Бесплатно

Souvenirs d'une actrice (1/3)

Текст
Автор:
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

XIV

Michot. – Volanges. – Bordier. – Mademoiselle Candeillle. – Dugazon. – Champville. – M. Daigrefeuille. —Les Chevaliers du Quinquet.

Les artistes ne sont vraiment aimables que lorsqu'ils n'ont d'autre fortune que celle que put leur procurer leur talent. Du moment qu'ils deviennent spéculateurs, qu'ils acquièrent des propriétés, semblables au savetier financier, ils n'ont plus de joyeux flon-flon.

Avant 1790, le traitement des acteurs était loin d'être aussi considérable qu'il l'est maintenant. Six, huit, dix mille francs, c'étaient des appointements qu'on n'accordait qu'aux grandes réputations. Celui qui n'avait d'autre patrimoine que son talent, dépensait son revenu et souvent au-delà: ce fut bien autre chose lorsqu'arrivèrent les assignats!

Michot était intimement lié avec mon mari. À mon arrivée de la Belgique, il m'amena sa petite femme, jolie comme un ange, jalouse comme un tigre, et qui aurait bien pu dire, ainsi que Colette:

 
Si des galants de la ville,
J'eusse écouté les discours;
 

Mais comme elle, aussi:

 
Pour l'amour de l'infidèle
J'ai refusé mon bonheur!
 

Nos maris avaient été charmés de nous réunir, afin d'être plus libres. Nous n'étions riches, ni les uns, ni les autres. Ces messieurs avaient trop peu d'ordre, et nous trop de jeunesse, pour y remédier; mais nous possédions encore la gaîté, l'insouciance de cet âge où l'on ne prévoit pas. Pourvu qu'il ne manquât rien à notre toilette, le reste nous occupait fort peu.

Michot était un de ces hommes qui ne prennent jamais la vie au sérieux. Il riait de tout, et faisait rire les autres, ce qui n'était pas un petit avantage en ce temps où la gaîté n'était pas à l'ordre du jour. Il avait un esprit original, et sa manière de dire les choses le rendait aussi comique dans la vie privée que sur la scène. Sa figure ouverte et joyeuse, sa voix pleine de sensibilité qui faisait venir la larme à l'oeil par un mot naïf ou dans une situation touchante, et le rendaient toujours vrai, quel que fût le caractère de son rôle. Il plaisait dans le monde comme au théâtre.

Dans le temps de la république, Michot venait souvent nous raconter des histoires, qu'il recueillait je ne sais où, mais qui nous faisaient éclater Je rire. Il fut mandé à la commune pour y prêter le serment de mourir à son poste. Un facteur qui se trouvait là avant lui ayant prêté le serment de mourir… «À la petite poste, lui dit Michot.»

Il fit sourire la municipalité qui était peu gaie!

Un jour il vint nous raconter qu'un membre de sa section avait demandé la parole pour une motion d'ordre; alors Michot, montant sur une chaise, nous joua la scène en prenant sa voix dans le fausset:

«Je dénonce Coco l'épicier pour avoir vendu du sable d'estampe pour de la castonade; je demande qu'il soit envoyé au tribunal révolutionnaire et jugé comme fédéralisse

Lorsque l'administration du théâtre passa entre les mains de M. Sageret, les artistes furent mal payés; Michot avait composé un dialogue sur l'air des pendus. Il disait à ses camarades assemblés:

 
Es-tu payé de fructidor? – Non.
– Es-tu payé de thermidor? –  Point.
– On me doit encor vendémiaire.
– Moi, je crains beaucoup pour brumaire.
TOUS: – Cela doit-il durer long-temps?
LE RÉGISSEUR: – Jouez toujours, mes chers enfants.
 

Les Bons Gendarmes, qui ont valu tant de succès à Odry, avaient été composés par Michot dans un temps où l'on ne parlait point encore d'Odry, mais celui-ci a le mérite d'en avoir tiré un immense parti, il faut lui rendre cette justice. Michot ne les avait composés que pour les plaisirs du foyer.

Lorsque je revins de l'étranger, en 1813, Michot était devenu riche, mais il n'était plus aimable. Ce n'était plus cette vie d'artiste, rieuse et insouciante; ce n'était plus Michot que j'avais connu en 90. Il avait quitté cette jolie Sophie! c'était un propriétaire! c'était le seigneur de Verrières!

Volanges était un de ces acteurs de genre pour lesquels on compose des ouvrages et qui les font presque toujours réussir. Ils finissent même souvent par acquérir une immense vogue, comme nous l'avons vu depuis, et comme nous le voyons encore. Volanges était célèbre dans les Vieux Procureurs, appelés Jérôme-Pointu[53] auxquels il avait donné un caractère particulier. Son changement de physionomie annonçait une grande mobilité; il jouait toute la famille des Pointus à lui seul. Il avait une telle facilité, une telle promptitude dans ses travestissements, qu'il sortait par un côté du théâtre et rentrait presqu'aussitôt par l'autre: c'est lui qui a commencé ce genre de pièces que l'on a tant imité depuis.

Sa vogue fut si grande, son talent tant admiré, qu'on le crut capable de réussir dans tous les genres. Alors une plus grande scène que celle où il brillait lui ouvrit ses portes: ce fut le théâtre Favart; on y jouait la comédie à cette époque. Il y avait de fort bons acteurs, et ils exploitaient particulièrement le répertoire de Marivaux. Ils voulurent avoir l'acteur à la mode; car, alors comme à présent, on se persuadait que, lorsqu'on a montré un grand talent dans un genre, on doit réussir dans tous. L'expérience tant de fois renouvelée n'a pu convaincre encore qu'à Paris surtout, en changeant de cadre, je dirai même de quartier, par conséquent de public, l'on perd tous ses avantages. C'est ce que nous avons vu pour d'excellents acteurs de vaudeville, et que l'on vit alors pour Volanges. La foule, qui s'était portée à son premier début, diminua bientôt à ceux qui suivirent, et ensuite on n'en parla plus; il fut trop heureux de revenir à son genre, et alla l'exploiter en province et à l'étranger.

Quant à Bordier, il aurait peut-être réussi dans les rôles comiques, au nouveau théâtre de la rue de Richelieu, car il avait un talent naturel comme celui de Michot, mais il était plus général. La manière dont il a joué dans les pièces de Dumaniant, pièces qui n'étaient pas du bas comique et qui se rapprochaient déjà de la bonne comédie, a prouvé qu'il eût été bien dans ce genre.

Bordier venait de périr, à Rouen, victime d'une émeute populaire. On fit venir, pour le remplacer, Fusil qui était à Marseille. Je connaissais peu le talent de Bordier, le théâtre des Variétés étant celui où j'allais le moins, lorsque j'étais à Paris chez madame Saint-Huberty. À mon retour, Bordier était mort, mais voici ce que j'ai entends raconter à Michot et à Dumaniant qui le savaient pertinemment.

Bordier relevait d'une maladie dangereuse (dont il eût mieux fait de mourir). Un de ses amis l'engagea à passer quelque temps à la campagne, près de Rouen, pour se remettre tout à fait. Il n'était nullement dans l'intention d'y donner des représentations, mais il fut tellement sollicité, qu'il ne put résister aux instances des jeunes gens de la ville qui l'accueillirent avec transport. Ils l'entraînaient sans cesse à de nouvelles parties de plaisir. Un soir qu'il venait de la chasse avec ses amis, ils trouvèrent la ville en rumeur et en révolte ouverte contre l'autorité. Un avocat, avec lequel Bordier était intimement lié, se trouvant à la tête de l'émeute, il fut entraîné par un groupe qui marchait à l'Hôtel-de-Ville, et il suivit, sans savoir même de quoi il s'agissait. Les troupes les eurent bientôt dispersés, et plusieurs d'entre eux furent arrêtés: l'avocat et Bordier, qui raccompagnait, se trouvèrent du nombre.

Parmi ces turbulents, il y avait des jeunes gens qui appartenaient aux premières familles de la ville. Lorsqu'on instruisit le procès, ils furent mis hors de cour. L'avocat et Bordier furent condamnés, parce qu'il fallait faire un exemple, et pour empêcher que les troubles ne se renouvelassent.

C'était bien le cas de lui appliquer cette malheureuse prophétie qu'il répétait si souvent dans la pièce des Intrigants de Dumaniant: «Vous verrez que je serai pendu pour arranger l'affaire.»

Mademoiselle Fiat, qui devait épouser Bordier, quitta le théâtre: ce fut une grande perte.

Mademoiselle Candeille était douée de tout ce qui peut faire une personne accomplie. Sa taille était bien prise, sa démarche noble, ses traits et sa blancheur tenaient des femmes créoles. Elle possédait à un très haut degré plusieurs talents, la harpe, le piano surtout. Elle avait de l'esprit et de l'instruction; nous avons vu d'elle plusieurs ouvrages qui ont réussi. Elle jouait agréablement la comédie; c'était la meilleure personne du monde, et elle avait un caractère charmant: enfin elle réunissait à elle seule plus de qualités qu'il n'en eut fallu à plusieurs pour être admirées. Il semblait que les fées eussent assisté à sa naissance et l'eussent douée de tous les dons; mais, hélas! on avait sans doute oublié d'y convier une petite fée Carabosse qui s'en était bien vengée, car d'un seul coup de baguette elle avait détruit leur ouvrage. «Tu auras, lui avait-elle dit, un défaut qui t'empêchera de profiter de tous tes avantages, l'afféterie; tu ne diras rien comme une autre; tu jetteras tellement tes talents à la tête, que l'on en sera fatigué; enfin de chacune de les perfections naîtra un ridicule, et l'on y ajoutera encore en te prêtant la sottise des autres, convaincu de ce vieil adage, qu'on ne prête qu'aux riches.» Cela n'a pas manqué, car il n'y a pas jusqu'au gigot de mouton, mot connu pour appartenir à madame de Mauléon, et qui remonte au siècle de Louis XV, que l'on n'ait mis sur le compte de mademoiselle Candeille: et l'on ne peut dire qu'un gigot est tendre sans que l'on répète aussitôt, «il n'en est que plus malheureux» comme le disait mademoiselle Candeille, ou du moins comme on le lui faisait dire[54]. Elle s'est mariée deux fois et n'a jamais été heureuse, parce qu'elle avait rêvé au bonheur qui n'existe que dans les romans ou dans les nids des tourterelles. Je l'ai revue en Angleterre; elle n'était plus jeune, mais toujours bonne, aimable, spirituelle, et toujours ridicule.

 

On comprend difficilement qu'on ait de la gaîté, du naturel dans la société, et qu'on soit morne et froid sur la scène; c'est cependant ce qui arrivait à Champville, neveu de Préville. S'il avait pu être au théâtre aussi amusant que dans le foyer, il eût eu un succès brillant. Garçon d'esprit d'ailleurs, c'était un des Coryphées les plus agréables de cette réunion. Lui, Michot, souvent Talma, mois surtout Dugazon, auraient fait oublier une pièce qu'on aurait eu la plus grande envie de voir. C'était un feu roulant de folies. Dugazon avait un fond de gaîté inépuisable: ce n'était jamais pour amuser les autres qu'il était ainsi; c'était pour s'amuser lui-même. Il avait une incroyable facilité pour copier le caractère de la figure et les habitudes du corps. Dans le valet du Muet, lorsqu'il venait raconter la conversation des deux pères, on croyait les voir et les entendre, tant il s'identifiait avec ses personnages. Aussi, lorsqu'ils arrivaient après ce récit, on entendait rire de tous côtés. Mais où il nous montra le mieux son talent dans ce genre, ce fut un soir avec M. Daigrefeuille, ancien conseiller au Parlement, bien connu du temps du grand chancelier Cambacérès, dont il ne quittait pas l'hôtel. Celait un petit homme, replet et tout d'une pièce; son geste était rapide, ses bras courts, et retirés en arrière: ses gros yeux ronds lui donnaient un air étonné tout à fait comique.

Il arrive un soir au foyer et se met à causer avec Du gazon, d'une manière très vive. Celui-ci, qui paraissait entièrement occupé de ce que lui disait son interlocuteur, répondait les yeux attachés sur les siens, de manière à fixer son regard; pendant ce temps, il prenait ses attitudes de corps, ses mouvements, sa physionomie; enfin, il imitait toute sa pantomime, de façon à lui ressembler parfaitement.

Ils étaient debout sous le lustre, et parlaient avec chaleur, tout en gesticulant. Ceux qui étaient à quelque distance s'apercevaient insensiblement de cette scène des deux sosies, et se sauvaient pour ne pas éclater de rire. Cela dura assez long-temps, et M. Daigrefeuille fut le seul qui ne s'en aperçut pas.

Ce foyer était alors fréquenté par les gens de lettres et les amis des artistes; on s'y amusait sans mauvais goût, et l'on y accueillait tout le monde avec grâce et politesse. On avait surnommé les plus assidus Les Chevaliers du Quinquet. Talma, qui en était le président, ne parlait jamais avant que le dernier quinquet fût éteint. Comme Talma était aimable et gai, il trouvait toujours des amateurs pour finir le quinquet avec lui.

XV

Le mariage de Fabre d'Églantine.

Dans une de ces soirées, dont Fabre d'Églantine faisait souvent partie, on se racontait toutes sortes d'anecdotes. Un jour que l'on parlait à Fabre de son mariage avec mademoiselle Lesage, il nous raconta d'une façon fort plaisante comment l'opéra du Magnifique lui avait servi à enlever sa femme.

Le Magnifique, opéra de Sedaine, musique de Grétry, ne se joue plus depuis long-temps, et de personnes en ont conservé une légère idée. On citait le morceau du Quart-d'Heure, qui dure juste ce temps, et fait le principal intérêt de la pièce: il fut aussi la principale cause du mariage de Fabre.

Un tuteur garde avec soin une jeune et belle fille qui lui a été confiée. Son père, en partant pour les Indes, a transmis tous ses droits sur sa fille et sur ses biens au seigneur Aldobrandin. Le laps de temps qui s'est écoulé, sans qu'on n'en ait reçu aucune nouvelle, fait croire que ce père n'existe plus. D'après cela, Aldobrandin, qui convoite la fortune, cherche à se l'assurer en épousant sa pupille. Comme presque toutes les pupilles de comédie, elle ne connaît que son tuteur; plus docile, elle s'est résignée à sa volonté; mais ce fripon d'amour, qui n'a jamais fait autre chose que de se jouer des jaloux, vient traverser ses projets.

Un beau seigneur, connu à Florence par sa richesse, sa bonne mine et sa générosité, qui l'a fait surnommer le Magnifique, a entendu parler vaguement d'une beauté mystérieuse. Il a fait peu d'attention à ces discours; mais, un jour de solennité publique, il aperçoit sur un balcon la plus charmante personne qu'il ait jamais rencontrée sur son chemin. Le beau Florentin, attirant tous les regards par la magnificence de sa suite, son superbe coursier et sa bonne grâce à le manier, ne pouvait manquer d'attirer l'attention de la jeune pupille. Leurs yeux se rencontrèrent, et cette étincelle électrique, ce magnétisme du coeur, qui fait qu'on se comprend sans s'être jamais parlé, qui fait rêver à un objet à peine entrevu, ce magnétisme qui existait avant que le mot n'en fût inventé, les frappa tous deux au même notant. Rentrée dans sa retraite, la jeune fille fut triste et rêveuse, et au milieu des fêtes, le seigneur Octavio ne cessa de penser à cette charmante apparition. Il parla du seigneur Aldobrandin, dans l'espoir qu'on pourrait lui donner quelques renseignements sur sa pupille; mais personne ne savait rien sur cette merveille constamment dérobée à tous les regards.

Le lendemain, il l'ait venir dans son palais un certain Fabio, espèce de Figaro; celui-ci n'est point barbier, mais courtier d'affaires des gens importants de Florence, et fort au courant de ce qui s'y passe. Il a surtout une grande connaissance en chevaux, ce qui fait qu'on l'emploie pour toutes les acquisitions de ce genre. Le Magnifique possède le plus beau haras du pays, et le seigneur Aldobrandin, qui est grand amateur, a remarqué, le jour de la course, la haquenée du Florentin avec autant de plaisir que celui-ci a admiré sa pupille. Tous deux s'adressent à Fabio par un motif bien différent: le tuteur veut faire l'acquisition du cheval. Octavio, charmé d'apprendre qu'il peut y avoir quelques rapports entr'eux, répond à la proposition de l'avare tuteur par ces mots: «Ma haquenée n'est point à vendre; cependant, comme je voudrais de tout mon coeur obliger le seigneur Aldobrandin, je la lui céderai pour dix mille ducats.»

On pense que le seigneur Aldobrandin trouve cette somme exorbitante, et qu'il aime mieux renoncer au cheval que de le posséder à ce prix. Après plusieurs pourparlers, par l'entremise de Fabio, Octavio, voyant l'extrême envie du tuteur, et cherchant à l'exciter, se résume ainsi:

«J'ai entendu vanter la beauté de la pupille du seigneur Aldobrandin, je désirerais savoir si son esprit est égal à ses charmes; qu'il me permette de causer un quart-d'heure avec elle, en sa présence, mais sans qu'il puisse nous entendre, et mon cheval est à lui.»

Le tuteur, choqué de la proposition, la rejette avec indignation; cependant il s'en occupe. Fabio, qui trouve qu'un quart-d'heure de conversation pour un cheval de dix mille ducats est un marché excellent, l'engage beaucoup à l'accepter; il lui chante même à ce sujet un morceau très bien fait sur les détails de la beauté et des qualités du cheval, l'assurant qu'il n'a point vu de plus fier animal[55]. Enfin, à force d'y réfléchir, le tuteur trouva un moyen de concilier son avarice et sa jalousie, après avoir fait prier le Magnifique de venir chez lui afin de connaître s'il peut lui permettre de

 
Causer, jaser, en tout honneur,
Sans nulle expression badine.
Sans nul mot qui choque son coeur.
 

Le tuteur tient surtout à être présent.

 
Eh bien! soit, vous serez présent,
Mais vous ne nous entendrez pas,
Et vous vous tiendrez à dix pas.
 

Les choses bien convenues, l'heure prise, le tuteur est assez embarrassé de s'en expliquer avec sa pupille; il cherche d'abord à exciter son indignation, l'assure qu'il n'a consenti que pour punir ce jeune homme de sa présomption, et qu'il attend d'elle qu'elle lui témoignera son mépris en ne répondant pas un mot aux discours qu'il pourra lui tenir: d'ailleurs il sera présent et observera attentivement.

L'acte commence. Clémentine est placée près d'une table sur laquelle l'on voit une corbeille de fleurs; elle tient à sa main une rose. Le Florentin arrive, la salue profondément; il est paré de tout ce que le désir de plaire a pu lui suggérer de plus élégant. Le tuteur se place à dix pas, il tient à sa main une montre; Octavio remet la sienne à Fabio, et le quart-d'heure commence (je joins ici les paroles pour l'entente de la scène):

 
Pardonnez, ô belle Clémentine,
Le propos que je vais tenir,
Mais je n'ai qu'un instant à vous entretenir,
Et cet instant me détermine
À risquer sans détour l'objet de mon désir:
De vous dépend le bonheur de ma vie!
J'ai pour vous le plus tendre amour,
Et je désire, hélas! par un juste retour,
Voir votre main avec la mienne unie.
Répondez moi, je vous en prie?
Quoi! pas un mot, pas un seul mot! Dieu! quel silence!
Oh! ciel! que faut-il que je pense?
Serait-ce du mépris? Non, non. Que pourrait-ce être?
 

Clémentine tourne languissamment la tête vers son tuteur.

 
Ah! je le vois,
Votre tuteur vous fait la loi!
Il vous force, par sa présence.
À garder ce cruel silence.
 

[…]

 
Mais on peut tromper son adresse,
L'amour me donne le moyen
De briser l'indigne lien
Dont la contrainte à la fois blesse
L'amour et la délicatesse,
Mon honneur et votre sagesse.
Ah! à vous approuvez mon dessein,
Ouvrez ces doigts charmants, laissez tomber la rose
Que vous tenez à votre main.
Ce signal à l'instant dispose
De nos deux coeurs et fixe mon destin.
Tombez, tombez, rose charmante,
Tombez aux pieds de mon vainqueur,
Devenez l'organe du coeur,
Devenez pour nous éloquente;
Et que la plus charmante fleur,
De la beauté la plus charmante,
De la flamme la plus ardente,
Soit l'interprète, etc., etc.
 

Il sollicite la belle Clémentine assez long-temps pour que le quart-d'heure s'écoule; la rose tombe et elle disparaît. Fabio trouve qu'un beau cheval pour une rose est un excellent marché; Octavio lui laisse la montre enrichie de diamants, et Fabio s'écrie:

Ah! grand Dieu! qu'il est magnifique!

Il faut savoir, maintenant, comment cet opéra contribua au mariage de Fabre d'Églantine.

Il était dans une ville du Languedoc, où il jouait les rôles de Molé et de Larive, assez médiocrement, dit-on; il rêvait déjà poésie et littérature, où il devait mieux réussir que dans la comédie. Il eût été heureux pour lui qu'il n'eût jamais l'ait que ce rêve-là. Mademoiselle Lesage[56] était attachée au même théâtre que Fabre; elle chantait les prime donne; elle avait une voix superbe, et elle était aimée autant qu'estimée, dans cette ville, ainsi que sa famille. Fabre en devint éperdument amoureux; il ne lui déplut pas, elle lui permit même de demander sa main; mais ses parents ne furent pas du même avis; on la lui refusa très positivement. Les obstacles irritent l'amour; ils s'aimaient, bientôt ils s'adorèrent; mais ils étaient surveillés avec une telle vigilance, qu'ils ne pouvaient se dire un mot, encore moins s'écrire.

Fabre, dont l'esprit avec beaucoup d'invention (il nous l'a bien prouvé dans son Intrigue Épistolaire), se creusait cependant en vain la tête pour trouver quelque moyen; il n'en vit pas de plus sur que d'enlever sa belle et d'aller se marier à Avignon: on serait bien alors forcé à ratifier le mariage; c'était la seule réparation qu'on pût exiger, et il était plus que disposé à s'y conformer; mais cela ne pouvait guère se faire sans le consentement de la demoiselle, et comment l'obtenir? comment s'entendre sans se parler? Fabre était extrêmement lié avec le chef d'orchestre, auquel il faisait des paroles pour sa musique, et qui l'aidait de ses conseils dans ses amours. – Ne pourrais-je pas, lui dit-il un jour, entreprendre de jouer l'opéra? j'aurais au moins l'occasion de lui parler pendant les ritournelles. – Mais, lui répondait l'autre, tu n'es pas musicien, et tu ne saurais pas tirer parti de ton peu de voix. – Tu me donnerais des leçons. – L'administration s'opposerait à tes projets; il n'y aurait que pour un bénéfice d'acteur que cela serait possible. – Eh bien! je prierai le premier chanteur de me laisser jouer le rôle du Magnifique dans sa représentation; il est mon ami, il appréciera mon motif et il consentira. – Es-tu fou? le rôle du Magnifique! et le quart-d'heure, qui en est recueil! – C'est justement sur le quart-d'heure que je compte pour expliquer à ma Clémentine mon projet; la rose, tombant d'un côté convenu, sera le signal de son consentement. – Fort bien, si tout cela pouvait se faire en parlant, mais en chantant! – Tu verras, tu verras, l'amour rend capable de tout. – Mais l'amour ne fait pas chanter ceux qui n'ont pas de voix!

 

Fabre court chercher la partition, et le voilà essayant son quart-d'heure. On baisse le ton, cela n'allait pas trop mal; d'ailleurs il se liait sur le dialogue, qui est assez important: un comédien médiocre dit mieux qu'un chanteur habile. Le jour arrivé, il redoubla de courage. Ses costumes étaient superbes. Comme il était fort aimé des jeunes gens, ils l'applaudirent. Quand vint le fameux quart-d'heure, il trouva moyen, pendant la première ritournelle, d'instruire la jeune personne de la moitié de son projet, et, pondant la seconde, de le lui dire tout à fait. On peut penser avec quelle expression il chanta:

Tombez, tombez, rose charmante.

C'était au point que le chef d'orchestre était sur les épines, et tremblait qu'il n'en perdit ton et mesure. Tout fut convenu entre eux; il enleva la demoiselle, et ils partirent sur-le-champ pour Avignon, espèce de Gretna green[57] où l'on était marié, grâce au nonce du pape. Ils écrivirent de là pour obtenir leur pardon. La famille ne pouvait plus refuser, et ils revinrent ratifier leur mariage. Cela fit un tel bruit dans la ville, qu'on voulut les revoir dans cet opéra, source de leur bonheur, et on leur jeta ces vers sur la scène:

 
Le Magnifique à l'amour le dispose,
De son bonheur il doit s'enorgueillir.
Heureux qui fait tomber la rose,
Plus heureux qui sait la cueillir.
 

Другие книги автора