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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Après que Ferdinand eut vainement épuisé les négociations, les remontrances, les menaces et les ordres, pour décider le roi de Danemark et le cercle de basse Saxe à poser les armes, les hostilités commencèrent, et la basse Allemagne devint le théâtre de la guerre. Le comte Tilly suivit la rive gauche du Wéser et s'empara de tous les passages jusqu'à Minden. Après avoir échoué dans une attaque sur Nienbourg, il traversa le fleuve, envahit la principauté de Calemberg et la fit occuper par ses troupes. Le roi manœuvrait sur la rive droite du Wéser, et il s'étendit dans le pays de Brunswick: mais il avait affaibli son armée par de trop forts détachements et ne put rien exécuter de considérable avec le reste. Connaissant la supériorité de l'ennemi, il évitait avec autant de soin une bataille décisive que le général de la Ligue la cherchait.

Jusqu'ici, l'empereur n'avait fait la guerre en Allemagne qu'avec les armes de la Bavière et de la Ligue, si l'on excepte les troupes auxiliaires des Pays-Bas espagnols qui avaient attaqué le bas Palatinat. Maximilien dirigeait la guerre, comme chef de l'exécution impériale, et Tilly, qui commandait l'armée, était au service de la Bavière. C'était aux armes de la Bavière et de la Ligue que Ferdinand devait toute sa supériorité en campagne; ces auxiliaires tenaient dans leurs mains toute sa fortune et son autorité. Cette dépendance de leur bon vouloir ne s'accordait pas avec les vastes projets auxquels la cour impériale commençait à donner carrière à un si brillant début.

Autant la Ligue avait montré d'empressement à entreprendre la défense de l'empereur, sur laquelle reposait son propre salut, autant l'on devait peu s'attendre à lui trouver le même zèle pour les plans de conquête de Ferdinand. Ou, si elle consentait à donner ses armées pour faire des conquêtes, il était à craindre qu'elle n'admît l'empereur qu'au partage de la haine générale, et qu'elle ne recueillît pour elle seule tous les fruits de la guerre. Des forces militaires imposantes, qu'il aurait levées lui-même, le pouvaient seules soustraire à cette accablante dépendance de la Bavière et l'aider à maintenir en Allemagne son ancienne supériorité. Mais la guerre avait beaucoup trop épuisé les provinces impériales, pour qu'elles pussent suffire aux frais immenses d'un pareil armement. Dans ces circonstances, rien ne pouvait être plus agréable à l'empereur que la proposition avec laquelle un de ses officiers vint le surprendre.

C'était le comte Wallenstein, officier de mérite, le plus riche gentilhomme de Bohême. Il avait servi, dès sa première jeunesse, la maison impériale, et s'était signalé de la manière la plus glorieuse dans plusieurs campagnes, contre les Turcs, les Vénitiens, les Bohêmes, les Hongrois et les Transylvains. Il avait assisté, en qualité de colonel, à la bataille de Prague, et, plus tard, général-major, il avait battu une armée hongroise en Moravie. La reconnaissance de l'empereur fut égale à ces services, et une part considérable des biens confisqués après la révolte de Bohême fut sa récompense. Maître d'une immense fortune, enflammé par des projets ambitieux, plein de confiance dans son heureuse étoile, et plus encore dans une profonde appréciation des conjonctures, il offrit de lever et d'équiper une armée à ses frais et aux frais de ses amis, pour le service de l'empereur, et même de lui épargner le soin de l'entretien, s'il lui était permis de la porter à cinquante mille hommes. Il n'y eut personne qui ne raillât ce projet, comme la création chimérique d'une tête exaltée; mais la seule tentative pouvait être déjà d'un grand avantage, dût-elle ne tenir qu'une partie de ces promesses. On abandonna à Wallenstein quelques districts en Bohême, comme places de recrutement, et l'on y ajouta la permission de donner des brevets d'officier. Au bout de peu de mois, il avait sous les armes vingt mille hommes, avec lesquels il quitta les frontières de l'Autriche; bientôt après, il parut avec trente mille sur celles de la basse Saxe. Pour tout cet armement, l'empereur n'avait donné que son nom. La renommée du général, une brillante perspective d'avancement et l'espérance du butin, attirèrent, de toutes les contrées de l'Allemagne, des aventuriers sous ses drapeaux. On vit même des princes régnants, excités par l'amour de la gloire ou la soif du gain, offrir de lever des régiments pour l'Autriche.

Alors, pour la première fois dans cette guerre, on vit paraître en Allemagne une armée impériale, formidable apparition pour les protestants, et qui n'était pas beaucoup plus réjouissante pour les catholiques. Wallenstein avait ordre de joindre son armée aux troupes de la Ligue et d'attaquer, de concert avec le général bavarois, le roi de Danemark; mais, depuis longtemps jaloux de la gloire militaire de Tilly, il ne montra nulle envie de partager avec lui les lauriers de cette campagne et de voir éclipsé par l'éclat des hauts faits de Tilly l'honneur des siens. Son plan de guerre appuya, il est vrai, les opérations de Tilly; mais il demeura, dans l'exécution, tout à fait indépendant de lui. Comme il n'avait pas les ressources avec lesquelles Tilly subvenait aux besoins de son armée, il était obligé de conduire la sienne dans les pays riches, qui n'avaient pas encore souffert de la guerre. Au lieu donc de faire sa jonction, comme il en avait l'ordre, avec le général de la Ligue, il entra sur les terres de Halberstadt et de Magdebourg et se rendit maître de l'Elbe près de Dessau. Tous les pays situés sur les deux rives du fleuve furent alors ouverts à ses exactions. Il pouvait de là fondre sur les derrières du roi de Danemark, et même, au besoin, se frayer un chemin jusque dans les États de ce prince.

Christian IV sentit tout le danger de sa position entre deux armées si redoutables. Auparavant déjà, il avait appelé à lui l'administrateur de Halberstadt, qui était revenu récemment de Hollande; maintenant, il se déclara aussi publiquement pour le comte de Mansfeld, qu'il avait désavoué jusque-là, et il le soutint de tout son pouvoir. Mansfeld reconnut ce service d'une manière signalée. A lui seul, il occupa sur l'Elbe les forces de Wallenstein et les empêcha d'écraser le roi de concert avec Tilly. Le vaillant général osa même, malgré la supériorité des ennemis, s'approcher du pont de Dessau et se retrancher vis-à-vis des Impériaux; mais, pris à dos par toutes leurs forces, il dut céder au nombre et quitter son poste avec une perte de trois mille hommes. Après cette défaite, il se retira dans la marche de Brandebourg, où il prit quelque repos, se renforça de nouvelles troupes et tourna subitement vers la Silésie, pour pénétrer de là dans la Hongrie et, réuni à Bethlen Gabor, transporter la guerre au cœur des États d'Autriche. Comme les domaines héréditaires de l'empereur étaient sans défense contre un pareil ennemi, Wallenstein reçut l'ordre pressant de laisser pour le moment le roi de Danemark, afin d'arrêter, s'il était possible, la marche de Mansfeld à travers la Silésie.

Cette diversion, par laquelle Mansfeld attira les troupes de Wallenstein, permit à Christian IV de détacher une partie de son armée en Westphalie, pour y occuper les évêchés de Münster et d'Osnabrück. Afin de s'opposer à cette manœuvre, Tilly quitta précipitamment le Wéser; mais les mouvements du duc Christian, qui faisait mine de pénétrer par la Hesse dans les terres de la Ligue, afin d'en faire le théâtre de la guerre, le rappelèrent promptement de Westphalie. Pour maintenir ses communications avec les pays catholiques et empêcher la jonction dangereuse du landgrave de Hesse avec l'ennemi, Tilly s'empara en grande hâte de toutes les places tenables sur la Werra et la Fulde, et s'assura de la ville de Münden, à l'entrée des montagnes de la Hesse, où le confluent de ces deux rivières forme le Wéser. Bientôt après, il prit Gœttingue, la clef du Brunswick et de la Hesse; il préparait à Nordheim le même sort, mais le roi accourut avec toutes ses forces pour s'opposer à son dessein. Après avoir pourvu cette place de tout ce qui était nécessaire pour soutenir un long siége, il cherchait à s'ouvrir, par l'Eichsfeld et la Thuringe, une nouvelle entrée dans les pays de la Ligue. Déjà il avait dépassé Duderstadt, mais le comte Tilly l'avait devancé par des marches rapides. Comme l'armée de ce dernier, renforcée par quelques régiments de Wallenstein, était très-supérieure en nombre, le roi se retira vers le Brunswick pour éviter une bataille; mais, dans cette retraite même, Tilly le poursuivit sans relâche, et, après trois jours d'escarmouches, Christian IV fut à la fin contraint de faire face à l'ennemi, près du village de Lutter, au pied du Barenberg. Les Danois attaquèrent avec beaucoup de bravoure, et leur vaillant roi les mena trois fois au combat; mais enfin il fallut céder à un ennemi supérieur en nombre et mieux exercé, et le général de la Ligue remporta une victoire complète. Soixante drapeaux et toute l'artillerie, les bagages et les munitions, furent perdus; beaucoup de nobles officiers et environ quatre mille soldats restèrent sur le champ de bataille; plusieurs compagnies d'infanterie, qui, pendant la déroute, s'étaient jetées, à Lutter, dans la maison du bailliage, mirent bas les armes et se rendirent au vainqueur.

Le roi s'enfuit avec sa cavalerie et rallia bientôt ses troupes après ce cruel revers. Tilly, poursuivant sa victoire, se rendit maître du Wéser, occupa le pays de Brunswick et repoussa le roi jusque sur les terres de Brème. Devenu timide par sa défaite, Christian résolut de rester sur la défensive et surtout de fermer à l'ennemi le passage de l'Elbe. Mais, en jetant des garnisons dans toutes les places tenables, il se réduisit à l'inaction, avec des forces divisées, et les corps détachés furent, l'un après l'autre, dispersés ou détruits par l'ennemi. Les troupes de la Ligue, maîtresses de tout le cours du Wéser, se répandirent au delà de l'Elbe et du Havel, et les Danois se virent chassés successivement de toutes leurs positions. Tilly avait lui-même passé l'Elbe et porté bien avant dans le Brandebourg ses armes victorieuses, tandis que Wallenstein pénétrait par l'autre côté dans le Holstein, afin de transférer la guerre dans les États mêmes du roi.

 

Wallenstein revenait alors de la Hongrie, où il avait poursuivi le comte Mansfeld sans pouvoir arrêter sa marche, ni empêcher sa réunion avec Bethlen Gabor. Toujours poursuivi par la fortune, et toujours supérieur à son sort, Mansfeld s'était frayé sa route par la Silésie et la Hongrie, à travers d'immenses difficultés, et avait joint heureusement le prince de Transylvanie, mais il n'en fut pas très-bien reçu. Comptant sur l'appui de l'Angleterre et sur une puissante diversion dans la basse Saxe, Gabor avait de nouveau rompu la trêve avec l'empereur; et maintenant, au lieu de la diversion espérée, Mansfeld attirait chez lui toutes les forces de Wallenstein, et lui demandait de l'argent, au lieu d'en apporter. Le défaut d'harmonie entre les princes protestants refroidit l'ardeur de Gabor, et, selon sa coutume, il se hâta de se débarrasser des forces supérieures de l'empereur par une paix précipitée. Fermement résolu de la rompre au premier rayon d'espérance, il adressa le comte Mansfeld à la république de Venise, afin de se procurer avant tout de l'argent.

Séparé de l'Allemagne et hors d'état de nourrir en Hongrie le faible reste de ses troupes, Mansfeld vendit son artillerie et son matériel de guerre et licencia ses soldats. Il prit lui-même, avec une suite peu nombreuse, la route de Venise par la Bosnie et la Dalmatie. De nouveaux projets enflammaient son courage, mais sa carrière était finie. Le destin, qui l'avait tant ballotté pendant sa vie, lui avait préparé un tombeau en Dalmatie. La mort le surprit non loin de Zara (1626); son fidèle compagnon de fortune, le duc Christian de Brunswick, était mort peu de temps auparavant: dignes tous deux de l'immortalité, s'ils s'étaient élevés au-dessus de leur siècle, comme ils s'élevèrent au-dessus sus de leur sort.

Le roi de Danemark, avec des forces entières, n'avait pu tenir contre le seul Tilly; combien moins le pouvait-il contre les deux généraux de l'empereur, avec une armée affaiblie? Les Danois abandonnèrent tous leurs postes sur le Wéser, l'Elbe et le Havel, et l'armée de Wallenstein se répandit, comme un torrent impétueux dans le Brandebourg, le Mecklembourg, le Holstein et le Schleswig. Ce général, trop superbe pour agir en commun avec un autre, avait envoyé le général de la Ligue, Tilly, au delà de l'Elbe, pour observer les Hollandais; mais ce n'était qu'un prétexte: Wallenstein voulait terminer lui-même la guerre contre le roi de Danemark et recueillir pour lui seul les fruits des victoires de Tilly. Christian IV avait perdu toutes les places fortes de ses provinces allemandes, Glückstadt seul excepté; ses armées étaient battues ou dispersées; nuls secours d'Allemagne; peu de consolation du côté de l'Angleterre; ses alliés de la basse Saxe livrés en proie à la rage du vainqueur. Aussitôt après sa victoire de Lutter, Tilly avait contraint le landgrave de Hesse-Cassel de renoncer à l'alliance danoise. La terrible apparition de Wallenstein devant Berlin décida l'électeur de Brandebourg à se soumettre et le força de reconnaître Maximilien de Bavière comme électeur légitime. La plus grande partie du Mecklembourg fut alors inondée de troupes impériales, et les deux ducs mis au ban de l'Empire et chassés de leurs États comme partisans du roi de Danemark. Avoir défendu la liberté allemande contre d'injustes attaques était un crime qui entraînait la perte de toutes possessions et dignités. Et tout cela n'était pourtant que le prélude de violences plus criantes, qui devaient suivre bientôt.

Alors parut au jour le secret de Wallenstein: on vit comment il entendait remplir ses promesses excessives. Ce secret, il l'avait appris de Mansfeld; mais l'écolier surpassa le maître. Selon la maxime que la guerre doit nourrir la guerre, Mansfeld et le duc Christian avaient pourvu aux besoins de leurs troupes avec les contributions qu'ils arrachaient indistinctement aux amis et aux ennemis; mais cette manière de brigandage était accompagnée de tous les ennuis et de tous les dangers attachés à la vie de brigands. Comme des voleurs fugitifs, ils étaient contraints de se glisser à travers des ennemis vigilants et exaspérés, de fuir d'un bout de l'Allemagne jusqu'à l'autre, d'épier avec anxiété l'occasion propice, enfin d'éviter précisément les pays les plus riches, parce qu'ils étaient défendus par de plus grandes forces. Si Mansfeld et Brunswick, quoiqu'aux prises avec de si puissants obstacles, avaient fait pourtant des choses si étonnantes, que ne devait-on pouvoir accomplir, tous ces obstacles une fois levés, si l'armée mise sur pied était assez nombreuse pour faire trembler chaque prince de l'Empire en particulier, jusqu'au plus puissant; si le nom de l'empereur assurait l'impunité de tous les attentats; en un mot, si, sous l'autorité du chef suprême et à la tête d'une armée sans égale, on suivait le même plan de guerre que ces deux aventuriers avaient exécuté à leurs propres périls, avec une bande ramassée au hasard?

C'était là ce que Wallenstein avait en vue lorsqu'il fit à l'empereur son offre audacieuse, et maintenant personne ne la trouvera plus exagérée. Plus on renforçait l'armée, moins on devait être inquiet de son entretien, car elle n'en était que plus terrible pour les membres de l'Empire qui résistaient; plus les violences étaient criantes, plus l'impunité en était assurée. Contre les princes dont les dispositions étaient hostiles, on avait une apparence de droit; avec ceux qui étaient fidèles, on pouvait s'excuser en alléguant la nécessité. Le partage inégal de cette oppression prévenait le danger de l'union des princes entre eux: d'ailleurs, l'épuisement de leurs États leur ôtait les moyens de se venger. Toute l'Allemagne devint de la sorte un magasin de vivres pour les armées de l'empereur, et il put user en maître de tout le territoire germanique, comme de ses propres domaines. Un cri universel monta au trône de Ferdinand pour implorer sa justice; mais, aussi longtemps que les princes maltraités demandaient justice, on n'avait pas à craindre qu'ils se vengeassent eux-mêmes. L'indignation publique se partageait entre l'empereur, qui prêtait son nom à ces violences, et le général, qui outrepassait ses pouvoirs et abusait manifestement de l'autorité de son maître. On recourait à l'empereur, pour obtenir protection contre son général; mais, aussitôt que Wallenstein, appuyé sur ses troupes, s'était senti tout-puissant, il avait cessé d'obéir à son souverain.

L'épuisement de l'ennemi rendait vraisemblable une paix prochaine; cependant, Wallenstein continuait de renforcer l'armée impériale, qu'il porta enfin jusqu'à cent mille hommes. Des brevets, sans nombre, de colonels et d'officiers; pour le général lui-même un faste royal; à ses créatures des prodigalités excessives (il ne donnait jamais moins de mille florins); des sommes incroyables pour acheter des amis à la cour et y maintenir son influence: tout cela sans qu'il en coûtât rien à son maître! Ces sommes immenses furent levées, comme contributions de guerre, sur les provinces de la basse Allemagne; nulle différence entre les amis et les ennemis; même arbitraire pour les passages de troupes et les cantonnements sur les terres de tous les souverains; mêmes extorsions, mêmes violences. Si l'on pouvait ajouter foi à une évaluation contemporaine qui paraît excessive, Wallenstein, pendant un commandement de sept années, aurait levé soixante millions d'écus de contributions sur une moitié de l'Allemagne. Plus les exactions étaient énormes, plus son armée vivait dans l'abondance, et plus, par conséquent, l'on s'empressait de courir sous ses drapeaux: tout le monde vole à la fortune. Les armées de Wallenstein grossissaient, tandis qu'on voyait dépérir les contrées sur leur passage. Que lui importaient les malédictions des provinces et les lamentations des souverains? Ses troupes l'adoraient, et le crime même le mettait en état de se rire de toutes les conséquences du crime.

Ce serait faire tort à l'empereur que de lui imputer tous les excès de ses armées. Si Ferdinand avait prévu qu'il livrait en proie à son général tous les États de l'Allemagne, il n'aurait pu méconnaître quels dangers il courait lui-même avec un lieutenant si absolu. Plus le lien se resserrait entre les soldats et le chef de qui seul ils attendaient leur fortune, leur avancement, plus l'armée et le général se détachaient nécessairement de l'empereur. Tout se faisait en son nom, à la vérité, mais Wallenstein n'invoquait la majesté du chef de l'Empire que pour écraser tout autre pouvoir en Allemagne. De là, chez cet homme, le dessein médité d'abaisser visiblement tous les princes d'Allemagne, de briser tous degrés, toute hiérarchie entre ces princes et le chef suprême, et d'élever l'autorité de celui-ci au-dessus de toute comparaison. Si une fois l'empereur était la seule puissance qui pût donner des lois en Allemagne, qui pourrait atteindre à la hauteur du vizir qu'il avait fait exécuteur de sa volonté? L'élévation où Wallenstein le portait surprit Ferdinand lui-même; mais, précisément parce que la grandeur du maître était l'ouvrage de son serviteur, cette création de Wallenstein devait retomber dans le néant aussitôt qu'elle ne serait plus soutenue par la main de son auteur. Ce n'était pas sans motifs qu'il soulevait contre l'empereur tous les princes de l'Empire germanique: plus leur haine était violente, plus l'homme qui rendait leur mauvais vouloir inoffensif restait nécessaire à Ferdinand. L'intention évidente du général était que son souverain n'eût plus personne à craindre en Allemagne que celui-là seul à qui il devait cette toute-puissance.

Wallenstein faisait un pas vers ce but, lorsqu'il demanda le Mecklembourg, sa récente conquête, comme gage provisoire, jusqu'au remboursement des avances d'argent qu'il avait faites à l'empereur dans la dernière campagne. Auparavant déjà, Ferdinand l'avait nommé duc de Friedland, vraisemblablement pour lui donner un avantage de plus sur le général bavarois; mais une récompense ordinaire ne pouvait satisfaire l'ambition d'un Wallenstein. Vainement des voix mécontentes s'élevèrent, dans le conseil même de l'empereur, contre cette nouvelle promotion, qui devait se faire aux dépens de deux princes de l'Empire; vainement les Espagnols eux-mêmes, que l'orgueil du général avait depuis longtemps offensés, s'opposèrent à son élévation. Le parti puissant qu'il avait acheté parmi les conseillers eut le dessus. Ferdinand voulait s'attacher, à tout prix, ce serviteur indispensable. On chassa de leur héritage, pour une faute légère, les descendants d'une des plus anciennes maisons régnantes d'Allemagne, et l'on revêtit de leurs dépouilles une créature de la faveur impériale.

Bientôt après, Wallenstein commença à s'intituler généralissime de l'empereur sur mer et sur terre. La ville de Weimar fut conquise, et l'on prit pied sur la Baltique. On demanda des vaisseaux à la Pologne et aux villes anséatiques, afin de porter la guerre de l'autre côté de cette mer, de poursuivre les Danois dans l'intérieur de leur royaume, et d'imposer une paix, qui frayerait la voie à de plus grandes conquêtes. La cohérence des États de la basse Allemagne avec les royaumes du Nord était détruite, si l'empereur réussissait à s'établir entre eux et à envelopper l'Allemagne, depuis l'Adriatique jusqu'au Sund, dans la chaîne continue de ses États, interrompue seulement par la Pologne, qui était sous sa dépendance. Si telles étaient les vues de Ferdinand, Wallenstein avait les siennes pour suivre le même plan. Des possessions sur la Baltique devaient former la base d'une puissance que son ambition rêvait depuis longtemps et qui devait le mettre en état de se passer de son maître.

Pour l'un et l'autre objet, il était de la plus grande importance d'occuper la ville de Stralsund, sur la mer Baltique. Son excellent port, la facilité du trajet de ce point aux côtes de Suède et de Danemark, la rendaient particulièrement propre à former une place d'armes dans une guerre contre ces deux puissances. Cette ville, la sixième de la ligue anséatique, jouissait des plus grands priviléges, sous la protection du duc de Poméranie. N'ayant aucune liaison avec le Danemark, elle n'avait pas jusque-là pris la moindre part à la guerre. Mais ni cette neutralité ni ses priviléges ne pouvaient la défendre contre les prétentions arrogantes de Wallenstein, qui avait ses vues sur elle.

Les magistrats de Stralsund avaient rejeté avec une louable fermeté une proposition du généralissime de recevoir une garnison impériale; ils avaient aussi repoussé la demande insidieuse du passage pour ses troupes. Dès lors, Wallenstein se disposa à faire le siége de la ville.

 

Il était d'une égale importance pour les deux couronnes du Nord de protéger l'indépendance de Stralsund, sans laquelle on ne pouvait maintenir la libre navigation de la Baltique. Le danger commun fit taire enfin la jalousie qui divisait depuis longtemps les deux rois. Dans un traité conclu à Copenhague (1628), ils se promirent de réunir leurs forces pour la défense de Stralsund et de repousser en commun toute puissance étrangère qui paraîtrait dans la Baltique avec des intentions ennemies. Christian IV jeta aussitôt dans Stralsund une garnison suffisante et alla se montrer aux habitants pour affermir leur courage. La flotte danoise coula à fond quelques bâtiments de guerre, envoyés par le roi Sigismond de Pologne au secours de Wallenstein, et, la ville de Lubeck lui ayant alors aussi refusé ses vaisseaux, le généralissime impérial sur mer n'eut pas même assez de navires pour bloquer le port d'une seule ville.

Rien ne paraît plus étrange que de vouloir conquérir, sans bloquer son port, une place maritime parfaitement fortifiée. Wallenstein, qui n'avait jamais rencontré de résistance, voulut alors vaincre la nature et accomplir l'impossible. Stralsund, libre du côté de la mer, put continuer sans obstacle à se pourvoir de vivres et à se renforcer de nouvelles troupes; néanmoins Wallenstein l'investit du côté de la terre, et il chercha par des menaces fastueuses à suppléer aux moyens plus efficaces qui lui manquaient. «J'emporterai cette ville, disait-il, quand elle serait attachée au ciel avec des chaînes.» L'empereur, qui pouvait bien regretter une entreprise dont il n'attendait pas une glorieuse issue, saisit lui-même avec empressement une apparence de soumission et quelques offres acceptables des habitants pour ordonner à son général de lever le siége. Wallenstein méprisa cet ordre et pressa, comme auparavant, les assiégés par des assauts continuels. La garnison danoise, déjà très-réduite, ne suffisait plus à des travaux sans relâche; cependant le roi ne pouvait risquer plus de soldats pour la défense de la ville: alors, avec l'agrément de Christian IV, elle se jeta dans les bras du roi de Suède. Le commandant danois quitta la forteresse pour faire place à un Suédois, qui la défendit avec le plus heureux succès. La fortune de Wallenstein échoua devant Stralsund: pour la première fois, son orgueil éprouva la sensible humiliation de renoncer à une entreprise, et cela après y avoir perdu plusieurs mois et sacrifié douze mille hommes. Mais la nécessité où il avait mis cette ville de recourir à la protection suédoise amena entre Gustave-Adolphe et Stralsund une étroite alliance, qui ne facilita pas peu, dans la suite, l'entrée des Suédois en Allemagne.

Jusqu'ici, la fortune avait accompagné les armes de la Ligue et de l'empereur. Christian IV, vaincu en Allemagne, était contraint de se cacher dans ses îles; mais la mer Baltique mit un terme à ces conquêtes. Le manque de vaisseaux n'empêchait pas seulement de poursuivre plus loin le roi: il exposait encore le vainqueur à perdre le fruit de ses victoires. Ce qui devait surtout alarmer, c'était l'union des deux rois du Nord: si elle durait, l'empereur et son général ne pouvaient jouer aucun rôle sur la Baltique ni faire une descente en Suède. Mais, si l'on réussissait à séparer les intérêts des deux monarques et à s'assurer particulièrement l'amitié du roi de Danemark, on pouvait espérer de venir à bout d'autant plus aisément de la Suède isolée. La crainte de l'intervention des puissances étrangères, les mouvements séditieux des protestants dans ses propres États, les frais énormes que la guerre avait coûtés jusque-là, et plus encore l'orage qu'on était sur le point de soulever dans toute l'Allemagne protestante, disposaient l'esprit de l'empereur à la paix, et, par des motifs tout opposés, son général s'empressa de satisfaire ce désir. Bien éloigné de souhaiter une paix qui, du faîte brillant de la grandeur et de la puissance, le plongerait dans l'obscurité de la vie privée, il ne voulait que changer le théâtre de la guerre et, par cette paix partielle, prolonger la confusion. L'amitié du roi de Danemark, dont il était devenu le voisin, comme duc de Mecklembourg, lui était très-précieuse pour ses vastes projets, et il résolut de s'attacher ce monarque, en lui sacrifiant même, au besoin, les intérêts de son maître.

Christian IV s'était engagé, dans le traité de Copenhague, à ne point conclure de paix partielle avec l'empereur sans la participation de la Suède. Néanmoins, les propositions que lui fit Wallenstein furent accueillies avec empressement. Dans un congrès tenu à Lubeck (1629), d'où Wallenstein écarta, avec un dédain étudié, les envoyés suédois, qui étaient venus intercéder pour le Mecklembourg, l'empereur restitua aux Danois tous les pays qu'on leur avait pris. On imposa au roi l'obligation de ne plus s'immiscer désormais dans les affaires de l'Allemagne, au delà de ce qui lui était permis comme duc de Holstein; de ne plus prétendre, à quelque titre que ce fût, aux bénéfices ecclésiastiques de la basse Allemagne, et d'abandonner à leur sort les ducs de Mecklembourg. Christian avait entraîné lui-même ces deux princes dans la guerre contre l'empereur, et maintenant il les sacrifiait pour se concilier le ravisseur de leurs États. Parmi les motifs qui l'avaient décidé à faire la guerre à l'empereur, le rétablissement de l'électeur palatin, son parent, n'avait pas été le moins considérable; il ne fut pas dit un seul mot de ce prince dans le traité de Lubeck, et même on reconnaissait, dans l'un des articles, la légitimité de l'électorat bavarois. Ce fut ainsi, avec si peu de gloire, que Christian IV disparut de la scène.

Pour la deuxième fois, Ferdinand tenait dans sa main le repos de l'Allemagne, et il ne dépendait que de lui de changer la paix avec le Danemark en une paix générale. De toutes les contrées de l'Allemagne s'élevaient jusqu'à lui les lamentations des malheureux qui le suppliaient de mettre un terme à leurs souffrances: les barbaries de ses soldats, l'avidité de ses généraux avaient passé toutes les bornes. L'Allemagne, traversée par les bandes dévastatrices de Mansfeld et de Christian de Brunswick, et par les masses, plus effroyables encore, de Tilly et de Wallenstein, était épuisée, saignante, désolée, et soupirait après le repos. Tous les membres de l'Empire désiraient ardemment la paix; l'empereur la souhaitait lui-même. Engagé, au nord de l'Italie, dans une guerre contre la France, épuisé par celle d'Allemagne, il songeait avec inquiétude aux comptes qu'il aurait à solder. Malheureusement, les conditions auxquelles les deux partis religieux consentaient à remettre l'épée dans le fourreau étaient contradictoires. Les catholiques voulaient sortir de la guerre avec avantage; les protestants ne voulaient pas en sortir avec perte. Au lieu de mettre les adversaires d'accord par une sage modération, l'empereur prit parti, et, par là, il plongea de nouveau l'Allemagne dans les horreurs d'une épouvantable guerre.

Dès la fin des troubles de Bohême, Ferdinand avait déjà commencé la contre-réformation dans ses États héréditaires; mais, par ménagement pour quelques membres évangéliques des états, il avait procédé avec modération. Les victoires que ses généraux remportèrent dans la basse Allemagne lui donnèrent le courage de dépouiller toute contrainte. Il fut donc signifié aux protestants de ses domaines héréditaires qu'ils eussent à renoncer à leur culte ou à leur patrie: amère et cruelle alternative, qui provoqua chez les paysans de l'Autriche les plus terribles soulèvements. Dans le Palatinat, le culte réformé fut aboli immédiatement après l'expulsion de Frédéric V, et les docteurs de cette religion furent chassés de l'université de Heidelberg.