Za darmo

Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires

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XI
COMMENT ON SÈME LES GÊNEURS

Je n'étais pas dupe du «bon garçonnisme» de Bill Sharper et je savais très bien que le drôle ne pensait pas un mot de ce qu'il disait, mais comme ce qu'il nous proposait servait mes intérêts aussi bien que les siens, je déclarai me rallier à sa proposition. Quant à Manzana, fourbe comme toujours, il se fit tirer l'oreille, prétendit qu'il n'avait pas très bien compris, mais finit par accepter. Alors, nous dressâmes nos batteries et préparâmes les réponses que nous ferions au chief-inspector.

Les choses se passèrent comme nous l'espérions. Manzana et Bill Sharper avouèrent s'être trompés et m'avoir attaqué à tort, et moi, de mon côté, je retirai ma plainte. Le chief-inspector, après nous avoir adressé un petit speech aigre-doux, nous fit remettre en liberté.

Dès que nous nous retrouvâmes tous trois dans la rue, Bill Sharper et Manzana, au lieu de me quitter, m'emboîtèrent le pas avec insistance, sous prétexte que de bons camarades comme nous ne devaient plus se séparer.

Je devinai immédiatement quel était leur but. Les misérables voulaient m'entraîner dans quelque bouge et là renouveler sur moi la tentative qui avait échoué la veille.

L'expérience m'avait rendu prudent et je me tenais sur mes gardes.

– Voyez-vous, me dit Bill Sharper, le tout est de s'entendre, camarade. Maintenant que la paix est faite, nous allons dîner ensemble.

– Avec plaisir, répondis-je, mais il faut auparavant que j'aille retrouver le capitaine Wright qui doit certainement se demander ce que je suis devenu…

– Le capitaine Wright! s'écria Bill Sharper, je le connais, c'est un de mes meilleurs amis… J'irais bien le voir avec vous, mais je suis obligé de retourner à Pensylvania Road. Vous me retrouverez au Swan Hôtel, où je vous attendrai avec Manzana.

– C'est cela, dis-je… dans une heure, je serai au Swan…

Nous nous serrâmes la main et nous nous séparâmes.

J'avais à peine fait une centaine de mètres que je m'arrêtai soudain: je venais de remarquer que j'étais suivi. Je m'en doutais, d'ailleurs, car j'avais, l'instant d'avant, remarqué que Manzana avait fait un petit signe à deux affreux mendiants.

Il y a entre les malfaiteurs de Londres une sorte de franc-maçonnerie; ils se soutiennent et se reconnaissent à certains gestes, ou même à un simple coup d'œil.

Mes ennemis me faisaient «filer».

M'approchant brusquement des ignobles individus qui m'emboîtaient le pas, je leur dis en les menaçant du doigt:

– Vous autres, si vous continuez à me suivre, je vous signale à un policeman…

Les deux drôles jouèrent l'étonnement et jurèrent leurs grands dieux qu'ils ne me suivaient pas…

Pendant qu'ils se répandaient en protestations, je hélai un taxi, jetai une adresse quelconque au cabman et les laissai, tout interdits, au milieu de la rue.

Lorsque j'eus roulé pendant une demi-heure, je descendis, réglai le chauffeur et m'enfonçai dans la première rue qui se trouva devant moi.

Mon intention n'était pas, comme on le suppose, de retourner à bord du Humbug… Je ne savais pas encore ce que j'allais faire, mais j'étais résolu à quitter Londres coûte que coûte… Par bonheur, Bill Sharper et Manzana n'étaient point parvenus à me «subtiliser» mon portefeuille. Je pouvais donc monter dans un train quelconque et mettre plusieurs dizaines de kilomètres entre mes ennemis et moi.

Comme je me trouvais dans les environs de Waterloo-Station, je résolus de prendre un billet pour Southampton. Une fois dans ce port, je tâcherais de me faire embarquer sur quelque bâtiment en partance pour l'étranger.

Après avoir jeté un rapide coup d'œil derrière moi, je m'apprêtais à entrer dans la gare, quand un gentleman vêtu à la dernière mode me posa familièrement la main sur l'épaule, en disant:

– Tiens! M. Edgar Pipe!..

C'était Allan Dickson, le roi des détectives, celui qui, on se le rappelle, m'avait arrêté quelques années auparavant, dans cet hôtel de Kensington où je me croyais si bien caché.

Je saluai le gentleman et allais continuer mon chemin, quand il me retint:

– Eh quoi! monsieur Pipe, dit-il, vous ne semblez pas satisfait de me revoir… Est-ce que vous me garderiez rancune au sujet du petit incident du Victoria Palace? Si cela était, vous auriez tort, car si je vous ai arrêté, avouez que c'était un peu votre faute… Vous m'avez demandé, alors, je suis venu…

– C'est vrai, dis-je en souriant, excusez-moi… mais vous comprenez…

– Oui… oui… je comprends… on n'aime guère revoir les gens qui… enfin… vous n'avez plus rien à craindre, maintenant, puisque vous avez payé votre dette… J'avoue que le tribunal vous a un peu «salé», mais vous êtes malheureusement tombé sur des juges très sévères… Une semaine plus tard, vous auriez eu la chance de vous en tirer avec deux ans, car c'était M. Serey, le bon Juge, comme nous l'appelons, qui présidait les audiences… Que voulez-vous?.. on ne peut pas toujours avoir de la chance… Mais à propos, il paraît que vous êtes un héros?

– Moi?

– Oui, vous…

Et, comme j'avais l'air étonné:

– Quel homme modeste vous faites, monsieur Pipe, et moi qui vous croyais vaniteux en diable… Voyez comme on se trompe parfois… Ainsi, vous ne vous souvenez même plus de l'acte de courage qui vous a valu récemment une réduction de peine…

– Ah! oui, l'incendie de Reading…

– Il paraît que vous avez été merveilleux…

– J'ai fait mon devoir, voilà tout.

– Vous avez fait plus que votre devoir, mon ami, car rien ne vous forçait à vous jeter au milieu des flammes pour sauver vos camarades… Je suis au courant, le directeur m'a tout raconté et je vous avoue que j'ai été émerveillé de votre audace… oui, là, sérieusement… et, tenez, je vais vous faire un aveu: maintenant que je vous connais mieux, je serais désolé d'avoir à vous arrêter de nouveau.

– Je pense que vous n'aurez pas cette peine, car je suis décidé à redevenir un honnête homme.

Allan Dickson me regarda en souriant, et me frappant sur l'épaule:

– C'est très bien cela, dit-il… et je suis heureux de vous voir adopter cette belle résolution… Que faites-vous, à présent?.. vous êtes marin, ce me semble?.. Très bien, cela… Rien de tel que les voyages pour vous changer les idées… Et vous partez bientôt?

– Je devais partir, mais le bateau à bord duquel j'étais engagé a eu une avarie…

– De sorte que vous êtes encore à Londres pour quelque temps?

– A moins que je ne trouve un autre bâtiment prêt à appareiller…

Pendant que je parlais, Allan Dickson regardait de temps à autre autour de lui, d'un air méfiant…

– Est-ce que ce n'est pas un de vos amis qui vous attend là-bas?.. demanda-t-il, en me désignant d'un coup d'œil un individu de mauvaise mine qui se tenait près du guichet des billets…

– Non… répondis-je, personne ne m'attend… et, d'ailleurs, je n'ai plus d'amis…

– Cependant, cet homme semble singulièrement s'intéresser à vous…

– Possible!.. mais je ne le connais pas… à moins… mais, oui, j'y songe…

– A moins? fit Allan Dickson en me regardant fixement…

– Ecoutez, lui dis-je, vous pouvez me rendre un grand service et, du même coup, débarrasser Londres de deux gredins dangereux.

– Je suis tout oreilles… De quoi s'agit-il?

– Voici: Je vous ai dit, tout à l'heure, que je m'efforçais de redevenir un honnête homme…

– Et je vous félicite de cette résolution…

– Oui… mais c'est plus difficile que je ne croyais…

– Et pourquoi?

– Parce que, lorsqu'on a vécu, comme moi, au milieu de gens sans aveu, on retrouve toujours sur sa route des misérables prêts à vous faire chanter… On est rempli de bonnes intentions, on s'efforce de reprendre sa place dans la société, de vivre honnêtement de son travail, mais on a compté sans les gredins qui vous ont connu autrefois et qui se dressent toujours devant vous, au moment où l'on voudrait les savoir à dix pieds sous terre… Depuis que je suis sorti de prison, je n'ai pas eu, je vous l'assure, une minute de tranquillité…

– Mais, objecta Allan Dickson, qu'avez-vous à craindre des gens dont vous parlez?.. Vous avez payé votre dette, la justice n'a rien à vous reprocher…

– C'est vrai, mais supposez que demain, je trouve une situation honorable, ces misérables ne manqueront pas de faire savoir à celui qui aura consenti à m'employer que je suis un ancien pensionnaire de Reading…

– Vous n'ignorez pas que la loi punit les calomniateurs…

– Oh… si peu!.. et puis ceux qui emploient de pareils moyens demeurent, la plupart du temps, introuvables… n'empêche que leur coup a porté… Un beau matin, on est congédié, sans motif, et on doit se mettre à la recherche d'un nouvel emploi… Pendant ce temps, on tombe souvent dans la misère et on en arrive à perdre tout courage…

– Mon cher Pipe, me dit Allan Dickson, vous m'avez l'air, en ce moment, de voir tout en noir… Il faut vous remonter, by God!

– Hélas! je le voudrais, mais la fatalité me poursuit…

– N'employez donc pas de ces grands mots-là… Est-ce que ça existe, la fatalité?.. Allons, au revoir… tâchez de persévérer dans vos bonnes intentions et si quelqu'un cherche à vous nuire, venez me trouver… j'aurai vite fait de vous débarrasser de ce gêneur…

– Merci… il se pourrait que j'eusse besoin de vous avant peu…

– Tout à votre disposition, mon cher Pipe, vous savez où je demeure?.. Non?.. tenez, voici ma carte… Je suis toujours chez moi le matin, de dix heures à midi… Allons, good bye!.. et bon courage!

Et le détective, tournant les talons, disparut dans une des salles d'attente de la gare.

Resté seul, je réfléchis un instant et j'étais, je l'avoue, assez perplexe.

Devais-je quitter Londres avant d'avoir dénoncé à Allan Dickson Bill Sharper et Manzana? J'avais eu un moment l'idée de raconter au détective les petites expéditions de ces deux bandits, mais l'affaire du diamant m'avait retenu.

 

Je me dirigeai donc vers le ticket-office et pris modestement un billet de troisième. Un train partait pour Southampton à six heures trente… Il était six heures, j'avais par conséquent une demi-heure devant moi. J'entrai dans un petit restaurant situé en face de la gare et me fis servir un «ox-tail soup», une tranche de roast-beef et une bouteille de bière. J'avais à peine absorbé mon «ox-tail» que la porte du restaurant s'ouvrait tout à coup, livrant passage à deux hommes: Bill Sharper et Manzana!

Etait-ce le hasard qui les avait conduits dans l'établissement où je me trouvais? M'avaient-ils fait suivre? Cette dernière hypothèse était la plus admissible.

Ils s'avancèrent vers moi, d'un air grave, comme des gens qui ont une importante mission à remplir, et, arrivés devant ma table, s'arrêtèrent brusquement, en me regardant de façon inquiétante. Ils étaient tous deux très pâles et je remarquai que les mains de Manzana étaient agitées d'un tremblement convulsif.

– Tiens! vous voilà, dis-je, sans paraître remarquer le trouble de mes ennemis… mais asseyez-vous donc, je vous en prie… Voulez-vous accepter quelque chose?

– Il ne s'agit pas de cela, répondit Bill Sharper… nous avons une explication à vous demander…

– Une explication?.. parlez… je vous écoute.

– Non… pas ici… sortons.

– Comme vous voudrez… mais laissez-moi au moins achever cette tranche de roast-beef…

– Non… sortons immédiatement.

J'affectais toujours le plus grand calme, mais je sentais mon cœur battre à coups précipités dans ma poitrine.

– Très bien, dis-je, je suis à vous.

Et, après avoir réglé ma note, je me levai et suivis Bill Sharper et Manzana.

Ils m'entraînèrent dans la gare de Waterloo et là, en un coin désert, ils s'expliquèrent enfin. Ce fut Manzana qui prit la parole. Sa voix tremblait et il avalait la moitié de ses mots:

– Monsieur Pipe, me dit-il, d'un ton qu'il s'efforçait de rendre solennel, vous êtes un traître.

– Un traître?

– Oui, ne faites pas l'étonné, vous savez parfaitement ce que je veux dire.

– Je vous assure…

– N'assurez rien… je vous répète que vous êtes un traître… et je le prouve…

– Oui, parfaitement… nous pouvons le prouver, appuya Bill Sharper de sa grosse voix de basse…

– Je le prouve, reprit Manzana, qui devenait de plus en plus nerveux… Vous vous êtes sans doute imaginé que nous sommes des imbéciles auxquels on peut monter le coup comme à des conscrits… mais nous sommes plus malins que vous, monsieur Pipe… oui, dix fois plus malins que vous… Nous avons aussi plus d'honnêteté, car lorsque nous donnons notre parole, nous avons l'habitude de la tenir…

– Parfaitement, grogna Sharper…

– Mais vous, monsieur Pipe, poursuivit Manzana, vous ignorez ce que c'est qu'une parole d'honneur…

Ces circonlocutions ridicules commençaient à m'agacer…

– Au fait, dis-je… où voulez-vous en venir?

– Ne faites pas votre petit saint Jean, railla mon ex-associé… vous savez très bien ce que je veux dire…

– Pas le moins du monde… expliquez-vous… je commence à perdre patience…

– C'est dommage… oui, c'est vraiment dommage!.. Ah! monsieur Edgar Pipe perd patience… Monsieur Edgar Pipe est devenu bien irritable.

Et, tout en parlant, Manzana se rapprochait de moi, menaçant, agressif… Bill Sharper ricanait en balançant son énorme tête…

– Vous voulez des explications, dit Manzana… eh bien! nous allons vous en donner, canaille… traître! mouchard!.. Oui, nous sommes fixés sur votre compte… vous êtes un «indicateur»… vous renseignez les détectives… on vous a vu faire vos confidences à Mr Allan Dickson… mais je vous préviens que vous êtes «filé»… que vous aurez continuellement quelqu'un à vos trousses et – retenez bien ceci – si vous avez le malheur de revoir Allan Dickson… eh bien… nous vous saignerons comme un poulet… vous entendez… comme un poulet…

– Parfaitement, grinça Bill Sharper en tirant à demi de sa poche un énorme couteau à cran d'arrêt…

Je consultai l'horloge de la gare… Il était exactement six heures vingt-neuf, le train de Southampton partait dans une minute et quelques retardataires piquaient, dans la direction du quai d'embarquement un pas de gymnastique effréné.

– Au revoir, messieurs, m'écriai-je subitement.

Et plantant là mes deux ennemis, je pris ma course vers le train… Manzana et Sharper se lancèrent à ma poursuite, mais quand ils arrivèrent à l'entrée du quai, la grille se referma brusquement. Pendant qu'ils couraient à la porte de la salle des bagages, le train se mit en marche et j'aperçus de loin Manzana qui me montrait le poing.

XII
«LE SEA-GULL»

J'avais «semé» mes ennemis, mais je n'étais pas encore sauvé. Les drôles étaient bien capables de me signaler à la police et de me faire arrêter, au débarcadère de Southampton. Il leur suffisait d'aller trouver le chef de gare, de lui raconter une histoire quelconque et la farce était jouée. On me ramènerait à Londres et c'était tout ce que désiraient les affreux chenapans qui avaient juré d'avoir ma peau.

Je résolus donc de descendre en cours de route.

A Byfleet, la première station à laquelle s'arrêtait le train, j'ouvris la portière et sautai sur le quai. Ce n'est que le surlendemain seulement que je me risquai à gagner Southampton.

Maintenant, il s'agissait de quitter l'Angleterre le plus vite possible et je m'abouchai immédiatement avec quelques matelots qui m'indiquèrent les bâtiments en partance.

Je m'étais imaginé que j'arriverais facilement à m'embarquer, mais je m'aperçus bientôt que tous les capitaines n'étaient pas aussi «coulants» que le capitaine Wright. Tous me demandèrent des papiers, exigèrent des références et je me vis blackboulé partout où je me présentai.

Je commençais à perdre courage, quand un matelot qui fumait sa pipe, assis sur une borne, me donna un renseignement utile:

– Ecoutez, camarade, me dit-il, si vous tenez absolument à trouver un engagement, je connais un bateau sur lequel on vous prendra sans doute, mais vous savez, c'est un bateau bizarre…

– Qu'importe… comment s'appelle-t-il?

– Le Sea-Gull… Tenez, c'est ce voilier blanc qui est amarré à quai, entre le paquebot de France et la malle de Jersey.

– Vous pourriez me recommander?

– Oh! pour ça, non!.. Je ne connais personne à bord… Présentez-vous vous-même, vous verrez bien ce qu'on vous dira… Le patron de ce Sea-Gull recrute en ce moment son équipage… Il y a quatre garçons qui ont déjà été engagés. Essayez toujours, vous verrez.

– Merci, dis-je, je vais suivre votre conseil.

Et je me dirigeai vers le Sea-Gull.

C'était un grand yacht blanc gréé en brick-goélette; le mât de misaine était à phares carrés; le grand mât avait une voile à corne et un «flèche». A l'arrière, on voyait un capot vitré sur les côtés duquel étaient accrochées deux bouées.

Aucune passerelle ne reliait le yacht au quai.

– Pourrais-je parler au patron? demandai-je à un matelot qui était en train de briquer avec ardeur le tillac du bateau…

L'homme me regarda d'un air ahuri… puis mit son index à son oreille et secoua négativement la tête, pour me faire comprendre qu'il était sourd.

Je m'adressai à un autre marin, un grand diable, maigre comme une flamme de sémaphore, et jaune comme un citron.

Il fit un geste auquel je ne compris rien et disparut par une écoutille.

Ils sont bizarres, en effet, pensai-je, les gens du Sea-Gull

Après avoir interpellé encore deux autres matelots, sans obtenir de réponse, j'allais battre en retraite, quand un gros homme vêtu d'un complet de molleton bleu et coiffé d'une casquette galonnée, apparut sur le pont.

– Pardon, monsieur, lui criai-je… je désirerais parler au patron du Sea-Gull.

– Le patron du Sea-Gull, c'est moi… Que me voulez-vous?

– J'ai entendu dire que vous cherchiez des hommes d'équipage… et… je viens me proposer.

– J'ai en effet besoin de matelots… mais ce qu'il me faut surtout, ce sont de bons gabiers… êtes-vous gabier?

– Oui, patron…

– Il y a longtemps que vous servez?

– Oh! dix ans au moins.

– C'est bien, embarquez…

Je crus que l'on allait m'envoyer la passerelle, mais personne ne bougea à bord du yacht…

– Eh bien? avez-vous entendu?

– Oui, patron… mais…

– Mais quoi?

– La passerelle?..

– La passerelle… est-ce que vous supposez qu'on va la placer exprès pour vous?.. Sautez dans les haubans…

Au risque de me rompre le cou, je pris mon élan, fis un bond de deux mètres, parvins à saisir un des haubans de bâbord et me laissai glisser sur le pont du bateau. Je m'étais affreusement écorché les mains, mais il faut croire que la petite gymnastique à laquelle je venais de me livrer avait émerveillé le gros homme, car il dit en hochant la tête:

– Parfait!.. vous jouez la difficulté, à ce que je vois… vous avez voulu m'épater… approchez un peu…

Je m'avançai, joignis les talons et demeurai immobile…

Le patron m'examina pendant quelques instants, envoya par-dessus bord un jet de salive noire et me dit:

– Vous avez toujours servi sur les bâtiments de commerce?

– Oui, patron…

– Appelez-moi capitaine…

– Oui, capitaine.

– Etes-vous déjà allé aux Indes?

– Oui, capitaine.

– Par le canal ou par le Cap?

– Plaît-il?

– Je vous demande si c'est par Suez ou par le Cap?

– Par Suez…

– Bien entendu!.. par Suez!.. Ils sont tous les mêmes… Ça ne pense qu'à se faire remorquer ces cocos-là… Eh bien, moi, tel que vous me voyez… j'ai trente ans de navigation… vous entendez… trente ans… et je ne l'ai seulement jamais vu votre sale canal… Moi, ma route, c'est le Cap… oui, mon ami… Southampton, Lisbonne, Madère, Bonne-Espérance, Zanzibar, les Maldives et Ceylan… Voilà la vraie route des Indes et celui qui me dirait le contraire, je lui enverrais immédiatement ma botte dans le bas des reins… Il n'y a que les marins d'occasion qui passent par le canal…

Le capitaine cracha de nouveau et reprit d'un ton méprisant:

– Oui, les marins d'occasion… ceux qui apprennent la navigation dans les écoles… mais les vieux routiers comme moi doublent toujours le Cap…

– Le fait est, approuvai-je, que par le Cap…

– C'est bon… montrez-moi un peu vos papiers…

– Mes papiers?.. Je vais vous dire… hier soir, je les avais encore, mais ce matin, en me réveillant…

– Oui, je vois… vous vous êtes saoulé hier comme un Ecossais et vous vous êtes fait dévaliser… Ah! bougre d'ivrogne, vous vous en êtes envoyé des verres de gin et de whisky, hein? Combien?

– Je ne sais… une vingtaine, peut-être.

– Une vingtaine!.. seulement… et c'est ça qui vous a tourné la tête… Ah! ah! ah! les voilà bien les marins d'aujourd'hui, ça se saoule avec vingt petits verres!.. De mon temps, mon garçon, il fallait deux pintes de schnick pour nous coucher par terre… oui, deux pintes et il y en avait même qui allaient jusqu'à trois… Décidément, il n'y a plus d'hommes aujourd'hui… Enfin, ça n'est pas tout ça… vous n'avez pas de papiers… pas même un simple certificat… Sur un navire de commerce, on vous ferait arrêter, mais moi, je m'en moque… Ce ne sont pas les papiers qui font les bons marins. Si je vous ai demandé les vôtres, c'était pour la forme… Ici, à mon bord, personne n'a de papiers… Je ne sais même pas le nom de mes hommes… Ils se présentent, je les accepte, et les baptise aussitôt… Passons aux conditions. Nous allons aux Indes… c'est vingt-cinq livres pour la traversée… autant pour le retour… ça vous va?

– Oui, capitaine.

– Bon… maintenant, on ne descend pas à terre aux escales…

– Cela m'est égal.

– La discipline ici est très sévère… Comme je suis le maître, le seul maître, entendez-vous, à bord du Sea-Gull, j'ai tenu à y maintenir les anciennes traditions de la marine à voiles… Je vous donnerai d'ailleurs une copie du règlement. Donc, nous sommes d'accord, n'est-ce pas?

– Oui, capitaine.

– Eh bien, vous êtes des nôtres… à partir d'aujourd'hui, vous vous appelez «Colombo»… chaque marin du Sea-Gull porte le nom d'une ville maritime… Venez, je vais vous présenter à Cardiff, le maître d'équipage.

Le capitaine s'engagea dans une écoutille et je descendis derrière lui. Nous suivîmes la coursive d'entrepont et arrivâmes dans une petite pièce carrée qui prenait jour par un hublot.

Un homme gigantesque, assis sur une caisse, se dressa à demi, dès que nous pénétrâmes dans la chambre. C'était Cardiff. Jamais de ma vie je n'ai vu pareil colosse. Je ne puis mieux comparer Cardiff qu'à un gorille du Gabon. Sa tête énorme, au front bas, ses yeux gris mobiles et perçants, enfouis sous des sourcils broussailleux, sa poitrine vaste et velue, ses bras démesurément longs, ses jambes torses reposant sur deux gros pieds plats, tout en lui rappelait le singe anthropoïde de l'Afrique Equatoriale.

 

– Cardiff, dit le capitaine, voici un nouveau gabier… Il ne nous manque plus que trois hommes… Dès que je les aurai trouvés, nous appareillerons…

– Hon!.. fit l'homme-gorille.

– Pour l'instant, gardez-le près de vous et faites-lui lire le règlement du bord.

– Hon!..

– Ensuite, vous lui ferez préparer les feux.

– Hon!..

– Vous pourrez aussi lui faire faire quelques épissures…

– Hon!..

Lorsque le capitaine eut disparu, Cardiff s'assit sur son coffre, alluma une petite pipe en terre, en tira quelques bouffées et prit dans sa poche un carnet tout crasseux qu'il me tendit en disant:

– Règlement…

Il était plutôt dur, le règlement… mais bah!.. j'étais prêt à tout accepter pour échapper à Bill Sharper et à Manzana. Tant que nous n'aurions pas quitté Southampton, je ne serais pas tranquille. Mes ennemis pouvaient encore me découvrir. Il leur suffisait pour cela de questionner quelques marins du port…

Bien que Manzana et Bill Sharper ne fussent point très perspicaces, ils ne manqueraient pas quand même, en apprenant qu'il y avait à quai un navire suspect, de venir s'informer si je ne faisais point partie de l'équipage. Dans quel navire, en effet, pouvais-je me réfugier, si ce n'était dans un navire suspect?

Je tremblais, à chaque instant, de voir apparaître mes deux gredins.

Quand j'eus parcouru le fameux règlement que Cardiff m'avait présenté, je demandai au colosse s'il désirait que je lui rendisse quelque service.

Il secoua négativement la tête.

Pendant près d'une heure, nous demeurâmes en face l'un de l'autre, sans parler. Cardiff, toujours assis sur sa caisse, moi, debout devant lui. De temps à autre il me décochait un regard en dessous, puis retombait dans son assoupissement de brute.

Quel singulier type que ce maître d'équipage sous les ordres duquel j'allais me trouver désormais! Tout d'abord, je l'avais pris pour un Gallois, mais à quelques mots qu'il prononça enfin je reconnus qu'il était Ecossais.

Lorsqu'il eut fumé deux pipes, il se leva, mais il était tellement grand qu'il était obligé de marcher en baissant la tête, car l'endroit où nous nous trouvions n'avait pas plus d'un mètre soixante-quinze de hauteur et Cardiff, je l'ai dit, était un géant. Après avoir tourné dans la chambre, il sortit d'un équipet une grosse bouteille verte, la déboucha lentement, puis en porta le goulot à ses lèvres. Quand il remit le bouchon, une forte odeur de gin se répandit dans la pièce. Cardiff me regarda; ses yeux gris luisaient comme des projecteurs et son affreux visage avait maintenant une expression étrange.

Il ralluma sa pipe et reprit son impassibilité de Bouddha.

Je commençais à trouver le temps long en compagnie de ce marin silencieux, lorsqu'un coup de sifflet retentit soudain sur le pont du navire.

Cardiff eut un grognement, s'étira en faisant craquer ses énormes membres, puis se dressa, comme à regret, en disant:

– Come, mate!9

Et il me poussa doucement devant lui.

Ce qui me surprit, ce fut que Cardiff m'appelât mate. Ce mot, en argot maritime, signifie camarade, et n'est guère employé qu'entre matelots de même grade ou de même spécialité. Il est très rare qu'un maître d'équipage appelle ainsi un subordonné.

J'en conclus que Cardiff, malgré son apparence bestiale, n'était pas au fond un méchant homme… c'était un ours, un ours mal léché sans doute, mais avec lequel il serait peut-être possible de s'entendre.

Sur le pont du Sea-Gull, nous trouvâmes tout l'équipage réuni… et quel équipage, grand Dieu! Il y avait là des nègres, des Malais, des Hindous, des Chinois et des hommes de race indécise.

L'Europe était représentée par le capitaine, Cardiff, trois matelots et moi.

Tous ces marins semblaient très dociles, et rompus à la plus sévère discipline. L'appareillage se fit avec un ensemble parfait; les ordres étaient exécutés avec une merveilleuse précision et dans le plus profond silence.

On eût cru assister à une de ces scènes de féerie magistralement réglées comme on en voit quelquefois à l'Olympia de Londres.

J'aidai mes nouveaux camarades à étarquer la grand'voile, pendant que d'autres hissaient le foc et le grand foc.

Le capitaine, sûr de sa manœuvre, avait refusé l'aide d'un remorqueur.

Sur les quais, une foule de curieux assistaient à l'appareillage, se demandant sans doute comment le Sea-Gull arriverait à se déhaler, au milieu de tous les bateaux qui encombraient le port.

Les amarres furent larguées et le navire, plein vent arrière, glissa doucement sur le Southampton Water. Le capitaine se tenait à la barre, attentif, le sourcil froncé, modifiant insensiblement, pour éviter un empannage, la direction de son bâtiment. Lorsque nous atteignîmes la pointe de Calshot, comme nous avions maintenant de l'espace devant nous, il lança un coup de sifflet. Tous les hommes de l'équipage se rangèrent au pied des haubans de bâbord et de tribord attendant les ordres.

Je m'étais joint à eux, mais j'avoue qu'à ce moment mon cœur battait plus vite que l'habitude… Je comprenais que nous allions monter dans la mâture et je me sentais plutôt mal à l'aise, car c'était la première fois que je remplissais les délicates et périlleuses fonctions de gabier.

J'aurais préféré faire partie de l'équipe du grand mât qui, elle, n'était astreinte à aucune gymnastique et n'avait qu'à peser sur les drisses de grand'voile et de flèche, mais j'étais désigné pour la misaine où il y avait cinq vergues à guinder: le cacatois, le perroquet, le volant, le fixe et la vergue basse. Il faudrait assujettir les voiles d'étai et, pour cela, demeurer en équilibre sur les barres, au risque de piquer une tête dans le vide.

Le capitaine, qui tenait le gouvernail d'une main et son sifflet de l'autre, lança un nouveau commandement et les matelots s'accrochant aux échelles de haubans montèrent dans la mâture. J'eus la chance d'être désigné pour la vergue basse et me tirai assez bien de l'effort que l'on exigeait de moi. S'il m'eût fallu grimper jusqu'au cacatois, je crois bien que je n'aurais pas tardé à décrire dans l'espace une fâcheuse trajectoire.

Lorsque les vergues furent brassées, un coup de sifflet nous rappela tous sur le pont et je commençai à respirer plus librement.

Maintenant, Cardiff avait remplacé le capitaine à la barre. Nous étions dans le Solent et le navire filait grand largue avec un petit clapotement qui devenait de plus en plus bruyant à mesure que la vitesse augmentait.

A présent, j'étais libre: bientôt plusieurs milles me sépareraient de la Grande-Bretagne et comme nous n'avions pas la T. S. F. à bord, nous allions nous trouver pour longtemps sans communication aucune avec la terre. Manzana et Bill Sharper n'étaient décidément plus à craindre.

Edgar Pipe et son diamant fuyaient vers les régions lointaines!..

9Viens, camarade.