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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Mais il se vit trompé dans cette conjecture, quand le roi, au lieu de s'avancer à sa rencontre jusqu'à Weissenfels, fit tous ses préparatifs pour se fortifier auprès de Naumbourg et attendre dans ce lieu les renforts que le duc de Lunebourg était sur le point de lui amener. Wallenstein, ne sachant s'il devait marcher à l'ennemi par les défilés entre Weissenfels et Naumbourg, ou rester oisif dans son camp, assembla son conseil de guerre, pour entendre les avis de ses généraux les plus expérimentés. Aucun ne jugea prudent d'attaquer le roi dans sa position avantageuse, et les mesures qu'il prenait pour fortifier son camp semblaient clairement indiquer qu'il ne songeait pas à le quitter de sitôt. Mais l'approche de l'hiver permettait tout aussi peu de prolonger la campagne et de fatiguer par un campement continué une armée qui avait un si grand besoin de repos. Toutes les voix se prononcèrent pour la clôture de la campagne, d'autant plus que l'importante ville de Cologne, sur le Rhin, était gravement menacée par les troupes hollandaises, et que les progrès de l'ennemi en Westphalie et sur le bas Rhin exigeaient dans ces contrées les plus puissants secours. Le duc de Friedland reconnut le poids de ces raisons, et, à peu près convaincu que l'on n'avait plus à craindre aucune attaque du roi pendant cette saison, il accorda à ses troupes les quartiers d'hiver, de telle sorte cependant qu'elles pussent être au plus tôt rassemblées, si, contre toute attente, l'ennemi hasardait quelque entreprise offensive. Le comte Pappenheim fut expédié avec une grande partie de l'armée, pour secourir promptement la ville de Cologne et s'emparer, chemin faisant, de Moritzbourg, forteresse du pays de Halle. Quelques corps détachés prirent leurs quartiers d'hiver dans les villes les mieux situées aux environs, afin de pouvoir observer de toutes parts les mouvements de l'ennemi. Le comte Collorédo gardait le château de Weissenfels, et Wallenstein lui-même demeura, avec le reste des troupes, non loin de Mersebourg, entre le canal et la Saale, avec l'intention de se porter de là sur Leipzig et de séparer les Saxons de l'armée suédoise.

Mais, à peine Gustave-Adolphe eut-il appris le départ de Pappenheim, qu'il abandonna subitement son camp près de Naumbourg et courut attaquer, avec toutes ses forces, l'ennemi réduit à la moitié des siennes. Il s'avança d'une marche rapide sur Weissenfels, d'où le bruit de son arrivée parvint promptement jusqu'aux Impériaux et jeta le duc de Friedland dans un extrême étonnement. Mais il fallait prendre une prompte résolution, et le duc eut bientôt arrêté ses mesures. Quoiqu'il n'eût pas beaucoup plus de douze mille hommes à opposer aux vingt mille de l'ennemi, il pouvait néanmoins espérer de se maintenir jusqu'au retour de Pappenheim, qui devait s'être éloigné tout au plus de cinq milles, jusqu'à la distance de Halle. Des courriers partirent en toute hâte pour le rappeler, et, en même temps, Wallenstein se porta dans la vaste plaine entre le canal et Lützen, où il attendit le roi en ordre de bataille, le séparant, par cette position, de Leipzig et des troupes saxonnes.

Trois coups de canon, que le comte Collorédo tira du château de Weissenfels, annoncèrent la marche du roi, et, à ce signal convenu, les avant-postes de Friedland se rassemblèrent, sous le commandement d'Isolani, général des Croates, pour occuper les villages situés sur la Rippach. Leur faible résistance n'arrêta pas l'ennemi, qui franchit, près du village de Rippach, la rivière du même nom, et prit position au-dessous de Lützen, vis-à-vis de l'armée impériale. Le grand chemin de Weissenfels à Leipzig est coupé, entre Lützen et Markranstædt, par le canal qui s'étend de Zeitz à Mersebourg et qui joint l'Elster avec la Saale. A ce canal s'appuyait l'aile gauche des Impériaux et la droite du roi de Suède, mais de telle façon que la cavalerie des deux armées s'étendait aussi sur l'autre rive. L'aile droite de Wallenstein s'était établie vers le nord, derrière Lützen, et l'aile gauche des Suédois au sud de cette petite ville. Les deux armées faisaient face au grand chemin, qui passait au milieu d'elles et séparait les deux fronts de bataille. Mais la veille du combat, le soir, Wallenstein s'était emparé de ce chemin, au grand désavantage de son adversaire; il avait fait approfondir les fossés qui le bordaient des deux côtés et les avait fait occuper par des mousquetaires, en sorte qu'on ne pouvait hasarder le passage sans difficulté et sans péril. Par derrière s'élevait une batterie de sept grosses pièces, pour soutenir le feu de la mousqueterie des fossés, et, près des moulins à vent, derrière Lützen, on avait braqué quatorze pièces de campagne, sur une hauteur d'où l'on pouvait balayer une grande partie de la plaine. L'infanterie, distribuée seulement en cinq grandes et pesantes brigades, était rangée en bataille derrière la grand'route, à une distance de trois cents pas, et la cavalerie couvrait les flancs. Tous les bagages avaient été envoyés à Leipzig, pour ne pas gêner les mouvements de l'armée, et les chariots de munitions restaient seuls derrière la ligne. Pour dissimuler la faiblesse de l'armée, tous les soldats du train et les valets reçurent l'ordre de monter à cheval et de se joindre à l'aile gauche, mais seulement jusqu'à l'arrivée du corps de Pappenheim. Toutes ces dispositions furent prises pendant l'obscurité de la nuit, et avant l'aube tout était prêt pour recevoir l'ennemi.

Dès ce même soir, Gustave-Adolphe parut dans la plaine opposée et rangea ses troupes pour le combat. L'ordre de bataille fut le même que celui qui lui avait donné la victoire près de Leipzig, l'année précédente. De petits escadrons furent disséminés dans les rangs de l'infanterie, et des pelotons de mousquetaires distribués çà et là parmi la cavalerie. Toute l'armée était sur deux lignes, le canal à droite et derrière, la grand'route devant, et la ville de Lützen à gauche. Au centre était placée l'infanterie, sous les ordres du comte de Brahé, la cavalerie sur les ailes et l'artillerie devant le front de bataille. Un héros allemand, le duc Bernard de Weimar, commandait la cavalerie allemande de l'aile gauche, et, à la droite, le roi lui-même conduisait ses Suédois, afin d'enflammer pour une noble lutte la rivalité des deux peuples. La seconde ligne était disposée de la même manière, et derrière était posté un corps de réserve, sous le commandement de l'Écossais Henderson.

Ainsi préparé, on attendait la sanglante aurore pour commencer un combat que rendaient remarquable et terrible son long retard plus que l'importance des suites possibles, le choix plus que le nombre des troupes. La vive attente de l'Europe, qu'on avait trompée au camp devant Nuremberg, allait être satisfaite dans les plaines de Lützen. Jamais, dans tout le cours de cette guerre, deux généraux pareils, si égaux par l'autorité, la renommée et le talent, n'avaient mesuré leurs forces en une bataille rangée; jamais encore un aussi grand défi n'avait fait pâlir l'audace; jamais un prix aussi important n'avait enflammé l'espérance. Le lendemain allait faire connaître à l'Europe son premier capitaine et donner un vainqueur à celui qui jamais n'avait été vaincu. Sur le Lech et près de Leipzig, était-ce le génie de Gustave-Adolphe ou l'impéritie de son adversaire qui avait décidé l'issue de la bataille? Le lendemain devait mettre la chose hors de doute. Il fallait que, le lendemain, le mérite de Friedland justifiât le choix de l'empereur et que la grandeur de l'homme balançât la grandeur du prix qu'il avait coûté. Chaque soldat de ces deux armées s'associait avec jalousie à la gloire de son chef; sous chaque armure s'agitaient les mêmes sentiments qui enflammaient les cœurs des généraux. La victoire était douteuse, mais certains le travail et le sang que le triomphe coûterait au vainqueur comme au vaincu. On connaissait parfaitement l'ennemi qu'on avait devant soi, et l'inquiétude, que l'on combattait en vain, témoignait glorieusement de sa force.

Enfin paraît le terrible matin; mais un brouillard impénétrable, qui s'étend sur tout le champ de bataille, suspend l'attaque jusqu'à midi. A genoux devant le front de bataille, le roi fait sa prière; toute l'armée, qui s'est jetée à genoux comme lui, entonne en même temps un touchant cantique, et la musique militaire accompagne le chant. Ensuite le roi monte à cheval, et, vêtu seulement d'un pourpoint de cuir et d'un habit de drap (une ancienne blessure ne lui permettait plus de porter la cuirasse), il parcourt les rangs pour enflammer le courage des troupes et leur inspirer une joyeuse confiance, que dément son propre cœur, plein de tristes pressentiments. «Dieu avec nous!» était le mot des Suédois; «Jésus Marie!» celui des Impériaux. Vers onze heures, le brouillard commence à se dissiper, et l'on découvre l'ennemi. En même temps, on voit en flammes la ville de Lützen, que le duc a fait incendier, pour n'être pas débordé de ce côté. Le signal retentit; la cavalerie s'élance contre l'ennemi, et l'infanterie marche vers les fossés.

Reçus par le feu terrible des mousquets et de la grosse artillerie placée derrière, ces braves bataillons poursuivent leur attaque avec un courage intrépide; les mousquetaires ennemis abandonnent leur poste, les fossés sont franchis, la batterie même est emportée et tournée aussitôt contre l'ennemi. Les Suédois avancent avec une force irrésistible; la première des cinq brigades de Friedland est terrassée; aussitôt après, la seconde; et déjà la troisième commence à tourner le dos: mais, à ce moment, le duc, avec une rapide présence d'esprit, s'oppose aux progrès de l'attaque. Il est là, aussi prompt que l'éclair, pour réparer le désordre de son infanterie, et sa parole puissante arrête les fuyards. Soutenues par trois régiments de cavalerie, les brigades déjà battues font de nouveau face à l'ennemi, et pénètrent avec vigueur dans ses rangs rompus. Une lutte meurtrière s'engage; l'ennemi est si près qu'on n'a point de place pour se servir des armes à feu, et la rage de l'attaque ne laisse pas le temps de les charger. On combat homme contre homme; le fusil, inutile, fait place à l'épée et à la pique, et l'art à la fureur. Les Suédois, fatigués, accablés par le nombre, reculent enfin au delà des fossés, et la batterie, déjà emportée, est perdue par cette retraite. Déjà mille cadavres mutilés couvrent la plaine, et l'on n'a pas encore gagné un pouce de terrain.

 

Cependant, l'aile droite des Suédois, commandée par le roi lui-même, avait attaqué l'ennemi. Dès le premier choc de leur pesante masse, les cuirassiers finlandais dispersèrent les légers escadrons polonais et croates qui étaient contigus à cette aile, et dont la déroute communiqua la peur et le désordre au reste de la cavalerie. Dans cet instant, on annonce au roi que son infanterie est repoussée au delà des fossés et que son aile gauche, horriblement inquiétée par l'artillerie ennemie postée près des moulins à vent, commence également à plier. Avec une prompte résolution, il charge le général Horn de poursuivre l'aile gauche des Impériaux, déjà battue, et il s'élance lui-même à la tête du régiment de Stenbock, pour réparer le désordre de sa propre aile gauche. Son noble coursier le porte, avec la rapidité de la flèche, par delà les fossés; mais le passage est plus difficile pour les escadrons qui le suivent, et un petit nombre de cavaliers, parmi lesquels on nomme François-Albert, duc de Saxe-Lauenbourg, sont seuls assez lestes pour demeurer à ses côtés. Il pousse droit à la place où son infanterie est le plus dangereusement pressée, et, tandis qu'il jette ses regards autour de lui, pour découvrir dans l'armée impériale un endroit faible sur lequel il puisse diriger l'attaque, sa vue courte le conduit trop près de l'ennemi. Un caporal impérial observe que chacun lui fait place respectueusement sur son passage, et il commande sur-le-champ à un mousquetaire de le coucher en joue. «Tire sur celui-là, s'écrie-t-il, ce doit être un homme important.» Le soldat tire: le roi a le bras gauche fracassé. Dans ce moment, ses escadrons arrivent au galop, et un cri confus: «Le roi saigne, le roi a reçu un coup de feu!» répand parmi les arrivants l'horreur et l'épouvante. «Ce n'est rien, suivez-moi,» s'écrie le roi, en rassemblant toutes ses forces; mais, vaincu par la douleur et près de s'évanouir, il prie en français le duc de Lauenbourg de le tirer sans éclat de la presse. Tandis que le duc, prenant un long détour, pour dérober à l'infanterie découragée ce spectacle accablant, se dirige avec le roi vers l'aile droite, le blessé reçoit dans le dos un second coup qui lui enlève le reste de ses forces. «J'en ai assez, frère, dit-il d'une voix mourante; cherche seulement à sauver ta vie.» En même temps, il tomba de cheval, et, percé encore de plusieurs coups, abandonné de toute son escorte, il expira entre les mains rapaces des Croates. Bientôt son cheval, baigné de sang, fuyant sans cavalier, découvrit à la cavalerie suédoise la chute du roi; et, furieuse, elle s'élance pour arracher à l'avidité de l'ennemi cette proie sacrée. Autour du cadavre s'allume un combat meurtrier, et le corps défiguré est enseveli sous un monceau de morts.

L'affreuse nouvelle parcourt en peu de temps toute l'armée suédoise; mais, au lieu d'anéantir le courage de ces bandes valeureuses, elle les enflamme au contraire d'une ardeur nouvelle, farouche, dévorante. La vie n'a plus de prix, depuis que la vie la plus sacrée est perdue, et la mort n'a plus de terreurs pour l'homme obscur, depuis qu'elle a frappé la tête couronnée. Avec la rage des lions, les régiments uplandais, smalandais, finnois, d'Ostgothie et de Westgothie, se précipitent, pour la seconde fois, sur l'aile gauche des ennemis, qui n'oppose plus au général Horn qu'une faible résistance et qui maintenant est mise en pleine déroute. En même temps, l'armée, orpheline de son roi, trouve dans le duc Bernard de Weimar un général digne d'elle, et le génie de Gustave-Adolphe conduit encore ses escadrons victorieux. L'aile gauche a bientôt reformé ses rangs et attaque vigoureusement la droite des Impériaux. L'artillerie des moulins, qui a vomi sur les Suédois un feu si meurtrier, tombe en son pouvoir, et ces tonnerres sont maintenant dirigés contre les ennemis. De son côté, le centre de l'infanterie suédoise, sous la conduite de Bernard et de Kniphausen, marche de nouveau sur les fossés, qu'elle franchit heureusement, et, pour la seconde fois, s'empare de la batterie de sept canons. Alors l'attaque recommence avec un redoublement de fureur contre les pesants bataillons du centre de l'ennemi; leur résistance faiblit de plus en plus, et le hasard même conspire avec la valeur suédoise pour achever leur défaite. Le feu prend aux caissons de poudre de l'armée impériale, et l'on voit voler dans l'air, avec un fracas horrible, les bombes et les grenades entassées. L'ennemi épouvanté se croit attaqué par derrière, tandis que les brigades suédoises le pressent par devant. Le courage l'abandonne. Il voit son aile gauche battue, son aile droite sur le point de succomber, son artillerie dans les mains des Suédois. La bataille approche du terme décisif; le sort de la journée ne dépend plus que d'un instant: soudain Pappenheim paraît sur le champ du combat avec ses cuirassiers et ses dragons; tous les avantages remportés sont perdus, et une bataille toute nouvelle commence.

L'ordre qui rappelait ce général à Lützen l'avait atteint à Halle, au moment où ses troupes achevaient de piller cette ville. Il était impossible de rassembler l'infanterie dispersée, avec la célérité que demandaient cet ordre pressant et l'impatience de Pappenheim. Sans attendre ses fantassins, il fit monter à cheval huit régiments de cavalerie, et, à leur tête, il courut sur Lützen à bride abattue pour prendre part à la fête de la bataille. Il arriva juste à temps pour voir de ses yeux la fuite de l'aile gauche, que Gustave Horn mettait en déroute, et pour s'y trouver lui-même d'abord enveloppé. Mais, avec une soudaine présence d'esprit, il rallie les fuyards et les ramène à l'ennemi. Emporté par son bouillant courage et plein d'impatience d'en venir aux mains avec le roi lui-même, qu'il suppose à la tête de cette aile, il se jette avec fureur sur les escadrons suédois, qui, fatigués par la victoire et trop faibles en nombre, succombent sous ce flot d'ennemis, après la plus courageuse résistance. L'apparition de Pappenheim, qu'on n'osait plus espérer, ranime aussi le courage expirant de l'infanterie impériale, et le duc de Friedland saisit promptement l'instant favorable pour former de nouveau sa ligne. Les bataillons suédois, en masses serrées, sont rejetés au delà des fossés, après une lutte meurtrière, et les canons, deux fois perdus, sont arrachés de leurs mains une seconde fois. Le régiment jaune, comme le plus brave de tous ceux qui donnèrent dans cette sanglante journée des preuves de leur courage héroïque, était couché par terre tout entier, et couvrait encore le champ de bataille dans le bel ordre qu'il avait maintenu jusqu'au dernier soupir avec un si ferme courage. Le même sort frappa un régiment bleu, que le comte Piccolomini, avec la cavalerie impériale, terrassa après le combat le plus acharné. Cet excellent général renouvela sept fois son attaque; il eut sept chevaux tués sous lui: il fut percé de six balles de mousquet. Cependant, il ne quitta pas le champ de bataille avant que la retraite de toute l'armée l'entraînât. On vit Wallenstein lui-même, au milieu de la pluie des balles ennemies, parcourir avec sang-froid ses divisions, secourant ceux qui étaient en péril, adressant des éloges au brave, punissant le lâche d'un regard foudroyant. Autour de lui, à ses côtés, ses soldats tombent sans vie; son manteau est criblé de balles. Mais les dieux vengeurs protégent aujourd'hui sa poitrine, pour laquelle est déjà aiguisé un autre fer. Ce n'était pas sur la couche où Gustave expirait que Wallenstein devait exhaler son âme souillée par le crime.

Pappenheim ne fut pas aussi heureux. Pappenheim, l'Ajax de l'armée, le plus redoutable soldat de l'Autriche et de l'Église. L'ardent souhait de rencontrer le roi lui-même dans la bataille entraîna le furieux au milieu de la plus sanglante mêlée, où il se croyait le plus sûr de ne pas manquer son noble ennemi. Gustave aussi avait nourri le brûlant désir de voir face à face cet adversaire estimé; mais leur ardeur hostile ne fut point assouvie, et la mort seule réunit les héros réconciliés. Deux balles de mousquet traversèrent la poitrine cicatrisée de Pappenheim; il fallut que les siens l'entraînassent de force hors de la mêlée. Tandis qu'on était occupé à le porter derrière la ligne de bataille, un bruit confus parvint jusqu'à ses oreilles que celui qu'il cherchait gisait sans vie sur le champ de carnage. Lorsqu'on lui confirma la vérité de cette nouvelle, son visage s'éclaircit, et la dernière flamme brilla dans ses yeux. «Eh bien, s'écria-t-il, que l'on annonce au duc de Friedland que je suis blessé sans espérance de vie, mais que je meurs content, puisque je sais que l'implacable ennemi de ma religion est tombé le même jour que moi.»

Avec Pappenheim, le bonheur des Impériaux disparut du champ de bataille. A peine la cavalerie de l'aile gauche, déjà battue une fois et ralliée par lui seul, fut-elle privée de son chef victorieux, qu'elle ne fit plus aucune résistance et, avec un lâche désespoir, chercha son salut dans la fuite. La même épouvante saisit aussi l'aile droite, à l'exception d'un petit nombre de régiments, que la bravoure de leurs chefs, Gœtz, Terzky, Collorédo et Piccolomini, força de tenir ferme. L'infanterie suédoise met à profit, avec une prompte résolution, le trouble de l'ennemi. Pour combler les vides que la mort a faits dans le premier corps de bataille, les deux lignes se réunissent en une seule, qui hasarde l'attaque dernière et décisive. Pour la troisième fois, elle franchit les fossés, et, pour la troisième fois, les canons braqués sur le revers tombent en son pouvoir. Le soleil va disparaître, à l'instant même où les deux armées en viennent aux mains. Le combat, près de sa fin, se rallume avec plus de violence. La dernière force lutte contre la force dernière; l'adresse et la fureur déploient leurs moyens extrêmes pour réparer, dans cet instant précieux et décisif, toute une journée perdue. Vainement le désespoir élève chaque armée au-dessus d'elle-même: aucune ne peut vaincre, aucune ne peut céder, et la tactique n'épuise d'un côté ses progrès que pour développer de l'autre de nouveaux coups de maître que l'on n'a jamais appris, jamais mis en pratique. Enfin le brouillard et la nuit mettent au combat un terme que la fureur lui refuse, et l'attaque cesse, parce qu'on ne trouve plus son ennemi. Les deux armées, par un accord tacite, se séparent; les joyeuses trompettes retentissent, et l'une et l'autre, se déclarant invaincue, disparaît de la plaine.

Les chevaux s'étant dispersés, l'artillerie des deux partis passa la nuit, abandonnée, sur le champ de bataille: c'était à la fois le prix et le gage de la victoire pour celui qui se rendrait maître du terrain. Mais, dans la précipitation avec laquelle il prit congé de Leipzig et de la Saxe, le duc de Friedland oublia de retirer la sienne du lieu du combat. Assez peu de temps après la fin de l'action, l'infanterie de Pappenheim, forte de six régiments, qui n'avait pu suivre assez vite la course de son général, parut sur le théâtre de l'action; mais la besogne était achevée. Quelques heures plus tôt, ce renfort considérable aurait vraisemblablement décidé l'affaire à l'avantage de l'empereur, et même alors, en s'emparant du champ de bataille, il eût pu sauver l'artillerie du duc et prendre celle des Suédois; mais ce corps n'avait point d'ordres pour déterminer sa conduite, et, trop incertain sur l'issue de la bataille, il prit le chemin de Leipzig, où il espérait trouver le gros de l'armée.

Le duc de Friedland avait dirigé sa retraite de ce côté, et, le lendemain matin, les restes dispersés de ses troupes le suivirent sans artillerie, sans drapeaux et presque sans armes. Il paraît que le duc Bernard fit reposer l'armée suédoise des fatigues de cette sanglante journée, entre Lützen et Weissenfels, assez près du champ de bataille pour empêcher promptement toute tentative que pourrait faire l'ennemi pour s'en emparer. Plus de neuf mille hommes des deux armées étaient restés sur la place; le nombre des blessés fut beaucoup plus considérable encore; et surtout, parmi les Impériaux, à peine se trouva-t-il un seul homme qui revînt sain et sauf du combat. Toute la plaine, depuis Lützen jusqu'au canal, était jonchée de blessés, de mourants et de morts. Des deux côtés, beaucoup de personnages de la première noblesse avaient succombé; l'abbé de Fulde lui-même, qui s'était mêlé, comme spectateur, à la bataille, paya de sa vie sa curiosité et son zèle religieux intempestif. L'histoire ne parle pas de prisonniers: nouvelle preuve de la fureur des deux partis, qui n'accordaient ou ne demandaient aucun quartier.

 

Dès le lendemain, Pappenheim mourut de ses blessures à Leipzig: perte irréparable pour l'armée impériale, que cet excellent soldat avait si souvent conduite à la victoire. La bataille de Prague, où il assistait, ainsi que Wallenstein, comme colonel, ouvrit sa carrière de gloire. Dangereusement blessé, il écrasa, avec peu de monde, par l'impétuosité de son courage, un régiment ennemi, et resta couché bien des heures sur le champ de bataille, confondu avec les morts et pressé par le poids de son cheval jusqu'à ce qu'il fut découvert par les siens, venus pour le pillage. Avec un petit nombre de troupes, il vainquit dans trois batailles les rebelles de la haute Autriche, au nombre de quarante mille. Dans la journée de Leipzig, il retarda longtemps par sa bravoure la défaite de Tilly, et il fit triompher les armes de l'empereur sur l'Elbe et le Wéser. L'ardeur effrénée de son courage, que n'effrayait pas le danger le plus évident, et que l'impossible pouvait à peine dompter, faisait de lui le bras le plus terrible du général, mais le rendait impropre à commander en chef une armée; s'il faut en croire l'assertion de Tilly, la bataille de Leipzig fut perdue par sa fougue impétueuse. Lui aussi baigna ses mains dans le sang, au sac de Magdebourg. Son esprit, que les études précoces de sa jeunesse et de nombreux voyages avaient développé de la manière la plus brillante, était devenu farouche au milieu des armes. On remarquait sur son front deux traces rouges, en forme d'épée, dont la nature l'avait marqué dès sa naissance. Dans un âge avancé, ces traces paraissaient encore, toutes les fois qu'une passion mettait son sang en mouvement, et la superstition se persuada aisément que la vocation future de l'homme avait déjà été empreinte sur le front de l'enfant. Un pareil serviteur avait les droits les plus fondés à la reconnaissance des deux lignes de la maison d'Autriche, mais il ne vécut pas assez pour en recevoir la plus éclatante marque. Le courrier qui lui apportait de Madrid la Toison d'or était en chemin, quand la mort l'enleva à Leipzig.

Quoique l'on chantât le Te Deum dans toutes les provinces d'Autriche et d'Espagne pour la victoire qu'on avait remportée, Wallenstein lui-même confessa ouvertement et hautement sa défaite par la précipitation avec laquelle il évacua Leipzig et bientôt après toute la Saxe, et renonça à ses quartiers d'hiver dans ce pays. A la vérité, il fit encore une faible tentative pour dérober, comme au vol, l'honneur de la victoire, et envoya le lendemain ses Croates voltiger autour du champ de bataille; mais la vue de l'armée suédoise, qui était là en ordre de bataille, dissipa en un moment ces troupes légères, et le duc Bernard, en occupant le théâtre de l'action et bientôt après la ville de Leipzig, prit possession incontestable de tous les droits du vainqueur.

Victoire chèrement achetée! lugubre triomphe! Ce n'est qu'à ce moment, quand la fureur du combat est refroidie, qu'on sent toute la grandeur de la perte qu'on a faite, et les cris de joie des vainqueurs expirent dans un muet et sombre désespoir. Lui, qui les avait menés à la bataille, il n'est pas revenu avec eux. Il est là, enseveli au milieu de sa victoire, confondu dans la foule des morts vulgaires. Après une recherche longtemps inutile, on découvre enfin le cadavre royal, non loin de la grande pierre, déjà remarquée, un siècle auparavant, entre le canal et Lützen, mais qui, depuis la mémorable catastrophe de ce jour, s'appelle la pierre suédoise. Défiguré par le sang et les blessures, jusqu'à être méconnaissable, foulé par les pieds des chevaux, dépouillé de ses ornements et de ses habits par la main des pillards, il est tiré d'un monceau de morts, porté à Weissenfels, et, là, livré aux gémissements de ses troupes, aux derniers embrassements de son épouse. La vengeance avait réclamé le premier tribut, et le sang avait dû couler comme sacrifice expiatoire pour le monarque: maintenant, l'amour entre dans ses droits, et de tendres pleurs coulent pour l'homme. La douleur générale absorbe toutes les souffrances particulières. Encore étourdis du coup qui les accable, les généraux, dans une morne stupeur, entourent son cercueil, et aucun d'eux n'ose mesurer toute l'étendue de cette perte.

L'historien Khevenhiller nous rapporte qu'à la vue du pourpoint sanglant, qu'on avait enlevé au roi dans la bataille et envoyé à Vienne, l'empereur montra une émotion bienséante, qui vraisemblablement partait du cœur. «J'aurais volontiers souhaité, s'écria-t-il, une plus longue vie à cet infortuné et un heureux retour dans son royaume, pourvu que la paix eût régné en Allemagne!» Mais, lorsqu'un écrivain catholique, plus moderne, d'un mérite reconnu, trouve digne des plus grands éloges ce témoignage d'un reste d'humanité, que la seule bienséance réclame, que le simple amour-propre arrache même au cœur le plus insensible, et dont le contraire ne peut devenir possible que dans l'âme la plus barbare; lorsqu'il met cette conduite en parallèle avec la grandeur d'âme d'Alexandre envers la mémoire de Darius, il éveille chez nous une bien faible confiance dans les autres mérites de son héros, ou, ce qui serait pire encore, dans l'idéal qu'il se fait lui-même de la dignité morale. Mais l'éloge, le simple regret qu'on prête à Ferdinand, est déjà beaucoup dans la bouche de celui qu'on se trouve forcé de défendre contre le soupçon de régicide!

On ne pouvait guère s'attendre à ce que le vif penchant des hommes pour l'extraordinaire laissât au cours commun de la nature la gloire d'avoir mis fin à l'importante existence d'un Gustave-Adolphe. La mort de ce redoutable adversaire était pour l'empereur un événement trop considérable pour ne pas éveiller dans un parti hostile la pensée qui se présentait si facilement, que ce qui lui profitait avait été suscité par lui. Mais, pour l'exécution de ce noir attentat, l'empereur avait besoin d'un bras étranger, et l'on croyait aussi l'avoir trouvé dans la personne de François-Albert, duc de Saxe-Lauenbourg. Son rang lui permettait un accès libre et non suspect auprès du monarque, et ce même rang honorable servait à le mettre au-dessus du soupçon d'une action infâme. Il resterait donc simplement à prouver que ce prince était capable d'une pareille abomination et qu'il avait des motifs suffisants pour l'exécuter en effet.

François-Albert, le plus jeune des quatre fils de François II, duc de Lauenbourg, et, par sa mère, parent de la famille royale des Wasa, avait trouvé, dans ses jeunes années, un accueil amical à la cour suédoise. Une malhonnêteté qu'il se permit dans l'appartement de la reine-mère envers Gustave-Adolphe fut, dit-on, punie par cet ardent jeune homme d'un soufflet, qui, regretté, il est vrai, dans l'instant même, et expié par la plus complète satisfaction, déposa dans l'âme vindicative du duc le germe d'une implacable inimitié. François-Albert passa dans la suite au service impérial, où il eut un régiment à commander, forma la plus étroite liaison avec le duc de Friedland, et se laissa employer pour une négociation secrète avec la cour de Saxe, qui faisait peu d'honneur à son rang. Sans pouvoir expliquer sa conduite par un motif solide, il abandonne à l'improviste les drapeaux de l'Autriche et paraît à Nuremberg, dans le camp du roi, pour lui offrir ses services comme volontaire. Par son zèle pour la cause protestante, par des manières prévenantes et flatteuses, il gagne le cœur de Gustave, qui, malgré les avis d'Oxenstiern, prodigue sa faveur et son amitié à ce nouveau venu suspect. Bientôt après se livre la bataille de Lützen, dans laquelle François-Albert demeure sans cesse aux côtés du roi comme un mauvais génie, et ne le quitte qu'après qu'il est tombé. Au milieu des balles ennemies, il reste sain et sauf, parce qu'il porte autour du corps une écharpe verte, couleur des Impériaux. Il est le premier qui annonce au duc de Friedland, son ami, la mort du roi. Aussitôt après cette bataille, il passa du service suédois à celui de Saxe, et, au moment du meurtre de Wallenstein, arrêté comme complice de ce général, il n'échappe au glaive du bourreau qu'en abjurant sa croyance. Enfin il paraît de nouveau, comme chef d'une armée impériale, en Silésie et meurt de ses blessures devant Schweidnitz. Il faut réellement se faire quelque violence pour défendre l'innocence d'un homme qui a parcouru une pareille carrière; mais, si clairement que ressorte des raisons alléguées la possibilité physique et morale d'un si abominable attentat, ces raisons cependant, on le voit au premier coup d'œil, ne permettent pas de conclure, d'une manière légitime, que le crime ait été réellement commis. On sait que Gustave-Adolphe s'exposait au danger comme le dernier soldat de son armée, et, où des milliers d'hommes périssaient, il pouvait aussi trouver sa fin. Comment l'a-t-il trouvée? C'est ce qui reste enseveli dans une impénétrable obscurité; mais ici, plus que partout ailleurs, doit prévaloir cette maxime que, là où le cours naturel des choses suffit à expliquer l'événement, il ne faut pas dégrader par une inculpation morale la dignité de la nature humaine.