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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Le mauvais état dans lequel il espérait surprendre l'armée des rebelles justifiait la précipitation de Maximilien et lui assura la victoire. Frédéric n'avait pas rassemblé trente mille hommes; le prince d'Anhalt lui en avait amené huit mille; Bethlen Gabor lui avait envoyé dix mille Hongrois. Une incursion de l'électeur de Saxe dans la Lusace avait intercepté tous les secours qu'il attendait de ce pays et de la Silésie; la pacification de l'Autriche le privait de tous ceux qu'il s'était promis de ce côté. Bethlen Gabor, le plus important de ses alliés, se tint en repos. L'Union avait livré Frédéric à l'empereur. Il ne lui restait plus que ses Bohêmes, qui manquaient eux-mêmes de bonne volonté, d'accord et de courage. Les magnats de Bohême étaient mécontents de se voir préférer des généraux allemands; le comte de Mansfeld resta à Pilsen, séparé du quartier général, afin de ne pas servir sous Anhalt et Hohenlohe. Le soldat, qui manquait du nécessaire, perdit toute ardeur et tout courage, et la mauvaise discipline de l'armée provoquait chez le paysan les plaintes les plus amères. Ce fut en vain que Frédéric se montra dans le camp, afin d'animer par sa présence le courage des soldats, et par son exemple l'émulation de la noblesse.

Les Bohêmes commençaient à se retrancher sur la Montagne-Blanche, non loin de Prague, lorsque l'armée combinée austro-bavaroise les assaillit, le 8 novembre 1620. Au commencement de l'action, la cavalerie du prince d'Anhalt remporta quelques avantages, bientôt rendus vains par la supériorité de l'ennemi. Les Bavarois et les Wallons chargèrent avec une force irrésistible, et la cavalerie hongroise fut la première à tourner le dos. L'infanterie bohême ne tarda pas à suivre son exemple, et les Allemands furent enfin entraînés aussi dans la déroute générale. Dix canons, qui formaient toute l'artillerie de Frédéric, tombèrent dans les mains de l'ennemi. Quatre mille Bohêmes périrent dans la fuite et dans le combat; les troupes de l'empereur et de la Ligue perdirent à peine quelques centaines d'hommes. Cette victoire décisive avait été remportée en moins d'une heure.

Frédéric était à dîner dans Prague, tandis que ses troupes se faisaient tuer pour lui sous les murs de la ville. Il ne s'attendait probablement encore à aucune attaque, puisqu'il avait commandé ce jour-là même un grand repas. Un courrier le fit enfin sortir de table, et il put voir des remparts tout cet affreux spectacle. Il demanda une suspension d'armes de vingt-quatre heures pour se déterminer après réflexion: huit heures furent tout ce qu'il obtint du duc. Frédéric les employa à s'enfuir de la capitale, pendant la nuit, avec sa femme et les principaux officiers de l'armée. Cette fuite fut si précipitée, que le prince d'Anhalt oublia ses papiers les plus secrets et Frédéric sa couronne. «Je sais maintenant ce que je suis,» disait ce malheureux prince aux personnes qui essayaient de le consoler. «Il y a des vertus que le malheur seul peut nous enseigner, et ce n'est que dans l'adversité que nous apprenons, nous autres princes, ce que nous sommes.»

Prague n'était pas encore perdue sans ressource, quand le pusillanime Frédéric l'abandonna. Mansfeld était toujours à Pilsen, avec son corps détaché, qui n'avait pas vu la bataille. A chaque instant, Bethlen Gabor pouvait commencer les hostilités et rappeler aux frontières de Hongrie les forces de l'empereur. Les Bohêmes battus pouvaient se relever, les maladies, la faim et le froid détruire les ennemis: toutes ces espérances s'évanouirent devant la crainte présente.

Frédéric redoutait l'inconstance des Bohêmes, qui pouvaient aisément céder à la tentation de livrer sa personne à l'empereur pour acheter leur grâce.

Thurn et ceux qui partageaient sa condamnation ne jugèrent pas prudent non plus d'attendre leur sort dans les murs de Prague. Ils se réfugièrent en Moravie, pour chercher, bientôt après, leur salut dans la Transylvanie. Frédéric s'enfuit à Breslau, mais il n'y séjourna que peu de temps, et trouva ensuite un asile à la cour de l'électeur de Brandebourg, puis enfin en Hollande.

La bataille de Prague avait décidé du sort de toute la Bohême. Prague se rendit dès le lendemain au vainqueur; les autres villes suivirent le sort de la capitale. Les états rendirent l'hommage sans condition; leur exemple fut imité en Silésie et en Moravie. L'empereur laissa s'écouler trois mois avant d'ordonner une enquête sur le passé. Beaucoup de ceux qui avaient pris la fuite dans la première frayeur reparurent dans la capitale, rassurés par cette apparence de modération; mais, à un jour, à un moment fixé, l'orage éclata. Quarante-huit des plus actifs instigateurs de la révolte furent arrêtés et traduits devant une commission extraordinaire, composée de Bohêmes et d'Autrichiens. Vingt-sept d'entre eux périrent sur l'échafaud; dans la classe du peuple, une quantité innombrable eut le même sort. On somma les absents de comparaître, et, aucun d'eux ne s'étant présenté, ils furent condamnés à mort, comme coupables de haute trahison et de lèse-majesté impériale. Leurs biens furent confisqués, leurs noms cloués au gibet. On confisqua même les biens de rebelles déjà morts. Cette tyrannie était supportable, parce qu'elle ne pesait que sur certaines personnes, et que les dépouilles de l'un enrichissaient l'autre; mais d'autant plus douloureuse fut l'oppression qui accabla sans distinction tout le royaume. Tous les prédicateurs protestants, d'abord les bohêmes, et un peu plus tard les allemands, furent expulsés du pays. Ferdinand coupa de sa propre main la lettre de Majesté de Rodolphe et en brûla le sceau. Sept ans après la bataille de Prague, toute tolérance envers les protestants était abolie dans le royaume. Mais les violences que l'empereur se permit contre les priviléges religieux des Bohêmes, il se les interdit à l'égard de leur constitution politique, et, en même temps qu'il leur enlevait la liberté de penser, il leur laissait généreusement le droit de se taxer eux-mêmes.

La victoire de la Montagne-Blanche mit Ferdinand en possession de tous ses États et les lui rendit même avec un pouvoir plus étendu que celui dont y avait joui son prédécesseur, parce que l'hommage fut rendu sans condition, et qu'aucune lettre impériale ne limitait plus son autorité souveraine. Tous ses justes désirs étaient donc satisfaits, et même au delà de son attente.

Il était libre maintenant de congédier ses alliés et de rappeler ses armées. La guerre était finie, si seulement il était juste; s'il était juste et généreux, les châtiments devaient cesser aussi. Tout le sort de l'Allemagne était dans sa main, et des millions de créatures humaines attendaient le bonheur ou le malheur de la détermination qu'il allait prendre. Jamais si grande décision ne fut au pouvoir d'un seul homme; jamais l'aveuglement d'un seul homme ne causa tant de calamités.

LIVRE DEUXIÈME

La résolution que prit alors Ferdinand donna à la guerre une tout autre direction, un autre théâtre et d'autres acteurs. D'une révolte en Bohême et d'une exécution militaire contre des rebelles, on vit naître une guerre allemande et bientôt européenne. Le moment est donc venu de jeter un coup d'œil sur l'Allemagne et sur le reste de l'Europe.

Tout inégal que fût, entre catholiques et protestants, le partage du territoire de l'Empire et des priviléges de ses membres, chaque parti n'avait qu'à profiter de ses propres avantages et à rester sagement uni, pour contre-balancer les forces de l'autre. Si les catholiques étaient plus nombreux et plus favorisés par la constitution de l'Empire, les protestants possédaient une suite continue de contrées populeuses, des princes belliqueux, une vaillante noblesse, de nombreuses armées, des villes impériales opulentes; ils étaient maîtres de la mer, et, en cas de nécessité, ils avaient un parti assuré dans les États des princes catholiques. Si les catholiques pouvaient compter sur les armes de l'Espagne et de l'Italie, la république de Venise, la Hollande et l'Angleterre ouvraient leurs trésors aux protestants; les États du Nord et les redoutables Ottomans étaient prêts à voler à leur secours. Le Brandebourg, la Saxe et le Palatinat opposaient dans le collége électoral trois voix protestantes, d'un poids considérable, aux trois voix ecclésiastiques; et, si les États protestants savaient user de leur force, la dignité impériale devenait une chaîne pour l'électeur de Bohême, comme pour l'archiduc d'Autriche. L'épée de l'Union pouvait retenir l'épée de la Ligue dans le fourreau, ou, s'il fallait en venir à la guerre, elle en pouvait rendre l'événement incertain. Malheureusement, l'intérêt particulier rompit le lien politique qui devait unir entre eux tous les membres protestants de l'Empire. Cette grande époque ne trouva sur la scène que des esprits médiocres, et l'on ne profita point du moment décisif, parce que les courageux manquèrent de puissance, et les puissants d'intelligence, de courage et de résolution.

Les mérites de son aïeul Maurice, l'étendue de ses possessions et l'importance de son suffrage plaçaient l'électeur de Saxe à la tête de l'Allemagne protestante. La résolution qu'il allait prendre devait décider lequel des deux partis triompherait dans la lutte, et Jean-Georges n'était pas insensible aux avantages que lui assurait cette position considérable. Conquête également significative pour l'empereur et pour l'Union, il évitait soigneusement de se donner tout entier à l'un ou à l'autre; il ne voulait point, par une déclaration irrévocable, se fier à la reconnaissance de Ferdinand ni renoncer aux fruits qu'il pouvait retirer de la crainte inspirée à ce prince. Inaccessible au vertige de l'enthousiasme chevaleresque ou religieux, qui entraînait un souverain après l'autre à risquer sa couronne et sa vie dans les hasards de la guerre, Jean-Georges aspirait à la gloire plus solide de ménager son bien et de l'augmenter. Si ses contemporains l'accusèrent d'avoir abandonné dans le fort de l'orage la cause protestante, d'avoir préféré l'agrandissement de sa maison au salut de la patrie, d'avoir exposé à la ruine toute l'Église évangélique d'Allemagne, de peur de faire le moindre mouvement en faveur des réformés; s'ils l'accusèrent d'avoir fait par sa douteuse amitié presque autant de mal à la cause commune que ses plus ardents ennemis: il pouvait répondre que la faute en était à ces princes qui n'avaient pas su prendre pour modèle sa sage politique. Si, malgré cette sage politique, le paysan saxon eut à gémir, comme tous les autres, sur les horreurs qui accompagnaient le passage des armées impériales; si l'Allemagne tout entière put voir comme Ferdinand trompait son allié et se jouait de ses promesses; si Jean-Georges lui-même crut enfin s'en apercevoir: c'était à l'empereur de rougir, lui qui trahissait si cruellement une si loyale confiance.

 

Si cette confiance exagérée en la maison d'Autriche, et l'espérance d'agrandir ses domaines, lièrent les mains de l'électeur de Saxe, la crainte de l'Autriche et la frayeur de perdre ses États tinrent le faible Georges-Guillaume de Brandebourg dans des liens bien plus honteux. Ce qu'on reprochait à ces deux souverains aurait sauvé à l'électeur palatin sa gloire et ses États. Une confiance irréfléchie en ses forces non éprouvées, l'influence des conseils de la France, et l'éclat séduisant d'une couronne avaient entraîné ce malheureux prince dans une aventure à la hauteur de laquelle ne s'élevaient ni son génie ni sa situation politique. La puissance de la maison palatine était affaiblie par le morcellement de ses domaines et le peu d'harmonie qui régnait entre ses princes: réunie dans une seule main, cette puissance aurait pu longtemps encore rendre douteuse l'issue de la guerre.

Les partages affaiblissaient aussi la maison souveraine de Hesse, et la différence de religion entretenait entre Cassel et Darmstadt une division funeste. La ligne de Darmstadt, attachée à la confession d'Augsbourg, s'était mise sous la protection de l'empereur, qui la favorisait au détriment de la ligne réformée de Cassel. Tandis que ses frères dans la foi versaient leur sang pour la religion et la liberté, le landgrave Georges de Darmstadt recevait une solde de l'empereur. Mais, à l'exemple de son ancêtre, qui avait entrepris cent ans auparavant, de défendre la liberté allemande contre le redoutable Charles-Quint, Guillaume de Cassel préféra le parti du danger et de l'honneur. Supérieur à la crainte, qui faisait plier des princes bien plus forts que lui sous la toute-puissance de Ferdinand, le landgrave Guillaume fut le premier qui offrit le secours de son bras héroïque au héros suédois et qui donna aux princes d'Allemagne cet exemple que nul ne voulait risquer avant les autres. Autant sa décision annonçait de courage, autant sa persévérance montra de fermeté et ses exploits de bravoure. Avec une résolution intrépide, il se posta à la frontière de son pays ensanglanté et reçut avec un dédain railleur l'ennemi dont les mains fumaient encore du sac de Magdebourg.

Le landgrave Guillaume est digne de passer à l'immortalité, à côté de l'héroïque branche ernestine. Il se leva bien tard pour toi le jour de la vengeance, infortuné Jean-Frédéric, noble prince, à jamais glorieux! Mais, s'il a été lent à paraître, quelle en fut la splendeur! On vit ton époque renaître, et ton héroïsme descendit sur tes petits-fils. Une race vaillante de princes sort des forêts de la Thuringe, pour flétrir, par ses exploits immortels, le jugement qui dépouilla ton front de la couronne électorale, et apaiser, en entassant les victimes sanglantes, ton ombre irritée. L'arrêt du vainqueur put leur enlever tes États, mais non la vertu patriotique qui te les fit sacrifier, ni le courage chevaleresque, qui, un siècle plus tard, fera chanceler le trône de son petit-fils. Ta vengeance et celle de l'Allemagne ont aiguisé le fer sacré, fatal à la race de Habsbourg, et de la main d'un héros à celle d'un autre se transmet le glaive invincible. Ce qu'ils ne peuvent faire comme souverains, ils l'accomplissent comme hommes de cœur, et meurent d'une mort glorieuse, comme les plus vaillants soldats de la liberté. Ils ne règnent pas sur d'assez grands domaines pour attaquer leur ennemi avec leurs propres armées, mais ils dirigent contre lui d'autres tonnerres et conduisent à la victoire des drapeaux étrangers.

La liberté de l'Allemagne, trahie par les membres puissants de l'Empire, qui pourtant en recueillaient tous les fruits, fut défendue par un petit nombre de princes pour qui elle avait à peine quelque valeur. La possession des terres et des dignités étouffa le courage; la pauvreté, à ce double égard, fit des héros. Tandis que la Saxe, le Brandebourg et d'autres encore se tiennent timidement en arrière, on voit les Anhalt, les Mansfeld, les princes de Weimar et leurs pareils, prodiguer leur sang dans des batailles meurtrières. Mais les ducs de Poméranie, de Mecklembourg, de Lunebourg, de Wurtemberg, les villes impériales de la haute Allemagne, pour qui le nom du chef suprême de l'Empire avait été de tout temps redoutable, se dérobent craintivement à la lutte contre l'empereur et se courbent en murmurant sous sa main qui les écrase.

L'Autriche et l'Allemagne catholique avaient, dans le duc Maximilien de Bavière, un défenseur aussi puissant que politique et brave. Fidèle, dans tout le cours de cette guerre, à un même plan, mûrement calculé: jamais indécis entre son intérêt politique et sa religion; jamais esclave de l'Autriche, qui travaillait pour son propre agrandissement et tremblait devant le bras qui la sauvait. Maximilien eût mérité de recevoir d'une main meilleure que celle du despotisme les dignités et les domaines qui furent sa récompense. Les autres princes catholiques, la plupart membres du clergé, trop peu guerriers pour résister aux essaims des soldats qu'attirait la prospérité de leurs contrées, furent successivement victimes de la guerre et se contentèrent de poursuivre dans le cabinet ou dans la chaire un ennemi devant lequel ils n'osaient se montrer en campagne. Esclaves de l'Autriche ou de la Bavière, tous furent éclipsés par Maximilien, et leurs forces ne prirent quelque importance que réunies dans sa puissante main.

La redoutable monarchie que Charles-Quint et son fils avaient formée, par un monstrueux assemblage, des Pays-Bas, du Milanais, des Deux-Siciles et des vastes contrées des Indes orientales et occidentales, penchait déjà vers sa ruine sous Philippe III et Philippe IV. Enflée rapidement par un or stérile, on vit cette monarchie dépérir par une lente consomption, parce qu'on la priva du lait nourricier des États, de l'agriculture. Ses conquêtes dans les Indes occidentales avaient plongé l'Espagne dans la pauvreté, pour enrichir tous les marchés de l'Europe, et les changeurs d'Anvers, de Venise et de Gênes spéculaient longtemps d'avance sur l'or qui dormait encore dans les mines du Pérou. Pour les Indes, on avait dépeuplé les provinces espagnoles; et les richesses des Indes, on les avait prodiguées dans la guerre entreprise pour reconquérir la Hollande, dans la tentative chimérique de changer la succession au trône de France, dans une attaque malheureuse contre l'Angleterre. Mais l'orgueil de cette cour avait survécu à l'époque de sa grandeur, la haine de ses ennemis à sa puissance, et la terreur semblait régner encore autour de l'antre vide du lion. La défiance des protestants prêtait au ministère de Philippe III la dangereuse politique de son père, et chez les catholiques allemands vivait toujours la confiance dans les secours de l'Espagne, comme la croyance miraculeuse aux reliques des martyrs. Un faste extérieur cachait les blessures saignantes qui épuisaient cette monarchie, et l'on croyait toujours à sa puissance, parce qu'elle gardait le ton superbe de son âge d'or. Esclaves chez eux, étrangers sur leur propre trône, ces fantômes de rois d'Espagne dictaient des lois en Allemagne aux princes de leur famille, et l'on peut douter que les secours qu'ils leur prêtèrent méritassent la honteuse dépendance par laquelle les empereurs durent les acheter. Derrière les Pyrénées, des moines ignorants, des favoris artificieux, tramaient les destins de l'Europe. Mais on devait redouter encore, dans son plus profond abaissement, une puissance qui ne le cédait pas aux premières en étendue; qui restait, sinon par une ferme politique, du moins par habitude, invariablement fidèle au même système d'États; qui avait à ses ordres des armées aguerries et des généraux excellents; qui, lorsque la guerre ne suffisait pas, recourait au poignard des assassins, et savait employer comme incendiaires ses propres ambassadeurs. Ce qu'elle perdait dans trois autres régions, elle s'efforçait de le regagner vers l'Orient, et les États européens se trouvaient pris dans son filet, si elle réussissait dans son entreprise, dès longtemps méditée, de porter, entre les Alpes et l'Adriatique, ses frontières jusqu'aux domaines héréditaires de l'Autriche.

Les princes italiens avaient vu avec une grande inquiétude cette puissance importune pénétrer dans leur pays, où ses efforts continuels pour s'agrandir faisaient trembler pour leurs possessions tous les souverains du voisinage. Pressé entre Naples et Milan par les vice-rois espagnols, le pape se trouvait dans la plus dangereuse situation. La république de Venise était resserrée entre le Tyrol autrichien et le Milanais espagnol; la Savoie entre cette dernière contrée et la France. De là cette politique changeante et ambiguë que les États italiens avaient suivie depuis Charles-Quint. Le double caractère du pontife romain le maintenait flottant entre deux politiques contradictoires. Si le successeur de saint Pierre honorait dans les princes espagnols ses fils les plus dociles, les plus fermes défenseurs de son siége, le souverain des États de l'Église avait à redouter en leur personne ses plus fâcheux voisins et ses adversaires les plus menaçants. Rien n'importait plus au pontife que de voir les protestants anéantis et les armes de l'Autriche victorieuses; mais le souverain avait lieu de bénir les armes des protestants, qui mettaient son voisin hors d'état de devenir dangereux pour lui. L'une ou l'autre politique avait le dessus, selon que les papes avaient plus de souci de leur puissance temporelle ou de leur souveraineté spirituelle; mais en général, la politique de Rome se déterminait par le besoin le plus pressant; et l'on sait combien la crainte de perdre un avantage présent entraîne plus puissamment les esprits que le désir de recouvrer un bien depuis longtemps perdu. C'est ainsi qu'on s'explique comment le vicaire de Jésus-Christ pouvait se conjurer avec la maison d'Autriche pour la perte des hérétiques, et avec ces mêmes hérétiques pour la ruine de la maison d'Autriche. Ainsi s'entrelace merveilleusement le fil de l'histoire! Que serait devenue la réformation, que serait devenue la liberté des princes allemands, si l'évêque de Rome et le prince de Rome avaient eu constamment le même intérêt?

La France avait perdu, avec son excellent roi Henri, toute sa grandeur, et tout son poids dans la balance politique de l'Europe. Une minorité orageuse anéantit tous les bienfaits de l'administration vigoureuse qui l'avait précédée. Des ministres incapables, créatures de la faveur et de l'intrigue, dissipèrent en peu d'années les trésors que le bon ordre de Sully et l'économie de Henri IV avaient amassés. A peine capables de maintenir contre les factions de l'intérieur leur autorité subreptice, ils devaient renoncer à diriger le grand gouvernail de l'Europe. Une guerre civile, pareille à celle qui armait l'Allemagne contre l'Allemagne, souleva les Français les uns contre les autres; et Louis XIII n'entra dans la majorité que pour combattre sa mère et ses sujets protestants. Ceux-ci, retenus dans le devoir par la politique éclairée de Henri IV, courent maintenant aux armes. Éveillés par l'occasion, encouragés par quelques chefs entreprenants, ils forment un État dans l'État et choisissent pour centre de leur naissant empire la forte et puissante ville de La Rochelle. Trop peu homme d'État pour étouffer, dès son principe, cette guerre civile par une sage tolérance, et bien éloigné d'être assez maître des forces de son royaume pour la conduire avec vigueur, Louis XIII se voit bientôt réduit à l'humiliante nécessité d'acheter par de grosses sommes d'argent la soumission des rebelles. Vainement la raison d'État le presse de soutenir contre l'Autriche les révoltés de Bohême, il faut que le fils de Henri IV reste pour le moment spectateur oisif de leur destruction: heureux si les calvinistes de son royaume ne se rappellent pas fort mal à propos leurs coreligionnaires d'au delà du Rhin! Un grand génie au timon de l'État eût réduit les protestants français à l'obéissance et conquis la liberté de leurs frères en Allemagne; mais Henri IV n'était plus, et sa politique ne devait renaître qu'avec Richelieu.

 

Tandis que la France descendait du faîte de sa gloire, la Hollande, devenue libre, achevait l'édifice de sa grandeur. Il n'était pas encore éteint, le courage enthousiaste qui, allumé par la maison d'Orange, avait changé cette nation de marchands en un peuple de héros et l'avait rendue capable de maintenir son indépendance dans la guerre meurtrière contre les rois d'Espagne. Se souvenant de tout ce qu'ils avaient dû, dans l'œuvre de leur délivrance, aux secours étrangers, ces républicains brûlaient du désir d'aider leurs frères allemands à s'assurer un sort pareil, et leur ardeur était d'autant plus grande, qu'ils combattaient les uns et les autres le même ennemi, et que la liberté de l'Allemagne devenait le plus ferme rempart pour la liberté de la Hollande. Mais une république qui luttait encore pour sa propre existence, qui, par les plus admirables efforts, pouvait à peine faire tête, sur son propre territoire, à un ennemi supérieur, n'osait se priver des forces nécessaires à sa défense et les prodiguer, par une magnanime politique, pour les États étrangers.

L'Angleterre elle-même, bien que, sur ces entrefaites, elle se fût agrandie de l'Écosse, n'avait plus en Europe, sous le faible Jacques Ier, l'influence que le génie dominateur d'Élisabeth avait su lui acquérir. Convaincue que la prospérité de son île était attachée à la sûreté des protestants, cette sage reine avait eu constamment pour maxime de favoriser toute entreprise qui tendait à l'affaiblissement de la maison d'Autriche. Son successeur manqua de génie pour comprendre ce système, aussi bien que de puissance pour le mettre en pratique. L'économe Élisabeth n'épargna point ses trésors pour secourir les Pays-Bas contre l'Espagne, et Henri IV contre les fureurs de la Ligue: Jacques Ier abandonna fille, petits-fils et gendre à la merci d'un vainqueur impitoyable. Tandis que ce monarque épuisait son érudition à chercher dans le ciel l'origine de la majesté royale, il laissait dépérir la sienne sur la terre. Les efforts que faisait son éloquence pour démontrer le droit absolu de la royauté rappelaient à la nation anglaise ses droits à elle, et, par une vaine prodigalité, il sacrifiait la plus importante de ses royales prérogatives, celle de se passer du Parlement et d'ôter la parole à la liberté. L'horreur instinctive qu'il avait d'une épée nue le faisait reculer même devant la guerre la plus juste. Son favori Buckingham se jouait de ses faiblesses, et sa vanité complaisante faisait de lui la dupe facile des artifices de l'Espagne. Tandis qu'on ruinait son gendre en Allemagne et qu'on gratifiait des étrangers du patrimoine de ses petits-fils, ce vieillard imbécile respirait avec délices l'encens que l'Autriche et l'Espagne faisaient fumer devant lui. Pour détourner son attention de la guerre d'Allemagne, on lui montra à Madrid une épouse pour son fils, et ce père facétieux équipa lui-même son fils romanesque pour la scène bizarre par laquelle il surprit sa fiancée espagnole. Cette fiancée échappa à son fils, comme la couronne de Bohême et l'électorat palatin à son gendre, et la mort seule déroba Jacques Ier au danger de terminer son règne pacifique par une guerre, uniquement pour n'avoir pas eu le courage de la montrer dans le lointain.

Les troubles civils, préparés par son gouvernement mal-habile, éclatèrent sous son malheureux fils et forcèrent bientôt celui-ci, après quelques tentatives insignifiantes, de renoncer à prendre aucune part à la guerre d'Allemagne, pour combattre dans son propre royaume la rage des factions, dont il fut enfin la déplorable victime.

Deux rois pleins de mérite, bien loin l'un de l'autre, sans doute, pour la renommée personnelle, mais également puissants, également avides de gloire, faisaient alors respecter les États du Nord. Sous le règne long et actif de Christian IV, le Danemark s'était élevé jusqu'à devenir une puissance importante. Les qualités personnelles de ce prince, une excellente marine, des troupes d'élite, des finances bien administrées, de sages alliances, se réunirent pour assurer à cet État, au dedans, une prospérité florissante, au dehors, la considération. Quant à la Suède, Gustave Wasa l'avait arrachée à la servitude; il l'avait transformée par une sage législation, et produit le premier aux regards du monde cet État nouvellement créé. Ce que ce grand prince n'avait fait qu'indiquer dans une ébauche grossière fut achevé par son petit-fils, Gustave-Adolphe, encore plus grand que lui.

Ces deux royaumes, réunis auparavant, par contrainte et contre nature, en une seule monarchie, et sans force dans cette union, s'étaient séparés violemment au temps de la réforme, et cette séparation fut l'époque de leur prospérité. Autant cette union forcée avait été nuisible aux deux États, autant, une fois séparés, l'harmonie et les rapports de bon voisinage leur étaient nécessaires. L'Église évangélique s'appuyait sur l'un et sur l'autre; ils avaient les mêmes mers à surveiller; le même intérêt aurait dû les réunir contre le même ennemi. Mais la haine qui avait brisé le lien entre les deux royaumes continua d'entretenir une discorde hostile entre les deux peuples, longtemps après leur séparation. Les rois de Danemark ne pouvaient toujours pas renoncer à leurs prétentions sur la couronne de Suède, et la Suède ne pouvait écarter le souvenir de l'ancienne tyrannie danoise. Les frontières contiguës des deux États offraient à la haine nationale un éternel aliment; la jalousie vigilante des deux rois et les collisions inévitables du commerce dans les mers du Nord ne laissaient jamais tarir la source des querelles.

Entre les moyens par lesquels Gustave Wasa, fondateur du royaume de Suède, avait cherché à consolider sa nouvelle création, la réformation de l'Église avait été un des plus efficaces. Une loi fondamentale du royaume excluait les catholiques de tous les offices publics et interdisait à tout souverain futur de la Suède de changer la religion du pays. Mais déjà le second fils et le second successeur de Gustave, Jean III, rentrait dans l'Église romaine, et son fils Sigismond, qui était aussi roi de Pologne, se permit des actes qui tendaient à la ruine de la constitution de l'Église dominante. Les états du royaume, ayant à leur tête Charles, duc de Sudermanie, troisième fils de Gustave, opposèrent une ferme résistance, qui alluma enfin une guerre civile entre l'oncle et le neveu, entre le roi et la nation. Le duc Charles, administrateur du royaume en l'absence du roi, mit à profit la longue résidence de Sigismond en Pologne et le juste mécontentement des états, pour s'attacher étroitement la nation et frayer insensiblement à sa propre maison le chemin du trône. Les mauvaises mesures de Sigismond ne favorisèrent pas médiocrement ses desseins. Une assemblée générale des états osa déroger, en faveur de l'administrateur du royaume, au droit de primogéniture, introduit par Gustave Wasa dans la succession à la couronne de Suède, et plaça le duc de Sudermanie sur le trône, dont Sigismond fut exclu solennellement avec toute sa postérité. Le fils du nouveau roi, qui gouverna sous le nom de Charles IX, fut Gustave-Adolphe, que les partisans de Sigismond, en sa qualité de fils d'un usurpateur, refusèrent de reconnaître. Mais, si les obligations d'un roi et de son peuple sont réciproques, si les États ne passent point, par héritage, d'une main dans une autre, comme une denrée morte, il doit être permis à toute une nation, agissant unanimement, de retirer sa foi au souverain parjure et d'en mettre un plus digne à sa place.