

La générosité, d'où qu'elle vienne est toujours une qualité très appréciée des femmes et elles pardonnent tout à celui qui donne beaucoup.

Il n'y a pas de sots métiers, il n'y a que de sottes gens, dit un proverbe français, et rien n'est plus vrai.

Certes, si tout le monde était honnête sur terre, il serait criminel de raisonner ainsi, mais quand on voit, chaque jour, des aigrefins ruiner des milliers de gogos, il n'est pas téméraire d'admettre que le cambrioleur est bien moins méprisable que ces gens-là.

Je ne reviendrai plus sur ce sujet, que j'ai déjà sommairement traité, mais que l'on me permette une dernière réflexion que je crois nécessaire. Il y a deux catégories de cambrioleurs: ceux qui opèrent en petit et ceux qui opèrent en grand.

Les premiers, qui dévalisent ordinairement des chambres de bonnes et de modestes logements de travailleurs, n'ont droit à aucune indulgence, et si j'étais juge, je les «salerais» sans pitié.

Les seconds, ceux qui ne s'en prennent qu'aux riches (et je m'honore d'appartenir à cette catégorie), ne causent en somme qu'un préjudice insignifiant à leurs victimes. C'est, en réalité, une sorte d'impôt sur le revenu qu'ils prélèvent, indûment, j'en conviens, mais qui m'objectera que les taxes votées par les Chambres soient toutes équitables?

Ceci dit, je reviens à mes moutons qui s'étaient, je crois, un peu égarés.

Ma seule préoccupation pour l'instant était de dérober mon diamant aux yeux d'Edith tout en le conservant sur moi.

Le problème était délicat, et m'occupa l'esprit pendant de longues heures.

J'imaginai les moyens les plus stupides, les plus extravagants… J'envisageai même comme dernière ressource l'ingestion quotidienne du Régent!!!

Furieux de ne trouver aucune solution, je donnai soudain un grand coup de talon sur le parquet… Aïe!.. un clou qui se trouvait dans ma bottine m'entra dans les chairs et me causa une douleur atroce… J'ôtai aussitôt ma chaussure, et me mis, avec le pied d'une chaise, à aplatir ce clou malencontreux.

Pendant que je me livrais à cette opération, une idée que je qualifierai de lumineuse m'était venue tout à coup à l'esprit.

XVI
OU APPARAIT UN ONCLE QUI ME PORTE UN VIF INTÉRÊT

Les idées sont ou géniales ou lumineuses: elles sont géniales quand elles sortent du cerveau, après de longues et laborieuses méditations, mais quand elles vous sont suggérées par un incident imprévu, elles sont simplement lumineuses.

Celle que je venais d'avoir pouvait être rangée dans cette dernière catégorie… La chute d'une pomme orientait l'esprit de Newton vers les lois de la pesanteur… la simple vue d'un talon de bottine me fit pousser en anglais le mot qu'Archimède prononça en grec…

Oui… j'avais trouvé!..

La solution que je cherchais et qui me fuyait avec obstination se présentait à moi dans toute sa simplicité… et je me mis à rire comme un fou, tout en continuant d'aplatir mon clou avec le pied de la chaise.

Edith qui se trouvait dans le cabinet de toilette accourut, étonnée:

– Eh bien! demanda-t-elle, qu'y a-t-il donc, Edgar, est-ce que vous avez perdu la raison?

Et tout en parlant, elle regardait d'un air inquiet, la bouteille de whisky posée devant moi sur la table…

Quand elle eut constaté que le liquide était toujours au même niveau, elle parut plus inquiète encore, ne pouvant plus mettre sur le compte de l'ivresse l'étrangeté de ma conduite…

– Ah! my darling, lui dis-je… Excusez-moi, mais je songe à une chose si drôle… Figurez-vous qu'hier… au moment où je traversais Fleet Street, une grosse dame a glissé sur la chaussée et est tombée d'une façon si comique que tout le monde s'est mis à rire… oui, tout le monde, même un austère Révérend qui était arrêté devant la station d'omnibus…

– Vraiment, Edgar, vous n'êtes guère généreux… ainsi, voilà ce qui vous fait rire… une femme qui tombe!

– Oh! rassurez-vous… j'ai été le premier à la relever… et à la conduire chez un pharmacien, car elle s'était légèrement blessée en prenant un peu trop brutalement contact avec le sol…

– Vous êtes comme les paysans du Pays de Galles, mon cher, vous riez huit jours après d'un événement qui n'est pas bien comique, en somme.

Je me gardai de protester contre cette appréciation qui n'était rien moins que flatteuse… J'aimais mieux passer pour un lourdaud du Pays de Galles, que de livrer mon secret.

Le soir, quand Edith me proposa de sortir pour respirer un peu, je prétextai une terrible migraine. Elle sortit seule, ce qui lui arrivait quelquefois, et je profitai de son absence pour me livrer à un petit travail qui n'était pas des plus faciles. Je pris une de mes bottines – la droite, je m'en souviens – et commençai à enlever, avec la grosse lame de mon couteau, les plaques de cuir superposées qui formaient le talon. Je creusai ensuite dans la partie demeurée intacte une sorte de petite niche rectangulaire dans laquelle je logeai mon diamant, puis je replaçai par-dessus les lamelles de cuir que j'avais détachées, l'instant d'avant, et les assujettis solidement, au moyen de vis de cuivre et de petits clous à tête plate.

Maintenant, le Régent ne me quitterait plus… et personne n'aurait l'idée de venir le chercher dans mon talon.

Je recouvrais donc un peu de tranquillité… c'était tout ce que je désirais pour l'instant.

Je me laissai donc vivre, pendant une huitaine, puis je songeai sérieusement à mon voyage en Hollande. J'avais d'abord eu l'intention d'emmener Edith avec moi, mais je jugeai que cela serait non seulement maladroit, mais encore très imprudent. Il valait mieux que je partisse seul, mais quel prétexte invoquer pour prendre congé de ma maîtresse, sans la froisser, et aussi sans rompre définitivement avec elle? Je tenais encore à Edith, malgré le petit tour qu'elle m'avait joué à Paris et qu'elle s'était d'ailleurs ingéniée à se faire pardonner… Certes, ce n'était plus de ma part un amour fou, mais enfin elle était bien la femme qu'il me fallait. J'avais déjà eu pas mal de maîtresses et, quand je comparais à Edith tous ces anciens «collages», je trouvais que, décidément, elle était bien supérieure, comme talents et comme esprit, à toutes les pécores qui avaient, pendant de longs jours et de plus longues nuits encore, empoisonné ma vie. Je tenais donc à conserver Edith… et j'étais prêt (ce qui est une preuve d'attachement) à lui passer bien des caprices et à excuser bien des fautes.

Je crois qu'elle m'aimait aussi, mais son amour était malheureusement subordonné à l'état de mes finances… Je ne me faisais aucune illusion sur ce chapitre et j'étais persuadé que, le jour où je ne pourrais plus l'entretenir convenablement, elle chercherait aussitôt un autre protecteur.

Les femmes ne sont des héroïnes que dans les romans, et il ne faut pas les soumettre à trop rude épreuve. L'amour dans un grenier, c'était bon en 1830. Aujourd'hui, la moindre maîtresse veut un petit salon, avec un piano et le rêve qu'elle poursuit, avec l'espoir de le réaliser un jour, c'est de trouver un bon gros capitaliste qui la couvre de bijoux et lui paye une auto. En général (et il y a heureusement des exceptions) la fidélité des femmes est en raison directe du bien-être qu'on leur procure et ceux qui s'imaginent être aimés pour eux-mêmes sont souvent des niais ou des outrecuidants.

L'homme qui n'apporte que sa personne dans une association amoureuse risque fort de se voir adjoindre à bref délai des collaborateurs plus «sérieux».

Or, comme je ne puis souffrir la collaboration en amour, je m'efforçais de trouver une raison pour conserver Edith à moi seul et la persuader que, bientôt, j'allais rouler sur l'or. Je lui confiai notamment que j'avais, à Amsterdam, un vieil oncle, riche à millions, qui m'aimait comme si j'eusse été son fils et qui me laisserait en mourant son énorme fortune.

Ces discours avaient le don d'intéresser prodigieusement Edith et je suis convaincu qu'elle souhaitait in petto la mort rapide de l'oncle de Hollande. Je m'aperçus aussi que je grandissais dans son estime et qu'elle paraissait, chaque jour, m'aimer davantage.

Quand je l'eus bien préparée, je m'arrangeai pour que l'oncle imaginaire me donnât de ses nouvelles.

Rien n'était plus facile. Il existe, à Londres, dans Augustin's street, une agence qui s'intitule «Tsit» et qui se charge, moyennant quelques shillings, de vous expédier, à volonté, une lettre timbrée de New-York, de Singapour ou de Nouka-Hiva.

Un mari veut-il filer tranquillement le parfait amour avec une petite poule, il s'adresse à l'agence «Tsit».

Trois semaines après, l'épouse délaissée reçoit de son volage époux une lettre des plus tendres dans laquelle il lui dit qu'il vient d'arriver en Amérique où les affaires s'annoncent bien.

Un caissier qui a dévalisé son patron veut-il dépister la police, il envoie des îles Hawaï une longue lettre dans laquelle il fait son mea culpa et où il annonce qu'il se fera un devoir de rembourser un jour la somme qu'il a été obligé de prélever dans la caisse confiée à sa garde, afin de se livrer en grand à l'élevage des moutons mérinos.

Je connaissais depuis longtemps le directeur de l'agence «Tsit»; je puis même dire qu'il était mon ami. Je lui remis donc une lettre qu'il se chargea de me faire parvenir, timbrée et datée d'Amsterdam.

Le soir même, en tête à tête avec ma maîtresse, je préparai mes batteries. Je parlai beaucoup de l'oncle Chaff (c'était le nom que j'avais donné à ce parent de fantaisie).

Il sait votre adresse, au moins? demanda Edith.

– Oui… je lui ai écrit, il y a quelques jours…

– Vous avez bien fait… Voyez-vous qu'il meure et que personne ne vous avertisse?

– Oh! de toute façon, je serais prévenu!

Jusqu'alors Edith ne m'avait jamais interrogé sur ma famille, mais ce soir-là, elle me posa une foule de questions auxquelles je répondis de la meilleure grâce du monde. Je me confectionnai même une généalogie des plus huppées et m'apparentai sans vergogne aux plus grandes familles d'Angleterre.

Edith était éblouie.

– Je me suis bien doutée, dit-elle, la première fois que je vous ai vu, que vous deviez appartenir à la haute société… d'ailleurs, quand quelqu'un a de la race, cela se voit tout de suite… et vous, vous avez de la race…

Ce compliment ne me parut pas exagéré… J'ai de la race, en effet, et bien des gens se sont laissé prendre à mon grand air de distinction.

Cela prouve que bien que l'on soit issu du peuple, on peut néanmoins avoir de l'allure… Cela donne aussi un sérieux démenti aux affirmations de certains savants qui prétendent que l'aristocratie a sa marque spéciale et qu'un roturier ne peut point prétendre à cette élégance de manières, à cette distinction naturelle que possèdent seuls les gens bien nés.

Quelle erreur!

Mon père était valet de chambre et ma mère fille de taverne en Irlande.

Il est vrai que je suis un enfant de l'amour et l'on sait que ces enfants-là sont toujours bien faits de leur personne.

Bref, Edith était subjuguée… c'était tout ce que je désirais. J'étais sûr qu'elle ne se lancerait point, durant mon absence, dans quelque aventure galante… ou que, tout au moins, si elle le faisait, ce serait avec discrétion.

A quelques jours de là, je recevais d'Amsterdam la lettre suivante:

«Mon cher monsieur Edgar,

«Votre oncle est en ce moment dangereusement malade et les médecins qui le soignent se montrent fort inquiets… Il parle souvent de vous et je crois qu'il désirerait vous embrasser. Vous savez comme il vous aime, le cher homme, et combien il souffre de ne plus vous voir. Je n'ose affirmer que votre présence le guérira, mais elle adoucira au moins ses derniers moments, car il se pourrait qu'il n'en eût plus pour bien longtemps, si j'en crois ce que dit le docteur Oldenschnock, qui ne quitte pas son chevet. J'espère, mon cher monsieur Edgar, qu'au reçu de cette lettre, vous vous mettrez immédiatement en route, et que nous aurons le plaisir de vous voir cette semaine.

«Croyez à mon respectueux dévouement.

«Cornélie Fassmosch.»

En lisant cette lettre, je feignis une émotion qui n'échappa point à Edith.

Elle demanda d'un air apitoyé:

– Mauvaises nouvelles de votre oncle?

– Hélas! oui… et je crains bien…

– Ne vous désolez pas d'avance… Quel âge a-t-il?

– Soixante-treize ans…

– Ce n'est pas un âge exagéré!

Rien n'était plus comique que cet apitoiement qui n'était pas plus sincère de la part d'Edith que de la mienne, au sujet d'un bonhomme qui n'existait pas.

 

J'avais une envie folle de rire, mais comme ma maîtresse m'observait toujours, je fis le geste d'écraser une larme au coin de ma paupière.

Il fut convenu que je m'embarquerais le lendemain soir dans le train qui part de Charing-Cross pour Douvres, à 9 h. 55. De Douvres, je gagnerais Ostende, et de là Amsterdam.

Edith semblait navrée à l'idée de ce départ précipité, mais, pour la consoler, je lui promis que si la maladie de mon oncle se prolongeait, je la ferais venir en Hollande et la perspective de ce voyage lui rendit toute sa gaieté.