Za darmo

Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires

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III
HORRIBLE VISION

Je regrettai, quelques instants après, ce que je venais de dire, mais, tant pis! le sort en était jeté…

D'ailleurs, qu'avais-je à craindre?.. De deux choses l'une: ou mon codétenu parviendrait à s'emparer de mes bottines, ou cela lui serait impossible… Il n'aurait certainement pas l'idée de regarder dans le «talon droit»… Il n'y avait qu'une chose à craindre: c'était qu'il ne se fît pincer, mais il saurait probablement déjouer la surveillance des gardiens. Une fois en possession de ma précieuse chaussure, je retirerais du talon le diamant qui s'y trouvait caché et le dissimulerais habilement dans quelque coin de ma cellule…

Quant au projet d'évasion, j'y songerais ensuite, mais rien n'était moins sûr que sa réussite.

Ma foi, tant pis!.. le principal était, pour l'instant, de rentrer en possession de mon diamant!

Ah! avec quelle joie je le palperais de nouveau!.. Avec quel bonheur je le regarderais, la nuit, dans ma cellule, à la lueur de la petite ampoule placée près de mon lit!.. Cette fois, j'en étais sûr, personne ne viendrait me le prendre, car je lui trouverais une petite cachette bien close, une petite niche invisible…

Il me semblait que je supporterais tout sans me plaindre, que je «pédalerais» même avec une joie féroce, si je pouvais retrouver mon Régent…

Ce serait certes la première fois que l'on verrait un «détenu millionnaire» faire tourner la roue de Reading…

Oui, mais voilà!.. si toute évasion était impossible, aurais-je la force de supporter quatre ans encore les tortures du «hard labour»?

Chaque jour, j'encourageais mon codétenu, qui s'appelait Crafty, en faisant allusion à notre fuite prochaine… Je lui tenais, comme on dit, la dragée devant les lèvres et il était prêt à tout tenter pour s'emparer de mes chaussures. Malheureusement, le temps passait, je voyais arriver le moment où on me renverrait en cellule et les recherches de Crafty n'avaient encore donné aucun résultat.

Enfin, l'avant-veille du jour où l'infirmier-chef allait signer mon exeat, Crafty me dit, le soir, à son retour des ateliers:

– Je sais enfin où sont vos bottines, mais il m'est impossible de m'en emparer… car on les a enfermées à clef dans un casier à claire-voie…

– Forcez la serrure…

– Vous n'y pensez pas… D'ailleurs, c'est une serrure énorme… il faudrait un merlin pour en venir à bout…

– Alors, fis-je d'un air désappointé, vous êtes encore ici pour deux ans et moi pour quatre… Vous ne tenez donc pas à revoir votre Maisie?

– Si j'y tiens!.. pouvez-vous me demander cela… mais j'en meurs d'envie, j'en deviens fou…

– Alors, de l'audace… et de la ruse… Ah! si je pouvais m'introduire dans les ateliers, je vous assure que j'arriverais bien à forcer cette maudite serrure…

– Non… vous n'y arriveriez pas, je vous l'affirme.

– Alors… j'essaierais d'un autre moyen.

– Je voudrais bien vous y voir…

– Où se trouvent les ateliers de cordonnerie?

– Comment? vous ne savez pas? Ils sont juste au-dessous de nous…

La conversation en resta là.

Deux jours après, j'étais de nouveau en cellule et j'avais une fois encore perdu confiance.

Crafty, malgré toute l'audace qu'il avait pu déployer, n'avait abouti à rien…

Avant que nous nous quittions, il m'avait serré la main d'un air désolé, puis m'avait dit:

– J'ai fait tout ce que j'ai pu… j'essayerai encore… mais si je m'emparais des bottines, que devrais-je en faire?

Je n'avais pas eu le temps de répondre à cette question, car déjà un gardien m'entraînait.

Rentré dans mon box, je fis plutôt de tristes réflexions.

Quelle imprudence j'avais commise en chargeant Crafty d'une mission qu'il ne pouvait véritablement point mener à bien. Maintenant, il était capable de commettre quelque «gaffe», de vouloir quand même s'emparer des bottines, dans l'espoir d'y trouver quelqu'un de ces menus outils qui servent aux détenus à scier les barreaux de leur cellule…

Et puis, je ne le connaissais pas plus que cela, ce Crafty… N'était-ce pas un de ces individus que les gardiens placent auprès des autres détenus, dans le but de provoquer leurs confidences? S'il allait parler?

Cette histoire de bottines paraîtrait assez bizarre… On rechercherait les chaussures numéro 33, et on en examinerait semelles et talons, afin de s'assurer qu'elles ne recélaient rien de suspect… Cette minutieuse inspection amènerait certainement les gardiens à découvrir le diamant et non seulement je me trouverais privé d'une fortune sur laquelle je comptais pour «m'établir honnête homme», mais je serais sous le coup de nouvelles poursuites… et il était possible que cette autre affaire me valût encore quelques années de prison…

Il est vrai que ces années-là seraient plus douces, puisque je les passerais en France où les prisons, au dire des criminalistes anglais, sont plutôt des «sanatoria» que des geôles de punition…

Ces réflexions que je ressassais chaque jour eurent pour résultat de me décourager tout à fait… Je tombai dans le marasme, et il m'arrivait souvent de ne plus pouvoir marcher… J'avais les jambes comme paralysées et elles ne retrouvaient leur vigueur que lorsque j'étais obligé de les appuyer sur les «aubes» du Tread-Mill. Bientôt, je n'eus même plus la force de penser. Je devenais stupide et demeurais plusieurs heures à la même place, sans faire un mouvement, les yeux fixés sur une fissure du plafond ou une lame du parquet. Je m'étais amusé, au début de mon incarcération, à marquer sur la muraille, avec la pointe d'une épingle, les jours que j'aurais à passer dans la geôle de Reading… Cela faisait 1.825 jours… mais j'avais fini par m'embrouiller au milieu de cette multitude de signes gravés sur la pierre et avais abandonné le petit travail qui consistait, chaque soir, à biffer un chiffre.

C'était maintenant l'indifférence la plus complète de ma part… Je vivais comme un animal… comme une brute. Je n'avais même plus la notion du temps… Les heures sonnaient, mais je ne les entendais pas.

Je me demandais parfois, quand une lueur de lucidité traversait ma pauvre cervelle, si je vivais encore, si tout ce que je voyais autour de moi était bien réel, et si, parti pour un autre monde, je ne poursuivais pas un mauvais rêve commencé sur la terre.

Cet état d'hébétude, cette «asthénie» persistante avaient cependant une heureuse influence sur mon état général, car elles me maintenaient dans une sorte de somnolence qui apaisait mes nerfs… J'ai reconnu d'ailleurs que, si j'étais resté à Reading l'homme que j'étais lorsque j'y entrai, je n'aurais pu supporter plus de deux mois la vie terrible qui m'était faite.

L'individu s'habitue à tout.

Prenez un élégant de Londres, emmenez-le dans le bouge le plus sordide et dites-lui: «Tu vivras ici, pendant deux ans». Il vous répondra immédiatement: «Vivre ici deux ans?.. Jamais… j'aimerais mieux me tuer!» Supposez qu'on le laisse croupir dans ce bouge, il ne se tuera pas et s'accoutumera même peu à peu à cette ambiance de pourriture et de misère.

S'il en était autrement, les hôtes de la geôle de Reading pourraient-ils résister cinq ans… et même dix ans, à leur terrible claustration?

Je recevais parfois, comme les autres détenus, la visite de l'aumônier, le révérend Mac Laughan, mais tout ce qu'il me disait, au lieu de me réconforter, me plongeait dans une tristesse profonde. Sa voix monotone, ses gestes pleins d'onction, ses révérences, sa façon même de lever l'index vers le plafond, en prononçant le nom du Très Haut, finissaient par m'horripiler, et j'attendais avec impatience le moment où il regagnerait la porte.

On voit à quel point d'affaiblissement j'étais arrivé… J'eusse préféré quelques ronds de saucisson et un verre de stout à tous les conseils spirituels du brave homme.

Il remarqua sans doute le peu d'attention que je prêtais à ses discours, car il ne revint plus et je m'aperçus qu'à partir du jour où il cessa ses visites, les gardiens se montrèrent immédiatement plus sévères et plus injustes. Sans doute leur avait-il confié que j'étais un individu de la plus basse espèce, un de ces criminels endurcis que la religion elle-même est impuissante à relever.

Je fus dès lors classé dans la catégorie des «sauvages» et traité comme un vulgaire Botocudo.

Un jour, je m'en souviens, le directeur de la prison vint me voir dans ma cellule.

C'était un gentleman en jaquette noire et gilet blanc, très haut sur jambes et affligé d'un tic ridicule de la face.

– Numéro 33, me dit-il, en clignant de l'œil et en ramenant sa bouche vers son oreille… vous êtes, paraît-il, un incorrigible…

Son œil reprit sa place normale, mais sa bouche fut agitée d'un petit mouvement de gauche à droite qui me fit pouffer de rire.

Il me regarda sévèrement, cligna de l'œil encore une fois et s'en alla furieux, en disant:

– Numéro 33… vous êtes un cynique personnage et… vous finirez mal… je vous le prédis…

– Good bye! lui criai-je, en continuant de rire aux éclats…

Je ne devais certainement pas jouir de toute ma raison, car autrement, j'eusse reçu avec plus de courtoisie ce pauvre homme qui remplissait, somme toute, une pénible mission…

Le soir, je me vis réduit au quart de portion, et cette privation de nourriture dura huit jours.

Le directeur s'était vengé.

N'eût-il pas été plus sage de me faire examiner par un médecin?

Je devenais sale et n'avais même plus le courage de me débarbouiller, ce qui est un signe certain de déchéance physique… J'encourus deux ou trois punitions pour ma mauvaise tenue et un jour – c'était en hiver – deux gardiens m'entraînèrent dans la cour, à demi nu, et me frictionnèrent pendant un quart d'heure avec une brosse de chiendent, ce qui amusa beaucoup les autres geôliers qui formaient le cercle autour de moi…

 

Je contractai une fluxion de poitrine et fus, pendant plusieurs jours, entre la vie et la mort. J'aurais pu essayer de faire punir les deux brutes, mais j'étais si heureux d'être exempt de Tread-Mill, que je ne dis rien… D'ailleurs, à quoi cela eût-il servi de porter plainte? A Reading, les détenus ont toujours tort! Est-ce que les procédés dont on use envers les condamnés dans cette prison modèle ne sont pas tous empreints de la plus grande bienveillance et de la plus large humanité?

Ceux qui en douteraient n'auraient, pour s'en convaincre, qu'à consulter la grande affiche apposée dans le couloir du lavabo et qui est signée et approuvée par trois des plus grands philanthropes d'Angleterre.

Je ne connais pas ces trois gentlemen, mais je ne serais pas étonné qu'ils eussent fait installer chez eux un Tread-Mill à côté d'une pelouse de tennis, pour développer leurs muscles, ainsi que ceux de leurs enfants et de leurs épouses.

Et même, je ne désespère pas de voir un jour ces grands philanthropes préconiser, par raison d'hygiène, le Tread-Mill à domicile.

Ma fluxion de poitrine me fut très «salutaire», car elle me permit de me reposer un bon mois dans un lit beaucoup plus moelleux que celui de ma cellule. Je lus beaucoup, pendant ce mois-là, et mon cerveau qui était presque vide recommença à se meubler un peu. L'aumônier qui s'était décidé à revenir me voir me trouva dans de meilleures dispositions d'esprit, et attribua ce brusque changement à la lecture des livres saints.

A dater de ce jour, il multiplia ses visites et fut tellement touché de mon attitude pieuse et recueillie qu'il me prit sous sa protection et promit de faire abréger ma peine.

– Combien avez-vous encore de temps à faire? me demanda-t-il un jour.

– Je l'ignore, répondis-je.

– Est-ce possible?

– Hélas! c'est la vérité…

Cette étonnante amnésie parut le troubler.

– C'est bien, dit-il, je m'informerai.

Le lendemain, il m'apprenait que j'avais déjà tiré quatre cents jours et qu'il m'en restait encore quatorze cent vingt-cinq à faire…

Et il ajouta:

– L'année prochaine, à l'occasion des fêtes du «New-Year's Day», Sa Majesté le Roi graciera quelques condamnés… je tâcherai d'attirer sur vous sa Très Haute bienveillance…

Je remerciai comme il convenait le digne révérend, bien que je n'eusse qu'une médiocre confiance en sa promesse. La guigne me poursuivait et je ne supposais pas qu'elle dût m'abandonner, tant que je serais à Reading.

Je crois à l'influence des milieux, et suis persuadé qu'ils exercent sur notre individu une sorte «d'envoûtement» que peuvent seuls combattre les voyages et l'éloignement, car plus on reste dans un endroit où l'on n'a eu que du malheur, plus on attire autour de soi ce que j'appellerai les mauvais «fluides».

Je sortis de l'infirmerie un lundi matin, et, quand je traversai l'étroite cour pavée qui conduisait au bâtiment où se trouvait ma cellule, je fus singulièrement impressionné par un spectacle auquel j'étais loin de m'attendre. Un détenu, encadré de deux hommes en noir, s'avançait d'un pas chancelant. Derrière lui venaient le pasteur, le directeur en redingote sombre, deux surveillants et un individu à mine sinistre qui tenait à la main une petite valise verte.

En m'apercevant, le détenu me fit un signe de tête et s'écria d'une voix vibrante:

– Adieu! camarade!.. adieu! Priez pour moi! Je sentis un frisson m'envahir.

– Où donc conduit-on cet homme? demandai-je au gardien qui m'accompagnait.

– A la chambre de justice, dit-il en se découvrant. Je me découvris aussi et demeurai cloué sur place, mon bonnet à la main.

Au fond de la cour, une petite porte s'ouvrit en grinçant et une cloche se mit à tinter.

M. John Ellis, le bourreau de Londres, venait de prendre livraison du condamné…

IV
OU JE LE REVOIS ENFIN!

Rentré dans ma cellule, je songeai longtemps au pauvre garçon que je n'avais fait qu'entrevoir et je dis même pour lui une courte prière.

J'aurais bien voulu savoir quel était cet homme, et pourquoi on l'avait condamné à mort, mais le gardien que j'interrogeai me répondit d'un ton brutal:

– Cela ne vous regarde pas… C'était un numéro dans votre genre, et vous pourriez bien, un jour, suivre le même chemin que lui…

Je n'insistai pas.

Pendant plusieurs jours, je demeurai très troublé.

L'adieu que m'avait lancé cet inconnu, au seuil de la mort, m'avait profondément remué et je regrettai de ne pas lui avoir adressé les paroles de paix que l'on dit au chevet des agonisants.

Cet homme, était mon frère, après tout, un frère malheureux, que la fatalité avait sans doute poursuivi dès sa naissance!

Je revois toujours son visage pâle et ses grands yeux qui ressemblaient à deux trous noirs. J'ai su plus tard, en consultant les journaux de l'époque, qu'il s'appelait Gulf, un nom prédestiné!

Avec un nom pareil pouvait-il aller autre part qu'à l'abîme…

Mal remis de ma fluxion de poitrine, anémié par la manque de nourriture, épuisé par le travail meurtrier du Tread-Mill, je n'avais plus figure humaine. En dehors des heures de travail, j'étais toujours étendu sur mon lit…

A force de vivre dans l'isolement et d'arrêter mon attention sur les moindres bruits, mon oreille était devenue d'une finesse extraordinaire, et cela au point que je ne pouvais presque plus dormir, car le plus léger frôlement me réveillait.

Un soir, après une journée terriblement fatigante, je commençais à fermer les yeux, quand un petit coup sec, suivi immédiatement de trois autres, puis de trois autres encore, attira mon attention. Cela était assez rapide, mais toujours très régulier, rythmé selon une certaine cadence.

– Toc… toc, toc, toc!..

Celui qui frappait devait se servir de ses doigts et le bruit était tout proche, il semblait venir de la cellule qui se trouvait à ma droite…

J'avais souvent entendu dire que, parfois, les détenus, dans les maisons centrales, s'entretiennent entre eux au moyen d'un «abécé» appelé Correspondance Knock.

A tout hasard, je me mis à compter les coups en les faisant correspondre dans mon esprit aux lettres de l'alphabet. Tout d'abord, je n'obtins que des phrases confuses qui n'avaient aucun sens, mais comme les frappements continuaient, je parvins à en assembler quelques-unes parmi lesquelles je distinguai très nettement les mots suivants: «Ami… ami… écoutez… vous aussi… répondez».

Je me levai, m'approchai de la muraille, et, avec mon index replié, tapai plusieurs coups qui voulaient dire: «Qui êtes-vous?»

On répondit aussitôt, et je déchiffrai un nom: «Crafty?»…

Eh quoi! c'était mon compagnon d'infirmerie qui voulait causer avec moi!.. Qu'avait-il à me dire?

Au moment où il allait frapper de nouveau, un gardien qui faisait sa ronde passa dans le couloir… Peut-être avait-il entendu quelque chose, car il demeura assez longtemps immobile, devant ma cellule.

Il s'éloigna enfin et, quand la lueur jaune de son falot eut cessé d'éclairer la petite ouverture circulaire placée au-dessus de ma porte, je repris avec mon voisin la conversation interrompue.

J'eus, pendant un certain temps, beaucoup de peine à saisir ce que Crafty voulait me dire, mais j'y arrivai enfin, grâce à cette curieuse faculté d'intuition que les prisonniers arrivent à acquérir.

Et voici ce que m'apprit mon camarade:

Il était parvenu à s'emparer de mes bottines et les avait rapportées de l'atelier. Pour les cacher, il avait soulevé la trappe qui faisait communiquer sa cellule avec le Tread-Mill… Il était sûr que l'on ne pouvait les découvrir, car elles étaient placées dans une anfractuosité de la muraille, au niveau de l'arbre de couche du moulin.

Il me donna ces indications, moitié en frappant, moitié en collant sa bouche à la muraille et en parlant très bas.

Ainsi, mon diamant était là, à deux mètres de moi à peine… une planche seule m'en séparait!.. mais était-il sûr que j'allais le retrouver?.. N'avait-il pas disparu du talon qui le contenait?.. Pourvu, au moins, que les cordonniers de la prison n'aient pas eu l'idée de ressemeler mes chaussures!

On devine l'angoisse qui s'était emparée de moi…

Je demandai à Crafty comment il s'y était pris pour ouvrir la trappe, et il me donna aussitôt le moyen de soulever la mienne, mais soit que le système de fermeture ne fût pas le même dans les deux cellules, soit que je ne susse point m'y prendre, je n'arrivai pas à faire jouer la ferrure qui supportait l'énorme bloc de chêne…

Je passai une nuit épouvantable et je me relevai même plusieurs fois pour me livrer à de nouveaux essais qui ne donnèrent aucun résultat.

Pour la première fois, depuis que j'étais à Reading, j'attendis avec une impatience folle le coup de cloche qui annonçait le Tread-Mill.

Enfin, il retentit et nos boxes s'ouvrirent.

Au lieu de m'installer sur la sellette de fer, comme je le faisais chaque jour, je me glissai entre la muraille et la roue et parvins, en m'aplatissant, comme un chat qui passe sous une porte, à atteindre l'endroit où Crafty avait caché mes bottines. Je les saisis d'une main prompte, et les glissai entre ma chemise et ma peau, puis je m'apprêtai à regagner ma place, mais à ce moment, le surveillant lançait son terrible: Take care, forwards!

La roue allait se mettre en mouvement!

J'eus l'idée de crier, d'appeler à l'aide, mais je compris que tout était inutile. Déjà l'énorme treuil démarrait en grinçant, actionné par les pieds des détenus.

Aujourd'hui encore, quand je songe à cette minute terrible, affolante, je me demande comment j'arrivai, sans me faire broyer, à atteindre l'extrémité inférieure de ma sellette, à m'y hisser et à reprendre avec les autres condamnés «la cadence du Moulin». Cela est pour moi une énigme. Tout ce que je me rappelle, c'est que, quand le supplice eut pris fin, j'avais les mains et les genoux en sang.

Mais, à ce moment, j'étais insensible à tout… j'eusse été écorché vif que je ne m'en serais même pas aperçu… Je n'avais qu'un désir: retrouver mon diamant, le prendre dans ma main, le contempler longuement à la lumière diffuse qui passait par mon vasistas.

Cette minute arriva enfin et j'oubliai toutes mes souffrances, toutes mes angoisses…

Les ouvriers de la cordonnerie n'avaient pas touché à mes chaussures… elles étaient intactes et je retrouvai la petite rondelle de cuir vissée sous le talon droit telle que je l'avais laissée… Cependant, elle tenait bien, et, pour l'arracher, il m'eût fallu un outil.

Je la rongeai avec mes dents et parvins à extraire le diamant de sa gangue…

Dieu! qu'il me parut beau!.. Comme il brillait!.. quels feux il jetait. On eût dit un soleil! Je le baisai à plusieurs reprises dans une sorte de joie fébrile, et telle était mon exaltation que je n'entendais plus rien de ce qui se passait autour de moi… Je n'entendais même point ce pauvre Crafty qui frappait au mur comme un sourd, pour me demander si j'avais retrouvé mes bottines.

Quand je fus enfin revenu à la raison, je lui répondis, mais comme il avait l'air de vouloir prolonger la conversation, je prétextai un malaise subit, pour qu'il me laissât en paix.

Cependant, la première effervescence calmée, je me sentis de nouveau en proie à une mortelle inquiétude…

Où cacher mon diamant?

L'administration de la geôle de Reading n'a pas jugé à propos de mettre des poches à nos vêtements et les sandales qu'elle nous alloue n'ont même pas de talon. Je ne pouvais donc replacer le Régent dans sa «niche», car, pour cela, j'eusse été obligé de conserver mes bottines, et il n'y fallait pas songer.

Toute la nuit, je réfléchis, tenant mon diamant dans ma main.

Enfin, au jour, je trouvai une cachette provisoire.

Je le glissai dans mon traversin et logeai mes bottines dans ma paillasse.

Au coup de cloche annonçant le Tread-Mill, j'étais le premier installé sur ma sellette et… je pédalai ce jour-là avec une ardeur juvénile… J'aurais, je crois, pédalé toute la journée sans éprouver la moindre fatigue.

Tant il est vrai que le moral commande en maître au physique, et que les défaillances du corps proviennent presque toujours d'une mauvaise disposition d'esprit.

Une subite transformation s'était opérée en moi: j'avais rajeuni de dix ans!

Il faut croire que la joie que j'avais au cœur se reflétait sur mon visage, car le gardien Jimb qui m'apportait, chaque jour, ma cruche d'eau, s'écria dès qu'il ouvrit la porte:

– Peste! trente-trois, vous avez l'air joliment heureux aujourd'hui, est-ce que votre libération serait proche?

– Hélas! non, répondis-je… j'ai encore, je crois, plus d'un millier de jours à tirer… mais j'ai reconnu qu'il était stupide de se faire du mauvais sang…

 

– Bien sûr… bien sûr… murmura le gardien, en jetant autour de lui un coup d'œil méfiant… Il y a des détenus ici qui se minent et ils ont bien tort… aussi, ils tombent malades et finissent par se laisser «glisser»… Encore deux, ce matin, qui sont allés dormir sous la pelouse de Green-Park… C'est effrayant ce que ça se dégarnit ici… Bientôt, il n'y aura plus assez de monde pour faire marcher le Tread-Mill.

Et le gardien sortit en chantonnant.

C'était la première fois que cet homme m'adressait la parole, et j'en conclus que s'il ne me parlait jamais, c'était à cause de mon air maussade et triste.

On n'aime guère les «faces ténébreuses», et souvent, au lieu d'attirer la pitié, elles n'inspirent à certaines gens que du dédain et parfois de la haine.

Depuis que j'étais en possession de mon diamant, je vivais une vie nouvelle faite de résignation et d'espoir… d'espoir surtout!

Les beaux projets que j'avais naguère abandonnés, je les reprenais l'un après l'autre et je me remettais à penser à Edith… Oui, à mesure que mon sang recommençait à bouillonner, je songeais à l'amour que je croyais avoir enterré définitivement, le jour où j'avais franchi le seuil de la geôle de Reading.

Edith, à présent, occupait avec le diamant toutes mes pensées, et je ne désespérais pas de la reconquérir.

Maintenant, je pourrais tout lui dire, lui révéler mes fautes passées.

D'abord, elle me repousserait, cela était à peu près certain; cependant, quand je ferais miroiter à ses yeux (non pas mon diamant, car les femmes sont trop bavardes), mais la radieuse existence que je pouvais lui offrir, elle serait sans doute désarmée.

Son rigorisme ne tiendrait point devant des millions.

Ce qui d'ailleurs m'incitait à supposer que je ne lui faisais pas tout à fait horreur c'est que, lors de mon procès, où elle avait été, bien entendu, citée comme témoin, elle ne m'avait point chargé… Je me rappelle même qu'à une question d'un des juges qui lui demandait ce qu'elle pensait de moi, elle avait répondu: «M. Edgar Pipe est peut-être un malhonnête homme, mais je suis obligée de reconnaître qu'il a un cœur d'or.»

Or, une femme qui trouve que l'on a un cœur d'or, ne peut vous tenir rigueur de quelques peccadilles.

Cependant, le temps avait marché depuis que j'avais quitté Edith… Elle avait certainement rencontré un nouveau protecteur, car elle détestait la solitude, et elle devait avoir oublié déjà le malheureux Edgar Pipe.

Je me trouverais donc en face d'un rival qu'il serait pourtant, je crois, assez facile de supplanter, à moins qu'il ne fût un nabab, ce qui me paraissait peu probable. Enfin, nous verrions… Il était possible aussi que je rencontrasse une autre Edith, qui me ferait vite oublier la première.

J'avais d'ailleurs l'intention de quitter l'Angleterre et d'aller faire un séjour aux Indes, où j'espérais vendre mon diamant à quelque maharadjah «multimillionnaire».

Une ombre, cependant, obscurcissait ces jolis projets d'avenir: Manzana!!

Le drôle pouvait me guetter à ma sortie de prison, s'attacher à mes pas et empoisonner de nouveau mon existence. Comme il n'avait pas été question du diamant au procès et que, depuis, aucun journal n'avait annoncé qu'on l'eût découvert sur le condamné de Reading, il demeurerait persuadé que je l'avais vendu, que j'avais caché l'argent quelque part et, de complicité avec cet affreux Bill Sharper, il essayerait encore de me faire chanter.

Qui sait même, si, en désespoir de cause, il ne me dénoncerait pas à la police française… La prescription ne m'était pas encore acquise et l'on m'arrêterait sûrement.

Il est vrai qu'il faudrait prouver que c'était moi le voleur du Régent… Or, qui m'accuserait? Manzana?.. Testis unus, testis nullus

Toutes ces noires réflexions finirent par influer sur mon moral et me rendirent de nouveau taciturne et maussade. Je ne retrouvais un peu de tranquillité que lorsque je songeais à cette fameuse fête du New Year's Day, dont m'avait parlé le pasteur.

Si, à cette occasion, j'avais la chance de bénéficier d'une réduction de peine, j'étais sauvé, car Manzana, qui me croyait condamné pour cinq ans, me «manquerait» à la sortie.

Au moment où j'aurais eu besoin de toute ma tranquillité d'esprit, voilà que justement j'étais tracassé, tourmenté par mon ami Crafty, qui me demandait à chaque instant, à travers la muraille:

– A quand notre évasion?.. Vous en occupez-vous?.. Je ne puis plus résister au Tread-Mill… Si nous ne quittons pas cette maudite prison je serai mort avant un mois.

J'essayai de le rassurer, et j'y réussis, pendant quelques jours, mais le pauvre garçon devenait de plus en plus pressant.

– Hâtez-vous, disait-il… Je suis décidé à tout…

Certes, moi aussi, j'étais décidé à tout… mais pas pour l'instant. Le pasteur, dont je recevais la visite trois fois par semaine, s'occupait toujours de moi et se faisait fort d'obtenir ma grâce, en raison de ma bonne conduite et de mon sincère repentir.

Devais-je, par une tentative d'évasion qui avorterait sans doute, compromettre une affaire qui s'annonçait si bien? Devais-je, pour tenir parole à Crafty, m'exposer à voir ma peine doublée, et laisser mes os à Reading?

Cependant, le pauvre Crafty s'impatientait.

– Voyons… pour quand? demandait-il… Je vous assure que je n'en puis plus… Mes forces sont à bout!

Pendant plusieurs jours, il frappa furieusement au mur, exigeant une réponse que je donnais immédiatement et qui tenait toujours dans ces quatre mots: «Patience!.. l'heure est proche!»… puis les coups cessèrent, la cellule devint silencieuse…

J'appris que Crafty avait été transporté à l'infirmerie…

– Bah! me dis-je, il se reposera pendant quelques semaines.

Au fond, je n'étais point fâché de ne plus être obligé de lui répondre… J'avais cru m'apercevoir qu'un gardien que nous avions surnommé «Œil de crabe» s'arrêtait souvent dans le couloir entre la cellule de Crafty et la mienne, sans doute pour nous épier.

Un jour où l'autre, il nous aurait surpris, et mes notes de conduite eussent été diminuées de plusieurs points, ce qui était la façon de punir les condamnés qui attendaient leur «conditionnelle».

La fête du New Year's Day approchait et ce n'était pas le moment de se faire signaler au surveillant général.