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Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie

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CHAPITRE II.
DE L'EXACTITUDE RELATIVE DE FROISSART

La conscience de Froissart n'est pas moins incontestable que sa bonne foi; mais, de même que celle-ci n'empêche pas toujours la partialité, la conscience de l'auteur des Chroniques n'exclut point, hélas! un fréquent défaut de critique. Il serait souverainement injuste de demander à un chroniqueur qui a dû composer la plupart de ses récits d'après des témoignages purement oraux l'exactitude matérielle qu'il est si facile d'atteindre aujourd'hui grâce aux ressources de tout genre mises à la disposition des historiens depuis la découverte de l'imprimerie.

Si l'on veut apprécier équitablement le degré de conscience apporté par Froissart dans la recherche de la vérité, il le faut comparer sous ce rapport aux autres annalistes ses contemporains: on verra que la comparaison n'est nullement défavorable au chroniqueur de Valenciennes.

Assurément, ce qu'il y a de plus défectueux dans l'œuvre de Froissart, c'est sa chronologie et sa géographie ou plutôt sa stratégie; et pourtant il est loin de fausser les dates, de confondre et d'estropier les noms au même degré que tel autre chroniqueur de la même époque, Jean le Bel, par exemple. Quelques-unes des plus grossières erreurs de ce volume, Cardueil ou Carlisle placé en Galles167, Guillaume168 de Douglas et Louis169 de Crainhem substitués à Jacques de Douglas et à Léon de Crainhem, le titre de comte de Richemont170 conféré à Robert d'Artois, le noble et riche Jacques d'Arteveld transformé en simple brasseur de miel171: ces erreurs et une foule d'autres sont autant d'emprunts malheureux faits à la chronique du chanoine de Liége.

Combien Froissart est moins inexact que son modèle dans les parties qui lui appartiennent en propre, telles que le récit des campagnes d'Écosse172 de 1333 à 1336 ou de la guerre de Gascogne173! Là encore sans doute notre chroniqueur intervertit souvent l'ordre des événements, il brouille les dates, surtout il ne se rend pas toujours un compte bien exact des mouvements stratégiques, il altère parfois au point de la rendre méconnaissable la forme de certains noms de personne ou de lieu: il n'en est pas moins vrai que l'éditeur a pu identifier à peu près sûrement la plupart des localités d'Écosse ou de Gascogne mentionnées dans les deux longues narrations dont il s'agit.

La géographie de Froissart est même en certains cas d'une exactitude minutieuse jusque dans les détails les plus infimes. Ainsi dans le récit de la guerre de Gascogne, l'auteur des Chroniques dit quelque part que les Français mirent le siége «devant Miremont, qui siet sur le rivière de Dourdonne174.» Ce mot de Dourdonne fait supposer au premier abord qu'il s'agit de la Dordogne: on consulte la carte de Cassini, et l'on voit que Miramont se trouve à une assez grande distance de cette rivière. Il ne faudrait pas se presser d'en conclure que Froissart s'est trompé, car on ne tarde pas à découvrir, si l'on poursuit cette recherche, que Miramont est en effet situé sur un tout petit ruisseau qui s'appelle encore aujourd'hui, comme au temps du chroniqueur, la Dourdoine.

Après Jean le Bel, prenez le continuateur de Guillaume de Nangis, le moine Jean de Venette ou encore le continuateur des Grandes Chroniques de France pour les règnes de Philippe de Valois, de Jean et de Charles V. Personne ne niera que ce dernier principalement se trouvait dans les conditions les plus favorables pour donner à son œuvre un caractère particulier d'exactitude: il était à la source des documents authentiques. De plus, il semble que la maigreur un peu sèche de ses récits, la discrétion officielle, compassée, de son allure, aurait dû le préserver des écarts, des faux pas où s'expose et se laisse inévitablement entraîner le génie primesautier, abondant, aventureux du chroniqueur de Valenciennes. Et pourtant on n'ignore pas que les erreurs de tout genre ne sont guères moins nombreuses dans les Grandes Chroniques de France que dans celles de Jean de Venette et de Froissart.

Entre les diverses compositions du même genre que nous a léguées le quatorzième siècle, celle qui soutient avec le plus d'avantage le contrôle des chartes est la Chronique des quatre premiers Valois. Telle est du moins l'opinion d'un juge dont personne ne récusera la compétence, M. Léopold Delisle. Dans cette Histoire du château de Saint-Sauveur-le-Vicomte où il a renouvelé de fond en comble l'histoire de la première partie de la guerre dite de Cent ans, le savant membre de l'Institut a eu l'occasion de confronter les principaux chroniqueurs contemporains de Froissart avec les pièces authentiques, originales; et c'est la Chronique des quatre premiers Valois qui a le mieux résisté à une aussi redoutable épreuve; mais cette chronique ne mesure, soit dans le temps soit dans l'espace, qu'un champ fort restreint, elle est presque exclusivement provinciale; il ne faut pas oublier d'ailleurs qu'elle a dû être écrite par un Normand.

Des considérations qui précèdent il ressort avec évidence que Froissart, quoiqu'il ait embrassé dans sa narration l'histoire de plusieurs pays et qu'il ait donné à son œuvre une étendue tout à fait exceptionnelle, égale néanmoins, s'il ne surpasse, au point de vue de l'exactitude, la plupart des chroniqueurs contemporains. D'où vient donc que l'opinion contraire est passée pour ainsi dire à l'état de légende, alors que tant d'annalistes du haut moyen âge ou de l'Antiquité, qui sont peut-être moins exacts que le chroniqueur de Valenciennes, jouissent sous ce rapport d'une meilleure renommée? La raison en est que les érudits ont abondamment ce qu'il faut pour contrôler et rectifier Froissart, pour le percer à jour, tandis que nombre d'auteurs anciens échappent plus ou moins à la critique par leur isolement relatif et l'obscurité même dont ils sont enveloppés. Sans parler d'Hérodote et de Tite-Live aussi mal famés que l'auteur des Chroniques, est-il bien sûr que les Commentaires de César, par exemple, si nous en pouvions vérifier pour ainsi dire jour par jour les moindres détails à l'aide d'une masse énorme de documents de tout genre analogue à celle qui projette sur l'histoire du quatorzième siècle ce faisceau de lumière dont les chroniqueurs de la même époque ont tant de peine à soutenir l'éclat, est-il bien sûr, dis-je, que, placés dans ces conditions, les Commentaires de César eux-mêmes garderaient parfaitement intacte leur réputation classique d'exactitude? Certes, on admirera toujours les belles lignes architecturales d'un Thucydide ou d'un Salluste qui se dessinent avec l'harmonie d'un fronton de Phidias dans le ciel lumineux et pur: qui sait cependant si, le jour où il nous serait donné d'appliquer à ces incomparables historiens les moyens de contrôle nombreux, variés, précis dont la critique dispose pour l'époque moderne, nous n'aurions pas à faire des réserves sur l'exactitude d'une foule de détails qu'ils ont racontés?

Voilà pourquoi, soit dit en passant, les esprits vraiment soucieux d'atteindre aussi sûrement que possible, sinon la vérité, du moins la réalité historique, n'abordent pas volontiers l'étude de l'Antiquité et notamment des périodes où la pénurie des documents rend le contrôle multiple, détaillé des faits presque impossible. Le peu qui nous reste sur ces époques obscures ressemble à ces nuages flottant à l'horizon que notre imagination façonne à sa guise, où elle met elle-même ce qu'elle veut y voir. Qui pourrait empêcher un historien des premiers temps de Rome, pourvu que son érudition procède avec logique, de donner pleine carrière à sa fantaisie et d'élever gravement les constructions les plus chimériques? Où il y a si peu de chose, pour ne pas dire rien, le roi ne perd-il pas ses droits?

 

La situation change et devient tout autre s'il s'agit de l'histoire de l'Europe occidentale, surtout à partir du douzième siècle. Depuis cette époque jusqu'à l'invention de l'imprimerie, il faut convenir qu'au point de vue de l'exactitude les chroniqueurs qui ont vécu dans l'intervalle se présentent à la postérité dans des conditions exceptionnellement défavorables. D'une part, en effet, ils n'ont pas eu à leur disposition les ressources inépuisables que la presse a fournies à leurs successeurs: la rareté des manuscrits, des pièces authentiques, originales, en les forçant à s'appuyer presque exclusivement sur des témoignages oraux, ne leur a pas permis de soumettre les faits à une vérification complète, minutieuse, approfondie. D'autre part, les documents deviennent assez nombreux, assez variés, assez précis à partir du douzième siècle pour que la critique y trouve aujourd'hui les instruments dont elle a besoin et contrôle avec leur aide les compositions historiques contemporaines de ces documents. Il arrive ainsi que les chroniques, rédigées du douzième siècle à la fin du quinzième, nous paraissent moins exactes et les chroniqueurs moins consciencieux qu'avant et après cette date, quoique cette apparence puisse être dépourvue de fondement. De telles conditions sont encore plus défavorables pour les chroniqueurs dont nous parlons, s'ils ont entrepris, comme Froissart et Villani, pour ne citer que ces deux noms, d'embrasser à la fois l'histoire de plusieurs pays, et si, comme le chroniqueur de Valenciennes, ils n'ont pas craint de donner à leur œuvre une étendue supérieure à celle des monuments du même genre les plus considérables que l'Antiquité nous ait laissés. A qui ne réfléchit pas à cet ensemble de circonstances, Froissart peut sembler un prodige d'inexactitude, mais en réalité il n'y a là qu'un simple malentendu. Ce n'est pas notre chroniqueur qui est plus inexact que tel annaliste qui l'a précédé, que Richer, par exemple, c'est nous qui sommes infiniment mieux instruits sur le quatorzième siècle que sur le dixième: ce n'est pas l'eau de la source qui est plus froide, c'est notre main qui est plus chaude.

CHAPITRE III.
DU GÉNIE LITTÉRAIRE DE FROISSART

Si l'exactitude de Froissart peut être mise en doute, ce que personne ne conteste, c'est le charme du narrateur, le talent de l'écrivain, pour ne pas dire du peintre. Ce charme est vraiment irrésistible, il a parfois été inspirateur; et ce n'est pas une médiocre gloire pour l'auteur des Chroniques d'avoir contribué puissamment à éveiller le génie de l'un des plus grands enchanteurs de ce siècle, de Walter Scott.

Ce qui fait goûter un si vif agrément à la lecture de Froissart prosateur, c'est que la pensée ou le sentiment y porte toujours l'expression: le procédé, le métier, l'école ne se trahit nulle part; on sent que l'on a affaire à un homme, non à un rhéteur ou, comme on dirait aujourd'hui, à un virtuose. Aussi, les beautés du chroniqueur n'ont-elles rien d'artificiel, d'apprêté, rien qui sente la serre chaude: elles fleurissent souvent au milieu même des aspérités ou de la rusticité inculte de la langue, et elles ont moins d'éclat que de parfum.

Toutefois, au point de vue littéraire, comme au point de vue historique, on n'a peut-être pas rendu jusqu'à ce jour pleine justice à Froissart, parce qu'on ne le connaissait pas tout entier. La troisième rédaction du premier livre, dont la publication est très-récente, nous montre une face inattendue et nouvelle du génie du grand chroniqueur. Dans cette rédaction qui date des dernières années de sa vie, Froissart, mûri sans doute par l'âge et l'expérience, fait preuve d'une profondeur d'observation qu'aucun écrivain n'a surpassée. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire cet admirable portrait de la nation anglaise.

«Englès sont de mervilleuses conditions, chaut et boullant, tos esmeu en ire, tart apaisié ne amodé en douçour; et se delittent et confortent en batailles et en ocisions. Convoiteus et envieus sont trop grandement sus le bien d'autrui, et ne se pucent conjoindre parfaitement ne naturelment en l'amour ne aliance de nation estragne, et sont couvert et orguilleus. Et par especial desous le solel n'a nul plus perilleus peuple, tant que de hommes mestis, comme il sont en Engleterre. Et trop fort se diffèrent en Engleterre les natures et conditions des nobles aux hommes mestis et vilains, car li gentilhomme sont de noble et loiale condition, et li communs peuples est de fêle, perilleuse, orguilleuse et desloiale condition. Et là où li peuples vodroit moustrer sa felonnie et poissance, li noble n'aueroient point de durée à euls. Or sont il et ont esté un lonch temps moult bien d'acort ensamble, car li noble ne demande au peuple que toute raison. Aussi on ne li soufferroit point que il presist, sans paiier, un oef ne une poulle. Li homme de mestier et li laboureur parmi Engleterre vivent de ce que il sèvent faire, et li gentilhomme, de lors rentes et revenues; et se li rois les ensonnie, il sont paiiet, non que li rois puist taillier son peuple, non, ne li peuples ne le vodroit ne poroit souffrir. Il i a certainnes ordenances et pactions assisses sus le staple des lainnes, et de ce est li rois aidiés au desus de ses rentes et revenues; et quant ils fait gerre, celle paction on li double. Engleterre est la terre dou monde la mieulz gardée175

Quelle vigueur de coloris, quelle justesse de ton, et comme le peintre a fait puissamment saillir tous les traits caractéristiques de son modèle! Aussi le portrait n'est pas moins vivant, moins ressemblant aujourd'hui qu'il y a quatre siècles.

Les termes empruntés à la peinture viennent naturellement sous la plume quand on parle de l'auteur des Chroniques: c'est que Froissart est avant tout un peintre dont les tableaux présentent les mêmes caractères que ceux des maîtres de l'école flamande. Il a le plus souvent la grâce naïve176, la candeur expressive de Jean van Eyck son contemporain, ou d'Hemling; mais le beau portrait du peuple anglais prouve qu'à l'occasion il possède aussi la touche large, le dessin correct d'Antoine van Dyck. Quand on lit dans la première rédaction la narration si chaude, si colorée, si pleine de mouvement, des journées de Crécy ou de Poitiers, on croit être devant des batailles de Rubens. Relisez, car vous devez l'avoir lu, le ravissant épisode de la partie d'échecs entre Édouard III et la belle comtesse de Salisbury dans la seconde rédaction, et vous conviendrez que les Hollandais eux-mêmes, Miéris, Metzu, n'ont jamais peint scène d'intérieur avec une finesse plus exquise. Et toutes les scènes de la chevauchée à travers le pays de Foix, le Béarn, en compagnie d'Espaing de Lyon, ne dirait-on pas autant de toiles de Téniers qui se déroulent successivement devant nos yeux!

Certains critiques prétendent que l'on trouve en raccourci dans l'Iliade d'Homère tous les développements ultérieurs de la civilisation grecque. De même, Froissart résume avec éclat les divers aspects de ce génie du pittoresque intime, familier, à la fois individualiste et pathétique, par où les maîtres de l'école flamande ont introduit dans l'art comme un nouveau monde.

Il ne faut donc pas s'étonner de la prédilection que la France de l'Escaut a toujours témoignée pour l'auteur des Chroniques; elle retrouve en lui, non-seulement un de ses plus glorieux enfants, mais encore le représentant peut-être le plus complet des rares qualités qui la distinguent; elle se reconnaît dans cet écrivain qui sait joindre à tant de dons heureux, une patience à toute épreuve, une persévérance infatigable.

Qui ne serait saisi d'admiration en voyant que Froissart a remis sur le métier et refondu complétement, à deux reprises différentes, un ouvrage d'une étendue aussi considérable que son premier livre! De quelle vocation impérieuse il fallait être animé pour recueillir des matériaux historiques au prix de voyages lointains, de chevauchées par monts et par vaux, d'enquêtes poursuivies pendant près de cinquante ans! La vieillesse elle-même ne ralentit pas le zèle du chroniqueur; il était plus que sexagénaire lorsqu'il entreprit de remanier une dernière fois son premier livre, et tout porte à croire qu'il ne déposa la plume qu'avec la vie. L'amour, a dit Pascal, est un éternel recommenceur. Froissart aimait tant les beaux faits d'armes, les hautes emprises, les nobles aventures, qu'il en recommença le récit jusqu'à sa mort.

Je manquerais à mon devoir si je ne remerciais, avant de terminer cette Introduction, la Société de l'histoire de France de l'honneur insigne qu'elle m'a fait en me choisissant comme éditeur de Froissart. M. Jules Desnoyers, secrétaire de la Société, M. Léopold Delisle, président du comité de publication, MM. Jules Quicherat, Jules Marion, Henri Bordier, membres du même comité, qui m'ont présenté au choix du conseil, ont particulièrement droit à mes remercîments.

M. Léopold Delisle mérite un hommage spécial. Le premier, il a eu l'idée de me proposer pour une édition dont la Société l'a nommé commissaire responsable; il a revu les épreuves avec cette conscience qu'il apporte dans tous ses travaux. Que d'utiles conseils il m'a donnés! Que d'erreurs son esprit vraiment critique a fait disparaître de mon travail! Du reste, j'ai de vieille date tant d'obligations à l'éminent diplomatiste, que depuis longtemps je ne les compte plus. J'éprouve même quelque plaisir à voir ma dette s'accroître de jour en jour, car je sens que, si grande que doive être ma reconnaissance, elle n'égalera jamais mon estime.

Après M. Delisle, c'est à M. Natalis de Wailly que je suis le plus redevable. Le savant conservateur de la Bibliothèque impériale ne m'a pas seulement facilité le prêt des manuscrits dont j'avais besoin; il m'a gracieusement autorisé à lui soumettre les difficultés qui pouvaient m'arrêter, et je n'ai jamais eu recours en vain à son esprit si précis, si logique, à sa science approfondie de l'ancien français. Parmi les philologues qui ont bien voulu m'aider à résoudre certains problèmes relatifs à l'établissement du texte, il m'est doux de compter aussi l'habile éditeur des Anciens poëtes de la France, mon ancien et cher maître, M. Guessard.

Je me reprocherais de ne pas rendre hommage ici à la mémoire de M. Victor Le Clerc, car c'est surtout à l'instigation de ce savant illustre que j'ai dirigé mes études vers le quatorzième siècle. Un des meilleurs amis de M. Le Clerc, M. Guigniaut n'a pas peu contribué aussi, par la bienveillance qu'il m'a témoignée en toute circonstance, à me mettre en mesure d'entreprendre le travail dont je publie aujourd'hui le premier volume.

Son Exc. M. le ministre de l'instruction publique doit figurer au premier rang des bienfaiteurs de cette édition. Sur la proposition de M. Bellaguet, l'un des membres fondateurs de la Société de l'histoire de France, M. Duruy a daigné me confier en 1867 et 1868 deux missions qui m'ont permis d'étudier tous les manuscrits de Froissart conservés dans les bibliothèques publiques ou particulières de l'Europe. Je m'estime heureux d'avoir reçu ce témoignage de haute bienveillance d'un ministre profondément patriote et qui s'est dévoué avec autant d'ardeur que de succès au progrès de l'instruction populaire.

 

Je n'ai pas trouvé moins de bienveillance au Ministère de la Maison de l'Empereur et des Beaux-Arts dont je dépends en qualité d'archiviste aux Archives de l'Empire. Sur la proposition d'un chef excellent et trop érudit pour ne pas encourager l'érudition, M. Huillard-Bréholles, grâce à l'appui de MM. L. de Laborde et A. Maury qui se sont succédé dans la Direction générale des Archives de l'Empire, de M. le baron Dard, chef du personnel au Ministère de la Maison de l'Empereur, Son Exc. M. le maréchal Vaillant m'a généreusement accordé les congés qui m'étaient nécessaires pour recueillir par toute l'Europe les matériaux d'une édition des Chroniques de Froissart.

A la recommandation de M. Guizot, président de la Société de l'histoire de France et de M. Thiers, membre du Conseil de cette Société, Son Ém. le cardinal Antonelli a bien voulu m'ouvrir, par une faveur spéciale, l'accès de la bibliothèque du Vatican en dehors des heures de travail ordinaires. Je prie ces trois illustres hommes d'État d'agréer l'expression de ma plus vive gratitude.

Je dois également des remercîments à une foule de savants ou d'hommes du monde, tant Français qu'étrangers, qui sont venus à mon aide avec une si parfaite obligeance. Le défaut d'espace me condamne à nommer seulement: à Paris, M. le duc de Mouchy177, Mme la duchesse de la Rochefoucauld, M. le baron de Witte; MM. Douet d'Arcq, Lot, Demay, Meyer, Gautier, Claude, Émile Mabille, Michelant, Servois, Anatole de Barthélemy, Alphonse de Ruble, de Beaucourt, Mannier, P. Lacroix, Borel d'Hauterive, Godefroy, Longnon; – en province, MM. Castan de Besançon, Garnier d'Amiens, Desplanque de Lille, Caffiaux de Valenciennes, Gouget de Bordeaux, Caron et A. d'Héricourt d'Arras, Dorange de Tours, Pont de Toulouse; – en Suisse, M. Steiger de Berne; – en Belgique, MM. Gachard et Pinchart de Bruxelles, Kervyn de Lettenhove de Saint-Michel-lez-Bruges; – en Hollande, MM. Campbell de la Haye et du Rieu de Leyde; – à Rome, Son Ém. le cardinal Pitra, le R. P. Theiner, archiviste du Vatican; à Vienne, M. Ferdinand Wolf fils; – en Prusse, MM. Pertz de Berlin, Pfeiffer de Breslau, prince de Puckler-Muskau à Branitz; – enfin en Angleterre, MM. Stevenson du Record-Office, Holmes et Granville du British Museum, lord Ashburnham à Ashburnham-Place, sir Thomas Phillipps à Cheltenham.

J'ai trouvé dans ce dernier pays surtout un accueil que je n'oublierai pas. L'Angleterre, dont tant de côtés sont admirables, ne m'a pas été moins douce qu'elle ne le fut il y a quatre siècles pour Froissart lui-même: le savant M. Stevenson m'a reçu avec cette bonté affectueuse qui rappelle les mœurs patriarcales de l'Écosse, son pays d'origine; et la magnifique hospitalité d'Ashburnham-Place m'a remis en mémoire ce que l'auteur des Chroniques raconte de son séjour chez les grands seigneurs contemporains d'Édouard III.

Plus heureux que Johnes, dont la traduction parut au plus fort des guerres terribles qui ont ensanglanté le commencement de ce siècle, l'éditeur de la Société de l'histoire de France publie son travail à une époque où la France et l'Angleterre, associées l'une à l'autre par une alliance déjà éprouvée, tendent de plus en plus à établir entre elles un échange fécond d'idées, de sentiments et d'intérêts. Loin de chercher à raviver le souvenir des luttes anciennes, celui qui écrit ces lignes n'a rien tant à cœur que l'union intime de deux grands pays trop longtemps rivaux, et il dédie cette édition à l'alliance libérale, pacifique, civilisatrice de la France et de l'Angleterre.

Paris, 1er mai 1869.

167Voyez Jean le Bel, Chroniques, édit. Polain, t. I, p. 46. Cf. Froissart, t. I de notre édition, p. 50.
168Jean le Bel, t. I, p. 80. Cf. Froissart, t. I, p. 78.
169Jean le Bel, p. 135. Cf. Froissart, t. I, p. 151.
170Ibid., t. I, p. 95. Cf. Froissart, t. I, p. 105.
171Ibid., p. 127. Cf. Froissart, t. I, p. 127.
172P. 316 à 352 de ce volume.
173P. 377 à 388.
174P. 385.
175P. 214.
176Froissart n'a parfois besoin que d'un coup de crayon pour donner la vie à ses figures. Il dit, par exemple, p. 219 de ce volume, en parlant de la reine Isabelle, mère d'Édouard III: «Si estoit elle très belle dame et feminine et doucement enlangagie.» Voilà bien cette heureuse simplicité, ce naturel aimable jusque dans sa négligence que goûtait tant Fénelon. Et deux pages plus loin, à propos du séjour d'Isabelle et de son jeune fils Édouard à la cour de Charles de Valois: «Et les veoit li rois volentiers et prendoit à la fois grant plaisance ou jone Edouwart, car il estoit biaus fils et rians; et s'esbatoit li rois, qui estoit son oncle, en ses jonèces.» P. 221. N'y-a-t-il pas ici comme un rayon de cette grâce suave et légère qui est l'atticisme de la France?
177M. le duc de Mouchy, en consentant avec tant de bonne grâce à me prêter son précieux manuscrit, a rendu à la Société de l'histoire de France et à son éditeur un service de premier ordre.