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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Mais, sous quelque main que Gustave-Adolphe soit tombé, cet événement extraordinaire doit nous apparaître comme une dispensation de la grande Nature. L'histoire, si souvent bornée à la tâche ingrate de développer le jeu uniforme des passions humaines, se voit de temps en temps dédommagée par un de ces événements inattendus, qui, comme un coup hardi sortant de la nue, tombent soudain sur les rouages, les mouvements calculés, des entreprises humaines, et font remonter les esprits méditatifs à un ordre de choses supérieur. C'est ainsi que nous saisit la soudaine disparition de Gustave-Adolphe de la scène du monde, laquelle arrête subitement tout le jeu de la machine politique et rend vains tous les calculs de la sagesse humaine. Hier encore, l'esprit vivifiant, le grand et unique moteur de sa création; aujourd'hui, arrêté dans son vol d'aigle, impitoyablement précipité, arraché à un monde de projets, violemment rappelé du champ où mûrissait son espérance, il laisse derrière lui sans consolation son parti orphelin, et l'orgueilleux édifice de sa fragile grandeur tombe en ruines. Le monde protestant se détache avec peine de l'espoir qu'il fondait sur ce chef invincible, et craint d'ensevelir avec lui tout son bonheur passé. Mais ce n'était plus le bienfaiteur de l'Allemagne qui tombait à Lützen. Gustave-Adolphe avait terminé la bienfaisante moitié de sa carrière, et le plus grand service qu'il pût rendre encore à la liberté de l'Empire allemand… c'était de mourir. La puissance d'un seul, qui absorbait tout, se brise, et plusieurs essayent leurs forces; l'appui équivoque d'un protecteur trop puissant fait place à la défense personnelle, plus glorieuse, des membres de l'Empire; et, naguère simples instruments de sa grandeur à lui, ils commencent aujourd'hui seulement à travailler pour eux-mêmes. Ils vont chercher maintenant dans leur propre courage les moyens de salut, qu'on ne reçoit pas sans danger de la main du plus fort, et la puissance suédoise, hors d'état désormais de devenir oppressive, rentre dans les modestes limites d'une simple alliée.

L'ambition du monarque suédois aspirait incontestablement en Allemagne à une autorité incompatible avec la liberté des états et à une possession fixe dans le centre de l'Empire. Son but était le trône impérial, et cette dignité, soutenue de sa puissance, et qu'il eût fait valoir avec sa rare activité, donnait lieu, dans sa main à lui, à un bien plus grand abus que celui qu'on avait à craindre de la maison d'Autriche. Né sur un sol étranger, élevé dans les maximes du pouvoir absolu, et, par son pieux fanatisme, ennemi déclaré des catholiques, il n'était guère propre à garder le trésor sacré de la constitution allemande et à respecter la liberté des membres de l'Empire. L'hommage choquant que la ville impériale d'Augsbourg fut amenée à rendre, ainsi que plusieurs autres cités, à la couronne suédoise, annonçait moins le protecteur de l'Empire que le conquérant; or cette ville, plus fière du titre de ville royale que de la prérogative plus glorieuse de sa liberté impériale, se flattait déjà de devenir la capitale du nouvel empire de Gustave-Adolphe. Ses vues, mal dissimulées, sur l'archevêché de Mayence, qu'il destina d'abord à l'électeur de Brandebourg, comme dot de sa fille Christine, et ensuite à Oxenstiern, son chancelier et son ami, faisaient paraître clairement tout ce qu'il était capable de se permettre contre la constitution de l'Empire. Les princes protestants, ses alliés, avaient à sa reconnaissance des prétentions qui ne pouvaient être satisfaites qu'aux dépens de leurs co-états et surtout des bénéfices ecclésiastiques immédiats; et peut-être, à la manière de ces hordes barbares qui envahirent l'ancien empire romain, avait-il déjà formé le dessein de partager, comme une proie commune, les provinces conquises, entre ses compagnons d'armes allemands et suédois. Dans sa conduite envers le comte palatin Frédéric, il démentit tout à fait la générosité du héros et le caractère sacré de protecteur. Le Palatinat était dans ses mains, et les devoirs de la justice aussi bien que de l'honneur l'obligeaient de rendre, entière et intacte, à son maître légitime, cette province arrachée aux Espagnols; mais, par une subtilité indigne d'un grand homme et du titre vénérable de défenseur des opprimés, il sut éluder cette obligation. Il considérait le Palatinat comme une conquête, qui avait passé des mains de l'ennemi dans les siennes, et de là, à ses yeux, découlait pour lui le droit d'en disposer à son gré. Ce fut donc par grâce, et non par le sentiment du devoir, qu'il le céda au comte palatin, et seulement comme un fief de la couronne suédoise, à des conditions qui lui ôtaient la moitié de sa valeur, et qui abaissaient ce prince à n'être qu'un méprisable vassal de la Suède. Une de ces conditions, qui prescrit au comte palatin «de contribuer, après la fin de la guerre, à entretenir une partie de l'armée suédoise, à l'exemple des autres princes,» nous fait entrevoir assez clairement le sort qui attendait l'Allemagne, si le bonheur du roi avait duré. Son brusque départ de ce monde assura à l'Empire allemand la liberté, et à lui-même sa plus belle gloire, si même il ne lui sauva pas la mortification de voir ses propres alliés armés contre lui, et de perdre dans une paix désavantageuse tous les fruits de ses victoires. Déjà la Saxe penchait à se détacher de son parti; le Danemark observait sa grandeur avec inquiétude et jalousie; et la France même, son allié le plus important, alarmée par le formidable accroissement de sa puissance et le ton plus fier qu'il prenait, cherchait, dès le temps où il passait le Lech, des alliances étrangères, pour arrêter la marche victorieuse du Goth et rétablir en Europe l'équilibre des forces.

LIVRE QUATRIÈME

Le faible lien de concorde par lequel Gustave-Adolphe tenait unis à grand'peine les membres protestants de l'Empire se rompit à sa mort: chacun des alliés recouvrait sa première liberté, ou bien il fallait qu'ils s'associassent par une alliance nouvelle. En prenant le premier parti, ils perdaient tous les avantages qu'ils avaient conquis au prix de tant de sang et s'exposaient au danger inévitable de devenir la proie d'un ennemi qu'ils n'avaient pu égaler et vaincre que par leur union. Ni la Suède, ni aucun membre de l'Empire ne pouvait isolément tenir tête à la Ligue et à l'empereur, et, dans une paix qu'on eût négociée au milieu de pareilles circonstances, on aurait été forcé de recevoir des lois de l'ennemi. L'union était donc la condition nécessaire, aussi bien pour faire la paix que pour continuer la guerre. Mais une paix recherchée dans la situation présente ne pouvait guère être conclue qu'au préjudice des puissances alliées. A la mort de Gustave-Adolphe, l'ennemi conçut de nouvelles espérances, et, si fâcheuse que pût être sa position après la bataille de Lützen, cette mort de son plus dangereux adversaire était un événement trop nuisible aux alliés et trop favorable à l'empereur pour ne pas lui ouvrir la plus brillante perspective et l'inviter à poursuivre la guerre. La division des alliés devait être, du moins pour le moment, la suite inévitable de cette mort: et combien l'empereur, combien la Ligue ne gagnaient-ils pas à cette division des ennemis! Ferdinand ne pouvait donc sacrifier d'aussi grands avantages que ceux que lui promettait le tour actuel des choses, pour une paix dont il n'aurait pas le principal bénéfice, et une paix semblable, les alliés ne pouvaient souhaiter de la conclure. Par conséquent, la détermination la plus naturelle était la continuation de la guerre, de même que l'union était jugée le moyen le plus indispensable pour la soutenir.

Mais comment renouveler cette union, et où puiser des forces pour continuer la guerre? Ce n'était pas la puissance du royaume de Suède, c'était uniquement le génie et l'autorité personnelle qui avaient obtenu au feu roi une influence prépondérante en Allemagne et un si grand empire sur les esprits; et lui-même n'avait réussi qu'après des difficultés infinies à établir entre les états un faible et douteux lien de concorde. Avec lui disparut tout ce qui n'était devenu possible que par lui, par ses qualités personnelles, et les obligations des membres de l'Empire cessèrent en même temps que les espérances sur lesquelles elles avaient été fondées. Plusieurs d'entre eux secouent avec impatience le joug qu'ils ne portaient pas sans répugnance; d'autres se hâtent de saisir eux-mêmes le gouvernail, qu'ils avaient vu avec assez de déplaisir dans les mains de Gustave, mais qu'ils n'avaient pas eu la force de lui disputer pendant sa vie. D'autres encore sont tentés, par les séduisantes promesses de l'empereur, d'abandonner l'alliance générale; d'autres, enfin, accablés par les calamités d'une guerre de quatorze ans, appellent de leurs vœux pusillanimes une paix même désavantageuse. Les généraux des armées, qui sont en partie des princes allemands, ne reconnaissent aucun chef commun, et nul ne veut s'abaisser à recevoir les ordres d'un autre. La concorde disparaît du cabinet comme des camps, et, par cet esprit de division, la chose publique est sur le penchant de sa ruine.

Gustave n'avait point laissé de successeur mâle au royaume de Suède; sa fille Christine, âgée de six ans, était l'héritière naturelle de son trône. Les inconvénients inséparables d'une régence ne s'accordaient guère avec la vigueur et la résolution que devait montrer la Suède dans ce moment critique. Le génie supérieur de Gustave-Adolphe avait assigné, parmi les puissances de l'Europe, à cet État faible et obscur, une place qu'il pouvait difficilement conserver sans la fortune et le génie de celui qui la lui avait faite, et d'où cependant il ne pouvait plus descendre sans que sa chute devînt le plus honteux aveu d'impuissance. Quoique la guerre allemande eût été principalement soutenue avec les forces de l'Allemagne, les faibles secours que la Suède fournissait par ses propres moyens, en hommes et en argent, étaient pourtant déjà un lourd fardeau pour ce royaume dénué de ressources, et le paysan succombait sous les charges qu'on était forcé d'accumuler sur lui. Le butin fait en Allemagne enrichissait seulement quelques nobles et quelques soldats, et la Suède même restait pauvre comme auparavant. A la vérité, la gloire nationale, qui flattait le sujet, l'avait consolé pendant quelque temps de ces vexations, et l'on pouvait considérer les impôts qu'on payait à cette gloire comme un prêt qui, dans l'heureuse main de Gustave-Adolphe, rapportait de magnifiques intérêts et serait remboursé avec usure, par ce monarque reconnaissant, après une glorieuse paix. Mais cette espérance s'évanouit à la mort du roi, et alors le peuple abusé demanda, avec une redoutable unanimité, la diminution de ses charges.

 

Mais l'esprit de Gustave-Adolphe reposait encore sur les hommes auxquels il avait confié l'administration du royaume. Si terrible que fût leur surprise à la nouvelle de sa mort, elle ne brisa point leur mâle courage, et l'esprit de l'antique Rome, aux temps de Brennus et d'Annibal, anima cette noble assemblée. Plus était cher le prix auquel on avait acheté les avantages conquis, moins on pouvait se résoudre à y renoncer volontairement. On ne veut pas avoir sacrifié un roi inutilement. Le sénat suédois, forcé de choisir entre les souffrances d'une guerre incertaine et ruineuse et une paix utile, mais déshonorante, prit courageusement le parti du danger et de l'honneur, et l'on voit avec un agréable étonnement ce vénérable conseil se lever avec toute la vigueur de la jeunesse. Environné, au dedans et au dehors, d'ennemis vigilants, et assiégé de périls à toutes les frontières du royaume, il s'arme contre tous avec autant de sagesse que d'héroïsme et travaille à l'agrandissement du royaume, tandis qu'il peut à grand'peine en maintenir l'existence.

La mort du roi et la minorité de sa fille Christine éveillèrent de nouveau les anciennes prétentions de la Pologne au trône de Suède, et le roi Ladislas, fils de Sigismond, n'épargna pas les négociations pour se faire un parti dans ce royaume. Par ce motif, les régents ne perdent pas un moment pour proclamer, à Stockholm, l'avénement de la reine, âgée de six ans, et organiser l'administration de la tutelle. Tous les fonctionnaires de l'État sont tenus de prêter serment à la nouvelle souveraine; toute correspondance avec la Pologne est interdite, et les décrets des derniers rois contre les héritiers de Sigismond sont confirmés par un acte solennel. On renouvelle prudemment l'alliance avec le czar de Moscovie, afin de tenir d'autant mieux en bride par les armes de ce prince la Pologne ennemie. La mort de Gustave-Adolphe avait éteint la jalousie du roi de Danemark, et dissipé les inquiétudes qui s'opposaient à la bonne intelligence entre les deux voisins. Les efforts des ennemis pour armer Christian IV contre le royaume suédois ne trouvaient maintenant plus d'accès auprès de lui, et son vif désir de marier son fils Ulrich avec la jeune reine concourait avec les principes d'une meilleure politique, pour lui faire garder la neutralité. En même temps, l'Angleterre, la Hollande et la France viennent au-devant du sénat suédois avec les assurances les plus satisfaisantes de leur amitié et de leur appui durable, et l'exhortent, d'une voix unanime, à poursuivre vivement une guerre conduite avec tant de gloire. Autant on avait eu de raisons en France pour se féliciter de la mort du conquérant suédois, autant on sentait la nécessité d'entretenir l'alliance avec la Suède. On ne pouvait, sans s'exposer soi-même au plus grand péril, laisser déchoir cette puissance en Allemagne. Le défaut de forces propres la contraignait à conclure avec l'Autriche une paix précipitée et désavantageuse, et tous les efforts qu'on avait faits pour affaiblir ce dangereux adversaire étaient perdus; ou bien la nécessité et le désespoir réduisaient les armées suédoises à chercher leurs moyens de subsistance dans les provinces des princes catholiques de l'Empire, et la France devenait coupable de trahison envers ces États qui s'étaient soumis à sa puissante protection. La mort de Gustave-Adolphe, bien loin de rompre les liaisons de la France et de la Suède, les avait au contraire rendues plus nécessaires aux deux États, et beaucoup plus utiles à la France. Alors seulement, après la mort de celui qui avait couvert l'Allemagne de sa main protectrice et assuré ses frontières contre l'ambition française, la France pouvait poursuivre, sans obstacle, ses projets sur l'Alsace et vendre aux protestants d'Allemagne son assistance à plus haut prix.

Fortifiés par ces alliances, garantis au dedans, défendus au dehors par de bonnes garnisons aux frontières et par des flottes, les régents de Suède n'hésitent pas un instant à continuer une guerre dans laquelle leur patrie avait peu à perdre de son bien propre et pouvait, si la fortune couronnait ses armes, gagner quelque province allemande à titre de dédommagement ou de conquête. Tranquille au milieu de ses mers, elle ne risquait pas beaucoup plus si ses armées étaient rejetées hors de l'Allemagne que si elles s'en retiraient volontairement; et la première de ces deux fins était aussi honorable que la seconde était déshonorante. Plus on montrait de courage et plus on inspirait de confiance aux alliés et de respect aux ennemis, plus on pouvait attendre, à la paix, des conditions favorables. Se trouvât-on même trop faible pour les vastes desseins de Gustave, on devait du moins à ce grand modèle de faire les derniers efforts et de ne céder à aucun obstacle qu'à la nécessité. Malheureusement, les ressorts de l'intérêt eurent trop de part à cette glorieuse résolution pour qu'on puisse l'admirer sans réserve. A ceux qui n'avaient rien à souffrir eux-mêmes des calamités de la guerre et qui, au contraire, s'y enrichissaient, il ne coûtait guère de se prononcer pour qu'elle fût continuée; car enfin c'était l'Empire germanique qui seul payait la guerre, et les provinces que l'on comptait s'adjuger n'étaient pas chèrement achetées avec le peu de troupes qu'on y devait employer désormais, avec les généraux qu'on allait mettre à la tête des armées, la plupart allemandes, et avec l'honorable mission de diriger les opérations militaires et les négociations.

Mais cette direction même ne s'accordait pas avec l'éloignement où la régence suédoise se trouvait du théâtre de la guerre et avec la lenteur que rend nécessaire l'administration exercée par une assemblée délibérante. Il fallait remettre à un seul homme, à un vaste esprit, le pouvoir de soigner, au sein même de l'Allemagne, les intérêts de la Suède; de prononcer, selon ses propres lumières, sur la guerre et sur la paix, sur les alliances nécessaires, sur les acquisitions faites. Cet important magistrat devait être revêtu d'une puissance dictatoriale et de toute l'autorité de la couronne qu'il représentait, pour en maintenir la dignité, pour mettre de l'harmonie dans les opérations communes, pour donner du poids à ses ordres et remplacer ainsi à tous égards le monarque auquel il succédait. Cet homme se trouva dans la personne du chancelier Oxenstiern, le premier ministre, et, ce qui veut dire davantage, l'ami du feu roi. Initié à tous les secrets de son maître, familiarisé avec les affaires de l'Allemagne, instruit de toutes les relations politiques de l'Europe, il était, sans contredit, l'instrument le plus propre à poursuivre dans toute son étendue le plan de Gustave-Adolphe.

Oxenstiern venait d'entreprendre un voyage dans la haute Allemagne, pour convoquer les quatre cercles supérieurs, quand la nouvelle de la mort du roi le surprit à Hanau. Ce coup terrible, qui perça le cœur sensible de l'ami, ravit d'abord à l'homme d'État toute la force de sa pensée. Il se voyait enlever le seul bien auquel son âme fût attachée. La Suède n'avait perdu qu'un roi, l'Allemagne qu'un protecteur; Oxenstiern perdait l'auteur de sa fortune, l'ami de son cœur, le créateur de ses vues idéales; mais, frappé plus durement que personne par le malheur commun, il fut le premier qui s'en releva par sa propre force, comme il était aussi le seul homme qui pût le réparer. D'un regard pénétrant il embrassa tous les obstacles qui s'opposaient à l'exécution de ses projets: le découragement des membres de l'Empire, les intrigues des cours ennemies, la division des alliés, la jalousie des chefs, la répugnance des princes de l'Allemagne à subir une direction étrangère. Mais cette même vue profonde de la situation actuelle des choses, qui lui découvrait toute la grandeur du mal, lui montrait aussi le moyen d'en triompher. Il s'agissait de relever le courage abattu des plus faibles États de l'Empire, de déjouer les secrètes machinations des ennemis, de ménager la jalousie des alliés les plus importants, d'exciter les puissances amies, particulièrement la France, à une active coopération; mais, avant tout, de rassembler les débris de l'union allemande et de réunir par un lien étroit et durable les forces divisées du parti. La consternation où la perte de leur chef jetait les protestants d'Allemagne pouvait aussi bien les pousser à conclure une plus ferme alliance avec la Suède qu'une paix précipitée avec l'empereur, et la conduite qu'on allait suivre devait seule décider lequel de ces deux effets serait produit. Tout était perdu, pour peu qu'on montrât du découragement; l'assurance qu'on témoignerait soi-même pouvait seule inspirer aux Allemands une confiance en leurs forces. Toutes les tentatives de la cour d'Autriche pour les détacher de l'alliance suédoise manquaient leur but, aussitôt qu'on leur ouvrait les yeux sur leur véritable intérêt et qu'on les amenait à une rupture ouverte et formelle avec l'empereur.

Sans doute, avant que ces mesures fussent prises et les points essentiels réglés entre la régence et son ministre, l'armée suédoise perdit pour ses opérations un temps précieux, dont les ennemis profitèrent parfaitement. Il ne tenait alors qu'à l'empereur de ruiner en Allemagne la puissance suédoise, si les sages conseils du duc de Friedland avaient trouvé accès auprès de lui. Wallenstein lui conseillait de proclamer une amnistie illimitée, et d'offrir spontanément aux membres protestants de l'Empire des conditions favorables. Dans la première terreur que la mort de Gustave-Adolphe répandit au sein du parti tout entier, une telle déclaration aurait produit l'effet le plus décisif et ramené les membres les plus souples aux pieds de l'empereur; mais, ébloui par ce coup de fortune inattendu et aveuglé par les instigations de l'Espagne, il espéra de ses armes une issue plus brillante, et, au lieu de prêter l'oreille aux projets de médiation, il se hâta d'augmenter ses forces. L'Espagne, enrichie par la dîme des biens ecclésiastiques que le pape lui accordait, soutint Ferdinand par des subsides considérables, négocia pour lui à la cour de Saxe, et fit lever à la hâte en Italie des troupes qui devaient être employées en Allemagne. L'électeur de Bavière augmenta aussi ses forces considérablement, et l'esprit inquiet du duc de Lorraine ne lui permit pas de rester oisif en présence d'un si heureux changement de fortune. Mais, tandis que l'ennemi déployait tant d'activité pour profiter du malheur des Suédois, Oxenstiern ne négligea rien pour en prévenir les fâcheuses conséquences.

Craignant moins les ennemis déclarés que la jalousie des puissances alliées, il quitta la haute Allemagne, dont il se croyait assuré par les conquêtes déjà faites et par les alliances, et se mit en chemin pour aller en personne détourner les états de la basse Allemagne d'une complète défection, ou d'une ligue particulière entre eux, qui n'était guère moins fâcheuse pour la Suède. Offensé de la prétention que montrait le chancelier de s'emparer de la direction des affaires, et profondément révolté à la pensée de recevoir des instructions d'un gentilhomme suédois, l'électeur de Saxe travaillait de nouveau à une dangereuse rupture avec la Suède, et pour lui la seule question était de savoir s'il se réconcilierait complétement avec l'empereur, ou s'il se mettrait à la tête des protestants pour former avec eux un troisième parti en Allemagne. Le duc Ulrich de Brunswick nourrissait des sentiments pareils, et il les fit paraître assez clairement en interdisant aux Suédois les enrôlements dans ses domaines et en convoquant à Lunebourg les états de la basse Saxe pour former entre eux une alliance. Le seul électeur de Brandebourg, jaloux de l'influence que la Saxe électorale allait acquérir dans la basse Allemagne, montra quelque zèle pour l'intérêt de la couronne suédoise, qu'il croyait déjà voir sur la tête de son fils. Oxenstiern trouva, il est vrai, l'accueil le plus honorable à la cour de Jean-Georges; mais de vagues promesses de continuer les rapports d'amitié furent tout ce qu'il put obtenir de ce prince, malgré l'intervention personnelle de l'électeur de Brandebourg. Il fut plus heureux avec le duc de Brunswick, envers lequel il se permit un langage plus hardi. La Suède avait alors en sa possession l'archevêché de Magdebourg, dont le titulaire avait le droit de convoquer le cercle de basse Saxe. Le chancelier soutint le droit de sa couronne, et, par cet heureux acte d'autorité, il empêcha pour cette fois cette dangereuse assemblée. Mais l'union générale des protestants, alors l'objet principal de son voyage et plus tard de tous ses efforts, échoua pour cette fois et pour toujours, et il fallut qu'il se contentât de quelques alliances particulières et peu sûres dans les cercles de Saxe, et du secours plus faible de la haute Allemagne.

 

Comme les Bavarois avaient des forces très-considérables sur le Danube, l'assemblée des quatre cercles supérieurs, qui avait dû se tenir à Ulm, fut transportée à Heilbronn, où parurent les députés de plus de douze villes impériales et une foule brillante de docteurs, de comtes et de princes. Les puissances étrangères, la France, l'Angleterre et la Hollande, députèrent aussi à cette assemblée, et Oxenstiern y parut avec toute la pompe de la couronne dont il devait soutenir la majesté. Il porta lui-même la parole, et, par ses rapports, dirigea la marche des délibérations. Après qu'il eut reçu de tous les membres de l'Empire rassemblés l'assurance d'une fidélité, d'une persévérance et d'une concorde inébranlables, il leur demanda de déclarer ennemis la Ligue et l'empereur d'une manière expresse et solennelle. Mais autant les Suédois étaient intéressés à pousser jusqu'à une rupture formelle la mauvaise intelligence entre l'empereur et les membres de l'Empire, autant ceux-ci se montrèrent peu disposés à s'enlever par cette démarche décisive toute possibilité de réconciliation, et à mettre par là même leur sort tout entier dans les mains des Suédois. Ils trouvèrent qu'une formelle déclaration de guerre, quand les choses parlaient d'elles-mêmes, était inutile et superflue, et leur résistance inébranlable réduisit le chancelier au silence. De plus violents débats s'élevèrent au sujet du troisième et principal article des délibérations, qui était de savoir par qui seraient déterminés les moyens de continuer la guerre et les contributions des membres de l'Empire pour l'entretien des armées. Le principe d'Oxenstiern, de rejeter sur eux la plus grande part possible des charges générales, ne s'accordait pas avec le principe de ces membres, de donner le moins qu'ils pourraient. Ici, le chancelier suédois éprouva la dure vérité que trente empereurs avaient sentie avant lui: que, de toutes les entreprises difficiles, la plus difficile était de tirer de l'argent des Allemands. Au lieu de lui accorder les sommes nécessaires pour la levée de nouvelles troupes, on lui énuméra éloquemment tous les maux qu'avaient causés les armées déjà existantes, et l'on demanda un allégement des anciennes charges, lorsqu'il s'agissait d'en accepter de nouvelles. La mauvaise humeur où le chancelier avait mis les membres de l'Empire en leur demandant de l'argent fit éclore mille griefs, et les désordres commis par les troupes dans les marches et les cantonnements furent décrits avec une effrayante vérité.

Oxenstiern avait eu peu d'occasions, au service de deux princes absolus, de s'accoutumer aux formalités et à la marche scrupuleuse des délibérations républicaines et d'exercer sa patience à la contradiction. Prêt à agir aussitôt qu'il en voyait clairement la nécessité, inébranlable dans sa résolution dès qu'une fois il l'avait prise, il ne comprenait pas l'inconséquence de la plupart des hommes, de désirer le but et de haïr les moyens. Tranchant et emporté par nature, il le fut encore par principe dans cette occasion; car il était alors de la dernière importance de couvrir par un langage ferme et hardi l'impuissance du royaume de Suède, et, en prenant le ton de maître, de devenir maître en effet. Il n'est pas étonnant qu'avec de pareilles dispositions il ne se trouvât nullement dans sa sphère au milieu de docteurs et de princes allemands, et que l'esprit de minutieux scrupule, qui est le caractère des Allemands dans toutes leurs transactions publiques, le mit au désespoir. Sans égard pour un usage auquel les empereurs, même les plus puissants, avaient dû se plier, il rejeta toute délibération écrite, forme si commode à la lenteur allemande: il ne comprenait pas comment on pouvait discuter pendant dix jours sur un point qui, pour lui, était déjà comme réglé par la simple exposition. Mais, si durement qu'il eût traité les membres de l'assemblée, il ne les trouva pas pour cela moins obligeants et empressés à lui accorder sa quatrième proposition, qui le concernait lui-même. Lorsqu'il en vint à la nécessité de donner à l'alliance établie un président et un directeur, on décerna unanimement cet honneur à la Suède, et on le pria humblement de servir de ses lumières la cause commune et de prendre sur ses épaules le fardeau de la direction supérieure. Mais, pour se garantir contre l'abus du grand pouvoir qu'on mettait dans ses mains par cette élection, une décision, à laquelle l'influence française ne fut pas étrangère, plaçait auprès de lui, sous le nom d'assistants, un nombre déterminé d'inspecteurs qui devaient administrer la caisse de l'alliance et donner leur avis sur les enrôlements, les marches et les cantonnements des troupes. Oxenstiern combattit vivement cette restriction de son pouvoir, par où l'on entravait l'exécution de tout projet qui demandait du secret ou de la promptitude, et il finit par arracher à grand'peine la liberté de suivre ses propres idées dans les opérations de guerre. Enfin, le chancelier toucha aussi le point épineux du dédommagement que la Suède pourrait se promettre à la paix de la reconnaissance de ses alliés, et il se flattait de l'espérance qu'on lui assignerait la Poméranie, sur laquelle la Suède dirigeait principalement ses vues, et qu'il obtiendrait des membres de l'assemblée la promesse d'une vigoureuse assistance pour l'acquisition de cette province. Mais on s'en tint à l'engagement vague et général qu'à la paix future on ne s'abandonnerait pas les uns les autres. Ce ne fut pas le respect pour la constitution de l'Empire qui rendit les états si réservés sur ce point: ce qui le prouve, c'est la libéralité qu'on voulut témoigner au chancelier, au mépris des lois les plus sacrées de l'Empire. Peu s'en fallut qu'on ne lui offrît, à titre de récompense, l'archevêché de Mayence, que d'ailleurs il occupait déjà comme conquête, et l'ambassadeur français n'empêcha qu'avec peine cet acte aussi impolitique que déshonorant. Si loin que fût Oxenstiern de voir tous ses vœux accomplis, il avait du moins atteint son but principal, qui était d'obtenir pour sa couronne et pour lui-même la direction de l'ensemble des affaires; il avait rendu plus ferme et plus étroit le lien qui unissait les membres des quatre cercles supérieurs, et conquis, pour l'entretien de la guerre, un subside annuel de deux millions et demi d'écus.

Tant de déférence de la part des états méritait que la Suède se montrât reconnaissante. Peu de semaines après la mort de Gustave-Adolphe, le chagrin avait terminé la malheureuse vie du comte palatin Frédéric. Ce prince infortuné avait grossi pendant huit mois la cour de son protecteur et consumé à sa suite le faible reste de sa fortune. Enfin il approchait du terme de ses vœux, et un plus heureux avenir s'ouvrait devant lui, quand la mort enleva son défenseur. Ce qu'il considérait comme le plus grand malheur eut les suites les plus favorables pour son héritier. Gustave-Adolphe pouvait se permettre de lui faire attendre la restitution de ses États et de lui rendre ce don onéreux par des conditions oppressives. Oxenstiern, pour qui l'amitié de l'Angleterre, de la Hollande, du Brandebourg, et en général la bonne opinion des membres réformés de l'Empire, était incomparablement plus importante, se vit forcé d'accomplir le devoir de la justice. En conséquence, dans cette même assemblée de Heilbronn, il restitua aux descendants de Frédéric les pays palatins, soit conquis déjà, soit à reconquérir, Mannheim seul excepté, qui devait rester occupé par les Suédois jusqu'au remboursement des frais de guerre. Le chancelier ne borna pas ses bons procédés à la maison palatine; les autres princes alliés reçurent de la Suède, quoique un peu plus tard, des preuves de reconnaissance qui coûtèrent à cette couronne tout aussi peu de son propre bien.