Za darmo

Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires

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XIII
OU MANZANA DEVIENT INQUIET

Quelques instants après, nous nous recouchions et, pour la première fois depuis notre rencontre, nous dormîmes comme deux braves bourgeois qui n'ont rien à se reprocher.

Lorsque nous nous éveillâmes, il faisait grand jour. Après m'être tâté pour m'assurer que le diamant était toujours dans le gousset de ma chemise de flanelle, je commandai deux cafés au lait avec des petits pains. Dès que le gnome hydrocéphale qui remplissait à l'hôtel l'office de valet de chambre eut installé devant nous deux tasses ébréchées, nous nous assîmes et, tout en croquant des rôties de pain beurré, nous élaborâmes un plan de campagne.

Je dois dire toutefois que ce plan, ce fut moi qui le dressai, car Manzana qui semblait avoir maintenant pour moi une admiration sans bornes, approuvait tout ce que je proposais. Il comprenait qu'à présent j'étais l'âme de cette association qui avait si mal débuté, et menaçait peut-être de finir plus mal encore.

– Mon cher ami, dis-je enfin, si vous le voulez bien, nous allons quitter le plus vite possible cette bonne et hospitalière ville de Rouen, mais vous devez supposer que nous n'allons pas être assez naïfs pour prendre le train du Havre qui passe ici, matin et soir… Ce serait le plus sûr moyen de se faire pincer, car la police, à la suite du drame de l'hôtel d'Albion, a dû établir une surveillance dans les gares. Nous allons tout simplement, gagner une petite station que nous n'aurons pas de peine à trouver sur l'indicateur et là, nous nous embarquerons dans un modeste train omnibus.

– Vous pensez à tout, mon cher Pipe! s'exclama mon associé… mais, dites donc, avez-vous songé à notre arrivée au Havre? Il y aura de la police, là-bas, et pour peu que nous ayons été signalés…

– J'ai prévu cela, mon cher, aussi descendrons-nous à la première gare avant Le Havre… D'ailleurs, je réfléchis, il est possible que nous ne prenions pas le train…

– Ah!.. vous songeriez à louer une auto?

– Non… Je vous dirai cela tout à l'heure… j'ai besoin de me renseigner…

– Faites-le vite, alors, car je ne me sens pas en sûreté.

– Et moi donc? J'ai hâte de filer, croyez-le… nous commençons à connaître trop de monde ici: le cocher, la débitante, le pasteur, le commissaire de police…

Nous nous apprêtions à sortir, quand je fis remarquer à Manzana qu'il serait peut-être prudent de lire un peu les journaux.

Il approuva cette idée et nous envoyâmes chercher, par le groom à grosse tête, le Fanal de Rouen. J'étais curieux de savoir si cette feuille parlait de notre petite expédition de la veille. Je ne tardai pas à être fixé, mais ce que je lus me plongea dans un abîme d'étonnement.

– Ecoutez, dis-je à Manzana.

Sous le titre: «Le Mystère de l'hôtel d'Albion», on racontait ce qui suit:

«Hier, dans notre ville d'ordinaire si paisible, depuis que les nombreux indésirables qui l'habitaient se sont réfugiés au Havre, un drame mystérieux s'est déroulé à l'Hôtel d'Albion, où l'on a découvert, dans la chambre no 34, un homme et une femme bâillonnés et ligotés, à n'en pas douter, par des mains expertes…»

Je regardai Manzana:

– Voilà, dis-je, un compliment à votre adresse…

– Oui… oui… continuez, fit mon associé d'un ton bourru.

«… par des mains expertes. Délivrés immédiatement et soignés par un médecin que l'on avait fait appeler, ils ont déclaré avoir été attaqués par deux individus dont ils ont donné un signalement détaillé et sur la piste desquels notre intelligent chef de la Sûreté s'est lancé aussitôt. Grâce aux renseignements précis qu'il n'a pas tardé à recueillir, nous avons tout lieu d'espérer que les deux bandits seront arrêtés aujourd'hui.»

Cet article inséré en première page, était suivi d'une petite note en italiques: Dernière heure.

Et voici ce que disait cette note: «L'affaire de l'hôtel d'Albion se complique étrangement. Les deux personnes qui avaient été victimes de l'agression dont nous parlons plus haut et que M. Feuardent, juge d'instruction, avait convoquées à son cabinet, ont disparu subitement et, malgré les recherches opérées par le service de la Sûreté, il a été jusqu'alors impossible de retrouver leur trace.»

– Parbleu…! m'écriai-je, ces gens-là ne tenaient pas plus que nous à dialoguer avec un juge d'instruction. Ils doivent avoir, eux aussi, la conscience terriblement chargée… Allons, tout cela est très bon pour nous…

– Ah! vous croyez? fit Manzana.

– Mais certainement, pendant que l'on recherchera les locataires de l'hôtel d'Albion, nous aurons le temps de filer… Cette affaire est trop compliquée pour des policiers de province… vous verrez qu'ils embrouilleront tout et n'aboutiront à rien… Profitons de leur affolement pour leur tirer notre révérence.

– Vous avez toujours l'intention de gagner Le Havre?

– Bien sûr… n'a-t-il pas été décidé que nous passerions en Angleterre…?

– Nous n'y sommes pas encore.

– Mais nous y serons bientôt…

– Je le souhaite, mais je suis loin d'être aussi optimiste que vous… Les gares doivent être surveillées…

– Mais puisque je vous ai déjà dit que nous ne prendrions pas le train… Combien faut-il vous le répéter de fois?..

Manzana ne répliqua point, craignant sans doute de s'attirer quelqu'une de ces algarades que je ne lui ménageais guère depuis la veille.

Il hocha lentement la tête, d'un air résigné, puis répondit simplement:

– Je remets mon sort entre vos mains.

Un autre se fût peut-être laissé prendre aux airs doucereux de Manzana, mais moi qui connaissais le drôle, je ne croyais plus un mot de ce qu'il disait. La soumission qu'il montrait n'était point sincère et je le sentais toujours aussi hostile. Je lisais au fond de sa pensée comme dans un livre et il devait bien s'en apercevoir, car chaque fois que je le regardais fixement, il paraissait gêné. Son plan, je ne le devinais que trop!.. Il espérait me supprimer purement et simplement et rester seul propriétaire du diamant, mais il avait affaire à forte partie et, d'ailleurs, j'étais bien décidé à ne plus lui confier le Régent.

Jusqu'alors j'avais échafaudé une foule de projets, tous plus insensés les uns que les autres, et, comme cela arrive généralement, au moment où je désespérais de tout, une inspiration m'était venue: J'avais trouvé le moyen de quitter Rouen, sans bourse délier… bien plus j'espérais, en cours de route, gagner quelque argent.

L'idée n'avait rien de génial, mais elle ne fût certainement pas venue à l'esprit de Manzana.

Après avoir réglé la note d'hôtel, je sortis avec mon associé. Il faisait un temps épouvantable. La pluie tombait à flots et il n'y avait pas un chat dans les rues.

Nous nous mîmes un instant à l'abri sous un porche, mais comme l'averse continuait, nous relevâmes le col de notre pardessus et nous nous remîmes en route, courbés en deux, ruisselants d'eau, à demi aveuglés.

Nous atteignîmes enfin les quais et là, nous pûmes nous mettre à l'abri dans une baraque en planches qui servait de bureau à une compagnie de navigation.

Manzana ignorait toujours ce que j'avais l'intention de faire, mais il n'osait m'interroger, de peur de se faire encore rembarrer.

De temps à autre, il me jetait un regard à la dérobée, mais je demeurais impassible, jugeant inutile de le mettre au courant de mes projets.

Enfin, comme la pluie avait cessé, je lui touchai légèrement le bras:

– Venez, lui dis-je.

– Où cela?

– A deux pas d'ici.

Quelques minutes après, je m'arrêtais devant un grand cargo amarré à quai et dans lequel des hommes étaient en train d'empiler à fond de cale des balles de coton.

Ce cargo était anglais; il s'appelait le Good Star, ce qui signifie Bonne Etoile.

Ce nom me plaisait car, on a pu le voir, je suis assez superstitieux et m'imagine à tort ou à raison que certains noms doivent avoir sur notre destinée une réelle influence.

M'approchant d'un gros homme à casquette galonnée, qui surveillait l'embarquement des marchandises, je lui dis en anglais:

– Pardon, capitaine, n'auriez-vous point besoin, par hasard, de deux hommes de peine?..

Le capitaine me toisa pendant quelques secondes, puis après avoir tiré deux ou trois bouffées de sa courte pipe en merisier, répondit d'un ton brusque:

– Qu'est-ce que vous savez faire?

– Oh! beaucoup de choses, captain…

– Savez-vous arrimer une cargaison?

– Oui, captain…

– Pouvez-vous aussi tenir convenablement la barre?

– Je le crois.

– Savez-vous lover chaînes et filins?

– Parfaitement, captain…

– Vous pourriez, je le suppose, faire aussi un peu de cuisine?

– Certes… captain.

– Bien… quelles sont vos prétentions?

– Ma foi… j'estime que trois livres par semaine…

– Je vous en offre deux, pas un shilling de plus… c'est à prendre ou à laisser… Maintenant, je dois vous prévenir que je vous engage pour un voyage seulement… Une fois que nous serons arrivés à destination et que l'on aura procédé au déchargement, je n'aurai plus besoin de vos services… Acceptez-vous?

– J'accepte, captain… mais à une condition.

– Laquelle?

– C'est que vous preniez aussi mon camarade…

Et ce disant, je désignais Manzana qui se tenait près de nous…

Le capitaine dévisagea mon associé, puis fronçant le sourcil:

– Il a une sale tête, votre camarade… ce n'est sûrement pas un Anglais, cet oiseau-là…

– Non, captain…

– Il a l'air solide… on pourrait tout de même l'employer à vider les escarbilles et à charger les foyers… C'est entendu, je le prends… mêmes conditions que pour vous, mais dites-lui que s'il ne fait pas mon affaire, je le débarque au Havre… je n'aime pas les flémards, moi…

 

Je transmis ces paroles à Manzana qui demeura tout interloqué.

– Eh quoi, dit-il, vous m'avez engagé à bord de ce bateau sans me consulter?

– Mon cher, répondis-je, il n'y avait pas à hésiter… d'ailleurs, je vous eusse consulté que cela n'eût avancé à rien. Il y a des situations que l'on doit accepter coûte que coûte… Nous sommes menacés, traqués comme de mauvaises bêtes, il faut absolument quitter cette ville. Or, pouvions-nous trouver une meilleure solution que celle-là?

Mon associé ne répondit point. L'argument était, en effet, sans réplique, mais Manzana, paresseux comme une couleuvre, se lamentait déjà à la pensée qu'il allait être obligé de travailler, chose qui ne lui était peut-être jamais arrivée, car cet être au passé nébuleux avait dû exercer tous les métiers, excepté ceux qui exigent un effort physique trop violent.

Je n'étais pas fâché de voir un peu la tête qu'il ferait quand le capitaine lui commanderait de porter des sacs de charbon ou de laver le pont à grande eau. L'épreuve serait dure, mais elle aurait sur mon triste compagnon un effet salutaire.

J'ignorais où allait le Good Star. Je savais seulement qu'il ferait escale au Havre pour, de là, se diriger vers quelque port d'Angleterre.

Il devait quitter Rouen à la marée descendante, c'est-à-dire à deux heures de l'après-midi, mais il n'était encore que dix heures du matin et qui sait si, avant le départ, quelque stupide policier ne viendrait pas nous rendre visite. Le Good Star, en sa qualité de navire marchand, était dispensé des formalités de police auxquelles sont soumis les vapeurs transportant des passagers, mais après la petite histoire de l'hôtel d'Albion, il était possible que le chef de la Sûreté de Rouen s'avisât de perquisitionner à bord des bateaux en partance.

J'insistai auprès du capitaine pour prendre immédiatement mon service. Il y consentit.

– Venez, dit-il.

Et il nous présenta immédiatement au maître d'équipage, un gros homme aussi large que haut qui répondait au nom de Cowardly.

On nous assigna immédiatement nos postes.

– Here, me dit Cowardly, en me désignant le pont du bateau…

Et prenant Manzana par le bras, il le poussa vers une écoutille où se trouvait un petit escalier de bois conduisant à l'entrepont.

Comme mon associé demeurait immobile, ne sachant ce qu'il devait faire, Cowardly lui dit d'un ton brusque:

– Downstairs!

Je m'approchai:

– Mon camarade, expliquai-je au maître d'équipage, ne comprend pas l'anglais.

Et je traduisis à Manzana l'ordre que l'on venait de lui donner:

– On vous dit de descendre.

– Où cela?

– Mais dans la cale, parbleu!

– Et vous?

– Moi, jusqu'à nouvel ordre, je reste ici, sur le pont…

– Ah! non, par exemple. Je n'accepte pas cela… Le truc est bien combiné, mais ça ne prend pas avec moi… pendant que je serai à fond de cale, vous filerez avec le diamant… Vraiment, mon cher, vous me prenez pour un imbécile…

Le capitaine était derrière nous. Il ne comprenait rien à ce que nous disions, mais au ton de Manzana, il n'eut pas de peine à deviner que celui-ci faisait des difficultés pour descendre dans l'intérieur du navire. D'une violente poussée, il l'envoya rouler en bas de l'escalier et d'un coup de pied referma le panneau de l'écoutille…

– Retenez bien, me dit-il, que vous n'êtes pas ici pour tenir des conversations… Au travail, et vivement!.. Tenez, joignez-vous à cet homme et aidez-le à rouler cette balle de coton…

J'obéis, sans murmurer, et cette docilité me valut tout de suite la confiance du capitaine. Il faut savoir se plier aux exigences de la vie et accepter toutes les situations, quelles qu'elles soient, du moment que l'on travaille à son salut.

Quelle brute que ce Manzana! Pourvu qu'il n'aille point, par quelque extravagance, attirer sur nous l'attention de la police!

XIV
LA PREMIÈRE RENCONTRE QUE JE FIS SUR LE SOL ANGLAIS

Le Good Star devait, je l'ai dit, partir à deux heures de l'après-midi. En causant avec quelques matelots, anglais comme moi, j'appris qu'il se rendait directement à Londres, après escale au Havre.

Décidément, j'étais servi à souhait.

J'attendais cependant avec une inquiétude que l'on devine le moment où on larguerait les amarres et, tout en m'employant à bord le plus activement possible, je jetais de temps à autre un regard vers le quai.

C'était là que pouvait surgir l'ennemi, sous forme d'un détective ou d'un agent de la police officielle.

Par bonheur, la pluie s'était remise à tomber et les quais étaient absolument déserts.

Un peu avant midi, j'eus une vive émotion. Deux hommes d'apparence assez louche s'étaient présentés à bord et avaient demandé le capitaine. Enfin, ils quittèrent le bateau, et ce furent les deux seuls visiteurs que nous eûmes sur le Good Star.

Manzana, comme bien on pense, n'était pas tranquille à fond de cale et il éprouva le besoin de passer la tête par une écoutille, afin de s'assurer que j'étais toujours sur le pont.

Le capitaine l'aperçut.

Il eut un geste de colère, puis appelant le maître d'équipage, lui donna rapidement quelques ordres. Bientôt, Manzana reparaissait en compagnie du second qui, sans un mot, le conduisait à la passerelle et l'invitait à quitter le bord.

Mon associé qui ne tenait pas à partir sans moi protestait avec la dernière énergie et m'appelait d'une voix désespérée, mais je me gardai bien de me montrer. Il fut enfin expulsé un peu brutalement par le maître d'équipage qui n'était rien moins que patient et, dès qu'il fut sur le quai, deux marins, sur un ordre, retirèrent la passerelle.

Caché derrière une des cheminées du bateau, je voyais Manzana s'agiter comme un fou. De temps à autre, il mettait ses deux mains en porte-voix devant sa bouche et hurlait à tue-tête:

– Pipe!.. Edgar Pipe!.. Vous savez bien que nous ne pouvons pas nous quitter ainsi… Rappelez-vous nos conventions… C'est mal ce que vous faites là!.. Prenez garde!..

Déjà le Good Star se mettait en marche et le bruit de ses hélices frappant l'eau à coups saccadés couvrait les appels de mon associé… Je l'apercevais toujours gesticulant sous la pluie, mais peu à peu, il diminua, et ne fut bientôt plus qu'une petite silhouette noire trépignante et grotesque.

Le hasard, on le voit, me servait à souhait une fois encore.

Depuis près de cinq jours, je cherchais le moyen de me débarrasser d'un affreux rasta sans usages qui était de plus fort compromettant et voici que le capitaine du Good Star dénouait, d'un simple geste, une situation qui menaçait de tourner au tragique.

Ah! on a bien raison de dire que la vie n'est qu'une boîte à surprises.

Tout ce que l'homme prépare, élabore avec soin en vue de cette chose insaisissable qu'on appelle le bonheur, tout cela s'écroule en un clin d'œil, au moindre souffle, et c'est presque toujours ce que l'on n'a pas prévu qui finit par s'imposer à nous en bouleversant tous nos projets.

Parfois, ce changement subit nous est funeste… Souvent aussi il nous est favorable, comme c'était le cas ici.

Un étranger s'était fait mon auxiliaire. Ah! comme je le bénissais, ce brave capitaine du Good Star!..

Cependant, je finis, à la réflexion, par m'apercevoir que, pour s'être modifiée de façon assez satisfaisante, ma situation n'en restait pas moins dangereuse.

En effet, Manzana, qui sans être un aigle n'était pas tout à fait un imbécile, ne me lâcherait pas comme cela… et il y avait des chances pour qu'il me retrouvât, soit au Havre, notre première escale, soit en Angleterre, au moment de l'accostage du Good Star… S'il me manquait à cette dernière relâche, j'avais tout lieu de supposer qu'il ne me rejoindrait jamais.

D'ailleurs, où trouverait-il de l'argent pour payer son voyage?

Le Good Star marchait bon train… C'était un superbe cargo, dernier modèle, qui pouvait, en pleine mer, filer ses quinze nœuds, mais en ce moment, il modérait son allure, afin de ne point soulever derrière lui trop de remous. Lorsque nous atteignîmes Villequier, un pilote monta à bord, et nous guida à travers les bancs de sable qui s'égrènent çà et là, sur la Seine, jusqu'à son embouchure.

Après avoir aidé à arrimer la cargaison dans la cale, je m'occupai de la cuisine de l'équipage. Je devais, aux termes de nos conventions avec le capitaine, remplacer momentanément le maître-coq. C'était la première fois de ma vie que je remplissais les délicates fonctions de cuisinier, et je dois dire que je ne m'en tirai pas trop mal. Au lieu de confectionner de ces plats classiques que les connaisseurs apprécient trop facilement, j'improvisai des ragoûts étranges qui échappaient à la critique, et les matelots, à quelques exceptions près, se déclarèrent satisfaits de mes salmigondis. Le maître d'équipage Cowardly daigna même me complimenter sur certaine blanquette sauce poivrade, que je croyais bien avoir affreusement ratée et qui mit le feu au gosier de tous les marins.

Ce que l'on but ce jour-là à bord du Good Star, on ne peut s'en faire une idée.

La manœuvre s'exécuta néanmoins sans trop d'à-coups. Les hommes furent plus gais que de coutume, voilà tout.

Quand nous atteignîmes la mer, nous commençâmes à danser fortement et je ne tardai pas, hélas! à éprouver ce que mes compatriotes appellent le sea-sickness. Je fus horriblement malade et ne me rappelle rien de ma traversée… Je crois toutefois pouvoir affirmer que le capitaine et le maître d'équipage, furieux d'être privés de cuisinier, m'accablèrent d'injures et s'oublièrent même jusqu'à me frapper. Cependant, si abattu, si prostré que je fusse, je trouvais encore la force de palper de temps à autre la pochette qui contenait mon diamant…

Lorsque nous entrâmes enfin dans la Tamise, je retrouvai tous mes moyens, et crus devoir m'excuser auprès du capitaine, mais le charme était rompu; je n'étais plus à ses yeux qu'un être ridicule, une sorte de fantoche encombrant, aussi m'annonça-t-il d'un ton bourru qu'il me retranchait une livre sur ma solde. J'eus l'air navré de cette diminution de salaire, mais au fond, je m'en moquais comme d'une guigne, puisque j'avais toujours en poche la bonne et solide bourse en cuir noir du Révérend Patterson.

Certes, je me retirais bien de l'association que j'avais été obligé d'accepter, le revolver sous la gorge, et j'estimais comme le nommé Pangloss que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ah! il devait en faire une tête, en ce moment, le Senor Manzana!

Je me le représentais courant à travers les rues de Rouen, comme un chien perdu, dans la boue, et ma foi, j'avoue qu'il ne m'inspirait nulle compassion.

Bien que je m'efforçasse de me rassurer complètement, une crainte finit cependant par me hanter et par s'incruster dans ma cervelle avec l'obstination d'une idée fixe.

Si Manzana s'était fait prendre!..

Qui sait si un agent de police ne l'avait point arrêté! Si cela s'était produit, j'étais sûr de mon affaire. Le gredin me dénoncerait et peut-être serais-je «cueilli» en débarquant sur le sol anglais.

J'avais remarqué que le Good Star avait un poste de T. S. F., et que l'on avait reçu plusieurs radios depuis notre départ. Je ne serais vraiment tranquille que lorsque j'aurais franchi la passerelle du cargo et j'aspirais à cet heureux moment, avec une émotion que l'on comprendra.

Il arriva enfin!

Le Good Star s'amarra à quai, dans le bassin Sainte-Catherine, en amont de Tower-Bridge, et l'on procéda immédiatement au débarquement des marchandises.

Nul agent ne m'attendait au ponton d'accostage… Manzana, en admettant qu'il eût prévenu la police, s'y était pris trop tard… J'étais maintenant dans mon pays, libre de mes mouvements, libre de mes actes et avec de l'argent en poche… Rien ne m'empêchait plus de passer en Hollande pour y vendre mon diamant.

L'incident Manzana ne m'avait, en somme, retardé que de quelques jours.

Ah! quelle riche idée j'avais eue de conserver le Régent sur moi après la petite expédition de l'hôtel d'Albion!

Je procédai au déchargement du Good Star avec un courage et un entrain extraordinaires… Jamais je n'avais eu tant de cœur au travail. Il me semblait qu'une vie nouvelle s'ouvrait devant moi. Tout en «coltinant» les caisses et les balles qu'un treuil à vapeur extrayait des flancs du cargo, je chantais éperdument et Cowardly dut, à deux reprises, me prier de mettre une sourdine à mon «gueuloir» pour employer sa propre expression.

Le débarquement terminé, je touchai ce qui me revenait, puis je pris congé du capitaine et du maître d'équipage.

 

Je cessais d'être marin pour redevenir gentleman, mais quelques instants plus tard, en passant devant la glace d'une boutique, je m'aperçus que je ressemblais plutôt à un «beggar» qu'à un gentleman.

Mon linge n'était plus douteux, il était franchement sale. Quant à mes habits, ils auraient eu besoin d'un sérieux coup de fer.

Je ne pouvais songer, vêtu comme je l'étais, à me risquer dans un quartier trop fréquenté où j'eusse immédiatement attiré l'attention des promeneurs et peut-être aussi celle des gens de police. A Londres, je n'avais rien à craindre, n'ayant aucun méfait connu sur la conscience, mais il arrive fréquemment que les individus suspects sont «raflés», conduits au poste, interrogés, fouillés, puis remis ensuite en liberté, avec des excuses.

Ces sortes d'arrestations qui ne sont jamais maintenues, en Angleterre, sont, par un joyeux euphémisme, appelées «présentations». Elles ne tirent pas à conséquence et constituent ce que l'on pourrait appeler une «mesure préventive», mais j'avais de sérieuses raisons pour ne point me laisser englober dans une de ces rafles dont l'issue eût été désastreuse pour moi. Un gentleman, de si bonne famille soit-il, n'a point pour habitude de se promener avec un diamant de cent trente-six carats dans sa poche…

Réfrénant, pour l'instant, les idées de luxe et de confort qui ont toujours exercé sur moi une irrésistible attraction, je choisis, dans un quartier de troisième ordre, un hôtel assez misérable qui portait pour enseigne: «Au Poisson Bleu». Il était situé dans Caledonian Road et fréquenté (je le constatai bientôt) par des gens assez louches aux professions multiples et à la mine plutôt inquiétante. Je ne fis, bien entendu, que poser le pied dans cet hôtel: juste le temps de passer une chemise neuve achetée dans un magasin des environs, de me donner un coup de brosse et de me faire cirer. Je me rendis ensuite chez le coiffeur, puis chez le chapelier et enfin chez un vieux tailleur juif qui consentit à donner sur l'heure un coup de fer à mes vêtements. Après ces diverses opérations, dont, le lecteur appréciera la nécessité, je me risquai gaillardement dans le centre de Londres.

Quelques instants après, j'étais confortablement installé dans un restaurant de Leicester Square, et pour la première fois depuis la nuit de Noël, je pouvais enfin dîner tranquille.

Mon repas terminé, j'allumai un superbe «cubanola», sirotai quelques liqueurs, puis sortis après avoir réglé ma note qui se montait à deux livres six shillings. Je me traitais bien, comme on voit, mais j'avais droit, ce me semble, à ce petit «dédommagement» après les heures sinistres que j'avais passées en compagnie de Manzana.

Dehors, sur la place, des rampes électriques fulguraient dans la nuit, au-dessus des larges baies d'un music-hall…

– Tiens, me dis-je, pourquoi pas?

Et le cigare à la bouche, le chapeau en arrière, la figure aussi rouge que la tunique d'un horse-guard, j'entrai à l'Alhambra.

La musique jouait, à ce moment, une scie en vogue que le public reprenait en chœur au refrain, et dont les paroles étaient celles-ci, à une légère variante près:

 
Tout va bien, tout est bien,
Nous avons, Symphorien,
Une veine… une veine,
Une veine de chien!
 

Cet air et ce couplet étaient pour moi de bon augure et, en m'acheminant vers le promenoir, je fredonnais tout guilleret: «Une veine… une veine… une veine de chien», quand, brusquement, je demeurai cloué sur place, bouche bée, bras ballants.

Une femme en toilette tapageuse était là, devant moi, me regardant avec effarement, et cette femme, c'était Edith… cette petite dinde d'Edith, cause de tous les tourments que j'avais endurés depuis ma visite nocturne au musée du Louvre.

Elle s'attendait sans doute à un éclat de ma part, mais quand elle vit qu'au lieu de prendre une mine courroucée, j'avais le sourire aux lèvres, elle se jeta dans mes bras, en murmurant:

– Oh! Edgar! Edgar! pardonnez-moi!..

Le public amusé par cette petite scène qui, en tout autre endroit eût paru scandaleuse, battait des mains, trépignait de joie et hurlait en me désignant:

 
Tout va bien, tout est bien,
Il a une veine de chien…
 

J'entraînai Edith au vestiaire, l'aidai à mettre son manteau et nous sortîmes.