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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Dans la pressante extrémité où se trouvaient les Suédois par la désertion de leurs alliés, ils jetèrent d'abord leurs regards sur la France, qui vint au-devant d'eux avec les propositions les plus encourageantes. Les intérêts des deux couronnes étaient liés de la manière la plus étroite, et la France agissait contre elle-même si elle laissait entièrement tomber en Allemagne la puissance des Suédois. Leur situation désespérée était au contraire un motif pour elle de s'unir avec eux plus fermement et de prendre une part plus active à la guerre en Allemagne. Dès la conclusion du traité d'alliance avec les Suédois, à Beerwald, en 1632, la France avait attaqué l'empereur par les armes de Gustave-Adolphe, mais sans rupture ouverte et formelle, et seulement par les subsides qu'elle fournissait aux ennemis de Ferdinand, et par l'activité qu'elle déployait pour en augmenter le nombre. Mais, alarmée par le bonheur soudain, inattendu et extraordinaire des armes suédoises, elle parut quelque temps perdre de vue son premier objet, pour rétablir l'équilibre des forces, qui avait souffert de la supériorité des Suédois. Elle tâcha de protéger contre le conquérant les princes catholiques de l'Empire par des traités de neutralité, et, ces tentatives ayant échoué, elle était déjà sur le point de s'armer elle-même contre lui. Mais la mort de Gustave-Adolphe et la détresse des Suédois n'eurent pas plutôt dissipé cette crainte, que la France revint avec un nouveau zèle à son premier projet et octroya, dans une large mesure, à leur infortune, l'appui qu'elle avait retiré à leur prospérité. Délivrée de la résistance que l'ambition et la vigilance de Gustave-Adolphe opposaient à ses desseins d'agrandissement, elle saisit le moment favorable que lui offre le revers de Nœrdlingen, pour s'emparer de la direction de la guerre et prescrire des lois à ceux qui ont besoin de son puissant secours. Les conjonctures secondent ses plus hardis projets, et ce qui n'était auparavant qu'une belle chimère peut désormais être suivi comme un plan réfléchi, justifié par les circonstances. Elle consacre donc alors toute son attention à la guerre d'Allemagne, et aussitôt que, par son traité avec les Allemands, elle voit garantis ses desseins particuliers, elle paraît sur la scène politique comme puissance active et dominante. Tandis que les États en guerre s'épuisaient dans une longue lutte, elle avait ménagé ses forces, et, pendant dix années, elle n'avait fait la guerre qu'avec son argent. Maintenant que les circonstances l'appellent à l'activité, elle prend les armes et se porte avec énergie à des entreprises qui jettent l'Europe entière dans l'étonnement. Elle envoie en même temps deux flottes croiser sur les mers et met six différentes armées en campagne, tandis qu'avec ses trésors elle soudoie une couronne et plusieurs princes allemands. Animés par l'espérance de son puissant secours, Allemands et Suédois s'arrachent à leur profond abattement et se flattent de conquérir, l'épée à la main, une paix plus glorieuse que celle de Prague. Abandonnés par leurs co-états, qui se réconcilient avec l'empereur, ils s'attachent d'autant plus étroitement à la France, qui redouble ses secours à mesure que le besoin augmente, prend à la guerre d'Allemagne une part de plus en plus grande, quoique toujours secrète, jusqu'au moment où elle jette enfin le masque et attaque directement l'empereur en son propre nom.

Pour donner aux Suédois pleine liberté d'agir contre l'Autriche, la France commença par les délivrer de la guerre de Pologne. Par les soins du comte d'Avaux, son ambassadeur, elle amena les deux partis à convenir, à Stummsdorf, en Prusse, que l'armistice serait prolongé jusqu'à vingt-six ans; mais ce ne fut pas sans une grande perte pour les Suédois, qui sacrifièrent d'un trait de plume presque toute la Prusse polonaise, conquête chèrement achetée de Gustave-Adolphe. Le traité de Beerwald fut renouvelé, pour une plus grande durée, d'abord à Compiègne, puis à Wismar et à Hambourg, avec quelques changements rendus nécessaires par les circonstances. On avait déjà rompu avec l'Espagne au mois de mai 1635, et, en attaquant vivement cette puissance, on avait enlevé à l'empereur le secours, de tous le plus important, qu'il pouvait tirer des Pays-Bas; maintenant, en appuyant le landgrave Guillaume de Hesse-Cassel et le duc Bernard de Weimar, on assurait aux armées suédoises une plus grande liberté sur l'Elbe et sur le Danube, et, par une forte diversion sur le Rhin, on contraignait l'empereur de diviser ses forces.

La guerre s'alluma donc avec plus de violence, et, par la paix de Prague, l'empereur avait, il est vrai, diminué le nombre de ses ennemis en Allemagne, mais il avait en même temps augmenté l'ardeur et l'activité de ses ennemis extérieurs. Il s'était acquis en Allemagne une influence illimitée, et il s'était rendu maître de tout le corps de l'Empire et de ses forces, à l'exception d'un petit nombre d'états, en sorte qu'il pouvait désormais agir de nouveau comme empereur et seigneur souverain. Le premier effet de ce changement fut l'élévation de son fils Ferdinand III à la dignité de roi des Romains, qui lui fut conférée, malgré l'opposition de Trèves et des héritiers palatins, par une majorité décisive. Mais il avait poussé les Suédois à une résistance désespérée; il avait armé contre lui toutes les forces de la France et l'avait amenée à intervenir dans les affaires intérieures de l'Allemagne. Désormais les deux couronnes, avec leurs alliés allemands, forment une puissance à part, fermement unie; l'empereur, avec les États allemands de son parti, forme l'autre. Désormais les Suédois ne montrent plus aucun ménagement, parce qu'ils ne combattent plus pour l'Allemagne, mais pour leur propre existence. Ils agissent avec plus de promptitude, de liberté, de hardiesse, parce qu'ils sont dispensés de consulter leurs alliés allemands et de rendre compte de leurs projets. Les batailles deviennent plus opiniâtres et plus sanglantes, mais moins décisives. On voit de plus grands exploits de vaillance et d'art militaire; mais ce sont des actions isolées qui, n'étant pas conduites par un plan d'ensemble, ni mises à profit par un esprit qui dirige tout, ont de faibles résultats pour tout le parti et changent peu de chose au cours de la guerre.

La Saxe s'était engagée, dans la paix de Prague, à chasser les Suédois de l'Allemagne: aussi les drapeaux saxons se réunissent-ils, dès ce moment, aux drapeaux de l'empereur, et deux alliés se sont changés en deux ennemis irréconciliables. L'archevêché de Magdebourg, que la paix de Prague adjugeait au prince de Saxe, était encore dans les mains des Suédois, et toutes les tentatives faites pour les amener, par une voie amicale, à s'en dessaisir, étaient demeurées sans résultat. Les hostilités commencent donc, et l'électeur de Saxe les ouvre en rappelant, par des lettres dites avocatoires, tous les sujets saxons de l'armée de Banner, campée au bord de l'Elbe. Les officiers, qui se plaignaient depuis longtemps de ne pas recevoir leur solde, prêtent l'oreille à cette sommation, et successivement ils évacuent tous les quartiers. Comme les Saxons tirent en même temps un mouvement contre le Mecklembourg, pour s'emparer de Dœmitz et couper à l'ennemi les communications avec la Poméranie et la mer Baltique, Banner y marcha promptement et fit essuyer une entière défaite au général saxon Baudissin, qui commandait sept mille hommes, dont un millier environ resta sur la place et un pareil nombre fut fait prisonnier. Renforcé par les troupes et l'artillerie qui avaient occupé jusqu'alors la Prusse polonaise, mais dont on ne pouvait se passer dans ce pays, par suite du traité de Stummsdorf, ce brave et impétueux guerrier envahit, l'année suivante (1636), l'électorat de Saxe, où il assouvit de la manière la plus sanglante sa vieille haine contre les Saxons. Irrités par les longues insultes qu'ils avaient eu à souffrir, lui et ses Suédois, de l'orgueil des Saxons pendant leurs campagnes communes, et maintenant exaspérés au plus haut point par la défection de l'électeur, ils firent éprouver à ses malheureux sujets leur ressentiment et leur vengeance. Contre les Autrichiens et les Bavarois, le soldat suédois avait combattu plutôt par devoir; contre les Saxons, il combattait avec une haine et une rage personnelles, parce qu'il les détestait comme des transfuges et des traîtres, parce qu'entre amis divisés la haine est d'ordinaire plus furieuse et plus implacable. Cependant, l'énergique diversion que le duc de Weimar et le landgrave de Hesse faisaient sur le Rhin et en Westphalie empêcha l'empereur de prêter aux Saxons un appui suffisant, et tout l'électorat eut à subir des hordes dévastatrices de Banner les plus horribles traitements. Enfin l'électeur attira à lui le général impérial de Hatzfeld et parut devant Magdebourg, que Banner, accourant à la hâte, essaya vainement de débloquer. Alors l'armée combinée des Impériaux et des Saxons se répandit dans la marche de Brandebourg et enleva aux Suédois beaucoup de places. Elle était sur le point de les pousser jusqu'à la Baltique; mais, contre toute attente, Banner, que l'on croyait déjà perdu, attaqua l'armée alliée, le 24 septembre 1636, près de Wittstock, et il s'engagea une grande bataille. L'attaque fut terrible, et toutes les forces de l'ennemi tombèrent sur l'aile droite des Suédois, que Banner commandait en personne. On combattit longtemps des deux parts avec la même opiniâtreté et le même acharnement, et parmi les Suédois il n'y avait pas un escadron qui n'eût attaqué dix fois et n'eût été dix fois repoussé. Lorsqu'enfin Banner fut obligé de céder à la supériorité du nombre, son aile gauche continua de combattre jusqu'à l'entrée de la nuit, et le corps de réserve des Suédois, qui n'avait pas encore donné, était prêt à renouveler la bataille le lendemain matin. Mais l'électeur de Saxe ne voulut pas attendre cette seconde attaque. Son armée était épuisée par le combat de la veille, et les valets s'étaient enfuis avec tous les chevaux, en sorte que l'artillerie ne pouvait servir. Il prit donc la fuite cette même nuit, avec le comte de Hatzfeld, et abandonna le champ de bataille aux Suédois. Près de cinq mille hommes étaient restés sur la place du côté des alliés, sans compter ceux qui furent tués dans la poursuite par les Suédois ou qui tombèrent dans les mains des paysans exaspérés. Cent cinquante étendards et drapeaux, vingt-trois canons, tous les bagages avec la vaisselle d'argent de l'électeur, furent le prix du combat, et l'on fit en outre près de deux mille prisonniers. Cette brillante victoire, remportée sur un ennemi bien supérieur en nombre et posté avantageusement, remit tout d'un coup les Suédois en honneur: leurs ennemis tremblèrent; leurs amis commencèrent à reprendre courage. Banner profita de la fortune qui s'était déclarée pour lui d'une manière si décisive: il se hâta de passer l'Elbe et poussa les Impériaux, à travers la Thuringe et la Hesse, jusqu'en Westphalie; puis il revint sur ses pas et prit ses quartiers d'hiver sur le territoire saxon.

 

Mais, sans l'active diversion que firent en sa faveur sur le Rhin le duc Bernard et les Français, il lui eût été difficile de remporter ces brillantes victoires. Après la bataille de Nœrdlingen, le duc Bernard avait rassemblé en Wettéravie les débris de l'armée battue; mais, abandonné par la ligue de Heilbronn, que la paix de Prague acheva de dissoudre bientôt après, et trop peu soutenu par les Suédois, il se voyait hors d'état d'entretenir l'armée et de faire de grandes choses avec elle. La défaite de Nœrdlingen avait anéanti son duché de Franconie, et l'impuissance des Suédois lui ôtait toute espérance de faire sa fortune avec l'appui de cette couronne. Fatigué d'ailleurs de la contrainte que lui imposait la conduite impérieuse du chancelier suédois, il tourna les yeux vers la France, qui pouvait lui fournir de l'argent, la seule chose dont il eût besoin, et qui s'y montrait disposée. Richelieu ne désirait rien tant que de diminuer l'influence des Suédois sur la guerre d'Allemagne, et d'en faire passer, sous un autre nom, la direction dans ses mains. Pour atteindre ce but, il ne pouvait choisir un meilleur moyen que d'enlever aux Suédois leur plus brave général, de l'attacher étroitement aux intérêts de la France, et de s'assurer de son bras pour l'exécution de ses desseins. D'un prince tel que Bernard de Weimar, qui ne pouvait se soutenir sans le secours d'une puissance étrangère, la France n'avait rien à redouter, puisque le succès même le plus heureux n'eût pas suffi pour le soustraire à la dépendance de cette couronne. Le duc de Weimar se rendit lui-même en France, et conclut, au mois d'octobre 1635, à Saint-Germain-en-Laye, non plus comme général suédois, mais en son propre nom, un traité avec cette puissance, par lequel on lui accordait pour lui-même une pension annuelle d'un million et demi de livres, et quatre millions pour l'entretien d'une armée qu'il commanderait sous les ordres du roi. Pour enflammer d'autant plus son zèle et accélérer par lui la conquête de l'Alsace, on ne fit pas difficulté de lui offrir, dans un article secret, cette province pour récompense: générosité dont on était fort éloigné et que le duc lui-même sut apprécier à sa juste valeur. Mais il se fiait à sa fortune et à son bras, et il opposait la feinte à la feinte. S'il était un jour assez puissant pour arracher l'Alsace à l'ennemi, il ne désespérait pas de pouvoir aussi la défendre au besoin contre un ami. Il se créa donc alors, avec l'argent de la France, une armée particulière, qu'il commandait, il est vrai, sous la souveraineté française, mais, en réalité, avec un pouvoir absolu, sans rompre toutefois entièrement ses liaisons avec les Suédois. Il commença ses opérations aux bords du Rhin, où une autre armée française, sous le cardinal La Valette, avait déjà ouvert, en 1635, les hostilités contre l'empereur.

La principale armée autrichienne, celle qui avait remporté la grande victoire de Nœrdlingen, s'était tournée, sous la conduite de Gallas, après avoir soumis la Souabe et la Franconie, contre l'armée de La Valette; elle l'avait heureusement repoussée jusqu'à Metz, avait affranchi le cours du Rhin et pris les villes de Mayence et de Frankenthal, occupées par les Suédois. Mais le principal dessein de Gallas, celui de prendre ses quartiers d'hiver en France, échoua par la vigoureuse résistance des Français, et il se vit forcé de ramener ses troupes dans l'Alsace et dans la Souabe, déjà épuisées. L'année suivante, cependant, à l'ouverture de la campagne, il passa le Rhin près de Brisach et se prépara à porter la guerre dans l'intérieur de la France. Il envahit en effet le comté de Bourgogne, pendant que les Espagnols, sortant des Pays-Bas, faisaient d'heureux progrès en Picardie, et que Jean de Werth, redoutable général de la Ligue et fameux partisan, faisait des courses jusqu'au fond de la Champagne et effrayait même Paris de son approche menaçante. Mais la vaillance des Impériaux échoua devant une seule et insignifiante forteresse de Franche-Comté, et, pour la seconde fois, ils furent forcés d'abandonner leurs projets.

Sa dépendance d'un chef français, qui faisait plus d'honneur à la soutane du prêtre qu'au bâton de commandement du général, avait jusqu'alors imposé des chaînes trop étroites au génie actif du duc de Weimar, et, quoiqu'il eût fait, de concert avec La Valette, la conquête de Saverne, en Alsace, il n'avait pu néanmoins se maintenir sur le Rhin en 1636 et 1637. Le mauvais succès des armées françaises dans les Pays-Bas avait paralysé l'activité des opérations en Alsace et en Brisgau: mais, en 1638, la guerre prit dans ces contrées une tournure d'autant plus brillante. Délivré de ses premières entraves, et désormais complétement maître de ses troupes, le duc Bernard s'arracha, dès le commencement de février, au repos des quartiers d'hiver, qu'il avait pris dans l'évêché de Bâle, et, contre toute attente, il parut sur le Rhin, où l'on ne songeait à rien moins qu'à une attaque dans cette saison rigoureuse. Les villes forestières de Laufenbourg, Waldshut et Seckingen sont enlevées par surprise, et Rheinfelden est assiégé. Le duc de Savelli, général de l'empereur, qui commandait dans le pays, accourt à marches forcées, pour secourir cette place importante; il la délivre en effet et repousse le duc de Weimar, non sans éprouver une grande perte. Mais, à la surprise générale, le prince reparaît le troisième jour, 21 février 1638, à la vue des Impériaux, qui, dans une pleine sécurité après leur victoire, se reposaient près de Rheinfelden, et il les défait dans une grande bataille, où les quatre généraux de l'empereur, Savelli, Jean de Werth, Enkeford et Sperreuter, sont faits prisonniers avec deux mille hommes. Deux d'entre eux, Jean de Werth et Enkeford, furent plus tard amenés en France, par l'ordre de Richelieu, pour flatter, par la vue de prisonniers si célèbres, la vanité française, et tromper la misère publique par l'étalage des victoires qu'on avait remportées. Les étendards et les drapeaux conquis furent aussi, dans le même dessein, portés en procession solennelle à l'église de Notre-Dame, balancés trois fois devant l'autel, et remis à la garde du sanctuaire.

La prise de Rheinfelden, de Rœteln et de Fribourg fut la suite la plus prochaine de la victoire que Bernard avait remportée. Son armée s'accrut considérablement, et, quand il vit la fortune se déclarer pour lui, ses plans s'étendirent. La forteresse de Brisach, sur le haut Rhin, commandait ce fleuve et était considérée comme la clef de l'Alsace. Aucune place dans ces contrées n'était plus importante pour l'empereur, aucune n'avait été l'objet d'autant de soins. Garder Brisach avait été la principale destination de l'armée italienne sous les ordres de Féria; la force de ses ouvrages et l'avantage de sa situation défiaient toutes les attaques de vive force, et les généraux de l'Empire qui commandaient dans le pays avaient l'ordre de tout hasarder pour la conservation de cette place. Mais le duc de Weimar se confia dans son bonheur et résolut de l'attaquer. Imprenable par la force, elle ne pouvait être réduite que par famine, et la négligence de son commandant, qui, ne s'attendant à aucune attaque, avait converti en argent ses grandes provisions de grains, hâta ce dénoûment. Comme, dans ces circonstances, la place ne pouvait soutenir un long siége, il fallait se hâter de la débloquer ou de lui fournir des vivres. Le général impérial de Gœtz s'avança donc au plus vite à la tête de douze mille hommes et suivi de trois mille chariots de vivres. Mais, assailli près de Witteweyer par le duc Bernard, il perdit toute son armée, à l'exception de trois mille hommes, et tout le convoi qu'il amenait. Un malheur pareil arriva sur l'Ochsenfeld, près de Thann, au duc de Lorraine, qui s'avançait avec cinq ou six mille hommes pour délivrer la forteresse. Enfin, une troisième tentative du général de Gœtz pour sauver Brisach ayant échoué, cette place, après quatre mois de siége, pressée par la plus horrible famine, se rendit, le 7 décembre 1638, à son vainqueur aussi humain qu'inébranlable.

La prise de Brisach ouvrit à l'ambition du duc de Weimar un champ sans bornes, et le roman de ses espérances commence dès lors à s'approcher de la réalité. Bien éloigné de renoncer, en faveur de la France, au fruit de sa bravoure, il se réserve Brisach à lui-même, et annonce déjà cette résolution en exigeant des vaincus le serment de fidélité en son propre nom, sans faire mention d'une autre puissance. Enivré par ses brillants succès et emporté par les plus orgueilleuses espérances, il croit désormais se suffire à lui-même et pouvoir conserver, même contre la volonté de la France, les conquêtes qu'il a faites. En ces temps où tout s'achetait avec de la bravoure, où la force personnelle avait encore sa valeur, où les armées et les chefs de guerre étaient estimés à plus haut prix que les provinces, il était permis à un héros tel que Bernard d'attendre quelque chose de lui-même, et de ne reculer devant aucune entreprise à la tête d'une excellente armée qui se sentait invincible sous sa conduite. Pour s'attacher à un ami, au milieu de la foule d'adversaires qu'il allait maintenant rencontrer, il jeta les yeux sur la landgrave Amélie de Hesse, veuve du landgrave Guillaume, mort depuis peu, femme de beaucoup d'esprit et de courage, qui avait à donner avec sa main une armée aguerrie, de belles conquêtes et une principauté considérable. Les conquêtes des Hessois jointes à celles de Bernard sur le Rhin, pour ne former qu'un seul État, et les deux armées réunies en une seule, pouvaient constituer une puissance importante et peut-être même un troisième parti en Allemagne, qui tiendrait dans ses mains le dénoûment de la guerre. Mais la mort mit une prompte fin à ce projet si fécond en promesses.

«Courage, Père Joseph, Brisach est à nous!» cria Richelieu à l'oreille du capucin, qui se disposait au dernier voyage: tant cette heureuse nouvelle avait enivré le cardinal. Déjà il dévorait par la pensée l'Alsace, le Brisgau et toute l'Autriche antérieure, sans se souvenir de la promesse qu'il avait faite au duc de Weimar. La sérieuse résolution du prince de garder Brisach pour lui, résolution qu'il avait fait connaître d'une manière fort peu équivoque, jeta Richelieu dans un grand embarras, et tout fut tenté pour retenir le victorieux Bernard dans les intérêts de la France. On l'invita à la cour, pour qu'il fût témoin de la magnificence avec laquelle on y célébrait le souvenir de ses triomphes: le duc reconnut et évita les piéges de la séduction. On lui fit l'honneur de lui offrir pour femme une nièce du cardinal: le fier prince de l'Empire la refusa, pour ne pas déshonorer le sang saxon par une mésalliance. Alors on commença à le considérer comme un dangereux ennemi et à le traiter comme tel. On lui retira les subsides; on corrompit le gouverneur de Brisach et ses principaux officiers, pour se mettre, du moins après la mort du duc, en possession de ses conquêtes et de ses troupes. Ces manœuvres ne furent point un secret pour lui, et les mesures qu'il prit dans les places conquises témoignèrent de sa défiance à l'égard de la France. Mais ces différends avec la cour de Saint-Germain eurent la plus fâcheuse influence sur ses entreprises ultérieures. Les dispositions qu'il fut forcé de prendre pour protéger ses conquêtes contre une attaque du côté de la France le contraignirent de diviser ses forces, et le défaut de subsides retarda son entrée en campagne. Son intention avait été de passer le Rhin, de dégager les Suédois, et d'agir sur les bords du Danube contre l'empereur et la Bavière. Déjà il avait découvert son plan d'opérations à Banner, qui était sur le point de transporter la guerre dans les provinces autrichiennes, et il avait promis de le remplacer… quand, au mois de juillet 1639, la mort le surprit à Neubourg, sur le Rhin, dans la trente-sixième année de son âge, au milieu de sa course héroïque.

 

Il mourut d'une maladie pestilentielle, qui avait emporté dans le camp près de quatre cents hommes en deux jours. Les taches noires qui parurent sur son cadavre, les propres déclarations du mourant, et les avantages que la France recueillait de sa mort soudaine, éveillèrent le soupçon que le poison français avait mis fin à ses jours; mais ce soupçon est suffisamment réfuté par la nature même de la maladie. Les alliés perdirent en lui le plus grand général qu'ils eussent possédé depuis Gustave-Adolphe; la France perdit un concurrent redoutable pour la souveraineté de l'Alsace; l'empereur, son plus dangereux ennemi. Devenu, à l'école de Gustave-Adolphe, héros et capitaine, il imita ce grand modèle, et il ne lui manqua qu'une plus longue vie pour l'atteindre, sinon pour le surpasser. A la bravoure du soldat, il réunissait le froid et tranquille coup d'œil du général; à l'inébranlable courage de l'âge viril, la prompte résolution de la jeunesse; à l'ardeur impétueuse du guerrier, la dignité du prince, la modération du sage et la probité de l'homme d'honneur. Ne se laissant abattre par aucun revers, il se relevait soudain plein de force après le plus rude coup; nul obstacle ne pouvait arrêter son audace, nul échec ne domptait son invincible courage. Son esprit poursuivait un but élevé, peut-être inaccessible; mais la sagesse a pour les hommes de sa trempe d'autres lois que celles que nous appliquons d'ordinaire pour juger la multitude. Capable de faire de plus grandes choses que les autres, il pouvait aussi former des desseins plus hardis. Bernard de Weimar se présente dans l'histoire moderne comme un beau modèle de ces temps énergiques où la grandeur personnelle pouvait encore quelque chose, où la vaillance conquérait des États, où l'héroïsme élevait jusqu'au trône un chevalier allemand.

La meilleure portion de l'héritage du duc était son armée, qu'il légua, avec l'Alsace, à son frère Guillaume. Mais cette armée, la Suède et la France croyaient avoir sur elle des droits fondés: la Suède, parce qu'on l'avait levée au nom de cette couronne, qui avait reçu ses serments; la France, parce qu'elle l'avait entretenue de son argent. Le prince-électeur du Palatinat s'efforça aussi de s'en emparer, pour l'employer à reconquérir ses États, et il chercha, d'abord par ses agents, et enfin en personne, à la mettre dans ses intérêts. Il se fit même du côté de l'empereur une tentative pour la gagner; et cela ne doit pas nous surprendre à une époque où ce n'était pas la justice de la cause, mais seulement le salaire des services rendus, qui était pris en considération, et où la bravoure, comme toute autre marchandise, était à vendre au plus offrant. Mais la France, plus puissante et plus résolue, enchérit sur tous ses concurrents. Elle acheta le général d'Erlach, commandant de Brisach, et les autres chefs, qui lui livrèrent Brisach et toute l'armée. Le jeune comte palatin Charles-Louis, qui avait déjà fait, dans les années précédentes, une campagne malheureuse contre l'empereur, vit cette fois encore échouer son projet. Au moment de rendre à la France un si mauvais service, il s'achemina imprudemment par ce royaume, et il eut la malheureuse idée de déguiser son nom. Le cardinal, qui redoutait la justice de la cause du comte palatin, s'accommodait de tout prétexte pour renverser son dessein. Il le fit donc retenir à Moulins, contre le droit des gens, et ne lui rendit pas la liberté avant que l'achat des troupes de Weimar fût conclu. Ainsi la France se vit maîtresse en Allemagne d'une armée nombreuse et bien exercée, et ce ne fut proprement qu'alors qu'elle commença en son nom la guerre contre l'empereur.

Mais ce n'était plus Ferdinand II contre qui elle se présentait maintenant comme ennemi déclaré: la mort l'avait enlevé dès le mois de février 1637, dans la cinquante-neuvième année de son âge. La guerre, que sa passion de dominer avait allumée, lui survécut. Pendant son règne de dix-huit ans, il n'avait jamais posé l'épée; jamais, aussi longtemps qu'il porta le sceptre, il n'avait goûté le bienfait de la paix. Né avec les talents du bon souverain, orné de nombreuses vertus qui fondent le bonheur des peuples, doux et humain par nature, nous le voyons, par une idée mal entendue des devoirs du monarque, instrument à la fois et victime de passions étrangères, manquer sa destination bienfaisante; nous voyons l'ami de la justice dégénérer en oppresseur de l'humanité, en ennemi de la paix, en fléau de ses peuples. Aimable dans la vie privée, digne de respect dans son administration, mais mal informé dans sa politique, il réunit sur sa tête les bénédictions de ses sujets catholiques et les malédictions du monde protestant. L'histoire présente d'autres despotes pires que Ferdinand II, et cependant lui seul a allumé une guerre de trente ans; mais il fallait que l'ambition de ce seul homme coïncidât, par malheur, justement avec un tel siècle, avec de tels préparatifs, avec de tels germes de discorde, pour être accompagnée de suites si fatales. Dans une époque plus paisible, cette étincelle n'aurait trouvé aucun aliment, et la tranquillité du siècle aurait étouffé l'ambition de l'homme: mais alors le rayon funeste tomba sur un monceau de matières combustibles amassées dès longtemps, et l'Europe fut embrasée.

Ferdinand III, élevé, peu de mois avant la mort de son père, à la dignité de roi des Romains, hérita de son trône, de ses principes et de sa guerre. Mais Ferdinand III avait vu de près la détresse des peuples et la dévastation des provinces; témoin du mal, il avait senti plus vivement le besoin de la paix. Moins dépendant des jésuites et des Espagnols, et plus équitable envers les religions différentes de la sienne, il pouvait, plus facilement que son père, écouter la voix de la modération. Il l'écouta et donna la paix à l'Europe; mais ce ne fut qu'après avoir lutté pendant onze années avec l'épée et la plume; ce fut seulement quand toute résistance devint inutile, et quand l'impérieuse nécessité lui dicta sa dure loi.

La fortune favorisa le début de son règne, et ses armes furent victorieuses contre les Suédois. Après avoir remporté, sous le commandement énergique de Banner, la victoire de Wittstock, ils avaient accablé la Saxe en y prenant leurs quartiers d'hiver, et ouvert la campagne de 1637 par le siége de Leipzig. La courageuse résistance de la garnison et l'approche des troupes électorales et impériales sauvèrent cette ville. Banner, pour n'être pas séparé de l'Elbe, fut forcé de se retirer à Torgau; mais la supériorité des Impériaux l'en chassa encore, et, enveloppé de bandes ennemies, arrêté par des rivières, poursuivi par la famine, il lui fallut faire vers la Poméranie une retraite extrêmement dangereuse, dont la hardiesse et l'heureux succès touchent au roman. Toute l'armée passa l'Oder à un gué près de Fürstenberg, et le soldat, qui avait de l'eau jusqu'au cou, traîna lui-même les canons, parce que les chevaux ne voulaient plus tirer. Banner avait compté trouver, au delà de l'Oder, son lieutenant Wrangel, qui était en Poméranie, et, avec ce renfort, il voulait faire tête à l'ennemi. Wrangel ne parut pas, et, à sa place, une armée impériale s'était postée à Landsberg, pour fermer le chemin aux Suédois fugitifs. Banner reconnut alors qu'il était tombé dans un piége funeste, d'où il ne pouvait échapper. Derrière lui, un pays affamé, les Impériaux et l'Oder; à gauche, l'Oder, qui, gardé par le général impérial Bucheim, ne permettait pas le passage; en avant, Landsberg, Cüstrin, la Wartha et une armée ennemie; à droite, la Pologne, à laquelle, malgré la trêve, on ne pouvait trop se fier: sans un prodige, il se voyait perdu, et déjà les Impériaux triomphaient de sa ruine inévitable. Le juste ressentiment de Banner accusait les Français d'être les auteurs de ce revers. Ils n'avaient pas fait sur le Rhin la diversion promise, et leur inaction permettait à l'empereur d'employer toutes ses forces contre les Suédois. «Si nous devons un jour, s'écria le général irrité, en s'adressant au résident français qui suivait le camp suédois, si nous devons, unis avec les Allemands, combattre contre la France, nous ne ferons pas tant de façons pour passer le Rhin.» Mais les reproches étaient alors prodigués en vain; l'urgence du péril demandait de la résolution et de l'activité. Pour éloigner, s'il se pouvait, l'ennemi de l'Oder par une fausse marche, Banner feignit de vouloir s'échapper par la Pologne: il envoya en avant sur cette route la plus grande partie des bagages, et fit prendre cette direction à sa femme et à celles des autres officiers. Aussitôt les Impériaux se portent vers la frontière polonaise, pour lui fermer le passage; Bucheim lui-même quitte son poste, et l'Oder est libre. Sans délai, Banner retourne vers ce fleuve dans les ténèbres de la nuit, et, comme auparavant, près de Fürstenberg, sans ponts, sans bateaux, il passe avec ses troupes, ses bagages et son artillerie, à un mille au-dessus de Cüstrin. Il atteignit sans perte la Poméranie, dont il se partagea la défense avec Herman Wrangel.