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Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie

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CHAPITRE XVIII.
1337 à 1339. GUERRE EN GASCOGNE ENTRE LES FRANÇAIS ET LES ANGLAIS. SIÉGE ET PRISE DE SAINT-MACAIRE, DE CIVRAC ET DE BLAYE PAR LES ANGLAIS. (Fin du § 58.)

Seconde rédaction.– A une cour plénière tenue par le roi d'Angleterre à Westminster le 13 avril 1338, le [lundi] de Pâques, on voit arriver un héraut anglais nommé Carlisle; ce nom a été donné à celui qui le porte par Édouard III pendant les guerres d'Écosse. Carlisle est absent d'Angleterre depuis cinq ans qu'il a passés à parcourir le monde; il est allé en Prusse, en Iffland, au Saint-Sépulcre, et il est revenu par les États Barbaresques et par l'Espagne; le roi de ce dernier pays lui a remis une lettre pour Édouard III. De là, il s'est rendu en Navarre et en Gascogne, et il vient de trouver les seigneurs de ces provinces en grande guerre les uns contre les autres. P. 377 et 378.

Au nombre des seigneurs du parti français figurent Jean I, comte d'Armagnac, Gaston II comte de Foix, Jean comte de Comminges, Jean comte de Clermont dauphin d'Auvergne, Aimeri VII [vicomte] de Narbonne, [Pierre de la Palu] sénéchal de Toulouse, [Pierre Flotte] dit Flotton de Revel, les seigneurs de Tournon240, de Baix et de Chalançon241. Les Français assiégent à la fois Penne242 et Blaye. Ils menacent Bordeaux et se sont rendus maîtres du cours de la Gironde. En présence de forces supérieures, les seigneurs du parti anglais renoncent à tenir la campagne et sont réduits à s'enfermer dans les forteresses. Ces seigneurs, notamment ceux de Bordeaux, ont remis des lettres à Carlisle et l'ont chargé de demander du secours au roi d'Angleterre. Le héraut s'est embarqué à Bayonne, ville anglaise; et, après une traversée de cinq jours et quatre nuits, il est arrivé à Southampton d'où il est venu en un jour et demi à Londres. P. 378 et 379.

Édouard III prend connaissance des lettres apportées par Carlisle; il apprend par ces lettres que ses affaires vont mal en Gascogne et il invite le héraut à fournir de vive voix de plus amples détails. Carlisle répond que le seigneur de Noyelles, Poitevin, ayant été reconnu par jugement du Parlement de Paris créancier du roi d'Angleterre pour une somme de trente mille écus hypothéqués sur la ville et châtellenie de Condom, commission générale a été donnée de percevoir les revenus des terres anglaises en Gascogne jusqu'à concurrence de cette somme, et un procureur du roi nommé maître Raymond Foucaut243 a été chargé de mettre à exécution la sentence du Parlement. Mais Raymond Foucaut s'étant présenté en compagnie du seigneur de Noyelles à Condom, le châtelain de cette ville a assené au procureur un tel coup de bâton qu'il lui a fracassé la tête, et il a mis en prison le seigneur de Noyelles. A la suite de cet incident, le roi de France a frappé de confiscation toutes les possessions anglaises du continent. Les Français ont déjà pris Prudère, Sainte-Bazeille244, Saint-Macaire245; et au moment du départ de Carliste, ils assiégeaient Penne et Blaye. P. 379 et 380.

1338. Robert d'Artois est mis à la tête de l'expédition qui doit se rendre en France pour porter secours aux Gascons du parti anglais. Les principaux seigneurs qui font partie de cette expédition, sont avec Robert d'Artois les comtes de Huntingdon, de Suffolk et de Cornouailles, Thomas d'Agworth, Thomas de Holland, Richard de Pembridge, Édouard Spenser, le seigneur de Ferrers, beau-frère de Spenser, les seigneurs de Milton, de Bradeston et de Willoughby. Les Anglais, au nombre de cinq cents armures de fer et de trois mille archers, s'embarquent à Southampton et arrivent à Bordeaux où ils sont accueillis avec joie par les habitants de la ville et par les deux frères Jean et Hélie de Pommiers. P. 380 et 381.

Après avoir passé trois jours à Bordeaux, Robert d'Artois entreprend de forcer les Français à lever le siége de Penne, et il se dirige vers ce château à la tête de huit cents hommes d'armes, de trois mille archers à cheval et de quatre mille fantassins; le comte de Suffolk est maréchal de son armée. P. 381.

A la nouvelle de l'arrivée prochaine des Anglais et des Gascons, Gaston II, comte de Foix, Arnaud d'Euze, [vicomte] de Caraman, Roger Bernard, comte de Périgord, Jean de Lévis, maréchal de Mirepoix, le comte de Quercy, [Pierre Flotte] dit Flotton de Revel et les autres seigneurs français, qui assiégent le château de Penne, réfléchissent qu'ils se sont trop éloignés de Blaye où se tient le gros de leur armée dont ils sont séparés par la Dordogne; et dans la crainte qu'on ne leur coupe la retraite, ils se décident à lever le siége. Les Anglo-Gascons arrivent à Penne un jour après le départ des Français. Après avoir fait reposer ses gens dans ce château pendant deux jours, Robert d'Artois va mettre le siége devant Saint-Macaire, un autre château occupé par les Français. P. 381 et 382.

Prise de Saint-Macaire après une résistance énergique des assiégés qui sont tous passés au fil de l'épée, excepté les femmes, les enfants et les vieillards. Deux chevaliers, les seigneurs de Ponpeestain et de Zedulach246 et six écuyers sont faits prisonniers. P. 382.

 

Après la prise de Saint-Macaire, les Anglais assiégent Sebilach247, un château très-fort et défendu contre le gré des habitants par une garnison de bidaux et de Génois sous les ordres d'un écuyer nommé Begot de Villars. Les assiégeants se font ravitailler de Bordeaux, par terre et par eau. P. 383.

Sur ces entrefaites, les habitants de Blaye, pressés par la famine, implorent le secours de leurs amis de Bordeaux; et ceux-ci à leur tour mandent à Robert d'Artois la dure extrémité où la garnison de Blaye est réduite. Robert d'Artois répond en engageant les Bordelais à venir eux-mêmes en aide à la ville assiégée: pour lui, il travaille à reconquérir les forteresses enlevées aux Anglais qu'il trouve sur son chemin; aussitôt après la prise de Sebilach, il ira délivrer les habitants de Blaye. C'est alors que les Français, campés devant cette place, s'avisent d'un stratagème qui leur en ouvre les portes. Une centaine de sommiers, chargés de provisions, sont amenés sur un tertre situé près de Blaye à portée de la vue des assiégés, après que trois individus, qui se donnent pour des marchands, sont venus annoncer à l'une des portes l'arrivée d'un fort convoi de vivres expédié par les habitants de Miramont, de Bordeaux, de Cognac et des autres forteresses du parti anglais. P. 383 et 384.

Les assiégés, qui sont accourus en très-grand nombre à la rencontre du convoi annoncé, se disposent à rentrer dans la ville en conduisant devant eux les sommiers, lorsqu'ils voient tout à coup fondre sur eux deux mille ennemis placés non loin de là en embuscade sous les ordres du comte dauphin d'Auvergne et du maréchal de Mirepoix. En même temps, le conducteur des sommiers renverse trois mulets tout chargés sous la porte, afin qu'on ne puisse la fermer. P. 384.

Les habitants de Blaye248 se défendent bravement, mais ils ne peuvent résister aux forces supérieures des Français. Ils sont presque tous tués ou faits prisonniers. Les plus heureux se jettent dans des barques avec leurs femmes et leurs enfants et ils se rendent avec la marée par la Gironde à Bordeaux.

La ville est livrée au pillage; au moment où l'on va y mettre le feu, les seigneurs français se décident à y tenir garnison; ils confient le commandement de cette garnison à Jean Fouquère et à Guillaume Tyris249. Puis, ils partent de Blaye pour aller assiéger Miramont, château situé sur les bords de la Dourdoine250. P. 385.

Les Anglais sont toujours devant Sebilach. Begot de Villars, capitaine de ce château, est un brave écuyer, bien né, avisé, hardi et très-bon compagnon; mais il aime trop le jeu de dés; et, quand il perd, il est mauvais joueur. A la suite d'une querelle de jeu, Begot tue un jour un des plus riches jeunes gens de la ville nommé Simon Justin; et Clément Justin, frère de la victime, livre par vengeance le château de Sebilach aux Anglais. Begot de Villars et tous les gens d'armes de la garnison sont passés au fil de l'épée. Ce n'est pas le premier malheur qui a été amené par le jeu de dés, et ce ne sera pas le dernier. Maudit soit ce jeu de dés: c'est chose pernicieuse de tout point. P. 386.

Après la prise de Sebilach, Robert d'Artois, qui veut à tout prix reprendre Blaye aux Français, retourne à Bordeaux. Là il fait appareiller ses navires qui dorment à l'ancre et les fait pourvoir de toute artillerie; puis un soir il met à la voile et arrive avec la marée, un peu après minuit, devant Blaye dont le flot de la mer bat les murs haut et fort. La ville est bientôt prise malgré la courageuse défense de la garnison que les Français y ont laissée. Les deux capitaines de cette garnison se retranchent dans une église très-forte, située à l'une des extrémités de la ville dont ils barricadent les portes et les fenêtres; et là ils prolongent encore leur résistance un jour et une nuit, et ils ne se rendent qu'après avoir obtenu la vie sauve. P. 386 et 387.

Les Français, qui assiégent Miramont, se repentent de n'avoir pas mis le feu à Blaye, lorsqu'ils apprennent que les Anglais ont réussi à y rentrer. Robert d'Artois fait réparer les murs et refaire les fossés de Blaye; il repeuple cette ville en y rappelant les hommes, femmes et enfants qui en étaient partis et la remet en bon état. P. 387.

Pendant le séjour de Robert d'Artois à Blaye et le siége de Miramont par les Français, les évêques de Saintes et d'Angoulême s'entremettent avec tant de succès auprès des deux partis qu'ils parviennent à décider les rois de France et d'Angleterre à conclure une trêve qui doit durer un peu plus d'une année. C'est pourquoi les Français lèvent le siége de Miramont, et Robert d'Artois retourne en Angleterre. P. 387 et 388.

CHAPITRE XIX.
1337 et 1338. RÉVOLTE DES FLAMANDS CONTRE LEUR COMTE; INFLUENCE DE JACQUES D'ARTEVELD (§ 59)

Première rédaction 251. – Les Flamands se révoltent contre leur comte qui ose à peine rester en Flandre où il n'est plus en sûreté. Il surgit alors à Gand un homme qui a été brasseur de miel. Il est entré si avant dans les bonnes grâces et la faveur populaires qu'on fait toutes ses volontés d'un bout de la Flandre à l'autre. Les plus puissants n'osent enfreindre ses ordres ni le contredire. Il se fait suivre à travers les rues de Gand par une nombreuse escorte de valets armés parmi lesquels se trouvent quelques sicaires prêts à tuer les plus hauts seigneurs sur un signe de leur maître. P. 126, 127, 395 et 396.

Plusieurs grands personnages sont mis à mort de cette manière. Aussi, l'auteur de ces meurtres est tellement redouté que personne n'ose le contredire ni même en concevoir la pensée. Il se fait reconduire à son hôtel par sa bande de valets qui ne le quittent qu'aux heures des repas; après le dîner, ces valets reviennent et ils flânent dans la rue jusqu'à ce qu'il plaise à leur maître d'aller se promener et s'amuser par la ville. [La nuit, ils font le guet devant l'hôtel de leur chef qui a de bonnes raisons de penser qu'il n'est pas aimé de tout le monde et surtout du comte de Flandre]. Chacun de ces mercenaires reçoit une solde de quatre compagnons ou gros de Flandre par jour, et ils sont régulièrement payés de semaine en semaine. Cet homme a ainsi par toutes les villes et châtellenies du comté gens à ses gages chargés d'exécuter ses ordres et de dénoncer les personnes qui pourraient dire ou tramer quelque chose contre lui. S'il se trouve dans une ville un récalcitrant, il ne saurait échapper longtemps à la mort ou au bannissement. Le même sort attend tous les personnages marquants, chevaliers, écuyers, bourgeois des bonnes villes, qui se montrent favorables au comte en quelque manière: ils sont bannis de Flandre, et la moitié de leurs biens est confisquée; l'autre moitié est réservée pour l'entretien de leurs femmes et de leurs enfants. La plupart de ces bannis, qui sont en très-grand nombre, se réfugient à Saint-Omer où on les appelle avolés et outre-avolés. P. 127, 128 et 396.

Bref, on ne vit jamais en Flandre ni ailleurs comte, duc, prince ni autre, tenir à ce point un pays à sa discrétion. L'homme qui exerce cette toute-puissance [et qui devait l'exercer environ neuf ans] s'appelle Jacques d'Arteveld. Il fait lever par toute la Flandre les rentes, tonlieus, vinages, droitures et autres revenus ainsi que les maltôtes qui appartiennent au comte: il les dépense à son caprice et les distribue sans en rendre nul compte; [il en252 dépense la moitié selon son bon plaisir et met l'autre moitié en trésor.] Et quand il lui plaît de dire que l'argent lui manque, on l'en croit sur parole, et il faut bien l'en croire, car on n'ose le contredire. Et quand il veut emprunter une somme à quelque bourgeois, il n'est personne qui ose refuser de lui prêter cette somme. P. 128, 129 et 396.

 

Abrégé de 1477 ou ms. B6.– Les Gantois prennent tellement en haine leur seigneur que celui-ci n'ose plus rester à Gand et s'en vient demeurer à Termonde. P. 388.

Édouard III n'a rien plus à cœur que de se faire aimer des Flamands et de les attirer dans son alliance; il sait que des exécutions terribles ont rendu le comte de Flandre odieux à ses sujets, surtout à ceux de Gand: c'est pourquoi, il mande aux habitants de cette ville que, s'ils veulent contracter alliance avec l'Angleterre, il rétablira à leur profit l'exportation et la vente des laines sans laquelle ils ne peuvent vivre et dont la suppression expose leur commune, qui perd ainsi son gagne-pain, aux plus grands dangers. P. 393.

C'est alors que se révèle et surgit un bourgeois de Gand nommé Jacques d'Arteveld, homme habile et d'une haute intelligence; il ne tarde pas à gagner la confiance de ses concitoyens qui lui donnent plein pouvoir de faire, défaire, ordonner et entreprendre tout ce qu'il veut. Ce Jacques d'Arteveld est doué d'une éloquence merveilleuse. Il fait beaucoup de discours et si pleins de persuasion qu'il décide les Flamands à chasser leur comte hors de leur pays. Il ne cesse de répéter dans le commencement à ses compatriotes que l'alliance anglaise leur est plus avantageuse que l'alliance française, car c'est d'Angleterre ou à la merci de l'Angleterre que leur viennent les denrées et matières premières excellentes dont ils tirent profit et qui leur sont indispensables, comme la laine, par exemple, pour la fabrication du drap; or cette fabrication sustente la Flandre qui sans cette industrie et sans le commerce ne pourrait le plus souvent pas vivre. P. 394.

Ce Jacques d'Arteveld, en peu de temps, s'élève à un si haut degré de faveur et de popularité que, quoi qu'il lui plaise de décider et d'ordonner, on fait aussitôt sa volonté par toute la Flandre. Il parle si bien, avec une éloquence si judicieuse et si vive, que les Gantois, gagnés par le charme de sa parole non moins que par l'ascendant de la vérité, se rangent à son opinion. Ils le font les premiers maître et souverain seigneur de leur ville d'où son autorité s'étend ensuite par tout le comté, car Bruges, Ypres et Courtrai refusent d'abord de tremper dans l'insurrection. Mais les habitants de Gand, investis de tout temps de la suprématie sur le reste de la Flandre, forcent les autres villes à se joindre à eux et à Jacques d'Arteveld qui prend en main le gouvernement du pays tout entier. Le comte Louis, chassé de Flandre, se réfugie auprès du roi Philippe de Valois son cousin qui assure au prince exilé et à sa femme les moyens de vivre et de tenir leur rang, car leur comté, tant que vécut Arteveld, leur fut de fort peu de ressource. P. 394.

Seconde rédaction.– Le roi d'Angleterre fait garder tous les ports et les côtes de son royaume et défend de rien exporter en Flandre, surtout les laines et agnelins. Cette prohibition frappe les Flamands de stupeur, car la draperie est l'industrie principale dont ils vivent, et une foule de bons bourgeois et de riches marchands en sont bientôt réduits à la pauvreté. Il leur faut vider le pays, hommes et femmes, eux que le travail de la draperie faisait vivre auparavant dans l'aisance; ils viennent en Hainaut et ailleurs, là où ils espèrent trouver des moyens d'existence. Cette situation soulève un grand mécontentement par tout le pays de Flandre, et spécialement parmi les habitants des bonnes villes. Ils disent qu'ils expient au prix d'amers et pénibles sacrifices l'attachement de leur seigneur pour les Français, car c'est leur comte qui attire sur eux ce désastre et la haine d'Édouard III; ils ajoutent que l'intérêt général de tout le pays de Flandre est de faire alliance avec le roi d'Angleterre plutôt qu'avec le roi de France. P. 388 et 389.

Il est vrai qu'il leur vient de France blés de toute sorte; mais s'ils n'ont pas de quoi les acheter et les payer, parce qu'ils ne gagnent pas d'argent, ils n'en sont pas moins à plaindre, car avec de l'argent on est sûr d'avoir du blé, malheur à qui n'a pas d'argent. Mais c'est d'Angleterre que leur viennent ces laines, qui sont pour eux la source de tant de profits, et qui les font vivre dans l'aisance et dans la joie. Quant au blé, leur alliance avec le Hainaut suffit pour assurer leur consommation. P. 389.

Ces considérations et beaucoup d'autres, tirées de l'intérêt public, excitent souvent des murmures en Flandre et surtout à Gand, car c'est de toutes les villes flamandes celle où l'on fabrique le plus de drap, et qui peut le moins se passer de cette industrie, celle aussi par conséquent qui souffre le plus du chômage. Les Gantois font des rassemblements sur les places, et là ils tiennent les propos les plus outrageants, ainsi qu'il est d'usage entre gens du peuple, sur le compte de Louis leur seigneur. Ils disent entre eux que cette situation est intolérable et que, si cette misère dure longtemps, les plus grands, les plus riches eux-mêmes en seront atteints, et le pays de Flandre sera menacé d'une ruine complète. P. 389.

Le comte de Flandre n'ignore pas ces plaintes que ses sujets élèvent contre lui. Il fait ce qu'il peut pour les apaiser et leur dit: «Mes bonnes gens, cela n'aura qu'un temps, je le sais d'une manière sûre par des amis que j'ai en Angleterre. Apprenez que les Anglais sont encore plus furieux contre leur roi, qui les empêche de faire argent de leurs laines, que vous n'êtes impatients d'acheter ces laines. Ils ne peuvent les vendre et en trafiquer ailleurs qu'en Flandre, ou alors ce n'est pas sans grande perte. Prenez patience, car j'aperçois plusieurs moyens de remédier au mal, qui vous donneront satisfaction pleine et entière, et gardez-vous de rien penser et dire contre ce noble pays de France d'où tant de biens vous abondent.» P. 389 et 390.

Le comte de Flandre tient ce langage à ses sujets pour les consoler et leur faire prendre patience. Mais les Flamands, qui sont presque tous sous le coup d'une pauvreté sans cesse croissante, ne veulent rien entendre; car, quoi qu'on leur dise, ils ne voient rien qui leur donne lieu d'espérer le retour de leur ancienne prospérité. C'est pourquoi, le trouble et l'agitation augmentent de jour en jour et de plus en plus. Mais personne n'est assez hardi pour prendre l'initiative, par crainte du comte. P. 390.

Il se passe un certain temps pendant lequel on se borne à se réunir par petits groupes sur les places et aux carrefours. A Gand où les habitants accourent ainsi de divers endroits et de plusieurs rues de la ville pour conférer ensemble, quelques compagnons sont frappés de la sagesse d'un bourgeois qui prend la parole dans ces réunions: ce bourgeois s'appelle Jacques d'Arteveld, et il est brasseur de miel. Ces compagnons remarquent les discours d'Arteveld entre tous les autres et ils le proclament un très-habile homme. Ils lui entendent dire que, si on le veut écouter et croire, il se fait fort de remettre promptement la Flandre en situation de recouvrer son ancienne prospérité; il promet en outre d'assurer à la fois à son pays l'alliance du roi de France et celle du roi d'Angleterre. Ces paroles sont répétées avec empressement, et elles circulent si bien de l'un à l'autre que presque tous les habitants de Gand en ont connaissance, notamment les petites gens et le peuple que le manque de travail fait le plus souffrir. On voit alors les attroupements recommencer de plus belle par les rues et les carrefours. P. 390.

Il arrive qu'un jour [de253 fête] après dîner, il se forme un rassemblement de plus de cinq cents compagnons; ils marchent à la file, s'appellent de maison en maison et disent: «Allons, allons entendre le conseil du sage homme!» Ils parviennent ainsi jusqu'à la maison de Jacques d'Arteveld qu'ils trouvent au seuil de sa demeure. Du plus loin qu'ils l'aperçoivent, ils ôtent leurs chaperons, le saluent et lui disent: «Ha! cher sire, pour Dieu merci, veuillez nous entendre. Nous venons vous demander conseil, car on nous dit que le grand bien de vous remettra le pays de Flandre en bon point. Veuillez nous dire comment: vous ferez aumône, car nous avons bien besoin que vous ayez égard à notre pauvreté.» Jacques d'Arteveld s'avance alors et dit: «Seigneurs compagnons, il est très-vrai que j'ai dit que, si l'on veut m'écouter et me croire, je mettrai Flandre en bon point, sans que notre seigneur le comte en soit lésé en rien.» Tous alors de l'embrasser à qui mieux mieux et de le porter en triomphe en s'écriant: «Oui, vous serez cru, écouté, craint et servi.» – [«Seigneurs compagnons, ajoute Arteveld, je suis natif et bourgeois de cette ville et j'y ai le mien. Sachez que de tout mon pouvoir je voudrais vous venir en aide et à mon pays. Et s'il y a un homme qui soit décidé à assumer le fardeau, je suis prêt à exposer ma vie et ma fortune pour marcher à ses côtés; ou si vous autres me voulez être frères, amis et compagnons en toutes choses et faire cause commune avec moi, je me chargerai volontiers, malgré mon indignité, de la besogne.] Il convient que j'expose d'abord mes projets devant la plus saine partie de la population de Gand, et il faut que vous, qui êtes ici, et les vôtres et ceux qui se réuniront à vous, me juriez de m'appuyer et de me prêter main-forte en toute circonstance jusqu'à la mort.» [Les assistants répondent tout d'une voix: «Nous vous promettons loyalement d'être avec vous en toutes choses et d'y aventurer corps et biens, car nous savons que dans tout le comté de Flandre il n'y a personne autre que vous qui soit à la hauteur de la tâche.»] Jacques d'Arteveld donne alors rendez-vous à ses affidés pour le lendemain matin sur la place de la Biloke où il veut exposer devant tous les projets qu'il a formés dans l'intérêt commun. P. 390 et 391.

Ces nouvelles se répandent à Gand et se propagent dans les trois parties de la ville. Le lendemain matin toute la place de la Biloke se remplit de gens, ainsi que la rue où demeure Jacques d'Arteveld. Porté sur les bras de ses partisans, Jacques fend la foule qui se compose de gens de toutes les classes et arrive à la Biloke: il prend place sur une belle estrade préparée pour le recevoir. Et là il se met à parler avec tant d'éloquence et de sagesse qu'il gagne tous les cœurs à son opinion. Il conseille à ses compatriotes de tenir leur pays ouvert et prêt à recevoir le roi d'Angleterre et les siens, s'ils veulent y venir, car on n'a rien à gagner et l'on a tout à perdre dans une guerre contre les Anglais. [Quant au roi de France, il a tant d'affaires sur les bras qu'il n'a pouvoir ni loisir de nuire à la Flandre. Édouard sera ravi d'avoir l'amitié des Flamands, et le roi de France finira lui aussi par rechercher cette amitié. Arteveld ajoute que l'alliance de l'Angleterre assurera à la Flandre celle du Hainaut, du Brabant, de la Hollande et de la Zélande.] Les Gantois approuvent les projets de Jacques d'Arteveld, ils jurent de le tenir désormais pour leur seigneur et de ne rien faire que par son conseil, puis ils le reconduisent à son hôtel. Ces événements se passent vers la Saint-Michel 1337. P. 391 et 392.

Le roi de France est vivement contrarié en apprenant ces nouvelles. Il comprend que, si les Flamands deviennent ses ennemis, ils peuvent lui être très-nuisibles en permettant au roi d'Angleterre de passer à travers leur pays pour envahir la France. Il engage le comte de Flandre à aviser aux moyens de se débarrasser de Jacques d'Arteveld qui menace d'enlever le comté à son seigneur légitime. P. 392.

[Le comte mande auprès de lui Jacques d'Arteveld qui va au rendez-vous avec une escorte si nombreuse qu'on n'ose rien tenter contre lui. Louis de Nevers invite Arteveld à user de son influence pour maintenir le peuple en l'amour du roi de France; il fait en outre à son ennemi les plus belles offres, et il entremêle le tout de paroles de soupçon et de menace. Jacques ne se laisse point intimider par ces menaces, et au surplus il aime du fond du cœur les Anglais. Il répond qu'il tiendra ce qu'il a promis au peuple en homme qui n'a point de peur, et, s'il plaît à Dieu, il espère venir à bout de son entreprise. Puis il prend congé du comte de Flandre.] P. 393.

Louis de Nevers met alors dans ses intérêts quelques personnes qui appartiennent aux plus grandes familles de Gand; il a d'ailleurs dans son parti les jurés qui lui ont prêté serment de fidélité. Les amis du comte dressent à plusieurs reprises des piéges et des embûches à Jacques d'Arteveld; mais toute la communauté de Gand est si dévouée à son chef qu'avant de faire mal à celui-ci, il faudrait avoir raison de trente ou quarante mille hommes. Arteveld est entouré de gens de toute sorte, qui n'ont d'autre occupation que d'exécuter ses ordres et de le défendre en cas de besoin. P. 392 et 393.

Troisième rédaction.– A l'époque dont je parle, il s'élève un grand débat entre le comte de Flandre et les Flamands. Ce comte Louis, marié à Marguerite d'Artois, ne sait se maîtriser ni se contenir ni vivre en paix avec ses sujets dans son comté; aussi les Flamands ne purent jamais l'aimer. Il est forcé de vider le pays définitivement, de partir de Flandre et de venir en France avec sa femme; il se tient à Paris à la cour de Philippe de Valois, qui pourvoit de ses deniers à l'entretien du comte et de la comtesse. Ce comte était très-chevaleresque, mais ses sujets disaient qu'il était trop français et qu'ils n'avaient nul bien à en attendre. P. 388.

Les habitants de Gand donnent les premiers le signal de la révolte, et ils entreprennent de soulever tout le reste du pays de Flandre; ils s'assurent l'alliance de Termonde, d'Alost et de Grammont. Sur ces entrefaites, et pendant que les ambassadeurs d'Angleterre entament des négociations à Valenciennes, il apparaît à Gand un bourgeois qui se nomme Jacques d'Arteveld, homme d'une audace, d'une capacité et d'une astuce extraordinaires; ce bourgeois acquiert une telle influence que toute la ville de Gand le prend pour chef et se soumet à ses volontés. Les ambassadeurs anglais, qui sont venus à Valenciennes, se décident, par le conseil du comte de Hainaut et de son frère, à envoyer des délégués auprès de Jacques d'Arteveld pour inviter les Gantois à faire alliance avec le roi d'Angleterre et les prier d'accorder à Édouard III et à son armée le libre passage à travers la Flandre. L'évêque de Durham, le comte de Northampton et Renaud de Cobham sont chargés de cette mission. P. 394 et 395.

Les délégués anglais reçoivent à Gand un accueil magnifique et sont comblés d'attentions, d'honneurs et de festins. Un traité est conclu grâce aux actives démarches de Jacques d'Arteveld qui déteste le comte de Flandre; et ce traité, ratifié par la commune de Gand, stipule que, si le roi d'Angleterre passe la mer et veut traverser la Flandre, avec ou sans gens d'armes, en payant comptant tout ce dont il se fera besoin sur la route, il trouvera le pays ouvert. Il est vrai que Bruges, Ypres et Courtrai restent hostiles aux confédérés, mais les Gantois comptent bien s'y prendre de telle sorte que, sous bref délai, le pays tout entier ne fera qu'un avec eux. P. 395.

Les délégués anglais sont ravis de joie d'avoir obtenu ce traité qui est scellé du sceau aux causes de la ville de Gand; ils retournent à Valenciennes annoncer l'heureux résultat de leur mission au comte de Hainaut et aux autres ambassadeurs d'Angleterre. Guillaume de Hainaut dit alors aux envoyés d'Edouard III: «Vos affaires sont en très-bonne voie, si vous avez l'alliance de la Flandre et du Brabant. Dites à mon fils d'Angleterre que ce lui sera d'un grand secours et que sa guerre en sera plus belle; mais il faut qu'il passe la mer au printemps prochain pour apprendre à connaître les seigneurs et les pays qui voudront faire alliance avec lui. Quand vous serez de retour en Angleterre, décidez-le à se rendre sur le continent avec force gens d'armes et archers et avec grandes sommes d'argent, car les Allemands sont d'une cupidité sans égale, et ils ne font rien si on ne les paye d'avance à beaux deniers comptants.» P. 395.

240Louis et Hugues de Tournon servirent en Gascogne de 1338 à 1340; mais il s'agit sans doute ici de Gilles, sire de Tournon. De Camps, portef. 83, fo 224 vo.
241Il est sans doute question ici d'Aymar de Poitiers, cinquième fils d'Aymar IV du nom, comte de Valentinois, et de Sibille de Baux. Aymar, nommé aussi parfois Amé ou Aymaret, porta d'abord le titre de seigneur de Chalançon, puis celui de seigneur de Veyne. D'un autre côté, Jean Eynard, seigneur de Chalançon, est mentionné comme servant en Guyenne dans le parti anglais, le 1er juillet 1337. Voyez Rymer, Fœdera, t. II, pars II, p. 981.
242Penne, Lot-et-Garonne, arrondissement de Villeneuve-sur-Lot, sur la rive gauche du Lot. Par acte daté de la Penne en Agenais le 1er avril 1339 confirmé en mai de la même année, le Galois de la Baume, maître des arbalétriers, capitaine et gouverneur ès parties de Gascogne, donne au comte de Foix, pour le récompenser et le dédommager des frais et dépenses de la présente guerre, notamment en la prise de la ville et château de la Penne, la ville et château de Sorde (Landes, arr. Dax, canton Peyrehorade) sur la frontière de sa terre de Béarn. (Arch. de l'Empire, JJ 71, p. 238.)
243Par acte donné à la Penne d'Agenais (auj. Penne) le 3 janvier 1339 (n. st.), Gaston, comte de Foix, vicomte de Béarn, délivre des lettres de quittance générale à Raymond Foucaut, jadis procureur du roi en la sénéchaussée de Carcassonne et de Béziers, qui est au service royal depuis environ quarante ans, et qui, après avoir exercé le dit office de procureur pendant vingt-deux ans, est trop brisé par la fatigue et par l'âge pour continuer de le remplir. Ces lettres de quittance furent confirmées à Melun-sur-Seine le 27 avril 1339 et au bois de Vincennes, en décembre de la même année. (Arch. de l'Empire, JJ 73, p. 73, fo 57.)
244Sainte-Bazeille, Lot-et-Garonne, arrondissement et canton de Marmande, sur la rive droite de la Garonne. Sainte-Bazeille est surtout célèbre par le siége que la garnison anglo-gasconne qui occupait ce château soutint contre Jean de Marigny, évêque de Beauvais, lieutenant du roi de France ès parties de langue d'oc et de Saintonge. Ce siége mémorable dura au moins depuis le 20 août 1342 (Arch. de l'Empire, JJ 74, p. 143) jusqu'au 14 décembre de la même année (JJ 74, p. 125).
245Saint-Macaire, Gironde, arrondissement de la Réole, sur la rive droite de la Garonne. Par une lettre datée du 20 mars 1337, Édouard remercie les habitants de Saint-Macaire de leur fidélité et les félicite du courage qu'ils déploient dans la défense de leur ville contre les Français. Rymer, Fœdera, t. II, pars 2, p. 963. Autre lettre d'Édouard III au châtelain et aux jurés de Saint-Macaire, datée du 25 juin 1337. Rymer, p. 976.
246Une charte datée du 15 avril 1339 mentionne un écuyer nommé Jean de Pons, seigneur de Saint-Aubin de Cadelech, de Lubersac et co-seigneur de Sadillac (Dordogne, arr. Bergerac, canton Eymet). Fait prisonnier par les Anglais en combattant pour le roi de France, ce malheureux écuyer fut réduit pour se racheter à vendre à Hélie de la Roche, sous forme d'échange, les belles seigneuries de Sadillac et de Saint-Aubin dans le diocèse de Sarlat, limitées par le Drot, la seigneurie d'Eymet, la Gordonète, la seigneurie de Puyguilhem, celle de Castillonnès et enfin celle de Roquepine. (Arch. de l'Empire, JJ 73, p. 201). Ce Jean de Pons, seigneur de Sadillac, pourrait bien être le seigneur de Zedulach de Froissart.
247Probablement Civrac-de-Dordogne, Gironde, arrondissement de Libourne, canton de Pujols, sur la rive gauche de la Dordogne. Le Sebilach de Froissart devait être situé sur un des affluents de la Garonne, puisque les assiégeants purent se faire ravitailler de Bordeaux par eau; en outre, cette forteresse, après avoir été prise par les Français sur les Anglais, fut reprise par les Anglais sur les Français. Or, ces deux circonstances conviennent à la localité appelée tantôt Sievrac (Arch. de l'Empire, JJ 72, p. 212), tantôt Syorac sur Dourdonne (JJ 72, p. 566), à cause de sa situation sur la rive gauche de la Dordogne. Cette place forte, après avoir été emportée d'assaut vers la fin de 1337 par les Français que commandait Raoul, comte d'Eu, connétable de France, retomba au pouvoir des Anglais à une date que l'on ne saurait préciser, mais certainement entre 1337 et 1340.
248Par acte daté du 20 mars 1337, Édouard III recommande à Olivier de Ingham, son sénéchal de Gascogne, d'employer Berard de Labret à la défense du château de Blaye, sauf à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en sûreté les biens du dit chevalier. Rymer, t. II, pars 2, p. 963.
249Par acte daté de Compiègne en septembre 1339, Philippe de Valois donne à Jean de Melun, sire de Tancarville, chambellan de Normandie et à ses frères, «depuis que noz gens prindrent par force d'armes le chastel et la ville de Blaive,» le dit château et la dite ville avec toute la châtellenie qui appartient au dit Jean et à ses frères de droit héritage, comme il a été déclaré «contre le roy d'Engleterre par arrest de nostre parlement.» (Arch. de l'Empire, JJ 73, fo 15.) Les frères de Melun vendirent Blaye à Renaud de Pons, seigneur de Ribérac.
250Miramont ou Miremont, selon l'orthographe ancienne, canton de Lauzun, arrondissement de Marmande, Lot-et-Garonne, sur la Dourdoine, petit ruisseau qui se jette dans le Drot lequel est lui-même un des affluents de la Garonne, à droite de ce fleuve.
251Le récit qui va suivre est la reproduction littérale du texte de Jean le Bel, du moins dans la première rédaction. Froissart a maintenu ce récit dans la seconde rédaction des Chroniques, en y ajoutant seulement par-ci par-là quelques traits nouveaux que nous mettons entre parenthèses pour les distinguer du reste.
252Cette variante est fournie par un abrégé du premier livre des Chroniques, rédigé en 1477 et désigné sous la rubrique B6 dans les variantes de cette édition.
253Le récit du manuscrit de Valenciennes contient quelques variantes et même certaines additions intéressantes que nous intercalons dans ce sommaire, en les mettant entre parenthèses.