Za darmo

Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

XIX
VISITEURS IMPRÉVUS

Peut-être le lecteur s'étonnera-t-il que j'aie pris brusquement la résolution d'emmener Edith en Hollande. Quelques mots d'explication me semblent nécessaires.

L'ignoble individu qui s'appelait Bill Sharper connaissait mon adresse… Si je laissais Edith à Londres, le bandit, furieux d'avoir été joué, trouverait certainement le moyen de s'introduire auprès de ma maîtresse.

De complicité avec Manzana, il la terroriserait, la menacerait et finirait par lui faire avouer que j'étais parti pour la Hollande, Bill Sharper ne comprendrait pas grand'chose à cette disparition, mais Manzana comprendrait, lui.

Il songerait immédiatement au lapidaire d'Amsterdam dont je lui avais souvent parlé et il s'arrangerait pour venir me retrouver… Dans le cas où il lui serait impossible d'entreprendre ce voyage, il me dénoncerait à la police et je serais «cueilli» avant d'avoir pu vendre mon diamant… ce précieux diamant que je tenais toujours caché dans le talon droit de ma bottine…

En m'enfuyant avec Edith, j'enlevais à mes ennemis le seul témoin qui pût les renseigner. Le lendemain, quand Bill Sharper viendrait au rendez-vous que je lui avais assigné, il trouverait visage de bois.

Pendant qu'il me chercherait dans Londres, en compagnie de Manzana, je voguerais tranquillement vers la Hollande. Bien entendu, je ne reviendrais pas de sitôt en Angleterre. Lorsque j'aurais touché mes millions, je m'embarquerais pour l'Amérique et m'arrangerais là-bas, avec Edith, une jolie petite existence…

Pour l'instant, Londres était dangereux, il fallait fuir au plus vite.

Nous déjeunâmes tranquillement, Edith et moi, puis nous fîmes nos malles, ce qui ne nous prit pas beaucoup de temps car nous avions très peu de choses à mettre dedans.

Ma garde-robe, comme celle d'Edith, avait besoin d'être considérablement augmentée et je me promettais bien de le faire, dès que j'aurais enfin converti en bank-notes ce maudit diamant qui commençait à devenir terriblement embarrassant.

Pendant que nous procédions à nos préparatifs, Edith, aussi joyeuse qu'une petite pensionnaire qui part en vacances, me posait une foule de questions auxquelles je répondais parfois par quelque plaisanterie, car j'étais très gai, ce jour-là, et j'avoue que j'étais aussi impatient que ma maîtresse de quitter l'Angleterre.

Je dois dire aussi que la perspective de ne pas être séparé d'Edith m'était fort agréable… Je déteste la solitude. Quand je suis seul, j'ai souvent des idées noires; avec une petite folle comme Edith, je n'aurais pas le temps de m'ennuyer.

J'avais d'abord décidé de l'emmener à Amsterdam, mais je me ravisai. Il était préférable de la laisser soit à La Haye, soit à Haarlem, car les femmes sont curieuses et je ne tenais pas à ce qu'elle me suivît et arrivât à découvrir l'adresse de mon lapidaire. J'avais inventé l'histoire de l'oncle Chaff, il fallait que, jusqu'au bout, Edith fût persuadée que c'était lui mon bailleur de fonds. Je pouvais donc jouer de l'oncle Chaff tant qu'il me plairait et le faire mourir au moment opportun.

Ah! misérable Manzana, comme vous alliez être roulé!

Peut-être que si vous vous étiez mieux comporté envers moi, j'aurais fait votre fortune, mais maintenant, j'eusse mieux aimé jeter cent mille livres dans la Tamise que de vous donner un shilling. Edith aurait votre part, et il était plus naturel qu'il en fût ainsi.

Vers trois heures de l'après-midi, je réglai la note d'hôtel et priai notre logeuse d'envoyer chercher un taxi.

Quelques instants après, une maid vint nous avertir que le taxi était en bas, mais que le chauffeur refusait de monter pour prendre les bagages. Ils n'étaient pas bien lourds, à la vérité, mais j'hésitais à les charger sur mon dos; on a beau ne pas être fier, il y a des cas où l'on tient à conserver sa réputation de gentleman, surtout devant une maîtresse qui vous croit fils de millionnaires.

– Trouvez-moi quelqu'un pour enlever cela, dis-je d'un ton bref… il ne manque pas de gens dans la rue qui ne demandent qu'à gagner une couronne…

La maid descendit immédiatement et, quelques instants après, elle remontait en disant:

– J'ai trouvé quelqu'un, sir.

Un pas lourd résonna dans l'escalier, puis une silhouette énorme s'encadra dans le chambranle de la porte.

– On a demandé un porteur, fit une affreuse voix grasseyante, me voilà!

Et l'homme qui venait de prononcer ces mots me regardait d'un œil narquois.

C'était Bill Sharper!

Il salua avec affectation, eut un petit rire qui ressemblait au bruit que fait une poulie mal graissée, puis s'avançant au milieu de la pièce, s'écria, au grand effarement d'Edith:

– Ah! ah! les amoureux, vous vous apprêtiez à nous quitter, à ce que je vois… Et les rendez-vous… les affaires importantes?..

Voulant à tout prix éviter un scandale, je m'approchai de Bill Sharper et lui glissai à l'oreille:

– Pas un mot de plus… il y a cent livres pour vous…

– Cent livres. C'est bon à prendre, répondit la brute à haute voix, mais j'marche pas…

– Cependant…

– Oh!.. y a pas de cependant… quand Bill Sharper dit qu'il ne marche pas… y a rien à faire… Faudrait tout d'même pas m'prendre pour un «cockney», monsieur Edgar Pipe!..

– Voyons, mon ami!

– Y a pas d'ami qui tienne… moi, j'aime pas qu'on s'paye ma tête… Ce matin, vous me donnez rendez-vous pour le lendemain, sous prétexte que vous avez une affaire à me proposer et pssst!.. Monsieur s'apprêtait à me glisser entre les doigts… Voyons, monsieur Edgar Pipe, c'est-y des procédés honnêtes, ça?.. Moi, j'suis c'que j'suis, mais quand j'donne ma parole, ça vaut un écrit…

– Mais, insinuai-je… vous vous trompez… je ne quitte pas Londres… c'est madame qui s'en va et je l'accompagnais à la gare…

– Non… voyez-vous, on ne me fait pas prendre un bec de gaz pour la lune… Monsieur Pipe, cette malle est bien la vôtre, n'est-ce pas? Et, d'ailleurs, la meilleure preuve que vous étiez près de filer, c'est que vous aviez pris deux billets à Charing Cross. Avouez que ma police est bien faite…

Je vis tout de suite que j'étais perdu… J'avais échappé à Manzana pour tomber sur une bande de maîtres chanteurs qui ne me lâcheraient pas facilement.

Edith qui ne comprenait rien à cet imbroglio, commençait à se fâcher:

– C'est ridicule tout cela, s'écria-t-elle… attendez, je vais appeler un policeman.

– Allons, ma belle, dit Sharper, tâchez de vous tenir tranquille, ou sans cela…

Et il la repoussa au fond de la pièce.

– Edgar! Edgar! suppliait ma maîtresse, vous n'allez pas me laisser brutaliser par ce rustre… Il est ivre, vous le voyez bien…

Bill Sharper éclata de rire…

Les choses allaient se gâter, il fallait absolument que je sortisse de là, mais comment?

M'attaquer à Bill Sharper, il n'y fallait pas songer. Cet homme était un hercule et il n'eût fait de moi qu'une bouchée.

Il ne me restait qu'une solution: parlementer, mais cela était bien délicat, surtout devant Edith.

Je m'approchai du drôle et lui glissai rapidement ces mots:

– Descendons… nous nous expliquerons en bas.

– Mais pas du tout, répliqua-t-il… Nous sommes très bien ici pour causer… Ah! oui, je comprends, vous ne voulez pas mettre madame au courant de vos petites histoires, mais bah! elle les apprendra tôt ou tard. Elle doit bien se douter d'ailleurs que vous n'êtes pas le prince de Galles…

Edith, toute troublée, me regardait d'un air effaré.

Evidemment… tout cela devait lui sembler étrange. Ma rencontre avec Manzana pouvait, à la rigueur, s'expliquer mais comment lui faire admettre que Bill Sharper ne m'avait jamais vu? D'ailleurs, le gredin avait plusieurs fois prononcé mon nom et maintenant, il devenait plus précis:

– Voyons, Edgar Pipe, disait-il (il ne m'appelait déjà plus monsieur), il s'agit de s'entendre. Votre ami Manzana prétend que vous l'avez volé et que vous détenez indûment un gage qui est sa propriété autant que la vôtre…

– C'est un affreux mensonge, m'écriai-je, Manzana veut me faire chanter…

Edith crut devoir prendre ma défense.

– Oui… oui… s'écria-t-elle, il y a là-dessous une vilaine affaire de chantage… M. Edgar Pipe, mon ami, est un honnête homme, incapable de conserver par devers lui ce qui ne lui appartient pas… Si ce M. Manzana a quelque chose à réclamer, pourquoi ne vient-il pas lui-même?

Pauvre petite Edith! si elle avait pu se douter!..

Bill Sharper, sans paraître entendre ce qu'elle disait continuait de discourir…

– M. Manzana, dit-il, n'a aucune raison pour me tromper. Je le crois sincère… En tout cas, il a remis sa cause entre mes mains et je dois me renseigner… D'abord Edgard Pipe, puisque vous prétendez n'avoir rien à vous reprocher, pourquoi vous apprêtiez-vous à quitter Londres?.. Le temps n'est guère propice aux villégiatures… Vous ne pouvez donc pas invoquer l'excuse d'un petit voyage d'agrément…

– M. Pipe, répondit vivement Edith, a un oncle qui est très malade, et il allait lui rendre visite… Voyons, Edgar, montrez donc à monsieur la lettre que vous avez reçue de Hollande…

– Mauvaise excuse, ricana Sharper… Puisque M. Pipe savait qu'il allait s'absenter, pourquoi m'a-t-il donné rendez-vous pour demain?

J'expliquai à Sharper qu'au moment où je lui fixais ce rendez-vous, je n'avais pas encore reçu la lettre en question.

– Il fallait me faire prévenir, murmura-t-il.

– Et où cela? fis-je en haussant les épaules… j'ignore votre adresse.

– Vous n'aviez qu'à déposer un mot à mon nom au bar du Soho où nous avons fait connaissance…

– C'est vrai, je n'y ai pas songé…

– Allons! trêve de discours… nous perdons notre temps en ce moment…

– Certainement… et je dois vous prévenir, mon cher Sharper, que vous vous occupez là d'une affaire qui ne vous rapportera absolument rien…

 

– Vous croyez?.. Moi, je ne suis pas de cet avis…

– Vous verrez… et si j'ai un conseil à vous donner, vous feriez mieux d'accepter les cent livres que je vous ai offertes tout à l'heure…

– Non… je préfère attendre… Je suis sûr que ces cent livres-là feront des petits.

– Vous vous illusionnez.

– C'est possible… nous verrons… En attendant, il serait peut-être bon que nous consultions M. Manzana… Il est justement en bas… Je vais le prier de monter…

Edith en entendant ces mots se mit à pousser des cris terribles:

– Non! non!.. hurlait-elle, je ne veux pas voir cet homme, il me fait peur!.. Je ne veux pas qu'il monte… Je suis ici chez moi!.. Miss Mellis!.. Miss Mellis! allez chercher la police!..

– Vous… si vous appelez… dit Bill Sharper…

Et il fit avec ses énormes mains le geste d'étrangler quelqu'un.

Edith, plus morte que vive, s'était blottie contre moi.

– Rassurez-vous, lui dis-je, pendant que Bill Sharper descendait l'escalier… il ne vous arrivera rien… Je suis victime d'une bande de gredins qui, me sachant riche, ont inventé une affreuse histoire pour me perdre… Ne vous étonnez de rien… avant peu tous ces gens-là seront arrêtés et nous en apprendrons de belles sur leur compte… Faites-moi confiance, Edith… vous savez que je vous aime et que mon seul désir est de vous rendre heureuse.

Ma maîtresse me serra la main avec force et cette étreinte me redonna du courage.

Déjà Bill Sharper revenait, accompagné de Manzana et d'un autre individu à figure patibulaire, qu'il me présenta comme un interprète.

– Ah! traître! ah! bandit! s'écria Manzana dès qu'il m'aperçut… vous menez vie joyeuse… vous vous payez des femmes…

D'un geste, Bill Sharper l'invita à se taire, mais comme Manzana qui était fou de rage continuait de m'insulter, il lui imposa silence en lui envoyant un coup de coude dans les côtes.

Mon associé se calma.

– Messieurs, dit Bill Sharper, après avoir refermé la porte à double tour, il ne s'agit pas en ce moment de se disputer comme des portefaix… M. Manzana, ici présent, a porté contre M. Edgar Pipe une accusation grave… il faut que nous sachions si M. Manzana a raison… oui ou non. Interprète, traduisez mes paroles au plaignant.

Lorsque cet ordre eut été exécuté, Manzana commença de parler et, au fur et à mesure que les mots sortaient de ses lèvres, l'homme à figure patibulaire traduisait d'une voix enrouée.

Manzana prétendit que nous étions associés pour la vente d'un diamant, que ce diamant lui appartenait comme à moi, mais que je m'étais enfui subitement afin de garder pour moi seul l'objet qui était notre «commune propriété».

J'arguai, pour ma défense, que l'on m'avait dérobé le diamant. Manzana soutint ou que je l'avais vendu à vil prix ou que je l'avais encore sur moi.

– Je vois, dit Bill Sharper, que ces messieurs ne pourront jamais s'entendre… Ce qu'il y a de certain (d'ailleurs personne ne le conteste) c'est qu'il y avait un diamant… Il semble peu probable que M. Edgar Pipe se le soit laissé prendre… Quand on porte sur soi un diamant de plusieurs millions on le cache soigneusement… Pour ma part, je ne crois pas un traître mot de ce que M. Pipe nous a raconté… De deux choses l'une: ou il a bazardé l'objet, ou il l'a encore sur lui… S'il l'a bazardé, il doit nous montrer l'argent… s'il l'a conservé, il doit nous présenter le gage.

Manzana s'écria:

– Il portait toujours le diamant dans la poche de côté de sa chemise… fouillez-le.

– C'est une excellente idée, en effet, approuva Bill Sharper.

XX
LES AMIS DE MANZANA

Ce fut Bill Sharper lui-même qui se chargea de me fouiller et je dois reconnaître qu'il le fit avec une habileté qui dénotait une longue pratique. Il s'appropria, sans même s'excuser, mon portefeuille, mon canif et mes clefs… puis, après avoir exploré une à une toutes mes poches, avoir soigneusement tâté la doublure de mon veston et celle de mon gilet, il promena ses énormes mains sur ma poitrine…

– Oh! oh! s'écria-t-il… je sens quelque chose là…

– C'est le diamant! s'écria Manzana… Je vous disais bien qu'il l'avait encore sur lui…

Bill Sharper souleva délicatement la petite patte de ma chemise de flanelle et s'empara du sachet qui avait autrefois contenu le Régent, mais qui ne renfermait plus maintenant que la pierre de lune-fétiche dont j'avais donné un morceau à Edith.

Bill Sharper, d'une main fiévreuse, ouvrit immédiatement le petit sac, en tira la pierre et la présentant à Manzana:

– Est-ce là votre diamant? demanda-t-il avec une affreuse grimace.

– Non!.. Non!.. répondit Manzana qui avait pâli subitement… Non… vous voyez bien que c'est un caillou.

– Alors?

Il y eut un silence.

Mes deux ennemis – Manzana surtout – ne comprenaient rien à cette substitution…

Ils me regardaient fixement, attendant sans doute que je leur donnasse l'explication du mystère.

Ce fut Bill Sharper qui rompit le silence.

– Monsieur Edgar Pipe, dit-il, veuillez nous expliquer comment une pierre précieuse a pu dans votre poche, se changer en caillou.

– C'est bien simple, répondis-je; ceux qui m'ont dérobé le diamant ont mis cette pierre à la place…

– En manière de plaisanterie?

– Probablement…

– Et vous conserviez cela?

– Je n'avais pas songé à m'en défaire…

Bill Sharper demanda à Manzana, par l'intermédiaire de l'interprète:

– Quel est votre avis?

– Parbleu, le gredin se moque de nous. Edgar Pipe, vous êtes un rusé compère, mais il faudra bien, coûte que coûte, que vous me disiez où vous avez caché le Régent.

– Je vous répète qu'on me l'a volé.

– Ah! et d'où vient l'argent que vous avez en portefeuille?..

– Cet argent n'est pas à moi… il est à madame…

– Oui… affirma Edith en saisissant la balle au bond… cet argent m'appartient et vous allez me le rendre, je suppose…

– Certainement, répondit Bill Sharper, mais à une condition… c'est que vous nous en indiquiez la source…

– Insolent!

– Ah! vous voyez… vous ne pouvez répondre… Cet argent est bien à Edgar Pipe… cela ne fait aucun doute…

Se tournant alors vers moi, Bill Sharper me dit d'une voix grave:

– Monsieur Edgar Pipe, puisque vous ne voulez pas vous expliquer de bonne grâce, nous allons être obligés de vous emmener avec nous…

– M'emmener, m'écriai-je, et où cela?

– Vous le verrez…

– Mais à quel titre vous substituez-vous à Manzana? Si quelqu'un a des comptes à me demander, c'est lui… lui seul, entendez-vous!

Bill Sharper laissa d'un ton gouailleur tomber ces mots:

– M. Manzana est aujourd'hui mon client!.. n'est-il pas naturel que je prenne ses intérêts? Je m'y entends assez en affaires litigieuses… j'ai été autrefois clerc chez un solicitor.

Je vis bien en quelles mains j'étais tombé. Ces gens ne me lâcheraient point que je n'eusse avoué où se trouvait le diamant, mais j'étais bien résolu à ne leur céder jamais. D'ailleurs, si étroitement surveillé que je fusse par ces bandits, il arriverait bien un moment où je leur glisserais entre les mains.

Ma situation était cependant des plus graves, et je devais m'attendre à toutes les surprises.

Bill Sharper et l'ignoble individu qui lui servait d'interprète se livrèrent dans notre domicile à une perquisition en règle, pendant que Manzana, appuyé contre la porte, me défiait du regard. Lorsqu'ils eurent tout bouleversé, puis ouvert nos malles, sans rien découvrir d'ailleurs, ils se consultèrent un instant et Bill Sharper, s'approchant d'Edith, lui dit d'une voix qu'il s'efforçait d'adoucir:

– Madame, il faut vous prêter à une petite formalité que nous jugeons nécessaire.

Et, comme Edith le regardait d'un air effaré, ne comprenant pas où il voulait en venir:

– Oui, une formalité… une toute petite formalité, expliqua le bandit… Je dois m'assurer que vous ne cachez pas sur vous le diamant, et si vous le permettez, je vais vous fouiller.

– Me fouiller!.. me fouiller! s'écria Edith avec indignation… mais je ne veux pas! Je refuse… vous n'avez pas le droit de me toucher… Je vous préviens que si vous approchez, j'appelle…

Bill Sharper fit un signe à l'interprète et celui-ci, passant vivement derrière Edith, lui comprima la bouche au moyen d'un foulard sale.

La pauvrette eut beau se débattre, elle dut subir les odieux attouchements de Bill Sharper qui la dépouilla sans pudeur de tous ses vêtements.

Bien entendu, il ne trouva rien qu'un petit sachet de soie dans lequel Edith avait cousu le morceau de pierre de lune que je lui avais donné et qu'elle conservait comme fétiche.

Pendant que les trois misérables examinaient avec attention ce caillou qui les intriguait, d'un bond, Edith se précipita vers la fenêtre, l'ouvrit et, se penchant dans le vide, appela désespérément, d'une voix glapissante:

– A moi! à moi!.. à l'assassin!

En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, Manzana et ses deux complices avaient disparu.

J'en étais débarrassé, mais je n'étais cependant pas au bout de mes peines, car maintenant, j'allais avoir affaire à la police, ce qui, pour moi, n'était pas sans danger.

Déjà, on entendait, en bas, un bruit de voix dans le vestibule.

– A moi! à moi!.. ne cessait de crier Edith tout en se rhabillant.

Guidé par ses cris, un énorme policeman accompagné d'un chauffeur de taxi, monta jusqu'à notre palier.

– Eh bien… qu'y a-t-il? s'écria l'agent en se précipitant sur moi… vous voulez faire violence à madame?..

J'eus toutes les peines du monde à lui faire entendre qu'il faisait erreur. Il fallut qu'Edith s'en mêlât, mais alors le policeman qui n'avait pas l'esprit très ouvert ne comprit plus rien du tout… Quand il commença à saisir quelque chose de cette histoire, le chauffeur embrouilla tout…

– Venez avec moi au poste, dit l'agent… nous allons voir à tirer cette affaire-là au clair.

J'essayai de persuader à ma maîtresse que ma présence était inutile et compliquerait tout, mais elle insista pour que je vinsse déposer avec elle.

Le poste se trouvait tout près de là, dans Wardour Street. Un constable grincheux reçut la déposition d'Edith, puis la mienne, et il avoua ne rien comprendre à cette affaire… Il finit par en déduire que je vivais en concubinage avec Edith et que le mari de cette dernière, me croyant riche, avait, en compagnie de deux malandrins, essayé de me faire chanter.

Pendant qu'il inscrivait mes réponses sur un registre placé devant lui, un gentleman des plus corrects, au visage rasé, aux habits d'une coupe impeccable, était entré dans la pièce et s'était assis sur une chaise, tout près de la porte. Il avait déplié un numéro du Times et demeurait immobile, la moitié du corps cachée par le journal. Il faut croire cependant que notre affaire le captivait plus que la lecture du Times, car lorsque nous nous apprêtâmes à sortir, Edith et moi, il se leva brusquement et, après nous avoir salués avec la plus exquise politesse, me dit en souriant:

– C'est très curieux cette aventure… oui, très curieux… elle m'intéresse énormément et je vais m'en occuper… Vous avez affaire, monsieur Pipe, à de rusés gredins dont le signalement correspond exactement à celui de deux malfaiteurs de ma connaissance… Quant au troisième, il me semble jouer, dans tout cela, un rôle assez singulier… Rentrez chez vous… Je vais vous suivre et si, comme je le crois, vos ennemis rôdent toujours autour de votre maison, je saurai bien les reconnaître. En tout cas, continuez à vaquer à vos affaires comme si de rien n'était… je veille sur vous.

Et l'inconnu, après avoir prononcé ces mots, s'inclina galamment devant ma maîtresse, me serra la main et sortit du poste.

– Vous connaissez ce gentleman? demanda Edith, une fois que nous fûmes dans la rue.

– Non… pas le moins du monde, c'est la première fois que je le vois.

– Il est très bien, n'est-ce pas?

– Oui, en effet.

– Et vous croyez qu'il va réellement s'occuper de nous?..

– Je ne sais.

– Oh! Edgar, quelle épouvantable scène! Si elle devait se renouveler, je crois que j'en mourrais…

– Tranquillisez-vous… nous ne reverrons pas ces gens-là… Ils n'ont plus rien à faire chez nous.

– Avouez quand même que cette affaire est bien étrange.

– Je vous l'expliquerai en détail, Edith, et vous verrez qu'elle est des plus simples, au contraire.

Nous étions arrivés devant notre maison. Je m'effaçai pour laisser Edith pénétrer dans le vestibule. Elle était toute tremblante.

– Si nous allions, dit-elle, trouver encore dans notre chambre un de ces vilains hommes?

 

– Ne craignez rien, répondis-je… d'ailleurs, je passe devant vous.

Au premier étage, une femme courroucée sortit d'un petit salon. C'était miss Mellis, notre logeuse.

– Vous comprenez, me dit-elle, c'est la première fois qu'un tel scandale se produit dans la maison… et comme je ne veux point qu'il se renouvelle, je vous serai obligée de partir le plus vite possible…

– C'est ce que nous allions faire, ce n'est pas notre faute s'il est venu ici des cambrioleurs… vous devriez vous estimer heureuse qu'ils aient choisi notre logement plutôt que le vôtre… Si votre maison était mieux gardée, pareille chose ne se serait pas produite…

La logeuse, sans répondre, rentra dans la pièce qui lui servait à la fois de salon et de bureau.

Dès que nous fûmes rentrés dans notre chambre, Edith, en voyant le désordre qui y régnait, se mit à pleurer à chaudes larmes et j'eus toutes les peines du monde à la consoler.

– Bah! lui dis-je, en l'aidant à replacer dans l'armoire le linge que Bill Sharper et son acolyte avaient éparpillé sur le parquet… bah!.. le mal n'est pas bien grand!.. vos chemises et vos jupons sont un peu chiffonnés, mais avec un coup de fer, il n'y paraîtra plus… Le plus à plaindre dans toute cette affaire, c'est moi…

– Vraiment?

– Mais oui… N'avez-vous pas remarqué que ces misérables m'ont pris mon portefeuille?

– Et vous n'avez plus d'argent?

– Plus un penny.

– Vous en serez quitte pour retourner chez votre oncle de Richmond.

– Cette fois, il ne voudra rien entendre.

– Vous lui direz que vous avez absolument besoin d'argent pour aller en Hollande.

– Oh! si j'avais le malheur de prononcer devant lui le nom de mon oncle Chaff, il me mettrait immédiatement à la porte…

– Alors?

– Alors, je vais voir… il vous reste bien quelques livres, Edith?

– Oh! une… tout juste…

– Ce sera suffisant pour aller jusqu'à demain soir… d'ici là, j'aviserai.

– Vous ont-ils pris aussi vos billets de chemin de fer?

– Evidemment, puisqu'ils ont emporté mon portefeuille et que les tickets étaient dedans…

Edith s'était assise et demeurait songeuse, pendant que je replaçais soigneusement dans ma malle divers objets épars sur le tapis…

– Edgar, dit-elle au bout d'un instant, plus je réfléchis à cette aventure, plus je la trouve étrange… Comment se fait-il que ces vilains hommes vous connaissent?.. Quelles relations de tels bandits peuvent-ils avoir avec un gentleman comme vous?

– C'est pourtant bien simple, Edith… oui, c'est tout ce qu'il y a de plus simple… Le nommé Manzana a été, comme je vous l'ai déjà dit, domestique chez mes parents et comme il avait dérobé dans la chambre de ma mère un superbe diamant, nous l'avons fait arrêter… Or, savez-vous ce que le drôle a dit devant le juge d'instruction?.. Il a prétendu que c'était moi qui étais le voleur… Faute de preuves, on l'a relâché, mais le misérable a juré de me faire chanter et, chaque fois qu'il me retrouve, il me réclame le diamant afin de le rendre à mon père, prétend-il… Vous saisissez la petite combinaison, n'est-ce pas?

– Pas très bien… car Manzana sait parfaitement que l'on ne trouvera pas ce diamant sur vous…

– Bien sûr… mais il espère ainsi m'intimider et me tirer de l'argent… et vous voyez, son truc réussit, puisqu'il est parvenu aujourd'hui à me chiper mon portefeuille… Il joue du diamant comme d'un appât… c'est un prétexte, voilà tout… c'est de cette façon qu'il amorce la convoitise de ses complices. Chaque fois qu'il me retrouve dans une ville, il recrute quelques malfaiteurs et leur dit: «Je connais un homme qui a sur lui un diamant évalué à plusieurs millions… voulez-vous m'aider à le lui prendre?» Bien entendu, il trouve toujours des amateurs et, à défaut de diamant, il me soulage des bank-notes que j'ai sur moi.

– Mais ce misérable peut vous poursuivre toute votre vie… Pourquoi n'avez-vous pas raconté cela au constable?

– Parce qu'on eût commencé une enquête et que ces formalités judiciaires eussent retardé, sinon compromis, mon voyage en Hollande…

– Cependant, l'enquête se fera quand même?

– Oui, mais elle ne nécessitera pas ma présence continuelle à Londres… On classera l'affaire dans la catégorie des cambriolages ordinaires… tandis que si je me prétendais victime d'une bande de maîtres chanteurs, les interrogatoires n'en finiraient plus.

– Cependant, le constable qui a reçu notre déposition a bien écrit sur son registre «Tentative de chantage»…

– Vous en êtes sûre?..

– Oh! oui… pendant qu'il écrivait, je lisais par-dessus son épaule…

– Bah! nous verrons… le principal c'est que je puisse passer en Hollande le plus tôt possible…

Avais-je convaincu Edith? Cela était douteux, car je crois qu'en lui fournissant toutes ces explications, j'avais bafouillé quelque peu. J'étais, en ce moment, dans la situation d'un homme que se noie et se débat furieusement.

On reconnaîtra qu'il me fallait une jolie présence d'esprit, pour ne pas perdre la tête, au milieu de toutes ces tribulations… Jamais, peut-être, je n'avais été si menacé… Toutes les complications fondaient sur moi, dru comme grêle… J'étais pris dans un filet qui se resserrait peu à peu… D'un bond je pouvais encore me dégager, peut-être, mais qui sait si ce bond n'aurait pas pour résultat de me faire trébucher et tomber dans un nouveau piège ouvert sous mes pas!